Question de M. DUROX Aymeric (Seine-et-Marne - NI) publiée le 08/05/2025
M. Aymeric Durox attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur sur le cas d'école de M. Julien Ruaro, élu conseiller municipal en 2020 à Coin-lès-Cuvry (Moselle), qui a été évincé de son mandat à réception par le maire d'un courrier de démission falsifié le 23 janvier 2024.
Le maire n'a effectué aucune vérification et n'a pas informé l'élu de sa prise d'acte de démission.
Il a découvert par hasard en contactant la mairie qu'il n'était plus conseiller municipal deux jours plus tard, le 25 janvier 2024.
Il a aussitôt rédigé une attestation formelle niant être l'auteur du courrier et déposé une plainte pour usurpation d'identité, faux et escroquerie aggravée le 26 janvier 2024.
Mais le maire et la préfecture ont refusé sa réintégration, dans l'attente de la procédure judiciaire pénale.
Ses démarches démontrent qu'un simple courrier peut suffire à évincer durablement un conseiller municipal.
Le 6 mai 2024, le tribunal administratif a rejeté sa requête en référé au motif qu'une attestation et une plainte ne sont pas suffisantes pour créer un « doute sérieux », ni même les expertises graphologiques engagées par le parquet.
Le 25 septembre 2024, le Conseil d'État n'a pas admis son pourvoi, estimant aussi ces éléments insuffisants.
Le 30 décembre 2024, le tribunal administratif a rejeté son deuxième référé malgré les preuves flagrantes qu'il dévoilait de sa plainte.
Ce cas d'école est ubuesque : le parquet dispose du rapport d'expertises graphologiques depuis septembre 2024, mais ses conclusions restent inaccessibles en raison du secret de l'instruction. Il a déposé un référé-instruction le 15 janvier 2025 pour que le tribunal administratif s'en informe.
Avec un délai habituellement supérieur à 2 ans, le jugement du recours au fond pourrait dépasser les élections municipales de 2026, quand le mandat de l'élu sera fini !
Le tribunal administratif devra in fine statuer sur les recours contre la légalité de l'ensemble des conseils municipaux depuis janvier 2024, annulant possiblement l'intégralité des délibérations et ce qui en a découlé.
Les élus municipaux sont des cibles faciles pour l'usurpation d'identité. Leurs signatures figurent sur des documents publics accessibles en ligne. Leurs prises de parole politiques et en conseils municipaux sont publiques, ce qui permet de facilement les imiter. Les avancées technologiques comme l'intelligence artificielle rendent les faux documents très difficiles à détecter.
Qu'il s'agisse de réduire au silence un lanceur d'alerte, d'écarter un élu d'opposition ou de commettre une mauvaise plaisanterie, cette faille représente une menace directe inadmissible contre notre démocratie locale.
Il lui demande donc une réforme urgente pour sécuriser les mandats des conseillers municipaux et le fonctionnement des collectivités locales, en proposant une vérification systématique de l'authenticité des démissions par la préfecture ou un organisme indépendant (qui en compilerait les motifs), l'obligation d'informer l'élu concerné avant toute prise d'acte définitive et la mise en place d'une procédure de contestation simplifiée et rapide accessible à l'élu en cas de doute.
Cette faille, fondamentale et absurde, doit être comblée sans délai pour protéger les bases de notre république démocratique.
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Réponse du Ministère auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur publiée le 21/05/2025
Réponse apportée en séance publique le 20/05/2025
M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox, auteur de la question n° 507, adressée à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur.
M. Aymeric Durox. Monsieur le ministre, j'ai pris connaissance avec une grande satisfaction de l'ordonnance du tribunal administratif de Strasbourg rendue hier : elle suspend la démission forcée de M. Julien Ruaro, conseiller municipal de la commune de Coin-lès-Cuvry, en Moselle. L'intéressé contestait fermement cette démission. Après quinze mois sans nouvelles, malgré de très nombreux recours, voilà enfin la justice et l'honneur de M. Julien Ruaro rendus, la veille de ma question orale au Gouvernement. Cet heureux hasard fait bien les choses.
Comme les bonnes nouvelles ne vont jamais seules, je salue également l'extrême célérité du préfet de Moselle : il a prévenu dans l'heure l'intéressé de cette décision, alors que le délai moyen pour ce genre d'affaires est bien plus long.
En tout état de cause, je suis ravi que ma question ait pu aider à accélérer le processus juridique et ainsi faire droit à un citoyen. L'intéressé a été privé sans raison de son mandat d'élu et, parlant dans le vide, demandait justice à cor et à cri depuis bien longtemps.
Néanmoins, cette décision de justice, qui est une bonne décision dans ce cas d'espèce, ne doit pas servir à mettre sous le tapis la raison d'être de ma question. À l'avenir, avec le développement des nouvelles technologies, il pourrait y avoir de nouveaux Julien Ruaro en France, démissionnaires involontaires et victimes potentielles de personnes mal intentionnées. Comme vous l'avez très justement dit, monsieur le ministre, aucun élu en France n'est épargné par l'explosion de violence. M. Ruaro a bien été victime d'une violence inacceptable : une usurpation d'identité.
Aussi, je vous demande de sécuriser les mandats des conseillers municipaux et le fonctionnement des collectivités locales par une réforme urgente. Je propose plusieurs solutions : une vérification systématique de l'authenticité des démissions, par la préfecture ou un organisme indépendant qui, dans un cas comme dans l'autre, en compileraient les motifs, l'obligation d'informer l'élu concerné avant toute prise d'acte définitive et la mise en place d'une procédure de contestation simplifiée et rapide, accessible à l'élu en cas de doute.
Cette faille, fondamentale et absurde, est un vide qui doit être comblé sans délai pour protéger les bases de notre république démocratique.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d'État, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur Aymeric Durox, le Gouvernement est naturellement ravi de la décision qui a été rendue. Elle me permet de faire un point sur le droit positif en matière de démission de conseiller municipal.
En premier lieu, celle-ci doit être adressée au maire ou, en cas de vacance de poste, à l'élu qui assure la fonction de maire. Telle est la règle.
En deuxième lieu, la démission doit être exprimée dans un document écrit, daté et signé par l'intéressé.
En troisième lieu, elle doit être rédigée en termes non équivoques et ne pas avoir été signée sous la contrainte, ce qu'il convient de vérifier. Dans l'hypothèse où un maire aurait connaissance d'éléments permettant d'établir l'exercice d'une pression sur le démissionnaire, il y aurait lieu de demander à ce dernier de confirmer sa décision, faute de quoi la démission pourrait être considérée comme nulle et non avenue.
L'exigence de clarté et d'authenticité de la lettre de démission implique qu'il revient au maire, lorsqu'il reçoit le courrier, de s'assurer - il en est responsable - de la validité matérielle ainsi que de la portée exacte de cet écrit. Il doit notamment vérifier si ce texte provient bien de son présumé auteur. D'ailleurs, le juge administratif veille au respect par le maire de cette exigence.
En effet, selon la loi, la démission est définitive dès réception de la lettre par le maire. Celui-ci n'a pas le choix à partir du moment où il tient le document entre ses mains : il n'a, en la matière, aucun pouvoir d'appréciation, sauf suspicion de pression exercée sur l'élu démissionnaire, d'où la nécessité qu'il veille bien à ce que le conseiller municipal qui a envoyé le courrier l'ait effectivement rédigé. Le maire doit s'en assurer directement.
J'y insiste, la démission entre en vigueur dès réception de la lettre par le maire. Même si le conseiller municipal se rétracte, il n'est pas possible de revenir sur une démission devenue définitive.
Le maire transmet immédiatement au préfet une copie intégrale de la lettre. L'information du préfet, si elle est obligatoire, n'est toutefois pas une condition de validité ou d'effectivité d'une démission : il s'agit d'une simple information et non d'une transmission d'un acte pour authentification ou approbation.
En l'espèce, il faut saluer la rapidité tant de l'action de la préfecture que du prononcé du tribunal administratif. Il conviendra peut-être, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi portant création d'un statut de l'élu local, de voir comment sécuriser davantage encore ce dispositif.
M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox, pour la réplique.
M. Aymeric Durox. En l'espèce, votre propos n'apporte aucune réponse : le maire peut falsifier la validité d'une lettre ou être complice d'un envoi par un tiers pour nuire à un opposant, comme pour M. Ruaro. La vérification par une autorité indépendante me paraît donc nécessaire.
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