B. UN PROJET DE LOI QUI PROLONGE UNE PRISE DE CONSCIENCE DÉJÀ ANCIENNE

S'il participe du mouvement général de réaction tendant à restaurer la confiance dans l'économie financière, le projet de loi de sécurité financière prolonge une prise de conscience déjà ancienne en France.

1. L'antériorité de la démarche française et les initiatives récentes en matière d'établissement et de contrôle légal des comptes

Le contrôle légal des comptes en France dépend depuis 1867 d'une profession réglementée : il s'agissait à l'origine d'aider les actionnaires à exercer leur contrôle sur les comptes présentés par les dirigeants.

La loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales a par la suite défini un cadre juridique rigoureux pour l'exercice des fonctions de certification avec la préoccupation de prévenir les occasions de conflits d'intérêts ; cette loi avait été complétée par le décret du 10 août 1969 précisant les obligations incombant aux commissaires aux comptes et les règles d'organisation et de fonctionnement de la profession.

Les événements récents et la crise de confiance consécutive ont jeté un éclairage nouveau sur les spécificités du commissariat aux comptes à la française. A notamment été souligné le caractère précurseur du co-commissariat et l'existence de dispositifs prudentiels qui n'existaient pas aux Etats-Unis tels qu'un contrôle qualité réalisé périodiquement avec la collaboration de la Commission des opérations de bourse, un système disciplinaire mis en oeuvre par des instances collégiales constituées majoritairement de membres extérieurs à la profession ou encore une obligation pour le commissaire aux comptes de révéler des infractions découvertes à l'occasion de sa mission de certification.

Le projet de loi vient par ailleurs prolonger ou entériner en totalité ou partiellement, en leur conférant force obligatoire, des évolutions déjà préconisées par les autorités de régulation et en particulier la Commission des opérations de bourse :

- ainsi, la procédure de rotation des associés signataires des mandats de commissaires aux comptes à l'issue d'une période de sept ans est effective depuis le 1 er septembre 2002 ;

- la publication, pour toute société cotée, du montant des honoraires correspondant à la mission de certification des comptes mais également aux diverses missions de conseil financier, fiscal, comptable, organisationnel ou juridique effectuées par des membres du réseau auquel est affilié le commissaire aux comptes : cette exigence résulte d'un règlement de la Commission des opérations de bourse publié au Journal officiel du 20 décembre 2002 faisant écho à une recommandation de la Commission européenne du 16 mai 2002 sur l'indépendance du contrôleur légal des comptes dans l'Union européenne. Le projet de loi rend obligatoire la seule mise à disposition des associés et actionnaires, au siège de la personne contrôlée, de l'information sur le montant des honoraires versés à chaque commissaire aux comptes : au-delà de la simple transparence, l'objectif de cette disposition est de permettre une vérification de la réalité du co-commissariat lorsqu'il est requis.

Enfin, la profession s'est mobilisée, au cours des dernières années, pour mettre en place des procédures de contrôle interne incitant les commissaires aux comptes à la vigilance :

- un code de déontologie, bien que non encore approuvé par décret comme l'avait prévu la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques, est en vigueur depuis 1998 et dresse en particulier, sans toutefois aborder la question des prestations délivrées par les réseaux pluridisciplinaires, une liste des prestations incompatibles avec la mission de contrôle légal des comptes. La Commission des opérations de bourse et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes ont en outre conclu un accord cadre le 2 février 1999 créant un comité de déontologie de l'indépendance des commissaires aux comptes des sociétés faisant publiquement appel à l'épargne ;

- la certification des sociétés faisant publiquement appel à l'épargne fait l'objet d'un examen national d'activité assuré par un comité, le comité CENA, constitué de professionnels auprès de la Compagnie nationale. Son dix-huitième rapport annuel confirme la tendance des années précédentes en concluant que, sur les 133 cabinets contrôlés sur l'exercice 2001-2002, 90  % des diligences professionnelles sont bien appliquées. Il précise cependant que près d'un cinquième des dossiers ont appelé des remarques débouchant dans quatorze cas sur une saisine du comité de déontologie et d'indépendance.

En amont du contrôle légal des comptes, la sincérité des comptes peut être affectée par les montages permettant de masquer certaines opérations, appelés montages déconsolidants et aboutissant à exclure du bilan certains actifs. Tirant les enseignements de l'affaire Enron, les instances de régulation françaises que sont la Commission des opérations de bourse et la Commission bancaire ont mis en place un groupe de travail qui a rendu un avis en novembre 2002 : cet avis regroupe un ensemble de recommandations sur « les modalités d'enregistrement et l'information financière relative à certains types d'opérations de déconsolidation et de sortie d'actifs, selon les normes comptables françaises ». Il s'agit désormais de « privilégier la substance sur l'apparence » dans l'établissement des comptes consolidés des entreprises.

2. Les progrès du gouvernement d'entreprise en France

Les bilans dressés sur les évolutions du gouvernement d'entreprise en France sont contrastés. Une étude du cabinet Korn-Ferry International de janvier 2001 pointait quelques lacunes telles l'absence d'évaluation de la performance des conseils d'administration au sein des sociétés anonymes françaises ou encore le peu de temps consacré par les administrateurs à l'exercice de leur mandat (70 heures par an contre 203 aux Etats-Unis). Cette étude plaçait cependant les entreprises cotées françaises dans le peloton de tête des pays avancés en matière de gouvernement d'entreprise, faisant valoir qu'en 1999-2000, 97 % des sociétés du CAC-40 (39 sur 40) satisfaisaient aux critères fixés par le premier rapport Viénot de 1995 sur le gouvernement d'entreprise.

La loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques a fait franchir une nouvelle étape au gouvernement d'entreprise avec une nouvelle définition de la mission du conseil d'administration des sociétés anonymes, l'introduction de la faculté de dissocier les fonctions de président du conseil et de directeur général, une réglementation plus stricte des cumuls de mandats et un renforcement des droits des actionnaires.

Dans le prolongement des rapports Viénot 1 et 2 de 1995 et 1999, le récent rapport Bouton sur le gouvernement d'entreprise rappelle le caractère collégial des décisions du conseil d'administration et préconise une évaluation périodique de ses travaux ainsi que l'introduction d'administrateurs indépendants, c'est-à-dire d'administrateurs qui n'entretiennent « aucune relation de quelque nature que ce soit avec la société, son groupe ou sa direction, qui puisse compromettre l'exercice de sa liberté de jugement ».

Renonçant à cette dernière orientation, le projet de loi de sécurité financière consacre certaines des préconisations du rapport Bouton et choisit la voie de la régulation partagée, démarche intermédiaire entre une réglementation détaillée et l'auto-régulation, et qui demeure cohérente avec la logique de marché dont elle utilise d'ailleurs l'effet de levier pour créer une émulation et inciter les entreprises, par la mise en concurrence, à appliquer les principes du gouvernement d'entreprise.

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