Question de M. CABANEL Henri (Hérault - RDSE) publiée le 22/09/2022

M. Henri Cabanel attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice au sujet de l'accès aux données de téléphonie dans le cadre des enquêtes pénales.

Le 12 juillet 2022, des arrêts rendus par la Cour de cassation, à propos de l'utilisation des données de connexion téléphoniques (géolocalisation, SMS…), confirme que le procureur de la République ne peut être compétent pour ordonner des mesures d'investigation attentatoires à la vie privée.

En effet, la Cour constate que les réquisitions – du parquet ou des enquêteurs – visant les données issues de la téléphonie sont contraires au droit de l'Union européenne et doivent désormais être autorisées au préalable par une juridiction ou par une autorité administrative indépendante, ce que la loi française n'organise pas.

Le système juridique français ne pourrait faire face à cette nouvelle organisation puisque les effectifs actuels sont insuffisants.

Aussi, la Cour précise que même le juge ou l'autorité administrative indépendante n'a la possibilité d'autoriser de telles investigations que dans le périmètre de la « criminalité grave », notion qu'elle ne définit pas et qui n'obéit à aucune définition dans le droit pénal français.

Par conséquent, les parquets, les services de polices et gendarmes se retrouvent dans l'impossibilité de recourir à ces investigations pour identifier les délinquants et les criminels, alors que la téléphonie est un outil qui permet lors d'une enquête d'innocenter un suspect ou de confondre un auteur.

C'est pourquoi, il lui demande quelle mesure le Gouvernement envisage de prendre pour leur permettre de mener à bien leurs investigations.

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Réponse du Ministère de la justice publiée le 09/03/2023

Les éléments de preuves résultant de l'exploitation des données obtenues grâce aux réquisitions délivrées aux opérateurs de téléphonie mobile revêtent une importance majeure pour la manifestation de la vérité dans le cadre des investigations pénales. La question de la conservation et de l'accès de ces données pour les besoins des enquêtes pénales fait l'objet d'une jurisprudence restrictive de la Cour de justice de l'Union européenne depuis 2016, en raison des exigences inhérentes au droit de chacun au respect de sa vie privée. Les arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 juillet 2022 tirent les conséquences des décisions rendues par la Cour de justice de l'Union européenne. D'une part, la Cour de cassation énonce que les données de connexion ne peuvent être obtenues que dans le cadre d'enquête pénales relatives à des infractions d'une certaine gravité. Sur ce point, la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire avait déjà limité une telle possibilité aux enquêtes relatives à une infraction punie d'au moins trois ans d'emprisonnement en application notamment du nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale. L'appréciation du caractère grave de la criminalité par les juridictions est également effectuée au regard de la nature des agissements de la personne mise en cause, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue. D'autre part, la Cour de cassation précise que la délivrance de réquisitions relatives aux données de connexion doit faire l'objet d'un contrôle préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante au sens où l'entend la Cour de justice de l'Union européenne. Or, un tel contrôle, portant notamment sur la nécessité et la proportionnalité des réquisitions, est réalisé par les services du parquet selon les dispositions actuelles du code de procédure pénale relatives à l'enquête préliminaire et de flagrance. La Cour de cassation a toutefois jugé que les éléments de preuve ainsi obtenus ne peuvent être annulés que si une telle irrégularité portait concrètement atteinte aux droits de la personne poursuivie. Cette interprétation permet de limiter les cas dans lesquels la nullité des actes serait encourue et de sauvegarder la plupart des procédures pénales en cours. Dès le mois de juillet 2022, des guides à destination des juridictions pénales ont été diffusés afin d'exposer la portée des décisions de la Cour de cassation et de les accompagner dans la mise en œuvre de leurs conséquences. Par ailleurs, une réflexion approfondie est actuellement menée par les services du ministère afin d'apporter une solution juridiquement robuste et acceptable en pratique permettant de garantir l'efficacité de l'action des magistrats et des services enquêteurs en matière de lutte contre la criminalité.

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