Question de M. LEFÈVRE Antoine (Aisne - Les Républicains) publiée le 07/07/2022

M. Antoine Lefèvre attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur les modifications apportées par la loi n°2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique au régime de l'isolement et de la contention dans le secteur psychiatrique.
Sur le fondement de trois décisions sur des questions prioritaires de constitutionnalité rendues le 4 juin 2021, le Conseil constitutionnel a jugé que toute personne soumise à une mesure d'isolement et de contention dans le contexte d'une hospitalisation sans consentement bénéficiait du droit de solliciter à tout moment la mainlevée des mesures restrictives de ses libertés par le juge judiciaire.
Le code de la santé publique prévoit ainsi désormais en son article L.3211-12 que le juge des libertés et de la détention (JLD) dispose d'un délai maximal de 24 heures pour statuer sur toute demande de levée de la contention. Il limite par ailleurs à 12 heures la durée maximale de la mesure d'isolement, renouvelable trois fois pour une durée limitée à 48 heures avec évaluation du JLD à chaque renouvellement.
La mesure suscite, depuis son entrée en vigueur, une très grande incompréhension parmi les juges. Ceux-ci déplorent non seulement que la systématisation accrue du contrôle porterait atteinte à l'objectif de protection des patients hospitalisés en psychiatrie, étant donné les différents risques découlant de leur transport répété devant le juge, ainsi qu'à la bonne efficience du travail judiciaire.
Les délais prescrits dans le dispositif reviennent par ailleurs ni plus ni moins à amener le juge à contrôler des mesures de privation d'ores et déjà expirées. L'obligation de mainlevée en cas de dépassement du délai et l'interdiction de prononcer de nouvelles mesures restrictives dans les 48 heures ne s'inscrivent, là aussi, pas en adéquation avec l'obligation faite de requérir le contrôle du juge à une fréquence réputée trop élevée.
S'il répond à l'impérative nécessité de protéger les droits des patients, le dispositif est pourtant perçu dans sa configuration actuelle comme excessivement contraignant, autant pour les services de psychiatrie que pour les magistrats, ainsi que créateur d'un régime d'urgence permanente et générant une charge de travail techniquement difficile à assumer.
Les organisations syndicales représentatives de la justice ont déjà suggéré plusieurs recours pour alléger ce dispositif, parmi lesquels le retour à une procédure écrite fondée sur le contrôle sur pièces, le maintien d'un contrôle du JLD sur le seul respect des durées suspensives de libertés, ou encore l'augmentation des équivalents temps plein travaillé (ETPT) du ministère dédiés à cette fonction.
C'est pourquoi il souhaite lui demander à quels ajustements le ministère envisage de recourir afin de résorber les différents écueils préalablement exposés.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 09/03/2023

Le contrôle judiciaire des mesures d'isolement et de contention prises dans le cadre d'une hospitalisation complète sans consentement est un sujet auquel le Gouvernement accorde la plus grande attention. Au terme d'une première décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020, le Conseil constitutionnel a en effet abrogé l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016, aux motifs que « si le législateur a prévu que le recours à l'isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n'a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d'une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire ». Il a ainsi défini les mesures d'isolement et de contention comme des mesures privatives de liberté, et non de simples mesures de soins, ce qui justifie qu'elles soient soumises au contrôle du juge judiciaire au-delà d'un certain délai. En réponse, la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 a encadré la durée des mesures d'isolement et de contention en s'inspirant des recommandations de la Haute Autorité de Santé élaborées en 2017 et a permis au patient et à ses proches de saisir le juge des libertés et de la détention afin d'obtenir la mainlevée de ces mesures. Cette nouvelle rédaction avait pour objectif de rendre le contrôle exercé par le juge judiciaire pleinement efficient en le limitant aux cas où le patient ou ses proches contestaient le bien-fondé de la mesure et que cette dernière était amenée à durer dans le temps. Toutefois, ce nouveau dispositif a fait l'objet d'une nouvelle censure du Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2021-912/ 913/ 914 QPC du 4 juin 2021 aux motifs « qu'aucune disposition législative ne soumet le maintien à l'isolement ou sous contention au-delà d'une certaine durée à l'intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l'article 66 de la Constitution ». Ainsi, la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique tire les conséquences de cette deuxième décision d'inconstitutionnalité et prévoit que le directeur de l'établissement doit systématiquement saisir le juge des libertés et de la détention avant l'expiration de la durée maximale légale des mesures d'isolement et de contention si l'état du patient nécessite leur renouvellement. Le législateur a ainsi introduit un contrôle obligatoire du juge judiciaire, condition du renouvellement des mesures d'isolement et de contention au-delà d'une certaine durée, conformément aux exigences du Conseil constitutionnel. En effet, la mainlevée de ces mesures est automatiquement acquise en l'absence de ce contrôle, qu'il s'agisse de l'hypothèse dans laquelle le directeur n'a pas saisi le juge dans les délais impartis au II de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, ou de celle dans laquelle le juge ne s'est pas prononcé sur la demande de maintien dans le délai de 24 heures à compter du terme des délais impartis au directeur pour le saisir. Par ailleurs, le juge peut toujours être saisi par le patient ou ses proches aux fins de mainlevée de la mesure. Il statue alors dans les délais prévus au II de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique ou, à défaut, dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la saisine, conformément à l'article L. 3211-12- du code de la santé publique. La procédure de contrôle des mesures d'isolement et de contention est une procédure écrite, dans le cadre de laquelle le juge contrôle le bien fondé de ces mesures sur le fondement des pièces que sont les décisions motivées des psychiatres fondant les mesures, et leur renouvellement. Le juge s'assure par ailleurs de la bonne tenue des évaluations prévues au I de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique. Le patient dispose également du droit à être entendu par le juge. Afin de limiter les déplacements des magistrats et la sortie du patient de sa chambre d'isolement ou de contention, ce qui constitue une rupture de ses soins, son audition qui peut être réalisée par tout moyen de télécommunication audiovisuelle ou, en cas d'impossibilité avérée, par communication téléphonique, à condition que le patient y ait expressément consenti et qu'un avis médical atteste que son état mental n'y fait pas obstacle. Enfin, le juge peut toujours décider de la tenue d'une audience s'il l'estime nécessaire. Les projets de lois à l'origine de ces évolutions législatives résultent de concertations entre le ministère de la Justice et le ministère de la santé et de la prévention, en lien avec les représentants des psychiatres et magistrats. L'objectif de ces textes était de concilier d'une part, les exigences de l'article 66 de la Constitution qui imposent l'instauration d'un contrôle systématique des mesures d'isolement et de contention par le juge judiciaire au-delà d'une certaine durée, le droit à un recours effectif du patient qui impose que le juge statue dans un délai contraint avant que les mesures ne soient terminées, et le droit du patient à être entendu dans le cadre d'une procédure relative à une mesure privative de liberté et, d'autre part, les contraintes matérielles, humaines et administratives relatives à la saisine du juge par le directeur de l'établissement, la saisine d'un avocat par le patient, puis l'organisation d'un débat contradictoire devant le juge judiciaire dans un délai extrêmement contraint. Un comité de suivi a été instauré par le Gouvernement dont l'objectif est de mesurer l'impact de la réforme au sein des établissements psychiatriques et des juridictions, puis de proposer des pistes d'évolution afin de simplifier la procédure. Le Gouvernement portera une attention particulière aux propositions qui permettront de concilier les différents impératifs évoqués ci-dessus.

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