Question de Mme CANALÈS Marion (Puy-de-Dôme - SER) publiée le 29/05/2025

Mme Marion Canalès attire l'attention de M. le ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins sur le financement et l'accessibilité des traitements par buprenorphine à action prolongée (BAP) dans le domaine de la lutte contre les opioïdes.

La France fait aujourd'hui partie des six pays les plus à risque d'une crise des opioïdes, avec une progression préoccupante des hospitalisations et des décès liés à leur usage. Selon les données de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), en 2022, la méthadone, traitement de substitution aux opiacés (TSO) de 1ere génération, représentait plus de 40 % des décès par overdose, devant l'héroïne. Ce fléau touche aussi bien les zones urbaines que rurales et les professionnels de santé alertent sur la hausse du mésusage des traitements de substitution aux opiacés comme le Subutex.

Or, malgré l'existence de traitements innovants, comme les BAP, qui permettent une libération prolongée du principe actif par injection hebdomadaire ou mensuelle, leur déploiement reste extrêmement limité. Ce traitement permettrait pourtant d'éviter les prises quotidiennes, les mésusages, les trafics et favoriserait une meilleure stabilisation et réinsertion des patients. Il est d'ailleurs reconnu pour améliorer l'adhésion thérapeutique et réduire hospitalisations, overdoses et réincarcérations, notamment en milieu carcéral, où la période post-libération est particulièrement à risque.

Toutefois, alors que cette innovation est de plus en plus usitée et déployée dans de nombreux pays (Finlande, Suède, Grande-Bretagne, Australie, et plus récemment États-Unis), en France, seulement 700 patients y ont actuellement accès, soit moins de 0,4 % des 180 000 personnes traitées par TSO, alors même que selon la Haute Autorité de santé (HAS) ce sont près de 20 000 qui pourraient l'être. Le financement de ce traitement repose encore sur des crédits non reconductibles, délégués de manière très hétérogène par les agences régionales de santé. En juin 2024, une enveloppe d'1 million d'euros n'a été ouverte qu'à 8 régions, laissant les autres territoires, dont l'Auvergne-Rhône-Alpes, dans l'impossibilité d'en faire bénéficier leurs patients.

Face à l'urgence sanitaire et sociale de l'addiction aux opioïdes, et à l'évidence de l'intérêt médical du Buvidal, elle lui demande quelles sont ses intentions quant à l'instauration d'un financement pérenne, suffisant et équitable permettant un déploiement homogène de ce traitement sur tout le territoire.

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Réponse du Ministère auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé du travail et de l'emploi publiée le 09/07/2025

Réponse apportée en séance publique le 08/07/2025

M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, auteure de la question n° 571, adressée à M. le ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l'accès aux soins.

Mme Marion Canalès. Aujourd'hui, la France est l'un des six pays les plus exposés à la crise des opioïdes.

Alors que des traitements existent pour lutter contre les addictions aux opiacés - je pense au Subutex et à la méthadone -, leur prise présente de nombreux aspects contraignants.

Cependant, la buprénorphine à action prolongée (BAP), dont le Buvidal est le seul dérivé disponible en France, est un traitement de substitution aux opiacés de nouvelle génération, qui répond aux problématiques posées par le Subutex et la méthadone : l'injection est réalisée par un médecin, selon une fréquence mensuelle, plutôt que quotidienne, ce qui permet d'éviter les trafics, les rackets et les mésusages. Ce médicament permettrait d'éviter 300 décès et 5 000 hospitalisations chaque année.

Les effets d'une politique favorable aux BAP chez nos voisins, que ce soit la Finlande, la Suède ou la Grande-Bretagne, sont irrémédiablement positifs. On observe en outre une réduction significative des hospitalisations aux États-Unis, tandis qu'en Australie on constate une probabilité de réincarcération plus faible chez les patients libérés et traités par buprénorphine à action prolongée que chez ceux ayant bénéficié de traitements standards : 21 % contre 38 %.

Les études menées en France sont également très encourageantes, mais les échantillons des enquêtes sont trop faibles : en effet, seuls 700 patients dépendants aux opioïdes ont accès à ces traitements de substitution aux opiacés, sur les 180 000 personnes qui pourraient en bénéficier.

Les financements manquent pour que ce traitement soit donné à davantage d'usagers. Une enveloppe de 1 million d'euros a bien été prévue, mais sa répartition ne concerne que huit régions, ce qui laisse certaines régions sans aucune marge de manoeuvre budgétaire pour développer ce traitement avant-gardiste.

Ma question est simple, madame la ministre : quelles sont les intentions du Gouvernement pour déployer ce traitement sur tout le territoire national et pour lui assurer un financement pérenne, adapté et équitable ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée du travail et de l'emploi. Madame la sénatrice Marion Canalès, vous mettez le doigt sur une vérité dérangeante : la dépendance aux opioïdes progresse en France et, avec elle, l'incapacité de notre système à offrir des réponses à la hauteur de la crise.

Vous l'avez rappelé, la consommation d'opioïdes est en forte progression dans notre pays et a des conséquences humaines, sociales et économiques dramatiques. Il s'agit non pas seulement d'un problème de médicaments, mais bien d'une problématique complexe, multifactorielle, qui exige une mobilisation globale, cohérente et durable de l'ensemble des acteurs.

Le Gouvernement partage pleinement votre constat. C'est pourquoi a été lancée, en mars 2023, une stratégie interministérielle contre la conduite addictive. Celle-ci s'inscrit dans une logique d'action jusqu'en 2027 et repose sur trois piliers : la prévention, la prise en charge et la réduction des risques et des dommages.

Vous avez raison de souligner le potentiel du Buvidal, forme de buprénorphine à action prolongée. Il constitue, selon de nombreux professionnels, une avancée thérapeutique utile pour certains patients, en complément de l'offre existante. C'est pourquoi le ministère de la santé, s'appuyant sur les équipes de la direction générale de la santé, suit avec attention son développement, son évaluation et son accessibilité.

Comme vous l'avez mentionné, une première enveloppe pérenne de 1 million d'euros a été mise en place dès l'an dernier pour soutenir les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) volontaires, afin d'amorcer le déploiement de ce traitement dans les territoires. Cette enveloppe a été répartie en fonction des besoins exprimés localement.

Nous sommes toutefois lucides : cette première étape ne permet pas encore de répondre à l'ensemble des besoins, notamment pour garantir une équité d'accès sur tout le territoire.

Le Gouvernement entend remédier à ces disparités régionales réelles et préoccupantes. C'est le sens des travaux qui ont été engagés pour réexaminer les modalités de financement du traitement dans le cadre d'arbitrages budgétaires concernant les crédits alloués aux CSAPA.

Madame la sénatrice, vous pouvez compter sur notre détermination pour ce que ce traitement et, plus largement, la lutte contre les addictions ne soient plus les angles morts de notre politique de santé. L'équité d'accès aux soins ne se négocie pas : elle s'impose à nous.

M. le président. La parole est à Mme Marion Canalès, pour la réplique.

Mme Marion Canalès. Madame la ministre, je suis heureuse de vous entendre reconnaître qu'il existe une iniquité d'accès aux soins pour les personnes dépendantes aux opioïdes.

Aujourd'hui, la situation est suffisamment grave pour que l'on cesse de considérer que le problème ne concerne que telle ou telle région ou telle ou telle agence régionale de santé. Il faut dès aujourd'hui une véritable égalité de traitement pour tous les usagers et les patients dépendants aux opioïdes.

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