ANNEXE -

RÉFORME DE LA DISTRIBUTION AUTOMOBILE
EN EUROPE

I - LES MOTIVATIONS DE LA COMMISSION

La Commission européenne a souhaité renforcer la libéralisation de ce secteur pour plusieurs raisons. Elle considère tout d'abord que les écarts de prix entre les différents pays de l'Union européenne sont le signe d'une concurrence trop limitée dans ce secteur et la preuve que les constructeurs bénéficient d'un régime trop protecteur pour la vente des véhicules. La Commission, pour étayer ce constat, se fonde sur un rapport d'évaluation du règlement 1475/95 (publié le 15 novembre 2000), d'un rapport sur les écarts de prix entre les véhicules selon les pays de l'Union, réalisée par la Direction générale pour la concurrence de la Commission, et d'études faites par des consultants indépendants 6 ( * ) .

Ces études montrent que les prix des véhicules, hors taxes, sont plus élevés en Allemagne, en Autriche et au Royaume-Uni, et plus faibles en Espagne, en Grèce et en Finlande. Les écarts de prix pour le même véhicule entre le marché le plus cher et le moins cher peuvent s'élever jusqu'à 41 % (cas de l'Opel Vectra au 1 er novembre 2001).

La Commission note d'ailleurs que ces écarts de prix n'ont pas beaucoup évolué depuis le précédent rapport sur le sujet (1 er mai 2001). La persistance de ces écarts montrerait donc que le règlement 1475/95 n'aurait pas été efficace et n'aurait pas permis d'unifier le marché intérieur européen et les conditions de la concurrence entre les pays de l'Union.

La Commission relève en outre que la législation précédente n'a pas été respectée par les constructeurs, plusieurs d'entre eux ayant été condamnés pour infraction à la législation européenne à des amendes pouvant aller jusqu'à 90 millions d'euros.

II - QUE CHANGE LE NOUVEAU RÈGLEMENT ?

Le projet de règlement exempte le secteur automobile des dispositions générales relatives au droit de la concurrence. Les accords verticaux qu'il autorise concernent l'achat ou la vente de véhicules neufs, l'achat ou la vente de pièces de rechange destinées aux véhicules automobiles, ainsi que l'achat et la vente de services de réparation et d'entretien.

A. INDÉPENDANCE DES DISTRIBUTEURS

La réforme affiche pour buts principaux de renforcer la concurrence sur le marché de la distribution automobile et d'accroître l'indépendance des distributeurs. Pour ce faire, la Commission introduit de nouvelles dispositions, dont certaines apparaissent positives.

Il s'agit tout d'abord des règles relatives à la résiliation des contrats de concession entre constructeurs et distributeurs. Si un délai de préavis de deux ans est toujours prévu, ce dernier peut être réduit à un an si le fournisseur est tenu de verser une indemnité en cas de résiliation de l'accord ou en cas de réorganisation de l'ensemble ou d'une partie substantielle du réseau. En revanche, la notification de cette résiliation devra désormais indiquer clairement les raisons de celle-ci.

B. CHOIX ENTRE UN SYSTÈME DE DISTRIBUTION SÉLECTIVE OU EXCLUSIVE

Ce aspect du nouveau règlement constitue le coeur de la réforme et apparaît plus contestable. Le règlement oblige désormais les constructeurs à opter entre un système de distribution sélective ou un système de distribution exclusive. Ces dispositions ont été les plus vivement critiquées tant par les acteurs économiques du secteur que par certains Etats membres de l'Union européenne.

La distribution sélective est un système dans lequel les constructeurs sélectionnent les distributeurs sur la base de critères quantitatifs ou qualitatifs. Ils peuvent, dans ce cadre, maîtriser le nombre de points de vente et leur réseau de concessionnaires et leur imposer des exigences en terme de qualité, de standards techniques, d'image. Dans un système de distribution exclusive , le constructeur attribue à un distributeur un territoire exclusif de vente sur lequel il doit opérer. En revanche, le concessionnaire ne peut pas se voir imposer des contraintes qualitatives et quantitatives par le constructeur et peut vendre ses véhicules à qui il veut (utilisateur final ou revendeur intermédiaire).

Concrètement, ce système va remettre en cause les principes fondamentaux d'organisation de ce secteur. En effet, les constructeurs sont plutôt favorables à un système de distribution sélective, qui leur permet d'imposer des standards de qualité à leurs concessionnaires. Cependant, si les constructeurs optent pour ce mode de distribution, ils ne pourront plus utiliser les clauses dites de localisation qui leur permettent d'obliger les distributeurs à opérer à partir d'un établissement précis (article 5, point f). Cette interdiction, selon la Commission, renforcera la concurrence entre les distributeurs de la même marque (concurrence intramarque). Les concessionnaires sélectionnés sur des critères qualitatifs ne pourront donc plus être contraints d'exercer leur activité sur une aire géographique donnée.

Sous la pression conjuguée du Parlement européen, des Etats membres, de certains Parlements de l'Union européenne et des acteurs économiques, la Commission a décidé de repousser l'application de l'interdiction des clauses de localisation au 30 septembre 2005. Cette situation n'est toutefois pas satisfaisante dans la mesure où elle n'est que transitoire : la disparition de l'actuel système de distribution automobile est aujourd'hui programmée.

C. FIN DU LIEN ENTRE LA VENTE ET LE SERVICE APRÈS-VENTE

La réforme de la Commission vise également à casser le lien entre la vente et le service après-vente (SAV). Les distributeurs pourront décider de se charger eux-mêmes du SAV ou de le déléguer à un réparateur, agréé par le constructeur. Ces réparateurs « officiels » ne seront pas soumis à une clause de localisation. Ils pourront s'installer dans les zones les plus rentables et réparer les véhicules de plusieurs constructeurs. Ces dispositions bénéficieront aux réparateurs qui verront leur concession résiliée, car la possibilité d'être le réparateur de plusieurs marques leur permettra de renforcer leur indépendance par rapport aux constructeurs.

D. POSSIBILITÉ OFFERTE AUX CONCESSIONNAIRES DE VENDRE DES VÉHICULES DE MARQUES DIFFÉRENTES (MULTIMARQUISME)

Le règlement prévoit que les concessionnaires auront désormais la possibilité de proposer des véhicules de marques différentes (multimarquisme), sans que les entités juridiques de vente soient distinctes, à la condition que les véhicules des différents constructeurs soient proposés dans des espaces séparés à l'intérieur d'une même salle d'exposition et d'une manière qui ne nuise pas à l'identité de la marque.

Ces dispositions doivent stimuler la concurrence entre les différents constructeurs. Le régime juridique des concessions multimarques est donc allégé pour faciliter leur développement.

E. RENFORCEMENT DES CONDITIONS DE LA CONCURRENCE SUR LES MARCHÉS DES PIÈCES DE RECHANGE

Le règlement modifie la définition de la pièce de rechange d'origine. Désormais seront considérées comme pièces de rechange d'origine les pièces de rechange produites par l'entreprise fabriquant également les composants pour le véhicule neuf et qui proviennent de la même chaîne de production. Concrètement, ces nouvelles dispositions du règlement permettront aux équipementiers de vendre leurs pièces plus facilement aux réparateurs indépendants et aux réparateurs agréés. Ils pourront dans ces conditions livrer des pièces de rechange à des conditions tarifaires plus avantageuses. Le constructeur pourra néanmoins toujours obliger ses réparateurs agréés à utiliser les pièces de rechange fournies par lui-même pendant la période de garantie des véhicules.

La qualité de ces pièces de rechange d'origine sera désormais reconnue comme équivalente à celles vendues par les constructeurs. Ceci se justifie -hors de toute considération juridique- dans la mesure où ces pièces sont produites sur les mêmes chaînes de production, qu'elles passent par les réseaux des constructeurs ou qu'elles soient livrées directement par les équipementiers.

III - UNE ARGUMENTATION DISCUTABLE

Comme votre rapporteur l'avait noté dans sa proposition de résolution, aucun des acteurs de l'industrie automobile française n'était demandeur d'une réforme aussi brutale.

A. LA CONCURRENCE DANS LE SECTEUR EST DÉJÀ FORTE

Les acteurs économiques, tout comme la Commission européenne, s'accordent pour dire que le secteur automobile est déjà très fortement concurrentiel. Les marges des constructeurs ou des distributeurs sont faibles et la concurrence avec les industries japonaise et américaine est vive. Selon Jean-Martin Folz, Président de Peugeot S.A., la concurrence sur le marché de l'automobile est « totale et sans merci » .

En effet, le marché européen est essentiellement un marché de renouvellement avec des marges faibles, une surcapacité importante de l'ordre de 4 millions de véhicules, qui induit une compétition forte et une guerre des prix. Pour le premier semestre 2002, le marché européen est en baisse d'environ 5 %.

En outre, la répartition des parts de marché par marques montre que ce marché est assez homogène et le place comme le marché le plus ouvert du monde, comparé aux marchés américain ou japonais où les constructeurs nationaux détiennent respectivement 66 % et 99 % des parts.

B. LES DIFFÉRENCES DE PRIX S'EXPLIQUENT PAR D'AUTRES FACTEURS QUE L'ABSENCE DE CONCURRENCE

La Commission européenne prétend qu'en stimulant la concurrence, elle favorisera l'harmonisation des prix des voitures neuves. Or, les écarts de prix en Europe pour le même véhicule ne s'expliquent pas par une insuffisance de concurrence mais par d'autres facteurs.

1. Les écarts de prix comme stratégie de politique commerciale

D'une part, les constructeurs peuvent jouer de ces différences de prix comme d'un élément de politique commerciale . Il est en effet classique qu'un industriel qui souhaite s'installer hors de son pays d'origine accepte des marges bénéficiaires plus faibles afin de conquérir des parts de marché.

2. L'importance des écarts de taxation

Par ailleurs, les différences de prix sont pour beaucoup liées à des écarts de taxation . Une étude du Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) de mai 2000 démontre que la fiscalité est un facteur important de dispersion des prix TTC et hors taxes. Cette étude démontre que cette dispersion serait liée au régime de TVA applicable au secteur de l'automobile, car la TVA est acquittée dans le pays de résidence de l'acheteur du véhicule. Ainsi, les prix hors taxes des voitures dans un pays comme le Danemark, où les taxes écologiques alourdissent particulièrement les prix TTC, sont plus faibles afin que les consommateurs ne soient pas trop pénalisés.

La Commission européenne a d'ailleurs reconnu le rôle fondamental joué par ces écarts de taxation en lançant une réflexion sur le sujet à la suite de l'adoption du projet de règlement.

3. Des écarts de prix modérés

Dernier élément à verser au débat, une étude, commandée par la Commission européenne à la banque Lehman Brothers, montre que sur une sélection de 53 produits et services homogènes, la moyenne des écarts de prix est plus resserrée dans l'automobile que dans d'autres secteurs comme l'électroménager par exemple.

On peut donc se demander si l'approche globale de cette réforme n'est pas guidée par une conception quelque peu extrémiste du rôle que peut jouer la concurrence. De fait, le dispositif de la Commission a été fortement soutenu par les consommateurs britanniques et leurs représentants, qui sont confrontés à des prix des véhicules élevés. Or, ces écarts s'expliquent, là encore, non par une insuffisante concurrence, mais par les fluctuations de change de la livre sterling et par l'importance des achats groupés de voitures dans ce pays, qui conduit les constructeurs à accorder des rabais à ces achats groupés au détriment des ventes de détail.

* 6 «Price Differentials in the EU  : an economic analysis» par les professeurs Verbogen et Degryse, «The Sales-Service link» par Autopolis, «Study of the impact of legislative scenarios about motor vehicle distribution» par Andersen Consulting, «Customers preferences for existing and potential Sales and Servicing Alternatives in Automobile Distribution» par le Dr Lademann.

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