Question de M. KAROUTCHI Roger (Hauts-de-Seine - Les Républicains) publiée le 09/01/2020

Question posée en séance publique le 08/01/2020

M. Roger Karoutchi. Monsieur le Premier ministre, la République se doit d'être protectrice de tous les citoyens. Sarah Halimi a été massacrée, défenestrée par un meurtrier clairement antisémite. Il n'y aura pas de procès.

Au-delà des règles, au-delà des codes, monsieur le Premier ministre, trouvez-vous cela juste ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)


Réponse du Premier ministre publiée le 09/01/2020

Réponse apportée en séance publique le 08/01/2020

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, il y a un peu plus de deux ans, Mme Halimi, l'une de nos concitoyennes, était assassinée de façon atroce. Nous en conservons tous la mémoire.

Une décision de justice récente que vous avez évoquée a ravivé le souvenir de ce drame et suscité dans la société française, et au sein du Parlement peut-être, un très grand nombre d'interrogations.

Par une décision du 19 décembre dernier, la cour d'appel de Paris a déclaré l'auteur des faits irresponsable pénalement, en raison d'« un trouble psychique ayant aboli son discernement au moment du crime ». C'est le texte de la décision.

La cour d'appel a toutefois aussi reconnu l'existence de charges suffisantes à son égard pour estimer qu'il avait commis ce meurtre. Elle a reconnu « l'existence d'une circonstance aggravante liée à la motivation antisémite de l'acte ». C'est également dans la décision ; je me contente de citer le texte de la cour d'appel.

La cour d'appel a enfin décidé – c'est elle qui le dit – de mesures coercitives contre le meurtrier, en l'occurrence, une hospitalisation sans consentement. Voilà ce que nous dit la justice.

Vous savez parfaitement, en me demandant si je trouve cette décision juste, qu'en tant que chef du Gouvernement il ne m'appartient pas de porter une appréciation sur une décision de justice. De même, vous savez parfaitement, pour avoir exercé des responsabilités gouvernementales, pourquoi ce principe est essentiel et important.

L'émotion suscitée par la décision a été vive. Les questions que pose cette décision sont sérieuses. La cour d'appel a utilisé une procédure – une façon de juger, dirai-je – créée en 2008, qui permet de juger – c'est important de l'avoir en tête – en audience publique les faits commis par un individu dont l'irresponsabilité pénale a été reconnue. En vérité, c'était déjà une façon d'essayer de mieux prendre en compte la question générale que vous évoquez, au-delà de ces seuls faits.

Peut-être cette décision suscitera-t-elle, au-delà de l'émotion, un débat. Si débat il doit y avoir, le Gouvernement y prendra sa part.

Reste qu'il est normal, important et légitime que le Gouvernement ne se prononce pas et ne donne pas une appréciation sur les décisions de justice, sans quoi séparation des pouvoirs, grands principes républicains, tout cela partirait à vau-l'eau.

Le fait que la cour d'appel ait, par sa décision, reconnu la circonstance aggravante et le caractère antisémite de l'acte est un élément qu'il faut en permanence rappeler à ceux qui, dans un premier temps ou de façon systématique, ont indiqué ou laissé penser que l'acte en question aurait pu ne pas être motivé par ces circonstances.

Voilà ce que je veux répondre à la question que vous posez, monsieur le sénateur. Quant à savoir si je trouve cette décision juste ou non, je garderai la réponse pour moi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.

M. Roger Karoutchi. Monsieur le Premier ministre, je vous remercie de cette réponse. Loin de moi l'idée de remettre en cause la neutralité du Gouvernement ou l'indépendance des magistrats.

Toutefois, monsieur le Premier ministre, dans un pays où, aujourd'hui, quand on marche dans un parc à Villejuif, dans une rue à Metz, dans une gare à Paris, on peut croiser à tout moment quelqu'un qui dispose d'un couteau et qui peut nous dire – puisque nous vivons maintenant au rythme des déséquilibrés – qu'il n'avait pas toute sa conscience à ce moment-là, qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut-il dire que ces gens-là sont irresponsables pénalement ? Pour toujours ? À terme ? Où allons-nous ?

Si, demain, la Turquie ou nos amis kurdes nous renvoient des tueurs de Daech et que les avocats de ces tueurs – puisqu'ils seront défendus, c'est logique – nous disent qu'au moment où ils ont commis des crimes ou des massacres ils étaient sous l'effet de drogues ou d'un embrigadement et qu'ils n'avaient pas alors leur pleine conscience, jusqu'où va-t-on légitimer la violence, le risque pour la République ?

Monsieur le Premier ministre, je ne vous demande pas une réponse remettant en cause la magistrature, tant s'en faut. Je respecte le travail des magistrats. Je vous dis : le Gouvernement, la République se doivent de protéger tous les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE.)

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