Question de M. VAUGRENARD Yannick (Loire-Atlantique - SOCR) publiée le 07/12/2017

M. Yannick Vaugrenard attire l'attention de Mme la ministre des solidarités et de la santé sur la nécessité de reconnaître les maladies des dockers comme maladies professionnelles.

En effet, depuis dix ans, les dockers demandent la reconnaissance de leurs cancers comme maladies professionnelles.
Ils sont particulièrement exposés à toutes sortes de produits toxiques, notamment parce qu'ils déchargent des produits venus de pays dont les normes de sécurité ne sont pas les mêmes qu'en France. Ils se retrouvent donc en contact avec des polluants comme la silice des ciments, le coke du pétrole, les émanations du charbon, les phosphates, les bois traités…

Une étude réalisée en 2014 par des sociologues et des scientifiques (« Enjeux de santé au travail et cancers : les expositions à supprimer dans les métiers portuaires. Une recherche-action sur le grand port maritime de Nantes-Saint-Nazaire ») a estimé que près de la moitié des dockers de Nantes-Saint-Nazaire seraient atteints de cancers. Les travaux d'un médecin marseillais ont par ailleurs établi que l'espérance de vie des dockers était de dix ans inférieure à la moyenne des Français.

En 2014, le tribunal des affaires de la sécurité sociale de Nantes a reconnu le caractère professionnel des cancers des dockers, estimant que la multi-exposition aux poussières et à des produits toxiques et cancérigènes avait eu « un rôle causal direct et essentiel dans la survenance de ses pathologies ». Cette décision avait constitué un précédent fondamental pour les victimes et leurs familles.
Cependant, en février 2017, la cour d'appel de Rennes est revenue sur ce jugement, estimant que la preuve du lien entre les maladies et le métier de docker n'était pas rapportée.

Il n'est pas acceptable que les dockers et leurs familles soient ainsi laissés dans le doute et la non-prise en charge de leurs maladies. L'État doit prendre ses responsabilités et permettre aux dockers d'être justement indemnisés pour leurs problèmes de santé.

Il lui demande donc que le Gouvernement prenne une position claire sur la reconnaissance comme maladies professionnelles des maladies des dockers.

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Réponse du Ministère des solidarités et de la santé publiée le 21/03/2018

Réponse apportée en séance publique le 20/03/2018

M. Yannick Vaugrenard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, voilà maintenant dix années que les dockers demandent la reconnaissance de leurs cancers comme maladie professionnelle.

En effet, le travail de manutention portuaire entraîne des expositions à toutes sortes de produits toxiques, notamment parce que les dockers déchargent des marchandises venues de pays dont les normes de sécurité ne sont pas les mêmes qu'en France : ils se retrouvent ainsi en contact avec des polluants comme la silice des ciments, le coke du pétrole, les phosphates, les bois traités ou encore les émanations du charbon.

Résultat : nombre d'entre eux développent plusieurs cancers simultanément – cancers du larynx, du poumon, de la thyroïde, du rein ou encore de la prostate.

Une étude réalisée en 2014 par des sociologues et des scientifiques, connue sous le nom de rapport ESCALES, a démontré une surmortalité par cancers des dockers. Ainsi, 53 % des dockers travaillant au sein du Grand Port Maritime de Nantes Saint-Nazaire seraient atteints de cancers ou décédés prématurément, les pathologies cancéreuses étant à l'origine de 67 % des décès.

Par ailleurs, à l'échelle nationale, les travaux d'un médecin ont établi que l'espérance de vie des dockers était de dix années inférieure à l'espérance de vie moyenne des Français.

En dépit de ce constat dramatique, les pathologies des dockers ne sont toujours pas reconnues comme maladies professionnelles.

En 2014, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes a, quant à lui, reconnu le caractère professionnel des cancers des dockers, estimant que la multiexposition aux poussières et à des produits toxiques et cancérigènes avait joué « un rôle causal direct et essentiel dans la survenance de ces pathologies ». Cette décision avait constitué un précédent fondamental pour les victimes et leurs familles.

Toutefois, en février 2017, la cour d'appel de Rennes est, de façon surprenante, revenue sur ce jugement, estimant que la preuve du lien entre les maladies et le métier de docker n'était pas rapportée.

Madame la ministre, il n'est pas acceptable que les dockers et leurs familles soient ainsi laissés dans l'expectative et devant la non-prise en charge de leurs maladies !

Devant ce drame, l'État se doit de prendre ses responsabilités, en permettant aux dockers d'être justement indemnisés pour des maladies qui, à l'évidence, ont des origines professionnelles. Je souhaite connaître clairement la position du Gouvernement sur ce sujet qui est véritablement un sujet majeur de santé publique.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.

Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur Vaugrenard, l'ouverture des conteneurs maritimes et les travaux de déchargement de marchandises portuaires exposent potentiellement les dockers à des substances dangereuses.

C'est pourquoi l'évaluation par l'employeur des risques liés à la présence de ces substances dangereuses, qui s'inscrit dans la démarche globale de prévention des risques professionnels, joue un rôle primordial.

En 2016, l'Institut national de recherche et de sécurité, l'INRS, a ainsi élaboré, en lien avec la branche risques professionnels de l'assurance maladie, un guide intitulé « Ouvrir et dépoter un conteneur en sécurité », détaillant les mesures de prévention adaptées : ventilation, détection de gaz ou port de masque. La mise en œuvre de ces mesures nécessite une bonne information et une formation des salariés, en lien avec la médecine du travail.

Toutefois, l'exposition à ces substances peut provoquer des maladies professionnelles, vous avez raison, parmi lesquelles des cancers.

Pour les dockers comme pour tous les assurés du régime général de la sécurité sociale, le caractère professionnel des maladies peut être reconnu dans le cadre des tableaux de maladies professionnelles. La victime bénéficie alors d'une présomption d'origine professionnelle.

En raison de cette automaticité des droits, les tableaux ne peuvent comporter que les pathologies dont le lien de causalité avec le travail est solidement établi. Un système complémentaire a donc été instauré, afin d'éviter que certaines maladies ne puissent être prises en charge, soit que le salarié ne remplisse pas toutes les conditions prévues au tableau – liste limitative de travaux, délai de prise en charge, durée d'exposition –, soit que sa maladie ne soit pas stricto sensu désignée dans un tableau. Ce système complémentaire est fondé sur une expertise médicale collégiale, réalisée par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

Ce dispositif permet donc aux dockers, lorsque les conditions sont remplies, de faire reconnaître le lien entre l'exposition professionnelle et la pathologie et d'ouvrir ainsi droit à leur prise en charge par la branche accidents du travail-maladies professionnelles.

En outre, s'agissant spécifiquement de l'amiante, le dispositif de préretraite amiante a été étendu aux dockers en 2000.

Enfin, les anciens dockers peuvent, sur leur demande, bénéficier d'un suivi post-professionnel pris en charge par l'assurance maladie, afin de dépister d'éventuelles pathologies. Dans ce cadre, une surveillance médicale adaptée à leur situation peut être définie par leur caisse, en lien, le cas échéant, avec un centre de consultation de pathologie professionnelle.

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Madame la ministre, je ne suis pas satisfait de votre réponse.

Dans un premier temps, vous avez expliqué que de nouveaux moyens sont mis en œuvre pour éviter les conséquences néfastes du déchargement de marchandises, notamment de conteneurs. Seulement voilà : les dockers qui sont maintenant en retraite n'ont pas bénéficié de ces nouvelles mesures…

Dans un deuxième temps, vous avez évoqué un certain nombre de processus administratifs extrêmement technocratiques et qui ne facilitent pas pour les dockers la prise en charge réelle de leurs maladies.

Comme je l'ai expliqué, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nantes avait considéré comme d'origine manifestement professionnelle les maladies des dockers, lesquels ont une espérance de vie inférieure de 10 % à la moyenne nationale, après quoi la cour d'appel de Rennes a rendu une décision contraire.

Pour ma part, je souhaite que la puissance publique aille beaucoup plus loin que les constatations que vous venez de dresser. En particulier, le Gouvernement doit faire appel de la décision de la cour d'appel de Rennes.

Ou alors, que faut-il faire ? Faut-il que les élus, les familles, moi-même intervenions auprès de la Cour de justice de l'Union européenne, de la Cour européenne des droits de l'homme ? De fait, les choses aujourd'hui n'avancent pas beaucoup, et même pas du tout, alors que 63 % des dockers du port de Nantes Saint-Nazaire sont atteints de maladies dues à des expositions liées aux marchandises qu'ils déversent !

Madame la ministre, je souhaite que cette position soit revue, et que, au-delà des aspects administratifs que vous avez évoqués, l'aspect humain soit au cœur de la décision, avant que nous n'ayons, malheureusement, à intervenir au niveau européen pour faire entendre un minimum d'humanisme à la puissance publique française.

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