Question de M. SAURY Hugues (Loiret - Les Républicains-A) publiée le 27/06/2018

Question posée en séance publique le 26/06/2018

M. Hugues Saury. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Madame la garde des sceaux, voilà une semaine, douze individus, dont neuf détenus, soupçonnés de trafic international de drogue portant sur des quantités importantes de cannabis, d'héroïne, de cocaïne, d'ecstasy ou encore de Kétamine, devaient comparaître devant le tribunal correctionnel de Pontoise. Parmi ces individus, huit prévenus incarcérés ont dû être remis en liberté faute de magistrats disponibles, à la suite de l'arrêt maladie de la juge chargée du dossier, le délai légal de six mois de détention provisoire obligeant à les libérer.

Sans remettre en cause le travail considérable des juges, je considère comme inacceptable, dans un système juridique aussi abouti que le nôtre, de voir une audience annulée pour manque de moyen humain. Pis, il est inconcevable d'imaginer qu'un individu soupçonné ne soit pas jugé dans les conditions prévues par la loi et soit remis en liberté, y compris dans le cadre d'un contrôle judiciaire.

Par ce jeu des actes manqués, notre système s'épuise et se ridiculise. Comment une institution aussi importante que l'autorité judiciaire ne peut-elle être en capacité d'assurer son rôle ? Cette affaire n'a malheureusement rien d'exceptionnel et ne doit pas être banalisée sous prétexte de la crise que subit l'institution.

Madame la garde des sceaux, comptez-vous attendre mars 2019 – c'est la date qui a été avancée – pour que ces trafiquants passent en jugement ?

Plus largement, je souhaiterais savoir comment vous comptez régler au plus vite ces situations, afin qu'elles ne puissent se reproduire. En effet, elles créent un sentiment d'impunité pour les délinquants et de désespérance pour les magistrats, les policiers et les victimes. Prévoyez-vous des mesures explicites afin d'endiguer le phénomène de surcharge de travail des magistrats ? Il y va, me semble-t-il, de la crédibilité du système judiciaire et légal français.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 27/06/2018

Réponse apportée en séance publique le 26/06/2018

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai bien entendu été informée de la décision du tribunal de Pontoise. Je dois le dire très sincèrement, elle m'a choquée.

M. Gérard Longuet. Vous n'êtes pas la seule !

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Cette décision est grave, puisqu'elle entraîne la remise en liberté des prévenus, même s'ils sont effectivement placés sous contrôle judiciaire. Par ailleurs, elle concerne l'organisation et le fonctionnement du service public de la justice. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle je m'autorise à porter un jugement sur cette affaire.

Il faut le savoir, cette décision ne relève pas exclusivement du manque d'effectifs, comme cela a pu être dit. Je le rappelle, le tribunal de grande instance de Pontoise regroupe soixante-dix magistrats. À l'heure actuelle, soixante-huit postes sont pourvus. Les deux postes vacants concernent un juge de l'application des peines et un juge du tribunal d'instance, donc en aucun cas un juge correctionnel.

J'ajoute par ailleurs que le recrutement de nouveaux magistrats nous permettra, dès le mois de septembre prochain, de combler l'une de ces deux vacances. En outre, le budget de la justice pour l'année 2018 et les années suivantes nous permettra de recruter un nombre important de magistrats.

Concernant l'affaire qui vient d'être évoquée, j'ai saisi les chefs de cour de la Cour d'appel de Versailles pour leur demander des explications précises sur quatre points. J'ai sollicité des précisions sur l'organisation générale du service correctionnel, notamment sur l'audiencement, ainsi que sur l'existence d'un dispositif de remplacement des magistrats en cas d'empêchement.

J'ai demandé un rapport circonstancié sur le déroulement de l'audience qui a été évoquée et sur l'impossibilité d'examiner cette affaire avant plus d'un an. J'ai en outre souhaité avoir des éléments d'explication sur les conditions dans lesquelles le renvoi a été prononcé, et s'il a été précédé, comme cela doit être le cas, d'une information à la présidente de la juridiction. J'ai enfin demandé à être éclairée sur les difficultés particulières qui auraient justifié un tel report et une telle situation.

En fonction des éléments qui me seront remis, j'envisagerai ou non la saisine de l'Inspection générale de la justice. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Catherine Troendlé et M. Jean-Pierre Sueur applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Hugues Saury, pour la réplique.

M. Hugues Saury. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de la sincérité de vos propos. Bien sûr, j'aurais aimé qu'ils me rassurent complètement, mais je crains qu'il ne faille encore attendre un certain temps avant de ne plus jamais voir ce type de situation.

La répétition de ces phénomènes témoigne d'un dysfonctionnement qu'il faut traiter en toute urgence. Il y va de l'efficacité de notre système judiciaire, qui ne doit pas conforter les délinquants dans leur sentiment d'impunité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

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