INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

L'esprit de la LOLF est que chaque programme doit permettre d'atteindre des objectifs concourant à la réalisation d'une mission d'ensemble. Dans cette perspective, les responsables du programme se voient allouer des moyens. La réalisation des objectifs, et donc d'une certaine façon l'adéquation entre les moyens et les missions, se mesure de façon objective grâce à des indicateurs .

Le programme « équipement des forces », communément dénommé « P 146 » d'après son numéro d'ordre dans la nomenclature budgétaire, poursuit deux objectifs :

Ø mettre à la disposition des armées les armements nécessaires au succès des opérations des forces armées ;

Ø assurer une efficience maximale de la dépense d'équipement des forces.

La réalisation du premier objectif est mesurée au travers de l'indicateur « taux de réalisation des équipements » . Pour 2010, cet indicateur devrait varier en fonction des actions budgétaires considérées entre 70 % et 85 % . Le tableau ci-après donne, par grand système de force, le taux de réalisation des équipements.

Source PAP 2010

On constate une progression de réalisation des programmes d'armement d'un taux moyen pondéré de 63,3 % en 2008 à 77,2 % en 2009.

Un autre indicateur de cet objectif , le taux moyen de réalisation des performances techniques des opérations d'armement principales, laisse en revanche apparaître une nette dégradation de la façon dont est rempli l'objectif.

La réalisation du second objectif est mesurée à travers l'indicateur « évolution annuelle moyenne des devis à terminaison des opérations d'armement principales », qui retrace la variation de la somme des devis à terminaison des opérations d'armement principales par rapport à l'année précédente. L'évolution de cet indicateur fait apparaître une amélioration pour 2009 et une détérioration pour 2010. Cet indicateur témoigne de la capacité de la DGA à maîtriser l'évolution des coûts des programmes d'armement.

Afin de permettre aux responsables de ce programme d'atteindre leurs objectifs, le projet de loi de finances pour 2010 leur affecte 13 196 emplois équivalents temps plein travaillé (ETPT), soit 1 111 emplois de moins que l'an dernier (14 307).

Il leur confie 11,4 milliards d'euros de crédits de paiements et 11,7 milliards d'autorisation d'engagement, ce qui représente 30 % de la mission défense. Par comparaison, le P 178 mobilise plus de 23 milliards d'euros, soit près de 60 % des crédits de paiement de la mission défense.

Le P 146 est structuré en cinq actions majeures qui correspondent aux cinq « systèmes de forces » : dissuasion ; engagement et combat ; commandement et maîtrise de l'information ; projection, mobilité, soutien ; protection, sauvegarde. Une sixième action regroupe les activités et moyens de la DGA et des trois armées en matière de préparation et de conduite des opérations d'armement. Une septième action permet d'isoler les parts étrangères et les programmes civils.

Même si les crédits qui lui sont affectés servent à financer aussi bien les équipements militaires proprement dit que les études, les développements et le personnel public nécessaire pour mener ces opérations, le P 146 se singularise des autres programmes par l'importance des investissements qu'il concentre. Pour 2010, 75 % des crédits du programme seront affectés à des dépenses d'investissement pour un total supérieur à 8 milliards d'euros.

Le P 146 est le seul programme budgétaire à être placé sous une double responsabilité, en l'occurrence celle du chef d'état-major des armées (CEMA), le général d'armée Jean-Louis Georgelin, et celle du délégué général pour l'armement (DGA), l'ingénieur général de classe exceptionnelle de l'armement, M. Laurent Collet-Billon. Les compétences de chacun sont fixées par le décret n°2009-869 du 15 juillet 2009.

Le CEMA est responsable de la « cohérence capacitaire des opérations d'armement, des relations internationales militaires et de la définition du format d'ensemble des armées » ; le DGA est responsable de « la recherche, de la conduite des opérations d'armement, de la coopération internationale, de la politique technique ainsi que du maintien et du développement de la base industrielle technologique et de défense (BITD) ».

Bien que les documents budgétaires ne disent rien sur ce point, la principale ligne de partage des responsabilités est la suivante : il revient au CEMA de définir les besoins opérationnels des armées et au DGA de choisir les voies et moyens de satisfaire ces besoins. Entre ces deux chaînes de responsabilité, il faut que le partenariat soit constant et constructif, les itérations nombreuses et la confiance complète. Malgré les interrogations que ce type de gouvernance a pu faire naître lors de sa mise en place, force est de reconnaître qu'il semble fonctionner de façon satisfaisante.

Au-delà de ces précisions, le programme P. 146 présente, du point de vue politique, deux particularités : il occupe une place importante dans l'action de l'Etat ; il est, par construction, budgétairement fragile.

Un programme important

Le programme 146 joue un rôle clef dans l'efficacité de nos forces armées . Certes la qualité des équipements ne suffit pas toujours à se concilier le succès des armes, mais elle y contribue et, à tout le moins, permet en règle générale de réduire les pertes humaines.

L'un des enjeux majeurs pour les responsables de ce programme est de faire en sorte qu'il y ait, en permanence, une adéquation raisonnable entre les armes et la menace. Il s'agit là d'un défi car, entre le moment où les équipements sont conçus et celui où ils sont utilisés, il peut s'écouler une ou plusieurs dizaines d'années et donc une évolution considérable de la menace. Le char Leclerc n'a pas été conçu pour lutter contre les Taliban. Il faut donc, comme l'ambitionne le Délégué général pour l'armement, que la DGA soit en permanence à l'écoute des armées, qu'elle en soit le « partenaire quotidien » et qu'elle soit capable d'« adaptation réactive ».

En second lieu, le P 146 a un impact macro-économique considérable . Avec 8,6 milliards de dépenses d'investissement, ce programme représente 85 % des dépenses d'investissement de la mission défense (10 milliards d'euros), lesquelles représentent elles-mêmes 75 % des dépenses d'investissement de l'Etat (13,45 milliards). Le P 146 représente, à lui seul, 65 % de l'investissement de l'Etat . Cette proportion est beaucoup plus importante que la part de la mission défense dans le budget général : 13 %.

Troisièmement, le P 146 a un rôle structurant sur la politique industrielle .

Les responsables de ce programme vont en effet alimenter, en tant que donneurs d'ordres , une part importante de l'industrie nationale, mais aussi de la recherche et développement . L'industrie de défense concentre en effet une part très importante des technologies dites « stratégiques » pour le futur de l'économie, c'est-à-dire celles où les innovations sont les plus nombreuses et qualitativement les plus importantes. Il suffit pour s'en convaincre de penser à toutes les technologies inventées pour les missiles, l'aéronautique, les satellites, les communications militaires et qui sont ensuite diffusées dans le reste de l'économie.

Comme le relève la Cour des comptes dans son rapport public dont une partie est consacrée cette année aux « industries d'armement de l'Etat », le chiffre d'affaires total des industries de défense françaises était, en 2006, de 15 milliards d'euros. Au sein de ces dernières, les quatre industries (dont trois sociétés) sous contrôle de l'Etat (SNPE dans le secteur des poudres et explosifs, Nexter dans le domaine de l'armement terrestre, DNCS, pour les constructions navales militaires et le service industriel de l'aéronautique (SIAé) au sein du ministère de la défense, en charge de la maintenance du matériel aéronautique des armées) représentaient, la même année, 4,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires et employaient 22 500 personnes. Les principaux groupes industriels privés de défense dont l'actionnariat est en partie ou en totalité français sont : EADS (avions, missiles, espace, hélicoptères, communications), Thales (électronique de défense), Safran (moteurs espace, électronique de défense) et Dassault-Aviation (avions de combat).

Les responsables de ce programme doivent donc veiller à favoriser le maintien et le développement des capacités industrielles et technologiques qui conditionnent l'indépendance nationale . Il est indispensable que nos forces ne dépendent pas pour leurs armes ou leurs systèmes d'armes les plus importants de pays envers lesquels la confiance ne serait pas totale. Là encore, il s'agit d'un défi important pour les responsables de ce programme, qui doivent choisir les armes devant être entièrement fabriquées par les industriels français et celles susceptibles d'être achetées à l'extérieur, bref concilier les garanties de la souveraineté avec le souci d'une bonne gestion des deniers publics.

Par ailleurs, le choix des programmes conditionne largement leur réussite à l'export . Les chefs d'état-major considèrent qu'il est de leur devoir de contribuer au rayonnement des équipements militaires nationaux, tandis que la DGA retient le « soutien à l'exportation » des industriels de l'armement comme l'une de ses principales missions.

Le P 146 constitue ainsi l'un des plus puissants outils de politique industrielle à la disposition de l'Etat. Il est d'une importance capitale que ses responsables se comportent en « investisseurs avisés », pour reprendre l'expression de M. Laurent Collet-Billon. Logiquement, la DGA a été un acteur important du plan de relance. Elle est l'un des rares acteurs étatiques, sinon le seul, capable de contractualiser en si peu de temps un montant si important de commande publique.

Enfin, le programme 146 contribue à la construction européenne. Comme le relève le projet annuel de performances, l'équipement des forces constitue l'un des domaines où l'Europe a enregistré d'importants progrès grâce à des réalisations concrètes, tels les programmes d'armement en coopération comme les hélicoptères Tigre et NH-90, les frégates, les avions de transport, les missiles, l'espace et les avions de combat.

Le Livre Blanc sur la défense nationale officialise la distinction opérée entre les matériels de souveraineté, dont la maîtrise complète, de la conception à la fabrication et au maintien en condition opérationnelle, est considérée comme nécessaire au plan national (dissuasion), ceux dont l'acquisition peut et doit désormais s'envisager en coopération européenne et, enfin, les matériels de moindre importance qui peuvent être approvisionnés sur le marché mondial.

Comme le relève la Cour des comptes dans son rapport précité, la rationalisation de l'industrie européenne, en partie réalisée dans l'industrie aéronautique, reste très insuffisante dans l'armement terrestre et la construction navale. L'Europe dispose ainsi de dix-sept chantiers navals militaires (alors que les Etats-Unis n'en disposent que de quatre) et de dix-sept programmes de véhicules blindés, là ou une demi-douzaine suffirait.

Par les effets de levier qu'ils comportent, les crédits du P 146 peuvent et doivent être utilisés au profit de la construction européenne. Cela n'est pas toujours facile et se heurte à des réalités industrielles difficiles à dépasser, comme a pu le constater le Sénat dans le cas de l'avion de transport militaire A400M, notamment en raison de la règle dite du « juste retour » 1 ( * ) .

Un programme constamment menacé

Étant composé pour l'essentiel de dépenses d'investissements, le P 146 constitue, par nature, une « variable d'ajustement » idéale pour tous les responsables budgétaires en difficulté. Il est en effet beaucoup plus facile de supprimer ou d'étaler dans le temps des commandes d'équipements militaires que de faire des économies sur d'autres postes budgétaires.

Rappelons qu'afin de respecter « l'équation budgétaire impossible » imposée par les critères de Maastricht pour mettre en place l'euro, la loi de programmation militaire 1997-2002 avait été financièrement sous-exécutée, provoquant une forte érosion de l'effort d'équipement militaire.

Dès 1998, une « encoche » dans le niveau de ressources prévu par la loi avait été effectuée. Après des annulations de crédits sur les lois de finances successives, elles-mêmes inférieures aux annuités prévues, la première des trois lois de programmation qui devaient conduire à la réalisation du modèle d'armées 2015 a été amputée d'un sixième, soit une annuité entière.

De la même façon, la dernière loi de programmation 2003-2008 a été globalement sous-exécutée et ce sont les équipements militaires qui en ont le plus souffert.

Le programme 146 doit donc faire l'objet d'une grande attention de la part du Parlement. C'est, en particulier, la raison d'être du contrôle budgétaire trimestriel, exercé conjointement par les deux assemblées depuis quelques années.

Vos rapporteurs effectueront tout d'abord une présentation d'ensemble du programme avant de détailler l'avancement des opérations d'équipement par actions et sous-actions.

* 1 Voir rapport Sénat - Jean-Pierre Masseret et Jacques Gautier, l'Airbus militaire A400M sur le chemin critique de l'Europe de la défense - n° 205 - 10 février 2009

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