Question de Mme VARAILLAS Marie-Claude (Dordogne - CRCE) publiée le 25/08/2022

Mme Marie-Claude Varaillas attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur les conséquences des arrêts rendus par la Cour de cassation le 12 juillet 2022 concernant l'utilisation des données de connexion et l'accès à celles-ci dans le cadre de procédures pénales.

Dans ses arrêts du 12 juillet 2022, la Cour de cassation juge les articles 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale contraires au droit de l'Union européenne en ce qu'ils ne prévoient pas un contrôle préalable par une juridiction ou une entité administrative indépendante. Or l'adhésion à l'Union européenne emporte l'obligation pour le juge national d'assurer la primauté du droit de l'Union.

Cette application des arrêts de la Cour européenne n'est donc pas sans conséquence sur le fonctionnement du système juridique français, puisque les réquisitions visant les données issues de la téléphonie lancées par les procureurs de la République devront désormais être soumises à autorisation.

Cette application du droit européen suscite l'inquiétude des enquêteurs car la téléphonie est un facteur central dans l'élucidation des affaires. Or le système judiciaire français ne prévoit pas ce nouveau fonctionnement et le besoin d'autorisation de réquisitions représentera un allongement des délais des procédures pénales et une charge de travail supplémentaire pour les juges, alors qu'ils subissent d'ores et déjà les conséquences d'un manque d'effectifs.

De plus, ces autorisations d'investigations sont circonscrites aux procédures visant à la lutte contre la criminalité grave, notion qui n'obéit à aucune définition dans le droit pénal français.

Elle lui demande donc quels moyens le Gouvernement entend-il mettre en œuvre pour permettre aux procureurs de la République d'exercer leur mission fondamentale de manifestation de la vérité et protection des victimes.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 09/03/2023

Les éléments de preuves résultant de l'exploitation des données obtenues grâce aux réquisitions délivrées aux opérateurs de téléphonie mobile revêtent une importance majeure pour la manifestation de la vérité dans le cadre des investigations pénales. La question de la conservation et de l'accès de ces données pour les besoins des enquêtes pénales fait l'objet d'une jurisprudence restrictive de la Cour de justice de l'Union européenne depuis 2016 en raison des exigences inhérentes au droit de chacun au respect de sa vie privée. Les arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 juillet 2022 tirent les conséquences des décisions rendues par la Cour de justice de l'Union européenne. D'une part, la Cour de cassation énonce que les données de connexion ne peuvent être obtenues que dans le cadre d'enquête pénales relatives à des infractions d'une certaine gravité. Sur ce point, la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire avait déjà limité une telle possibilité aux enquêtes relatives à une infraction punie d'au moins trois ans d'emprisonnement, en application notamment du nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale. L'appréciation du caractère grave de la criminalité par les juridictions est également effectuée au regard de la nature des agissements de la personne mise en cause, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue. D'autre part, la Cour de cassation précise que la délivrance de réquisitions relatives aux données de connexion doit faire l'objet d'un contrôle préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante au sens où l'entend la Cour de justice de l'Union européenne. Or, un tel contrôle, portant notamment sur la nécessité et la proportionnalité des réquisitions, est réalisé par les services du parquet selon les dispositions actuelles du code de procédure pénale relatives à l'enquête préliminaire et de flagrance. La Cour de cassation a toutefois jugé que les éléments de preuve ainsi obtenus ne peuvent être annulés que si une telle irrégularité portait concrètement atteinte aux droits de la personne poursuivie. Cette interprétation permet de limiter les cas dans lesquels la nullité des actes serait encourue et de sauvegarder la plupart des procédures pénales en cours. Dès le mois de juillet 2022, des guides à destination des juridictions pénales ont été diffusés afin d'exposer la portée des décisions de la Cour de cassation et de les accompagner dans la mise en œuvre de leurs conséquences. Par ailleurs, une réflexion approfondie est actuellement menée par les services du ministère afin d'apporter une solution juridiquement robuste et acceptable en pratique permettant de garantir l'efficacité de l'action des magistrats et des services enquêteurs en matière de lutte contre la criminalité.

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