Question de Mme MORIN-DESAILLY Catherine (Seine-Maritime - UC) publiée le 11/04/2018

Question posée en séance publique le 10/04/2018

Mme Catherine Morin-Desailly. Ma question, qui s'adresse à Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale, porte sur les relations qu'entretient son ministère avec certaines entreprises du numérique.

Monsieur le ministre, j'ai été très surprise de l'annonce du recrutement du directeur du numérique éducatif par Amazon France. Ce débauchage fait suite à celui, tout aussi regrettable il y a quelques mois, du directeur général de l'ARCEP, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, par Google.

Vous me répondrez sûrement que la commission de déontologie de la fonction publique s'est prononcée. Certes, mais ce débauchage nourrit l'inquiétude. Nous sommes nombreux au Sénat à nous préoccuper de la perméabilité de l'éducation nationale à l'influence des géants américains du numérique.


Mme Marie-Noëlle Lienemann. Très bien !


Mme Catherine Morin-Desailly. Une série de contrats conclus avec Google et Microsoft sans même d'appels d'offres du temps de votre prédécesseur fait craindre une mainmise progressive de ces acteurs sur la vie de millions d'enfants et d'enseignants.

Ne soyons pas naïfs ! Ces géants américains de l'internet mènent des stratégies d'influence avérées et étudiées, parfois déguisées derrière le soutien à l'innovation pédagogique : Microsoft soutient le forum des enseignants innovants ; après la Grande École du numérique, voilà que Google va financer la chaire sur l'intelligence artificielle de l'École polytechnique.

Est-il normal, par ailleurs, que des sorties de classe aient lieu dans des boutiques Apple ? Cela pose la question du respect de la neutralité du service public ! Au demeurant, vous en conviendrez, la place de ces écoliers serait plutôt au musée ou à la bibliothèque…

Pour rassurer, votre directeur du numérique s'appuyait sur des chartes conclues avec les GAFAM – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Or, on le sait, la captation et le microtargeting des données sont le fondement du modèle économique de ces entreprises. La scandaleuse affaire Cambridge Analytica-Facebook vient démontrer que nous ne pouvons pas nous satisfaire d'engagements, de promesses et de chartes, même si le règlement général sur la protection des données s'appliquera désormais.

Ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, qu'il est temps de clarifier la position de votre ministère sur cette question ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain.)

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Réponse du Ministère de l'éducation nationale publiée le 11/04/2018

Réponse apportée en séance publique le 10/04/2018

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale. Madame la présidente Morin-Desailly, je vous remercie de cette question, qui porte sur un sujet absolument essentiel, un sujet de notre temps, pour lequel nous devons avoir une position d'équilibre : nous devons en avoir une claire conscience, nous avons de grands acteurs du numérique qui sont importants dans notre société, et nous devons évidemment faire en sorte que l'école ne soit pas perméable à des influences qui ne doivent pas avoir lieu.

Votre question comporte plusieurs volets, auxquels je tenterai de répondre.

Concernant, tout d'abord, la question du départ de notre directeur du numérique, je vous confirme ce départ, qui fait en effet l'objet d'un examen par la commission de déontologie, dont j'attends la réponse. Nous verrons alors ce qu'il en est, et je ne me prononcerai donc pas à ce stade. Je tiens simplement à souligner que l'éducation nationale n'a aujourd'hui aucune relation contractuelle avec Amazon.

Concernant les GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon –, vous avez soulevé un véritable problème. Nous le savons bien, les données sont aujourd'hui considérées comme le nouvel or, un nouveau trésor.

Oui, vous avez raison, bien évidemment, l'école, le collège et le lycée ne sauraient être considérés comme des lieux d'entrée et de sortie en la matière, avec la possibilité de puiser dans les données ; je serai extrêmement vigilant sur ce point. Il est possible que des situations de fragilité aient été causées dans le passé, mais je serai le premier gardien d'une solidité à l'avenir, avec le futur directeur du numérique.

Les visites dont vous avez parlé me donnent l'occasion de dire que les sorties scolaires sont extrêmement importantes et que, de plus en plus, dans le futur, nous allons les encourager avec les collectivités locales. Oui, vous avez totalement raison, il vaut mieux aller au musée, dans la forêt ou à la bibliothèque que dans une boutique Apple. Je pense que ceux qui ont organisé cette visite étaient animés d'une certaine bonne volonté ; ils ont fait une erreur, je le leur ai dit, et cela ne doit plus se reproduire à l'avenir.

Quoi qu'il en soit, il importe que les sorties scolaires soient intéressantes pour nos élèves et que l'école reste évidemment le lieu de la République protégé des influences, mais aussi ouvert sur l'avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.

Mme Catherine Morin-Desailly. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le ministre.

Plus largement, je veux souligner que, au moment même où Marc Zuckerberg est auditionné par le Congrès américain, il nous faut absolument renoncer à cette complaisance naïve que nous avons entretenue jusqu'à maintenant dans nos relations avec ces entreprises, qui ont leur propre agenda, leurs propres objectifs à atteindre. Cela ne veut pas dire qu'il faut se fermer à la technologie, au développement et au progrès, mais cela signifie tout simplement qu'il faut être lucide pour la construction d'un avenir…

M. le président. Je vous demande de conclure, ma chère collègue !

Mme Catherine Morin-Desailly. … fondé sur nos valeurs, les libertés fondamentales chères à l'Europe. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe Les Républicains, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)

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