II. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET LES CLUBS PROFESSIONNELS : DES LIAISONS DANGEREUSES ?

L'action des collectivités dans le domaine sportif, qui représente environ 9 milliards d'euros prend des formes très diverses : formation de personnel, subventions, dépenses d'investissement et de mises aux normes pour les équipements sportifs. Elle est mise en oeuvre essentiellement par les communes qui y participent à hauteur de 90 % à ces dépenses.

Une grande partie de ces mesures a pour objet de soutenir l'activité des 170 000 clubs sportifs français , qui regroupent 14 millions d'adhérents. Selon une étude réalisée en 2005 par le Centre national de la recherche scientifique, le montant des financements publics des collectivités territoriales en direction des associations sportives serait de 2,9 milliards d'euros (dont 1,8 milliard pour les communes et 500 millions d'euros pour les départements et les régions). Parmi elles, 75 % reçoivent des subventions des communes, 21 % des départements et 8 % des régions

Ce soutien financier apporté aux clubs intervient essentiellement sous forme de subventions. Toutefois d'autres formes d'aide sont possibles, mais sont à ce stade plus difficilement quantifiables (mise à disposition de personnel, de locaux ou d'équipements sportifs).

Le fondement politique de ces interventions diffère selon que les subventions sont destinées aux clubs amateurs ou professionnels.

Dans le premier cas, la collectivité soutient l'activité sportive afin qu'elle puisse exprimer ses vertus premières : renforcement du lien social, amélioration de la santé des adhérents, aménagement du territoire, intégration sociale de certaines populations...

Dans le second cas, le choix municipal est davantage dicté par le souhait de valoriser l'image de son territoire (Lyon semble ainsi avoir acquis une réputation européenne grâce à son équipe de football, ainsi qu'Auxerre au niveau national), ou de renforcer l'identification des habitants à la collectivité (tous les Marseillais soutiennent leur Olympique et les Brivistes leurs « Blancs et Noirs »).

Le fondement juridique est quant à lui tout aussi solide, sans être explicitement prévu par la loi. Si l'article 100-2 du code du sport précise ainsi que « l'État et les associations et fédérations sportives assurent le développement du sport de haut niveau, avec le concours des collectivités territoriales, de leurs groupements et des entreprises intéressées », c'est la clause générale de compétence qui permet aux collectivités territoriales de mettre en place une vraie politique sportive en direction du sport professionnel, qui trouve son fondement dans l'intérêt local.

Pourtant cette relation entre collectivités territoriales et clubs professionels pose de nombreux problèmes, de nature à la fois politique (contestation de l'intérêt de subventionner des clubs constitués sous la forme de société commerciale, remise en cause de soutien après des alternances) et juridique (doutes sur la légalité de certaines subventions, difficulté de mettre en place un cadre juridique clair pour la rénovation des équipements sportifs).

C'est la raison pour laquelle votre rapporteur pour avis a souhaité, dans ce rapport, faire le point sur l'état du droit relatif aux liens entre les collectivités territoriales et les clubs professionnels, tant sur le plan de leurs relations financières que de l'utilisation par les clubs des équipements publics.

A. LES LIENS ENTRE COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET CLUBS PROFESSIONNELS

1. Qu'est-ce qu'un club professionnel ?

Aux termes des articles L. 122-1 et R. 122-1 du code du sport, les associations sportives dont les recettes de manifestations payantes dépassent 1,2 million d'euros ou 19 ( * ) dont les rémunérations versées aux sportifs dépassent 800 000 euros, doivent constituer une société commerciale, pour la gestion de ces activités 20 ( * ) .

Selon l'article R. 122-2 du code du sport, les recettes susmentionnées comprennent le montant hors taxe de l'ensemble des produits des manifestations payantes organisées par le groupement et notamment le montant des entrées payées, sous quelque forme que ce soit, pour avoir accès à ces manifestations, le montant des recettes publicitaires de toute nature et le produit des droits d'exploitation audiovisuelle versés à l'association, y compris celui des droits de reproduction.

Le montant des rémunérations mentionné à l'article R. 122-1 est quant à lui constitué par l'ensemble des salaires, primes, vacations, avantages en espèces ou en nature, habituels ou exceptionnels, reçus par les sportifs employés par l'association ; il ne comprend pas les charges fiscales et sociales afférentes à ces rémunérations.

Sont prises en compte, pour déterminer si ces montants sont atteints, les moyennes des recettes perçues et des rémunérations versées au cours des trois derniers exercices connus, telles que ces recettes et ces rémunérations résultent des documents comptables de l'association sportive.

La création de la société sportive ne fait pas disparaître l'association. En effet, le club professionnel est constitué conjointement d'une association sportive (dite association « support ») et de la société qu'elle a créée conformément à l'article L. 121-1 du code du sport, ou de son propre chef.

La société commerciale exploite le spectacle sportif grâce au stade et aux recettes liées, mais peut aussi développer une politique très approfondie de marchandisage (ou « merchandising ») avec la création de boutiques, ou même diversifier son activité (voyages et taxis pour l'Olympique lyonnais, hôtellerie pour le Football club d'Istres).

L'association support gère, quant à elle, le club amateur et exerce la plupart des missions d'intérêt général.

L'article L. 122-14 du code prévoit qu'une convention doit être passée entre l'association support et la société qui définit leurs relations.

Cette convention contient les stipulations suivantes :

1° La définition des activités liées au secteur amateur et des activités liées au secteur professionnel dont l'association et la société ont respectivement la responsabilité ;

la répartition entre l'association et la société des activités liées à la formation des sportifs, ce qui a son importance pour le subventionnement des collectivités territoriales ;

3° les modalités de participation de la société aux activités qui demeurent sous la responsabilité de l'association ;

4° les conditions dans lesquelles les terrains, les bâtiments et les installations seront utilisés par l'une et l'autre parties et, le cas échéant, les relations de celles-ci avec le propriétaire de ces équipements ;

5° les conditions, et notamment les contreparties, de la concession ou de la cession de la dénomination, de la marque ou des autres signes distinctifs de l'association ;

6° la durée de la convention, qui doit s'achever à la fin d'une saison sportive, sans pouvoir dépasser cinq ans ;

7° et les modalités de renouvellement de la convention, qui ne doivent pas inclure de possibilité de reconduction tacite.

La société constituant le club professionnel peut prendre plusieurs formes expressément prévues par l'article L. 122-2 du code du sport : soit celle d'une entreprise unipersonnelle sportive à responsabilité limitée (EUSRL), soit d'une société anonyme à objet sportif (SAOS), soit enfin d'une société anonyme sportive professionnelle (SASP), dont les statuts types sont définis par décret en Conseil d'État.

Il est prévu à l'article L. 122-12 du code du sport que les sociétés d'économie mixte sportive locale (SEMSL) constituées avant la publication de la loi n° 99-1124 du 28 décembre 1999 portant diverses mesures relatives à l'organisation d'activités physiques et sportives puissent continuer à exercer leur activité sous cette forme juridique.

2. Réalité et fonctions des subventions locales aux clubs professionnels

A partir d'une étude réalisée sur les données des ligues et les informations des directions nationales des contrôles de gestion, M. Patrick Bayeux, maître de conférences en gestion et droit du sport à l'Université de Toulouse, a établi des statistiques sur le soutien public consacré aux clubs professionnels et comparé les sports entre eux. Les résultats de ses analyses sont synthétisés dans le tableau ci-après :

Foot L1

Foot L2

Rugby

Basket-ball

Volley-ball

Handball

Nombre de matchs

19

19

13

17

13

13

Capacité des stades

28 929

15 190

12 144

4 350

2 379

2 174

Moyenne de spectateurs par match

20 361

6 306

8 432

3 280

1 206

1 200

Budget moyen (en millions d'euros)

42,55

9,43

10,24

3,36

1,25

1,83

Budget (en euros) /place dans l'équipement

1 471

621

843

771

527

840

Soutien public

4  %

11  %

12  %

31  %

65  %

65  %

Soutien public moyen (en euros) /Club

1 701 800

1 037 300

1 229 143

1 040 222

814 821

1 186 714

Soutien public (en euros) / Nombre places dans l'équipement

59

68

101

239

343

546

Soutien public (en euros) / match à domicile

89 568

54 595

94 549

61 190

62 679

91 286

Subvention moyenne (en euros) / fréquentation totale spectateurs à l'année

4,40

8,66

11,21

18,65

51,98

76,07

Source : fiche pratique du sport de M. Patrick Bayeux, maître de conférences en gestion et droit du sport à l'Université de Toulouse

Ce tableau montre que le soutien public, qui vient des collectivités territoriales, est une source essentielle de financement pour le sport professionnel , notamment pour les disciplines qui ne comptent des clubs professionnels que depuis récemment, puisque les subventions constituent en moyenne 65 % des budgets du volley-ball et du handball 21 ( * ) .

Le rôle que joue la subvention publique est en fait complètement différent selon les sports :

- en Ligue 1 de football, les financements publics ont pris de moins en moins d'importance dans le budget des clubs (moins de 5 %), qui ont diversifié leurs revenus, et profité de la manne télévisuelle. Le rôle de la subvention est dès lors marginal, mais peut réduire en partie les risques liés l'aléa sportif ;

- en Ligue 2 et en rugby, la baisse régulière du poids relatif des subventions est également constatée, mais elles gardent une fonction importante de stabilisation des recettes, du fait de leur régularité 22 ( * ) ;

- dans les autres sports moins médiatisés et drainant moins de sponsors enfin, les subventions publiques sont supérieures à 30 % de leurs recettes et jouent un rôle moteur dans leur développement .

Tout se passe donc comme si les collectivités territoriales avaient un rôle d'accompagnateur vers le professionnalisme , en diminuant les risques liés à l'aléa sportif et en palliant le déficit de médiatisation. Il reste à savoir jusqu'où ce modèle peut fonctionner notamment concernant le basketball, le volley-ball et le handball.

3. Une communauté d'intérêt légitimant le soutien local ?

La présence d'un club professionnel dans une commune, un département ou une région est un atout à plusieurs titres, ou à tout le moins un enjeu, dont il faut se préoccuper. En effet, le club professionnel :

- renvoie une image de la collectivité à l'extérieur , du fait de la couverture médiatique du sport de haut niveau. Ainsi une ville comme Nantes dispose-t-elle d'une notoriété très importante liée à son club de football et aux joueurs qui y sont passés ;

- crée un ciment d'identification locale essentiel pour la cohésion d'une collectivité. Les liens unissant Marseille à son club sont à cet égard archétypiques. Ce n'est pas un hasard si des entreprises comme Peugeot à Sochaux ou Michelin à Clermont-Ferrand ont subventionné des équipes de football et de rugby : ils s'agissaient de réunir leurs ouvriers sous une même bannière, de les faire appartenir à une même famille. Pour la vie d'une collectivité, il y de la même façon un intérêt local réel à ce que les habitants se sentent membre d'une même communauté. Mme Béatrice Barbusse, présidente de l'US Ivry Handball, auditionnée par votre rapporteur pour avis, a souligné à cet égard l'importance que des joueurs issus de la collectivité soient présents dans les équipes, citant le cas de Luc Abalo pour son club.

- crée du lien social dans la commune où se déroule la rencontre sportive , du fait de la mixité sociale dans les stades, de l'atmosphère qui y règne la plupart du temps, et de la mise en place de groupes de soutien à l'équipe. Mme Béatrice Barbusse s'est ainsi félicitée que les actions menées par son club (qui n'est pas encore professionnel, mais qui devrait prochainement entamer une mutation), participent à la politique de renforcement du lien social menée par la municipalité. Elle a cité à cet égard le tournoi « Marianne des quartiers » qui permet à plus de 3 500 jeunes de participer à une rencontre sportive et à 350 d'entre eux de rencontrer les joueurs professionnels ;

- est un vecteur d'animation et d'aménagement du territoire , notamment à une heure où les stades deviennent des lieux de vie et de socialisation ;

- enfin, il tend indéniablement à renforcer la pratique sportive de la population 23 ( * ) , avec les conséquences positives que cela peut avoir. A Ivry, les entraîneurs des clubs amateurs sont ainsi formés par ceux du club « professionnel », ce qui améliore leurs compétences. Par ailleurs près de 95 % des classes d'Ivry sont concernées par des actions menées autour du handball.

Ces aspects psychologiques, civiques et culturels sont les facteurs majeurs expliquant l'engagement des élus locaux auprès des clubs professionnels, les retombées économiques de leurs activités pour les collectivités territoriales étant souvent extrêmement faibles 24 ( * ) .

De son côté, le club professionnel a tout intérêt à appuyer son développement sur la collectivité :

- c'est en effet en incarnant les valeurs de la ville que le club attirera les spectateurs dans le stade et fera l'objet d'une attention médiatique ;

- pour les sports dont l'activité professionnelle est récente (rugby, basket-ball, volley-ball, handball), le soutien financier apporté par les collectivités territoriales est en outre un atout fondamental (voir supra pour les éléments chiffrés) ;

- mais surtout, dans un pays où les infrastructures sportives sont très majoritairement publiques (seuls les clubs d'Auxerre et d'Ajaccio sont propriétaires de leur stade en ligues 1 et 2), les clubs n'ont pas d'autre choix que de s'appuyer sur les collectivités propriétaires des enceintes sportives .

Votre rapporteur pour avis estime donc qu'il existe bel et bien une communauté d'intérêts entre les clubs professionnels et les collectivités locales qui les pousse à entretenir des relations suivies . Toutefois ce rôle de soutien à des sociétés privées doit avoir des limites et surtout être le plus transparent possible afin que :

- d'une part, les collectivités ne deviennent pas les otages de clubs professionnels très puissants, « faisant jouer la corde sensible » de la renommée sportive de la ville 25 ( * ) , ce qui pourrait entraîner des dérives financières importantes ;

- d'autre part, que l'équité sportive soit maintenue avec un encadrement des interventions publiques, notamment afin d'éviter la course aux subventions entre les collectivités 26 ( * ) .

Cette transparence dans les relations passe probablement par un nouveau mode de partenariat tant sur la question des financements que sur celle de l'utilisation des installations, que votre rapporteur pour avis essaiera d'évoquer sur quelques points de son rapport.

* 19 La loi n° 99-1124 du 28 décembre 1999 a fait de ces seuils des critères alternatifs et non plus cumulatifs, ce qui a permis de faire entrer dans ce cadre les clubs cyclistes professionnels.

* 20 Elles peuvent en tout état de cause le faire même lorsque ces seuils ne sont pas dépassés.

* 21 Jean-François Bourg a quant à lui estimé les subventions directes des collectivités territoriales à 160 millions d'euros par an, soit 12,5 % du total du chiffre d'affaires des clubs, pour 212 clubs évoluant dans 5 disciplines et 14 championnats.

* 22 Jean-François Bourg souligne ce paradoxe de la traditionnelle stabilité de la subvention publique, alors qu'elle a juridiquement la spécificité d'être facultative, précaire et conditionnelle.

* 23 La plupart des spectateurs sont eux-mêmes des sportifs (les seules statistiques dont on dispose à ce titre sont relatives aux personnes interdites de stades, parmi lesquelles 90 % sont licenciées).

* 24 Selon Jean-François Bourg, le commerce réalisé dans les enceintes sportives enrichit les clubs au détriment des autres commerces (effet de transfert), leur chiffre d'affaires se substitue à celui d'autres opérateurs économiques (cinéma, théâtre, ou restaurants, etc.) et les hauts salaires versés aux joueurs sont bien souvent utilisés à l'extérieur de la collectivité (effet de fuite). Les retombées économiques des clubs professionnels sont donc faibles.

* 25 Dans son article sur « le contrôle des collectivités locales sur les associations subventionnées : l'exigence d'efficacité confrontée au quotidien », in Actualité juridique du droit administratif, 2003, Sylvie Schmitt parle de « devoir moral » de soutien au club qui s'impose souvent aux collectivités.

* 26 Cette équité devrait en outre être respectée au niveau européen. C'est la raison pour laquelle M. Jacques Thouroude, président de l'Association nationale des élus en charge du sport, vient de proposer la création d'une direction européenne de contrôle et de gestion des clubs qui contrôle l'endettement des clubs de la même manière que la direction nationale du contrôle de gestion.

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