Question de M. BOCKEL Jean-Marie (Haut-Rhin - UC) publiée le 09/01/2020

Question posée en séance publique le 08/01/2020

M. Jean-Marie Bockel. Madame la garde des sceaux, je veux évoquer la décision d'irresponsabilité pénale rendue par la cour d'appel de Paris au sujet de l'auteur de l'infâme assassinat antisémite de Sarah Halimi. Dans ce débat, la question pertinente qu'a posée Roger Karoutchi et la réponse que lui a apportée M. le Premier ministre, précisant l'état du droit, constituent des éléments importants.

Reste une question : que faire ? Que faire aujourd'hui pour que le grand rabbin de France, Haïm Korsia, ne soit plus obligé de déclarer : « Devrait-on déduire de cette décision que tout individu drogué serait doté d'un permis de tuer les Juifs ? » On pourrait poser la même question pour les meurtres perpétrés dans les églises ou dans tout autre lieu de culte, ainsi que pour les actes et crimes terroristes. Que faire pour que d'autres familles que la famille Halimi ne soient pas, demain, privées d'un procès public ?

Sans évidemment supprimer l'incontestable principe d'irresponsabilité pénale ni remettre en cause l'indépendance de la justice, ne pourrait-on pas, par la loi, en préciser la portée et les conséquences, pour éviter de telles situations, s'agissant notamment de faits de ce type, de manière que les décisions d'irresponsabilité soient prises dans le cadre d'un procès public et contradictoire ?

Je vous remercie, madame la garde des sceaux, de votre réponse. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, RDSE, Les Indépendants et SOCR.)


Réponse du Ministère de la justice publiée le 09/01/2020

Réponse apportée en séance publique le 08/01/2020

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Jean-Marie Bockel, nous avons tous été extrêmement touchés par le meurtre de Mme Attal-Halimi. Je comprends bien évidemment l'émoi que la décision de la cour d'appel de Paris a suscité.

Je tiens à rappeler précisément ce qui s'est passé sur le plan juridique. À l'issue de l'instruction, une audience s'est tenue devant la cour d'appel de Paris, portant sur la question de l'irresponsabilité pénale de l'accusé, en raison de troubles psychiques.

Comme l'a indiqué M. le Premier ministre à l'instant, au terme de cette audience, les juges ont expressément retenu le caractère antisémite du meurtre de Mme Halimi. Cette audience s'est déroulée dans le cadre d'une procédure mise en œuvre en vertu d'une loi de 2008, qui a permis à l'ensemble des parties de débattre publiquement et contradictoirement de la question des expertises subies par l'accusé. Six experts psychiatres sur sept ont considéré que l'accusé était irresponsable au moment des faits et que son discernement était aboli. La cour a suivi ces expertises et a estimé que le suspect ne pouvait être condamné pénalement.

Comme la loi le permet, la cour, premièrement, a ordonné que le suspect soit hospitalisé d'office et, deuxièmement, lui a interdit d'entrer en contact avec la famille pendant une durée de vingt ans. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) Je sais que cette décision n'a pas été comprise par les parties civiles, en raison notamment de l'appréciation qui a été faite de l'état psychiatrique de l'intéressé, lié à sa consommation préalable et prolongée de cannabis.

Nous sommes face à une situation juridique complexe et inédite. Je suis certaine que la Cour de cassation apportera toutes les réponses juridiques nécessaires, puisqu'elle a été saisie par les parties civiles d'un pourvoi en cassation.

Pour terminer, je veux simplement souligner que, sur le plan procédural, la loi de 2008 a apporté une réponse aux victimes, puisque, je le répète, elle met en place une audience publique et contradictoire. Ce débat a été rendu possible sans que soit remis en cause un principe cardinal de notre droit pénal, qui existe, en France, depuis le code Napoléon et qui existe dans tous les autres États de droit, selon lequel on ne juge pas les malades mentaux.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour la réplique.

M. Jean-Marie Bockel. Madame la garde des sceaux, je vous remercie de votre réponse précise et étayée.

Cela dit, un principe d'irresponsabilité pénale reprécisé par la loi ou par la jurisprudence de la Cour de cassation – peu importe –, dans le strict respect de l'indépendance de la justice, permettrait de ne pas priver de procès les victimes, les familles et, finalement, la Nation tout entière, notamment dans le cas d'actes antisémites ou terroristes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains, Les Indépendants et RDSE.)

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