Question de M. KERN Claude (Bas-Rhin - UC) publiée le 28/07/2022

M. Claude Kern attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur l'intérêt, en cas de séparation parentale, de privilégier un temps de présence parentale aussi équilibré que possible.
En effet, la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale a fait entrer la résidence alternée dans le code civil. Les travaux préparatoires montrent que la volonté du législateur était de donner la priorité à ce mode de résidence. Ainsi, le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale manifeste le souhait « qu'en cas de désaccord des parents sur la résidence de l'enfant, la priorité soit donnée à la formule de la garde alternée » (rapport n° 3117, déposé le 7 juin 2001).
Pourtant, près de 20 ans après le vote de cette loi, seuls 12 % des enfants de parents séparés se trouvent en résidence alternée d'après l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). Pire, en France, ce chiffre baisse. Il était de 15 % en 2015, alors qu'il était déjà l'un des plus faibles d'Europe. Il pourrait résulter de ce que, en cas d'opposition de la mère, la demande de résidence alternée formulée par le père ne semble être accordée que dans 30 % des cas. Il apparaît donc que la volonté du législateur de 2002 n'a pas été respectée.
Or, selon un sondage Institut français d'opinion publique (IFOP) de décembre 2017, 76 % des Français sont d'accord pour que la résidence alternée devienne la règle.
Une modification de la loi française pourrait conduire les juges à accorder plus souvent une résidence alternée.
Une telle réforme pourrait aussi créer une nouvelle culture et conduire les parents, en cas de séparation, à envisager des modes de résidence plus équilibrés. Cela permettrait de libérer la mère en la rendant l'égal de l'homme pour faire carrière, refaire sa vie, et permettrait au père de s'impliquer. L'exemple de la Belgique, qui a modifié son code civil en 2006, montre que la loi peut en effet conduire à changer les approches des parents en cas de séparation de manière à ce que l'enfant puisse bénéficier du droit, reconnu par l'article 9.3 de la Convention internationale des droits de l'enfant, à être élevé par ses deux parents. À cet égard, la cour d'appel de Versailles a jugé que « l'alternance est un système simple, prévisible, qui permet aux enfants comme aux parents de se projeter dans l'avenir et de construire des projets fiables (…). Elle permet aux enfants de prendre appui de façon équilibrée sur chacun des parents et de bénéficier plus équitablement de leurs apports respectifs de nature différente mais complémentaires » (CA Versailles, 2e chambre, 1re section, 9 février 2017 – n° 16/08609).
Il ne s'agirait pas d'imposer au juge une solution mais de lui demander d'examiner prioritairement un temps parental équilibré, en dehors naturellement des cas avérés de violences d'un parent sur l'autre parent ou sur l'enfant.
Il lui demande donc de bien vouloir avancer sur cette question sociétale majeure.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 02/03/2023

L'analyse des statistiques démontre que la résidence alternée progresse de manière significative en France. En 2016, 400 000 enfants mineurs vivaient en résidence alternée (source INSEE Première n° 1728 janvier 2019). Selon l'étude de l'INSEE n° 1841 de mars 2021, en 2020, en France hors Mayotte, 480 000 enfants mineurs partagent de manière égale leur temps entre les deux domiciles de leurs parents séparés. La résidence alternée égalitaire a ainsi progressé de 20 % en quatre ans, de 2016 à 2020. Le droit en vigueur impose d'ores et déjà au juge d'envisager la résidence alternée comme première hypothèse puisque l'article 373-2-9 du code civil dispose en son premier alinéa que « la résidence de l'enfant peut être fixée en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux. »  Si la résidence alternée peut être encouragée, il est essentiel de conserver la possibilité pour le juge de prendre en compte la réalité de chaque situation familiale et d'apprécier au cas par cas l'intérêt de l'enfant afin d'ajuster sa décision aux multiples configurations familiales. La résidence alternée paritaire ne peut être un modèle unique pour tous. Elle peut être adaptée à la situation de l'enfant dans certains cas et ne pas l'être dans d'autres. Ainsi, elle devra être écartée par exemple en cas d'éloignement géographique ou bien dans un contexte de violences. En pratique, dans 80 % des situations, les parents s'accordent sur les modalités d'organisation de la résidence des enfants et la résidence alternée n'est choisie que dans 19 % des cas (enquête statistique du ministère de la justice de novembre 2013 sur des données du 1er semestre 2012). La généralisation par principe de la résidence alternée ne ferait donc pas écho à la pratique la plus répandue au sein des familles. En outre, comme constaté par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes dans son rapport en date du 22 novembre 2017 « Si la résidence des enfants est majoritairement fixée aujourd'hui chez les mères, c'est parce que les pères ne la demandent pas. En effet, 93,4 % des décisions des juges aux affaires familiales sont rendues conformément à la demande des pères et 95,9 % conformément à la demande des mères. » Le juge est lié par les demandes des parties. Il appartient donc aux pères et à leurs conseils de solliciter davantage la résidence alternée s'ils le souhaitent. En cas de désaccord des parents, la demande de résidence alternée formulée par le père n'est accordée que dans 25 % des cas. Il apparait en sens inverse que lorsque le père demande une résidence chez lui et la mère une résidence alternée, la résidence chez le père est accordée dans 60 % des cas et la résidence alternée dans 40 % des cas. La résidence alternée doit effectivement être privilégiée, dès lors que chacun des parents a eu un investissement réel auprès de l'enfant du temps de la vie commune et que les conditions de vie de chacun le permettent afin de maintenir autant que faire se peut la stabilité du cadre de vie de l'enfant après la séparation de ses parents. En toute hypothèse, le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs interdit au ministre de la Justice, garde des Sceaux, de formuler des appréciations sur les décisions de justice rendues.

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