Question de M. KANNER Patrick (Nord - SER) publiée le 23/10/2025
Question posée en séance publique le 22/10/2025
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, nous nageons en pleine confusion ; une confusion liée aux agendas personnels et aux règlements de comptes, alors que notre pays a besoin de clarté.
Je pense à la droite du socle qui n'a plus rien de commun ; à ceux qui prennent à témoin les Français de leur guerre des chefs ; à ceux qui, pour montrer les muscles dans ce mano a mano de faible envergure, font passer les questions partisanes avant le pays. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je pense aussi au Président de la République, qui fait perdurer l'illusion qu'il est au centre du jeu. Mais nous n'attendons plus rien de la parole présidentielle, prononcée à Paris ou ailleurs, car, chaque jour, elle s'éloigne un peu plus des besoins des Français. Là est le décalage.
Grâce à notre détermination, 3,5 millions de nos concitoyens ne paieront pas un nouvel impôt sur la vie. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. - Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Grâce à notre détermination, nous avons arraché la lettre rectificative au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) vous permettant de tenir votre engagement. C'était nécessaire. Cela a déterminé notre choix de ne pas censurer - pour cette fois. Mais nous sommes et resterons dans l'opposition. Si vos budgets pénalisent les plus modestes, nous n'aurons pas la main qui tremble, nous agirons. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
Car oui, notre inquiétude est toujours là. Particulièrement pour les 10 millions de Français plongés dans la pauvreté, pour les 5 millions de travailleurs au Smic pour qui chaque jour est un combat, pour ces jeunes qui s'apprêtent à être, une fois de plus, les sacrifiés des politiques publiques dans vos arbitrages. Pour tous ceux-là, votre ruissellement a été un assèchement. Tous s'alarment notamment de votre projet d'année blanche ou du doublement des franchises médicales quand, en face, il n'y a rien qui renforce leur pouvoir d'achat.
Voilà quatre-vingts ans, monsieur le Premier ministre, avec courage et audace, a été créée la plus belle des protections sociales, la sécurité sociale. (Applaudissements sur des travées du groupe SER.) Oui, il faut épargner les Français, qui n'ont aucune responsabilité dans le cataclysme budgétaire dont vous êtes comptable. En avez-vous vraiment conscience ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
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Réponse du Premier ministre publiée le 23/10/2025
Réponse apportée en séance publique le 22/10/2025
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Monsieur le ministre Kanner, au fond, vous posez la question de la juste répartition de l'effort dans le redressement de nos finances publiques.
Au fond, vous posez la question de la manière dont nous pouvons réduire notre déficit, tout en défendant notre modèle de protection sociale - auquel, je le redis, je ne renonce pas.
Au fond, vous posez enfin la question de la poursuite de la croissance et de la création d'emplois.
C'est bien ce débat qui doit irriguer l'ensemble de nos discussions, car on ne peut parler des retraites sans parler du travail ni évoquer la démographie. J'ai pris l'engagement devant vous que ce débat ait enfin lieu, qu'il ne soit pas confisqué, et qu'il se tienne dans les enceintes légitimes de la démocratie représentative : l'Assemblée nationale et le Sénat.
Pour répondre plus précisément à vos interrogations, permettez-moi de rappeler que, même si cela n'a pas été largement commenté, des mesures de protection pour les plus fragiles figurent déjà dans le projet de loi de finances. Il appartiendra au débat parlementaire de les consolider. Le doublement de la niche Coluche, par exemple, correspond à une demande ancienne des associations. D'autres crédits ont été débloqués, parfois sur l'initiative de parlementaires de cette assemblée, en faveur de l'aide sociale à l'enfance ou de l'hébergement d'urgence. J'insiste sur ces points, car la navette parlementaire peut parfois, par effet de bord, fragiliser certaines mesures consensuelles ici, mais moins partagées ailleurs.
Certains débats nous rassemblent sur les grands objectifs, la divergence tenant davantage aux moyens à mettre en oeuvre pour les atteindre. Vous souhaitez un débat sur la fiscalité ; j'ai bien compris, depuis plusieurs mois, qu'il y avait une forte attente à ce sujet.
Avoir un débat sur la justice fiscale, notamment concernant les 0,01 % de nos compatriotes les plus aisés, et sur la manière dont la progressivité de l'impôt tend à s'atténuer sur les tranches les plus hautes, n'est pas quelque chose que nous balayons d'un revers de main, je l'ai toujours dit. Mais dans le même temps, vous savez qu'aller trop loin dans la hausse des prélèvements obligatoires, dans un pays où la pression fiscale est déjà élevée, poserait la question de notre attractivité, de la production de richesse et, forcément, de l'emploi.
C'est la raison pour laquelle j'ai toujours exprimé, en toute transparence, mon opposition non seulement à la taxe Zucman, mais aussi à toute forme d'insécurisation du patrimoine professionnel, c'est-à-dire de l'usine, de l'outil de production, de l'innovation, puisque nous sommes dans une économie ouverte. C'est un débat noble ; il doit avoir lieu. Et l'absence de recours à l'article 49.3 permettra, quoi qu'on en pense, d'aller jusqu'au bout de ce débat.
Mme Cécile Cukierman. Ou pas !
M. Sébastien Lecornu, Premier ministre. Je vous dis que si, madame Cukierman.
Vous évoquez la question du pouvoir d'achat des travailleurs et des travailleuses. La suspension de la réforme des retraites permet à la démocratie sociale de redémarrer. C'est un point qui, je crois, peut rassembler sur toutes les travées. La droite sociale, notamment, a toujours accompagné le paritarisme et le dialogue entre les partenaires sociaux. L'entreprise, en effet, n'est pas l'affaire du seul patron.
Comme j'ai eu l'occasion de le redire aux organisations syndicales - la CFDT, la CFTC et d'autres - le moment que nous vivons doit être celui d'un retour au dialogue sur le partage de la valeur au sein de l'entreprise, au lieu de laisser ce sujet aux extrêmes. Le Parlement pourrait s'en saisir, d'autant plus que la parole présidentielle a ouvert une perspective : le Président de la République a évoqué la possibilité d'un référendum, ce qui pose la question du rôle du peuple français dans la conduite de ce débat essentiel.
Il existe, bien sûr, des sujets plus clivants entre les formations politiques, mais qu'il est nécessaire de traiter. Je pense notamment au forfait de responsabilisation pour l'accès aux soins. Le vrai débat est de savoir qui doit être protégé. Le principe d'une contribution peut faire consensus, mais il faut en déterminer les contours. On ne peut pas, d'un côté, prôner la justice fiscale et, de l'autre, refuser que les plus aisés participent à l'achat de leurs boîtes de médicaments. Ce serait contradictoire.
Aujourd'hui, 18 millions de nos concitoyens sont déjà protégés de ce forfait de responsabilité : les mineurs, les femmes enceintes et les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire (C2S), c'est-à-dire les personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Ouvrir le débat sur la question « qui doit être exempté ? » plutôt que sur « faut-il ou non un forfait ? » change la nature de la discussion et conduit, par exemple, à envisager un relèvement du seuil de pauvreté pour élargir la protection.
Ces débats sont importants, indépendamment des querelles politiques, comme vous l'avez dit vous-même dans votre question. Ces querelles, le Gouvernement s'en tient le plus loin possible. Ce n'est pas un gouvernement apolitique, mais, par définition, il doit se tenir à la disposition du Parlement pour conduire ces discussions avec dignité, avec hauteur de vue et toujours au service de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour la réplique.
M. Patrick Kanner. Merci, monsieur le Premier ministre. Justice sociale, justice fiscale, justice écologique : vous y consentez, dans le principe. Nous vous jugerons sur votre capacité à agir dans les semaines et les mois qui viennent.
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