Question de Mme DUMAS Catherine (Paris - Les Républicains) publiée le 14/07/2022

Mme Catherine Dumas appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur l'intérêt pour l'enfant, en cas de séparation conjugale, de privilégier un temps de présence parentale aussi équilibré que possible.
En effet, les études scientifiques internationales de référence démontrent que la co-parentalité apporte de nombreux bienfaits pour l'enfant : ses indicateurs de bien être, de confiance en soi et ses résultats scolaires sont en effet meilleurs que ceux des enfants élevés par un seul parent.
À cet égard, dans un arrêt rendu le 1er juillet 2021, la cour d'appel de Paris, infirmant l'ordonnance de première instance, vient de juger que « la mise en place d'une résidence en alternance peut être tout à fait bénéfique pour l'enfant en lui permettant de développer avec chacun de ses parents de réelles relations et de continuer à se construire de la manière la plus équilibrée possible, en se nourrissant des apports spécifiques transmis par son père et par sa mère » (cour d'appel de Paris, 1er juillet 2021, n° 20/12170).
Cet arrêt important éclaire une nécessité sociétale de plus en plus prégnante d'un temps éducatif et affectif équilibré de l'enfant auprès de ses deux parents. La conception du 20ème siècle du rôle de chacun auprès de l'enfant est en effet un héritage du 19ème siècle qui ne correspond plus aux réalités familiales d'aujourd'hui. À cet égard, la sociologue Christine Castelnain-Meunier souligne qu'à l'inverse de l'instinct maternel qu'on a « glorifié, mythifié voire exalté au nom de la féminité, l'instinct paternel a longtemps été nié, raillé ou tout simplement méconnu ». Elle ajoute qu'à l'heure où les hommes partagent davantage les responsabilités familiales, où la diversité des modèles familiaux redéfinit la fonction paternelle et où le congé paternité a été allongé, « il est urgent de repenser le rôle du père et de bousculer les stéréotypes » (« l'instinct paternel – plaidoyer en faveur des nouveaux pères » 2019).
En conséquence, Mme Catherine Dumas souhaite savoir si la justice familiale à Paris a pleinement pris en compte cette évolution sociétale profonde. Il semble en effet qu'en cas d'opposition de la mère à la résidence alternée, cette dernière ne soit accordée que dans de faibles proportions et qu'en tout état de cause les décisions relatives à la résidence alternée soient très variables d'un cabinet à un autre, au sein du tribunal judiciaire de Paris : certains juges aux affaires familiales seraient plutôt favorables au principe d'une co-parentalité équilibrée, tandis que d'autres y seraient opposés, ce qui nourrit chez les justiciables parisiens la crainte légitime d'un aléa judiciaire.
Elle souhaite donc savoir s'il existe des statistiques précises sur les décisions rendues par les différents juges aux affaires familiales à Paris, à savoir d'une part, le taux de résidences alternées accordées lorsqu'un des parents s'y oppose, en distinguant le cas où l'opposition émane de la mère ou du père (il serait également intéressant de disposer de statistiques de résidences alternées lorsque l'enfant a des parents de même sexe) et d'autre part, le taux d'infirmation en appel des décisions de première instance.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 02/03/2023

L'analyse des statistiques démontre que la résidence alternée progresse de manière significative en France. En 2016, 400 000 enfants mineurs vivaient en résidence alternée (source INSEE Première n° 1728 janvier 2019). Selon l'étude de l'INSEE n° 1841 de mars 2021, en 2020, en France hors Mayotte, 480 000 enfants mineurs partagent de manière égale leur temps entre les deux domiciles de leurs parents séparés. La résidence alternée égalitaire a ainsi progressé de 20 % en quatre ans, de 2016 à 2020. Le droit en vigueur impose, d'ores et déjà, au juge d'envisager la résidence alternée comme première hypothèse puisque l'article 373-2-9 du code civil dispose en son premier alinéa « la résidence de l'enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux. » Si la résidence alternée peut être encouragée, il est essentiel de conserver la possibilité pour le juge de prendre en compte la réalité de chaque situation familiale et d'apprécier au cas par cas l'intérêt de l'enfant afin d'ajuster sa décision aux multiples configurations familiales. La résidence alternée paritaire ne peut être un modèle unique pour tous. Elle peut être adaptée à la situation de l'enfant dans certains cas et ne pas l'être dans d'autres. Ainsi, elle devra être écartée par exemple en cas d'éloignement géographique ou bien dans un contexte de violences. En pratique, dans 80 % des situations, les parents s'accordent sur les modalités d'organisation de la résidence des enfants et la résidence alternée n'est choisie que dans 19 % des cas (enquête statistique du ministère de la justice de novembre 2013 sur des données du 1er semestre 2012). La généralisation par principe de la résidence alternée ne ferait donc pas écho à la pratique la plus répandue au sein des familles. En outre, comme constaté par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport en date du 22 novembre 2017, « Si la résidence des enfants est majoritairement fixée aujourd'hui chez les mères, c'est parce que les pères ne la demandent pas. En effet, 93,4 % des décisions des juges aux affaires familiales sont rendues conformément à la demande des pères et 95,9 % conformément à la demande des mères. » Le juge est lié par les demandes des parties. Il appartient donc aux pères et à leurs conseils de solliciter davantage la résidence alternée s'ils le souhaitent. La résidence alternée doit effectivement être privilégiée, dès lors que chacun des parents a eu un investissement réel auprès de l'enfant du temps de la vie commune et que les conditions de vie de chacun le permettent afin de maintenir, autant que faire se peut, la stabilité du cadre de vie de l'enfant après la séparation de ses parents. 

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