Question de Mme VOGEL Mélanie (Français établis hors de France - GEST) publiée le 03/10/2024
Mme Mélanie Vogel interroge M. le ministre de l'intérieur sur la situation très préoccupante des personnes LGBTQI+ en Géorgie qui devrait conduire à la radiation de ce pays du Caucase de la liste des pays d'origine sûrs de la France.
Elle lui rappelle que la Géorgie est placée sur la liste des pays d'origine sûrs de la France depuis 2005, ce qui limite considérablement les droits des personnes qui viennent de la Géorgie et qui souhaitent demander l'asile en France. En effet, une demande de protection internationale qui concerne une personne originaire d'un pays considéré comme « sûr » est automatiquement examinée en procédure accélérée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). En cas de rejet d'une telle demande, un éventuel recours devant la Cour nationale du droit d'asile n'a pas d'effet suspensif depuis 2018 en vertu de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce qui oblige la demandeuse ou le demandeur à quitter la France dès la notification de la décision administrative de l'Ofpra.
Ainsi, la qualification de la Géorgie comme pays d'origine sûr porte gravement atteinte au droit à un recours effectif des ressortissantes et ressortissants de ce pays souhaitant obtenir la protection internationale en France. Elle lui signale que cet examen ne peut pas être aussi rigoureux que la procédure de droit commun, ce qui pénalise notamment les personnes LGBTQI+ qui rencontrent déjà des difficultés particulières à démontrer la nature des persécutions dont elles sont victimes dans leur pays d'origine.
Or, force est de constater que les personnes LGBTQI+ n'ont jamais bénéficié d'une protection adéquate en Géorgie. Bien qu'une loi de 2014 ait permis certaines avancées, notamment en interdisant les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle dans certains domaines, de nombreux droits n'ont jamais été reconnus aux personnes LGBTQI+ en Géorgie, comme le mariage homosexuel ou la correction de la mention du sexe à l'état civil sans stérilisation. De surcroît, les personnes LGBTQI+ y deviennent victimes de haine et de violence, comme l'avaient tristement rappelé les attaques violentes lors de la marche des fiertés à Tbilissi en 2021 ou l'assaut violent d'un festival organisé dans le cadre de la semaine des fiertés en juillet 2023.
Elle lui fait part de sa plus grande préoccupation concernant l'interdiction de la « propagande des relations homosexuelles et de l'inceste » dans la plupart des contextes prévue par une loi adoptée par le parlement géorgien le 17 septembre 2024. Ce vote s'inscrit dans une hausse très préoccupante de la haine anti-LGBTQI+ et d'une montée inédite des violences à l'égard des personnes LGBTQI+ dans le pays. Le lendemain de l'adoption de cette loi, Kesaria Abramidzé, ouvertement transgenre, a été poignardée chez elle.
Maintenir la Géorgie sur la liste des pays d'origine sûrs reviendrait à méconnaître le risque de persécutions, de tortures ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants que les personnes LGBTQI+ risquent de subir en Géorgie. Elle lui signale qu'un tel maintien serait contraire à la loi qui prévoit depuis 2019 de manière explicite que l'évaluation doit tenir compte des risques spécifiques liés à l'orientation sexuelle. En outre, elle souhaite lui rappeler que la Belgique a retiré la Géorgie de sa liste des pays d'origine sûrs en 2023.
Aussi, elle aimerait savoir s'il se prononcerait en faveur d'une radiation de la Géorgie de la liste des pays d'origine sûrs. Enfin, elle lui suggère que la France mette fin à la liste des pays d'origine sûrs, comme le permet la directive européenne 2013/32/UE étant donné que le risque de persécution et d'autres traitements intolérables ne peut jamais être exclu à l'échelle d'un pays tout entier.
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Transmise au Ministère de l'intérieur
Réponse du Ministère de l'intérieur publiée le 05/06/2025
Les décisions de radiation ou de suspension d'un pays de la liste des pays d'origine sûrs (POS) relèvent de la compétence du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), conformément à l'article L. 121-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans ce cadre, le président du conseil d'administration de l'Ofpra a été saisi par un administrateur d'une demande tendant à ce que soit inscrite à l'ordre du jour de la séance du 26 novembre 2024 de la question de la « suspension à titre conservatoire de la Géorgie de la liste des pays d'origine sûrs » en raison du « processus électoral des élections législatives du 26 octobre dernier, non reconnues par la communauté internationale, et [de] l'adoption récente cette année 2024 par la Géorgie de dispositions législatives qui se sont traduites par la suspension du processus d'adhésion à l'Union européenne ». Au terme de l'échange sur cette question en séance, il a été décidé de reporter la question de la suspension, voire de la radiation, de la Géorgie de la liste des POS au début de l'année 2025, pour permettre un examen éclairé. Par la suite, le président du conseil d'administration a été saisi d'une demande similaire par l'Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l'immigration et au séjour (Ardhis), par un courrier du 6 janvier 2025. La question a été examinée à la séance du conseil d'administration du 11 mars 2025. Dans cette perspective, et comme il est d'usage, un dossier préparatoire a été élaboré par le service documentaire de l'Ofpra, pour permettre aux administrateurs de se positionner en toute connaissance de cause le jour de la délibération. L'examen de la question a couvert l'ensemble des aspects pour apprécier la pertinence de la suspension ou de la radiation, y compris le respect des droits des personnes LGBT+. Aux termes de sa délibération du 11 mars, le conseil d'administration a maintenu la Géorgie sur la liste des pays d'origine sûrs, en s'attachant en particulier à l'évolution de la situation dans ce pays depuis le 5 juillet 2023. En effet, par une décision n° 490225 du 25 avril 2024, le Conseil d'Etat avait confirmé la légalité de la précédente inscription de la Géorgie sur cette liste. Concernant votre suggestion tendant à ce que la France mette fin à la liste des POS, le Gouvernement rappelle que les demandes d'asile présentées par des demandeurs en provenance de pays où ils sont présumés ne pas être en danger sont encore nombreuses en France. En 2024, elles représentaient près de 13 000 demandes concernant une douzaine de pays d'origine en particulier la Géorgie et le Kosovo, soit 9 % du total des enregistrements, pour un taux de protection faible. Or, les demandes étrangères à un besoin réel de protection affaiblissent notre système d'accueil et le fondement même du droit d'asile. Il serait par conséquent déraisonnable de renoncer à mettre en oeuvre un des leviers juridiques dont nous disposons pour dissuader le détournement du droit d'asile et réduire les délais de procédure. Le concept de POS est conforme à la Convention de Genève et est explicitement prévu par le droit européen (tous les Etats membres de l'Union européenne le mettent d'ailleurs en oeuvre). En outre, le fait qu'un pays figure sur la liste des POS préserve les garanties inhérentes au droit d'asile devant l'Ofpra : la demande d'asile est examinée au fond et en toute impartialité par un officier de protection, et le demandeur est reçu en entretien dans les conditions du droit commun. Enfin, la Commission européenne a adopté le 16 avril une proposition visant à désigner sept pays comme "pays d'origine sûrs". Le Bangladesh, la Colombie, l'Égypte, l'Inde, le Kosovo, le Maroc et la Tunisie figurent sur la liste des pays sûrs de l'UE. Outre ces sept pays, la Commission considère également comme sûrs les pays candidats à l'adhésion à l'UE tels que la Turquie et la Géorgie. Toutefois, les pays en guerre, comme l'Ukraine, soumis à des sanctions de l'UE ou dont le taux d'acceptation des demandes d'asile est supérieur à 20 % sont exclus. Cette liste, après son adoption définitive au terme de la procédure de trilogue, complètera les listes nationales des pays d'origine sûrs. Un pays d'origine « sûr » ne l'est pas pour tout le monde pour autant : les ressortissants d'un pays d'origine désigné comme sûr qui appartiennent à des minorités ou sont victimes de discrimination peuvent toujours présenter des preuves qui leur donneraient droit à une protection.
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