Question de M. BIGNON Jérôme (Somme - Les Indépendants) publiée le 21/05/2020

Question posée en séance publique le 20/05/2020

M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour le groupe Les Indépendants – République et territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants et sur des travées du groupe UC.)

M. Jérôme Bignon. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice. Elle porte sur la gestion de la justice civile et pénale pendant le confinement.

Dans Le Monde du 14 avril, un journaliste observe que chaque juridiction a construit son propre plan en fonction de ses particularités en matière de contentieux et d'organisation. C'est le maintien de l'activité pénale d'urgence et le contentieux des libertés qui prime. La justice civile, c'est une autre affaire ! D'après cet article, aucune chambre civile ne se réunit pour délibérer, malgré la procédure sans audience prévue par une ordonnance du 25 mars.

Ayant longtemps été avocat moi-même, j'ai tenté de vérifier les informations contenues dans cet article en effectuant un très rapide et modeste tour de France des juridictions, afin de ne pas m'arrêter sur le ou les tribunaux qui auraient dysfonctionné. Durant une demi-journée, j'ai contacté Mmes les bâtonniers d'Amiens et de la Meuse – de Verdun et de Bar-le-Duc –, MM. les bâtonniers de Lille, de Béthune, d'Angers, ce dernier étant coprésident de la Conférence des bâtonniers du Grand Ouest et l'un de mes anciens associés du barreau de Lyon. Il s'agissait pour moi de tenter de constituer un échantillon représentatif afin de rendre ma question plus pertinente.

À l'issue de ces riches entretiens avec des bâtonniers engagés, je n'ai pas eu le sentiment qu'une catastrophe généralisée s'était produite. Pour deux d'entre eux, tout a même bien fonctionné.

Les autres m'ont fait part de l'une ou l'autre des remarques suivantes.

Ils ont souligné que la justice a manqué d'une doctrine nationale sur ce qu'il convenait de faire, ouvrant ainsi la voie à des initiatives locales, mais aussi à des absences d'initiatives.

Ils ont déploré que le système informatique utilisé par les avocats avec les greffes, RPVA, ne soit pas accessible par les magistrats travaillant à leur domicile sur leur portable.

Ils ont considéré que la sécurité sanitaire mettait en conflit plusieurs vérités concurrentes : la santé des personnes – des magistrats, des avocats, des greffiers, mais aussi des justiciables, en particulier le service des justiciables en droit de la famille ; la santé économique des cabinets d'avocats, du fait du problème posé entre autres par l'aide juridictionnelle.

Ils ont relevé que des dysfonctionnements nombreux, mais pas généralisés, liés au droit de retrait de certains magistrats, ont rendu impossible l'organisation d'audiences et occasionné des retards de jugement.

Une mission d'information serait nécessaire, une après-midi d'enquête ne suffit pas. Ma question est donc nourrie par des réponses variées, plutôt constructives : quelles leçons entendez-vous tirer de cette période, madame la garde des sceaux, afin de permettre un fonctionnement de la justice mieux adapté aux crises ?


Réponse du Ministère de la justice publiée le 21/05/2020

Réponse apportée en séance publique le 20/05/2020

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Bignon, je vous remercie d'avoir pris soin d'effectuer cette enquête, même si elle renvoie à des situations éparses, et de l'honnêteté de la question que vous me posez.

Il est vrai que le fonctionnement de la justice durant le confinement n'a pas été exactement celui qui a parfois été décrit ici ou là de manière catastrophique.

La justice comprend une partie visible et une partie cachée.

La partie visible, ce sont les palais de justice, lesquels sont des lieux de rencontre. Nous avons évidemment dû les fermer dès le 16 mars en raison du Covid-19 afin d'éviter la propagation de l'épidémie. Nous avons immédiatement pris plusieurs instructions pour tous les tribunaux en vue de leur donner un socle commun pendant cette période. Cela étant, qu'y a-t-il de commun entre le tribunal de Paris, qui compte 1 800 agents, et le tribunal de Mende, qui en totalise une petite vingtaine ? Une adaptation locale des instructions données à l'échelon national était forcément nécessaire.

Dans la partie cachée, des magistrats et des greffiers ont pu continuer à travailler. Ils ont traité le contentieux de l'urgence, les référés, les urgences civiles et pénales, rédigé des jugements. C'est ainsi que 5 650 jugements civils ont été rédigés à Paris, 600 à Lille, et je pourrais multiplier les exemples. Des juges des libertés et de la détention ont beaucoup travaillé. À Lille, ils ont délivré plus de 1 000 ordonnances.

Bref, l'activité a été soutenue.

Tout cela a été rendu possible parce que nous avons pu, dans certains endroits, travailler tout à fait correctement avec les barreaux grâce aux procédures nouvelles que nous avions mises en place – je pense aux procédures sans audience.

Pour les avocats, le ministère de la justice, au-delà des dispositifs nationaux, a mis en place une avance sur l'aide juridictionnelle à venir de 50 millions d'euros.

Nous avons pu également bénéficier de tout le travail qui avait été réalisé depuis deux ans…

M. le président. Pensez à conclure.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. J'y pense, monsieur le président.

Nous avons bénéficié de tout le travail qui a été effectué depuis deux ans, disais-je : la numérisation du monde de la justice, le renforcement des réseaux, la distribution d'ultraportables à tous les magistrats et à certains greffiers. Bref, nous devons développer le numérique, mais ce travail est déjà bien engagé. (M. François Patriat applaudit.)

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