Question de Mme LIENEMANN Marie-Noëlle (Paris - CRCE-R) publiée le 17/01/2019

Mme Marie-Noëlle Lienemann attire l'attention de M. le Premier ministre sur le « deux poids, deux mesures » qui régit les relations entre la Commission européenne et les États membres de l'Union européenne concernant le respect des « équilibres économiques » inscrits dans les traités.
Depuis le traité d'Amsterdam, traités et décisions multiplient les règles économiques, financières et budgétaires, contraignantes, plus que contestables, et souvent contestées par nos concitoyens.
Parmi ces règles celles-ci, on cite régulièrement le niveau de l'inflation, celui de la dette publique ou du déficit budgétaire. Ces deux derniers critères ont motivé une prise de position agressive de la part du commissaire européen au budget réclamant l'ouverture d'une procédure pour déficit excessif contre notre pays.

Un critère est régulièrement omis et sous-estimé par la Commission européenne et les pouvoirs publics français : le solde de la balance commerciale.
En effet, les textes européens disposent que l'excédent de la balance commerciale d'un État sur une moyenne de trois ans ne peut être supérieur à 6 % ; en cas de dépassement, ces États devraient adopter des mesures adaptées pour revenir dans les cadres européens. Si ces dépassements perduraient, ils devraient alors être sanctionnés.
Ce critère vise à réduire les divergences structurelles des économies européennes et à éviter les politiques de dumping et d'agression économiques des pays riches de l'UE. Les écarts durables de balance commerciale sont l'un des symptômes de la divergence structurelle entre économies européennes au profit de l'Allemagne et plus largement de l'Europe du nord.

Si la Suède est sortie dès 2009-2010 de la zone statistique d'un excédent commercial moyen excessif, les Pays-Bas contreviennent à cette règle depuis au moins dix ans, le Danemark depuis huit ans et l'Allemagne depuis 2012-2013.
Or, la Commission européenne n'a engagé aucune procédure, même si cette action avait été envisagée fin 2013 contre l'Allemagne. En effet, la situation de l'Allemagne est primordiale, au regard du poids de son économie et de l'impact sur l'ensemble de l'UE de ses politiques, centrées sur l'accroissement de ses exportations et de son excédent commercial.
Le gouvernement français ne peut donc rester passif face aux propos du commissaire allemand selon lequel « l'infraction française » poserait plus de difficultés que d'autres infractions. Il ne saurait y avoir plus longtemps « deux poids, deux mesures » dans les rappels à l'ordre de la Commission européenne.
Il est temps que soient déclenchées des initiatives pour rééquilibrer la balance commerciale de l'Allemagne dont la stratégie conduit à appauvrir d'autres États.
Il n'appartient pas à la France, comme à d'autres États européens, de financer l'économie d'États aux pratiques économiques agressives, en violation des règles européennes déjà très laxistes en la matière.

L'inadaptation des cadres macro-économiques de l'UE est ici démontrée. Il ressort un affaiblissement du projet européen et des peuples dont les conditions de vie et les protections sociales se dégradent parallèlement à un accroissement des inégalités dans et entre les États membres. Un changement de cap s'impose.
Mais, dès maintenant, il est nécessaire de responsabiliser l'Allemagne par le respect des cadres existants alors qu'elle est souvent prompte à protéger ses intérêts en exigeant beaucoup de ses partenaires, en les sermonnant et en refusant toute évolution de la gouvernance et des politiques économiques européennes.

Elle lui demande s'il compte défendre la France et les Français à l'appui des règles de droit de l'Union européenne en saisissant la Commission européenne afin qu'elle engage enfin les procédures prévues concernant les excédents commerciaux.

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Transmise au Ministère de l'économie et des finances


Réponse du Ministère de l'économie et des finances publiée le 02/05/2019

Après sa création, la zone euro a vu s'accumuler des déficits courants importants dans les pays du Sud et des surplus dans certains pays « cœur », alimentés par différents facteurs, parmi lesquels des divergences de coûts salariaux unitaires (CSU) entre pays depuis le début des années 2000, ainsi que des écarts de taux d'intérêt réels, qui ont contribué à des dynamiques de crédit et d'investissement différentes. Jusqu'à la crise de 2008, les pays du Sud ont connu une dynamique de crédit alimentée par la faiblesse des taux d'intérêts réels et l'excès d'épargne dans les pays en surplus entraînant un afflux de capitaux investis dans les secteurs protégés. Dans le même temps, la croissance des salaires réels a été supérieure à celle de la productivité dans ces pays tandis que l'Allemagne menait une politique de forte modération salariale. Combinée à l'absence d'ajustement possible par le change, cette divergence d'inflation salariale a contribué à une divergence de la compétitivité et accentué le creusement des déficits courants. En 2007, les déficits courants atteignaient -9,6 % de PIB en Espagne, -9,7 % au Portugal, -15,2 % en Grèce et - 6,5 % en Irlande. Au même moment le solde courant de la zone euro était à l'équilibre et le surplus allemand s'élevait à 6,7 % du PIB. Depuis la crise, le rééquilibrage des déséquilibres courants a été globalement asymétrique. Les contraintes que furent l'arrêt brutal des entrées de capitaux dans les pays du sud (sudden stop) marquant le début de la crise de la zone euro et les programmes d'ajustement qui ont suivi - notamment en Espagne, au Portugal et en Grèce - n'ont concerné que les pays en déficit. La réduction des écarts de soldes courants s'est donc davantage faite par la compression des importations dans les pays du sud que par la progression de la demande intérieure dans les pays cœur.   La procédure de surveillance des déséquilibres macroéconomiques a été créée en 2011 afin d'identifier de manière précoce l'apparition de tels problèmes et d'inciter les Etats à procéder rapidement à leur correction. Cette procédure vise en effet à la détection les déséquilibres macroéconomiques, la prévention et la correction de déséquilibres excessifs, et le suivi de la mise en œuvre des mesures correctives. Afin de déceler ces déséquilibres macroéconomiques, et tout particulièrement ceux qui pourraient avoir un impact sur l'économie d'autres Etats membres, un tableau de bord a été mis en place, incluant quatorze indicateurs principaux de flux et de stock ainsi qu'une série d'indicateurs auxiliaires. Ce tableau de bord permet aussi de suivre l'évolution de la situation sociale et de l'emploi dans les Etats membres. Ces indicateurs ne sont cependant pas analysés de manière mécanique et une lecture plus qualitative est aussi nécessaire, incluant le suivi des politiques économiques nationales, afin de déterminer si les déséquilibres identifiés sont réellement problématiques. Ainsi, au niveau de l'Union Européenne (UE), le cadre de surveillance des déséquilibres macroéconomique suit une logique moins automatique que le cadre de surveillance budgétaire. La procédure s'articule en trois temps afin d'identifier les déséquilibres et d'inciter à leur correction. Après une première analyse générale de la situation macroéconomique au sein de l'UE et de la zone euro en novembre, la Commission publie chaque année en février des « rapports pays ». Pour les pays connaissant des déséquilibres élevés, cette analyse est complétée d'un bilan approfondi permettant de mieux caractériser les déséquilibres. C'est dans ce contexte que l'Allemagne est considérée par la Commission et le Conseil, comme connaissant des déséquilibres macroéconomiques (même catégorie que la France actuellement) et qu'elle fait l'objet d'une surveillance renforcée deux fois par an. Enfin, des recommandations spécifiques de politiques économiques adressées à la zone euro dans son ensemble (« recommandations zone euro ») ainsi qu'à chaque Etat-Membre (« recommandations-pays ») sont adoptées par le Conseil ; la France prend pleinement part aux discussions qui mènent à leur adoption. Depuis son introduction, cette procédure a permis à la zone euro d'identifier et de corriger un certain nombre de déséquilibres identifiés, par exemple dans les pays du sud de l'Europe où la procédure a favorisé l'adoption de réformes qui ont permis une amélioration de la compétitivité, une réduction des déficits courants et une baisse de l'endettement privé. Toutefois, de forts excédents courants persistent dans certains Etats membres, notamment aux Pays-Bas et en Allemagne. L'excédent courant allemand en particulier ne semble toujours pas se résorber malgré la mise en œuvre de certaines mesures susceptibles d'avoir un effet de rééquilibrage, comme l'instauration d'un salaire minimum ou des dépenses nouvelles d'investissement public (voir Lettre Trésor-Eco n° 29 novembre 2017 sur « Comment expliquer le niveau élevé de l'excédent courant allemand ? »). Dans le dernier rapport pays sur l'Allemagne publié en février 2019, la Commission revient sur l'excédent courant allemand et rappelle qu'il est bien supérieur à ce qu'on pourrait attendre au regard des fondamentaux économiques de l'Allemagne. La persistance d'un important surplus courant est le signe d'un désalignement de change entre l'Allemagne et le reste de la zone euro, qu'il convient de réduire dans la mesure où celui-ci s'accompagne d'une répartition déséquilibrée de l'activité entre les pays de la zone. En effet, au-delà de leur effet sur leurs exportations, leurs faibles coûts salariaux unitaires pèsent sur la demande interne des pays en excédent courant et la demande adressée aux autres économies de la zone. Au niveau agrégé en zone euro, cela pèse sur l'inflation et contraint la politique monétaire. Les difficultés des pays du sud couplées à une dynamique des salaires allemands qui reste modérée alimentent la faiblesse de l'inflation, malgré une politique monétaire très accommodante (taux d'intérêt à zéro, programme d'assouplissement quantitatif). Par ailleurs, cet excédent courant représente aussi une vulnérabilité vis-à-vis du reste du monde dans la mesure où la croissance de la zone euro est fortement dépendante de la demande extérieure.     Dans ce contexte, la France soutient depuis plusieurs années un rééquilibrage plus symétrique au sein de la zone euro, et a été rejointe en grande partie par la Commission européenne sur ce sujet. En conséquence, les recommandations zone euro approuvées par le Conseil européen de mars 2019 mentionnent la nécessité de soutenir la demande interne des Etats dont la balance affiche un excédent important, notamment en favorisant la hausse des salaires et l'investissement. Par ailleurs, les recommandations-pays adressées à l'Allemagne insistent depuis plusieurs années sur la mise en place de politiques visant à réduire son surplus courant : les recommandations-pays adoptées par le Conseil à l'été 2018 portent ainsi sur la nécessité de soutenir l'investissement, public comme privé, et de favoriser une dynamique salariale plus allante. Ce constat et ces recommandations sont également partagés par le Fonds monétaire international qui recommande notamment dans son dernier rapport article IV consacré à l'Allemagne (juillet 2018), la mise en place de politiques structurelles pour réduire l'excédent courant allemand.   En outre, ces procédures de surveillance budgétaire et macroéconomique [1] de l'UE devraient faire l'objet d'un examen d'étape fin 2019. [1] règlements (UE) n° 1173/2011, (UE) n° 1174/2011, (UE) n° 1175/2011, (UE) n° 1176/2011, (UE) n° 1177/2011, (UE) n° 472/2013 et (UE) n° 473/2013, directive 2011/85/UE

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