Question de Mme FÉRET Corinne (Calvados - SOCR) publiée le 21/11/2019

Mme Corinne Féret attire l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur la présence de bateaux-usines dans la Manche.
En effet, depuis plusieurs semaines, des chalutiers industriels, qu'il serait plus juste d'appeler « usines flottantes », sillonnent la Manche. Mesurant parfois plus de 140 mètres de long et pouvant collecter 250 tonnes de poissons en une journée, soit l'équivalent annuel de cinq bateaux normands, ces bateaux-usines pillent tout, détruisent une partie des fonds marins, de la flore, de la faune, avant de recommencer ailleurs.
Techniques industrielles non raisonnées, impacts écologiques catastrophiques, mise en danger des ressources et des espèces : cette pêche au large des côtes françaises est une menace pour la ressource halieutique. Elle engendre de graves conséquences sur les écosystèmes marins ainsi que sur la sécurité et la qualité alimentaires. Alors que les pêcheurs du Calvados ont su mettre en place un modèle économique pérenne et respectueux de l'environnement, il ne peut être toléré que cet équilibre vertueux, mais fragile, soit mis en danger par une telle concurrence déloyale.
À une période où le Brexit suscite déjà beaucoup d'inquiétudes, la France doit plus que jamais défendre sa vision d'une pêche artisanale, durable et responsable. Aussi, elle lui demande si le Gouvernement compte agir au niveau européen pour demander une révision de la politique commune de la pêche en vue de faire cesser toutes pratiques synonymes de désastres à la fois économiques et écologiques.

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Réponse du Secrétariat d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes publiée le 04/12/2019

Réponse apportée en séance publique le 03/12/2019

Mme Corinne Féret. Des artisans pêcheurs du Calvados, département que je représente au Sénat, m'ont fait part de leurs vives inquiétudes quant aux conséquences de l'activité de chalutiers industriels géants, qu'il serait plus juste d'appeler « usines flottantes », qui sillonnent la Manche. Je souhaite ici être leur porte-parole.

Mesurant parfois plus de 140 mètres de long et pouvant collecter 250 tonnes de poissons en une seule journée, soit l'équivalent annuel de cinq bateaux normands, ces navires-usines pillent tout, détruisent une partie des fonds marins, de la flore, de la faune, avant de recommencer ailleurs.

Techniques industrielles non raisonnées, impacts écologiques catastrophiques, mise en danger des ressources et des espèces : cette pêche au large des côtes normandes est une menace pour la ressource halieutique. Tout le monde sait que la politique européenne des quotas est d'abord dictée par la préservation des espèces et de la biodiversité et par la lutte contre le gaspillage. Il est donc difficile de comprendre qu'on laisse faire de tels « ogres des mers » !

Après le passage dans la Manche d'un « monstre de la pêche » comme le Margiris, navire néerlandais, que pensez-vous qu'il reste, madame la secrétaire d'État, pour nos artisans pêcheurs qui travaillent dur et honnêtement toute l'année et qui, eux, régulent de fait leur production ?

Alors que les pêcheurs du Calvados ont su mettre en place un modèle économique pérenne et respectueux de l'environnement, il ne peut être toléré que cet équilibre vertueux, mais fragile, soit mis en danger par une telle concurrence déloyale.

Dans une période où le Brexit suscite déjà beaucoup d'inquiétudes, la France doit plus que jamais défendre sa vision d'une gestion raisonnée de la pêche : une pêche artisanale, durable et responsable.

Aussi, j'aimerais savoir si le Gouvernement compte agir au niveau européen pour demander une révision de la politique commune de la pêche et ainsi faire cesser toute pratique synonyme de désastre pour l'économie locale liée à la pêche et pour l'environnement, et, le cas échéant, dans quel cadre et à quelle échéance.

Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice, ce sujet est un sujet majeur. J'ai déjà pu répondre à plusieurs questions, venant d'ailleurs de toutes les travées de cet hémicycle, qui montrent qu'il y a là un enjeu à la fois territorial et stratégique.

Je tiens à excuser l'absence ce matin du ministre de l'agriculture et de l'alimentation ; nous travaillons ensemble, de manière extrêmement rapprochée, pour que, à Bruxelles, dans les cadres européens, que ce soit par le biais de la filière diplomatique ou de la filière thématique de la pêche, nous puissions avancer.

Nous sommes et nous restons, avec l'Union européenne, très mobilisés contre la surpêche. Tel est le sens de la politique commune de la pêche mise en place en 2013 ; tel est le sens, également, de toutes les positions qui ont été défendues par l'Union européenne au sein des organisations internationales chargées de la pêche : s'agissant des stocks de poissons dans les eaux de l'Union, la négociation des quotas de pêche connaîtra en fin d'année une échéance importante, puisque nous réviserons les quotas pour 2020 en même temps que nous arriverons au terme du plan pluriannuel.

Nous avons donc à revoir, à réajuster, à mettre à jour, cette politique commune de la pêche. Nous le faisons avec les représentants des secteurs, avec les différents comités de pêche des bassins qui entourent notre pays, sur la base d'avis scientifiques robustes. Les négociations des prochaines semaines feront l'objet de consultations régulières, comme c'est le cas pour l'ensemble des négociations relatives à cette politique commune.

Notre message est le suivant : stabilité et réalisme. Nous devons en effet créer les conditions permettant de vivre décemment et durablement de ce métier.

Effectivement, le Brexit apporte son lot d'incertitudes, mais, en la matière, nous aurons davantage de visibilité lors du conseil des ministres qui aura lieu dans dix jours, avec la perspective – nous y croyons – de la signature d'un accord avec le Royaume-Uni d'ici à la fin de l'année. Un tel accord nous permettra de garantir la réciprocité des règles respectivement applicables dans les eaux britanniques et dans celles de l'Union européenne. Un Brexit avec accord permettrait d'aménager une période de transition et donnerait de la visibilité.

Pour ce qui concerne les bateaux dits « usines » dont vous me parlez, le fameux bateau Margiris a effectivement transité par les eaux territoriales françaises ; il a pêché dans les eaux communautaires, pas dans les eaux françaises. Il a un quota, de 2 150 tonnes ; il pêche en particulier du chinchard, et nous avons exercé, avec le Centre national de surveillance des pêches, une veille très attentive pour nous assurer qu'il respectait à la fois les normes, la réglementation et son quota.

Ce qui est pour nous primordial, c'est que tous les pêcheurs puissent pêcher partout. Cela bénéficie aux pêcheurs du Calvados, qui peuvent se rendre dans les eaux britanniques.

En tout état de cause, nous devons faire preuve de la même vigilance pour tous afin que les quotas soient respectés, et que nous puissions défendre une pêche artisanale et locale.

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Féret, pour la réplique.

Mme Corinne Féret. Madame la secrétaire d'État, j'entends que des réflexions sont en cours et que le Gouvernement travaille sur ces questions. J'aurais néanmoins aimé une réponse plus claire, condamnant fermement cette pêche industrielle déloyale et désastreuse des géants des mers.

Nos pêcheurs, dont l'activité est directement menacée, vous demandent d'agir ! L'Union européenne a le pouvoir de modifier cette politique commune de la pêche. Il faut d'urgence des règles strictes pour éviter que cette catastrophe n'ait des conséquences irréversibles sur le secteur de la pêche, notamment dans le Calvados et en Normandie.

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