Question de M. BILHAC Christian (Hérault - RDSE) publiée le 24/07/2025

M. Christian Bilhac attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur l'absence de stratégie cohérente dans la lutte contre le blanchiment d'argent en France. Selon les travaux récents de la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance financière, jusqu'à 5 % du produit intérieur brut (PIB) mondial seraient issus de capitaux blanchis. Rapporté au contexte français, cela représenterait près de 60 milliards d'euros chaque année, réinjectés dans l'économie légale. Or, ces flux permettent aux réseaux criminels non seulement de prospérer, mais aussi de pénétrer des secteurs entiers de notre économie, d'influencer l'action publique et parfois de muter en véritables mafias, constituant un défi aussi bien économique que sécuritaire.
Pourtant, moins de 1% de ces avoirs sont saisis et les professions assujetties à la lutte contre le blanchiment, en particulier non financières, restent encore trop peu mobilisées. Tracfin, notre cellule de renseignement financier, ne peut pas lutter seule face à un phénomène qui mêle cryptoactifs, sociétés-écrans, fraude fiscale et criminalité organisée transnationale. De plus, les travaux du Sénat alertent aussi sur les moyens limités des services enquêteurs, la faible interopérabilité des systèmes informatiques et les angles morts dans plusieurs secteurs économiques comme l'immobilier, les cryptoactifs ou le monde des antiquaires. En réponse à ce constat préoccupant, la commission d'enquête formule cinquante recommandations pour construire enfin une véritable culture de la lutte contre le blanchiment.
C'est pourquoi il lui demande quelles suites le Gouvernement entend donner à ce rapport et quelles mesures seront prises pour renforcer la coordination des services, pallier les failles juridiques et techniques actuelles et doter la France d'une stratégie enfin cohérente et ambitieuse face au blanchiment.

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Transmise au Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique


Réponse du Ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique publiée le 04/12/2025

La France est résolument engagée contre la criminalité financière. En 2022, le Groupe d'action financière (GAFI) a considéré dans son rapport d'évaluation du dispositif français de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (LBC-FT) que celui-ci constituait l'un des dispositifs les plus robustes et efficaces. Depuis cette dernière évaluation de la France par le GAFI, les efforts ont été continus pour poursuivre l'amélioration de notre dispositif, y compris au travers de la finalisation du nouveau paquet législatif européen antiblanchiment, porté dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne au premier semestre 2022 et publié en juin 2024 ; ou encore dans le cadre de la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic, qui comporte tout un volet de lutte contre le blanchiment de capitaux. Le dispositif français antiblanchiment fera de nouveau l'objet d'une évaluation par le GAFI en 2028. Pour lutter contre les flux illicites, le dispositif français s'articule entre un volet préventif et un volet répressif. Sur le plan préventif, quarante-neuf professions particulièrement exposées aux risques de blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme se voient imposer de strictes obligations en matière de vigilance et de déclaration de soupçon. Parmi ces professions figurent notamment les professionnels de l'immobilier (agents immobilier, sociétés de domiciliation, notaires puis prochainement les promoteurs immobiliers et marchands de biens), du monde des antiquaires et autres biens de haute valeur (marchands d'art, commissaires de justice, opérateurs de vente volontaire, négociants en pierres et métaux précieux, commerçants de biens de luxe, etc.), ainsi que les prestataires de services sur cryptoactifs. Les efforts sont continus pour accompagner l'appropriation par les professionnels assujettis à la LBC-FT de ces obligations, via des activités de formation et de sensibilisation, et via la mise à disposition de lignes directrices, de documents d'analyse des risques, de critères d'alerte, etc. Ces efforts portent leurs fruits, en témoignent les chiffres du dernier rapport de Tracfin sur l'activité déclarative : les déclarations de soupçon des entités assujetties à la LBC-FT ont encore augmenté en 2024, pour atteindre 211 125 (hausse de 13% par rapport à 2023). Sur le plan répressif, le GAFI a souligné en 2022 l'efficacité de la France en matière d'enquêtes et de poursuites, ainsi que ses très bons résultats pour priver les criminels du produit et des instruments de leurs crimes. Le GAFI a ainsi confirmé la pertinence de l'approche française « par le haut du spectre », consistant à cibler les cas les plus complexes impliquant des montants importants. Les affaires simples impliquant des montants faibles et des schémas de blanchiment facilement identifiables relèvent des juridictions territorialement compétentes en lien avec les services d'enquêtes territoriaux ; les affaires d'une grande complexité impliquant des montants importants ou des montages complexes sont traitées par les juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) ; et les affaires d'une très grande complexité sont traitées par le Parquet National Financier (PNF) et le juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO) selon leurs champs de compétence. Les moyens de la politique pénale de lutte contre le blanchiment continuent d'être renforcés : le ministère de la Justice a annoncé que de nombreux magistrats rejoindront, dans les deux années à venir, les effectifs des JIRS et de la JUNALCO - qui a vocation à être fondu au sein du futur parquet national de lutte contre la criminalité organisée qui sera mis en place le 5 janvier 2026. Ce nouveau parquet disposera d'une compétence nationale pour les affaires de criminalité organisée, y compris les affaires de blanchiment de très grande complexité, impliquant notamment un préjudice financier important. La coordination des acteurs des deux volets est effective, tant au niveau national grâce aux travaux du Conseil d'orientation de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, que sur le plan opérationnel. Une illustration en est la diffusion à tous les parquets du dispositif dit de « circuits courts Tracfin » par la dépêche du garde des Sceaux du 27 janvier 2025 relative à l'extension du dispositif de circuit-court en lien avec Tracfin à l'encontre des sociétés éphémères facilitant le blanchiment. Ce dispositif avait initialement été mis en place à titre expérimental par plusieurs parquets en lien avec Tracfin dès 2023. De manière pragmatique, ce dispositif permet de garantir la saisie de flux financiers illicites sans réalisation préalable d'investigations judiciaires approfondies par un service d'enquête. Il vise ainsi les flux qui transitent sur les comptes des sociétés éphémères dites « lessiveuses », utilisées à titre exclusif pour réinjecter dans l'économie légale l'argent des réseaux criminels, et identifiés au préalable par Tracfin. L'expérimentation de ce circuit court Tracfin donne des résultats très satisfaisants en permettant la saisie de sommes importantes ayant vocation à être versées in fine au budget de l'Etat. Ainsi, Tracfin a émis 288 droits d'oppositions en 2024 (contre 132 l'année précédente) visant les comptes bancaires de 261 sociétés participant au blanchiment, sécurisant ainsi la saisie pénale de fonds issus de la criminalité organisée à hauteur de 25,3 millions d'euros par l'autorité judiciaire. Les recommandations du rapport de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis, vont nourrir les prochains travaux visant à renforcer notre action. Plusieurs recommandations sont en outre déjà en cours de mise en oeuvre, notamment s'agissant des enjeux statistiques (recommandations 1 et 2) ; de la régulation des cryptoactifs (recommandation 5) ; de la détection des sociétés éphémères (recommandation 6) ; de la consolidation de la supervision préventive des professionnels autorégulés assujettis à la LBC-FT (recommandation 19) ; des moyens des organes de sanction du volet préventif (recommandation 18) ; du ciblage en fonction des risques des autorité de contrôle du volet préventif (recommandation 30) ; du renforcement des exigences de formation des professionnels assujettis (recommandation 23) ; de la promotion de l'outil de présomption de blanchiment auprès des enquêteurs et de l'autorité judiciaire et de la généralisation du dispositif dit en « circuits courts » (recommandations 32 et 42).

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