N° 573

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 juin 2010

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi , MODIFIÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, de réforme des collectivités territoriales ,

Par M. Jacques LEGENDRE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, MM. Jean-Pierre Plancade, Jean-Claude Carle , vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Jean-Claude Etienne, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mlle Sophie Joissains, Mme Marie-Agnès Labarre, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, M. Alain Le Vern, Mme Christiane Longère, M. Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Philippe Nachbar, Mme Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Roland Povinelli, Jack Ralite, Philippe Richert, René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

Voir le(s) numéro(s) :

Première lecture : 60 , 169, 170 , 198 et T.A. 57 (2009-2010)

Deuxième lecture : 527 , 552 , 559, 560 et 574 (2009-2010)

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) :

Première lecture : 2280 , 2459 , 2510 , 2516 et T.A. 472

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 8 juin dernier, l'Assemblée nationale a adopté le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, en modifiant profondément l'économie de son titre IV consacré à la « clarification des compétences des collectivités territoriales ».

À l'origine, l'article 35 se limitait à poser les principes directeurs devant guider l'élaboration d'une future loi de clarification des compétences des collectivités territoriales. Au nombre de ces principes figuraient la spécialité et l'exclusivité des compétences des départements et des régions.

Considérant que cette rédaction fixait un cap politique pour le législateur dépourvu de portée normative immédiate, nos collègues députés ont souhaité en préciser le contenu dès le présent projet de loi. En conséquence, le titre IV ainsi modifié, d'une part, limite l'exercice de la clause de compétence générale du département et de la région et, d'autre part, encadre le recours aux financements croisés entre plusieurs niveaux de collectivités.

Votre commission aurait préféré examiner un texte spécifique sur les compétences des collectivités territoriales . Mais, compte tenu de l'impact de ces modifications sur l'intervention des départements et des régions dans les domaines de la culture et du sport, elle a décidé, suivant une démarche inhabituelle, de se saisir en deuxième lecture du titre IV du projet de loi.

L'enjeu est en effet d'importance quand on sait que les collectivités territoriales participent pour environ 80 %, hors Paris, au financement des activités artistiques et culturelles et qu'elles assurent près des deux tiers des efforts financiers publics pour l'organisation des pratiques sportives.

Votre commission se félicite du maintien d'une compétence partagée entre les communes, les départements et les régions en matière culturelle et sportive, qu'elle estime indispensable à la préservation de l'ensemble des concours financiers des collectivités territoriales . Elle souhaite que la notion de chef de file et de coordonnateur de l'action territoriale dans l'exercice de cette compétence soit mieux exploitée, pour permettre l'articulation par voie conventionnelle des interventions des différents échelons locaux. À cet égard, votre rapporteur considère que l'accord local doit être privilégié pour clarifier les rôles et encourager la participation des différentes instances pour porter un projet culturel commun : la souplesse souhaitée par tous ne doit pas empêcher la coordination, comme c'est le cas à travers les établissements publics de coopération culturelle (EPCC) dont la création résulte d'une initiative de votre commission.

Votre commission approuve donc le texte adopté par la commission des lois qu'elle propose de préciser sur deux points : d'une part, pour rendre obligatoire l'élaboration des schémas d'organisation des compétences et de mutualisation des services dans les six mois suivant l'élection des conseillers territoriaux ; d'autre part, pour étendre la clause de compétences partagées aux subventions accordées par les collectivités territoriales au secteur associatif .

I. LES COMPÉTENCES CULTURE ET SPORT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

A. LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES CULTURELLES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Le domaine culturel a été massivement investi par les collectivités territoriales. Si l'intervention de ces dernières dans ce domaine a été impulsée par le mouvement de décentralisation culturelle, l'action culturelle locale ne s'est cependant pas limitée aux transferts de compétences et relève, en grande partie, de la politique volontariste conduite par les collectivités 1 ( * ) . Ainsi lors du vote des lois de décentralisation, les collectivités territoriales se sont déjà vu reconnaître de fait, soit en partenariat avec l'État, soit de leur propre initiative une place essentielle dans l'action culturelle. Le poids croissant des dépenses locales consenties au domaine culturel suffit à témoigner de la vitalité des collectivités territoriales dans ce domaine, dont elles sont désormais des acteurs incontournables . Leurs compétences en la matière couvrent aujourd'hui un large champ de domaines : archives, lecture publique, patrimoine, musées, enseignements artistiques, spectacle vivant, cinéma, audiovisuel...

De plus, dans l'esprit du législateur, la décentralisation culturelle a répondu à une logique non pas de « blocs de compétences » ou de spécialisation des compétences mais d'exercice conjoint d'une compétence générale par chacun des niveaux de collectivités publiques. Ainsi, le domaine culturel illustre bien le partage des compétences, la diversité des missions rendant délicate l'attribution de cette compétence à un seul niveau d'administration.

Néanmoins, la répartition des compétences culturelles entre les collectivités publiques n'échappe pas à une interrogation sur une clarification et une redéfinition des compétences, à la fois entre les collectivités elles-mêmes mais aussi entre les collectivités et l'État. D'un côté, il est indéniable que l'addition des initiatives et des financements est vitale dans un domaine comme celui-ci. D'un autre côté, néanmoins, des inconvénients liés à l'enchevêtrement des compétences (excès des financements croisés, manque de cohérence entre les interventions, empilement de dispositifs juridiques complexes...) sont soulignés et les collectivités, très attachées à leur compétence culturelle, sont aussi dans l'attente d'une évolution vers plus de décentralisation.

1. Le rôle des collectivités publiques dans le domaine culturel : des compétences partagées

La loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État attribue une compétence générale aux différents niveaux de collectivités : « la commune, les départements et les régions concourent, avec l'État, à l'administration et à l'aménagement du territoire, au développement économique, sanitaire, culturel et scientifique et à l'amélioration du cadre de vie ».

A divers degrés, les compétences culturelles sont donc partagées entre les collectivités, au titre de la clause générale de compétence. En effet, si certaines compétences relèvent de manière privilégiée d'un niveau de collectivité - ainsi en est-il notamment de la compétence des départements en matière d'archives - aucune collectivité publique n'exerce le monopole d'une des compétences culturelles transférées. Chaque niveau de collectivités territoriales est compétent pour intervenir dans l'ensemble des fonctions culturelles, l'État restant, dans tous les cas, le garant de la cohérence nationale, par l'édiction de règles et l'exercice du contrôle scientifique.

Par ailleurs, rappelons que le rôle des collectivités territoriales en matière culturelle a été progressivement élargi au fil des différentes étapes de la décentralisation culturelle. Les premières lois de décentralisation ont d'abord confirmé les compétences exercées par les collectivités territoriales dans le domaine culturel, sans prendre la mesure du dynamisme que celles-ci y avaient déjà manifesté et les transferts de compétence prévus par les lois n° 83-8 du 7 janvier et n° 83-663 du 22 juillet 1983 sont restés limités. Ainsi, aux termes de la loi du 22 juillet 1983, complétant la loi du 7 janvier 1983, qui comporte une section consacrée à l'environnement et à l'action culturelle, la compétence de chaque niveau de collectivité territoriale est reconnue dans cinq domaines : création et gestion des bibliothèques, création et gestion des musées, création et gestion d'établissements d'enseignement public des arts plastiques, conservation des archives. Par la suite, certains textes ont offert aux collectivités territoriales la possibilité d'élargir le domaine de leur action culturelle : protocoles de décentralisation en 2001, loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité et loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.

a) Conservation et diffusion du patrimoine culturel
(1) Archives

Aux termes de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, les collectivités territoriales sont propriétaires de leurs archives et en assurent elles-mêmes la conservation et la mise en valeur.

L'article 66 de la loi précitée attribue néanmoins une compétence privilégiée aux départements, tenus de recevoir et gérer les archives des services déconcentrés de l'État et pouvant également recevoir des archives communales (celles des communes de moins de 2 000 habitants doivent y être versées) ou, par convention, les archives des régions.

Certains décrets, notamment le décret n° 88-849 du 28 juillet 1988 relatif au contrôle scientifique et technique de l'État sur les archives des collectivités territoriales, tendent cependant à confirmer les pouvoirs de l'État dans ce domaine.

(2) Lecture publique

Pour ce qui concerne la lecture publique, la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État a confié aux communes l'organisation et le financement des bibliothèques municipales, et aux départements la responsabilité des bibliothèques centrales de prêt, auparavant créées et gérées par la direction du livre du ministère chargé de la culture. Il faut néanmoins attendre le décret n° 86-102 du 20 janvier 1986 pour que les transferts prévus par la loi du 22 juillet 1983 en matière de bibliothèques puissent être pleinement effectifs. Le transfert de compétence n'a toutefois pas été total. Les personnels scientifiques de l'État, les conservateurs, ont conservé le statut qui leur était applicable avant 1983. Les autres personnels peuvent choisir d'appartenir à la fonction publique de l'État ou à la fonction publique territoriale.

La loi n° 92-651 du 13 juillet 1992 relative à l'action des collectivités locales en faveur de la lecture publique et des salles de spectacles cinématographiques crée une nouvelle catégorie de bibliothèque municipale : les bibliothèques municipales à vocation régionale (BMVR), leur financement devant être assuré par l'augmentation de la dotation générale de décentralisation des communes.

Depuis le début des années 2000, un nombre croissant de communes transfèrent la gestion de leur bibliothèque à une communauté d'agglomération ou à une communauté de communes : on parle alors de bibliothèque intercommunale.

Cependant, les compétences des collectivités dans ce domaine restent encadrées par l'État. L'activité des bibliothèques des collectivités territoriales demeure soumise au contrôle technique de l'État, d'après le décret n° 88-1037 du 9 novembre 1988 relatif au contrôle technique de l'État sur les bibliothèques des collectivités territoriales, complété par le décret du 8 novembre 1990 qui étend ce contrôle aux bibliothèques centrales.

(3) Patrimoine

Sauf quelques avancées ponctuelles, la politique du patrimoine est restée, jusqu'à la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, à l'écart des transferts de compétence. La loi du 31 décembre 1913 relative aux monuments historiques attribuait en effet à l'État la protection et la conservation des monuments historiques.

La loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, rappelle que le « territoire français est la patrimoine commun de la nation ». Elle définit, à l'article 70 (section II, chapitre IV intitulé « De la sauvegarde du patrimoine et des sites »), dans le cadre de la décentralisation des compétences d'urbanisme, une organisation spécifique au domaine de l'architecture et du patrimoine, en prévoyant la création des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP). Ce texte associe les conseils municipaux à l'élaboration de documents d'urbanisme spéciaux pour les abords des monuments historiques mais il n'attente cependant pas aux prérogatives de l'État en matière de protection du patrimoine. Celles-ci sont exercées par les préfets de région et les architectes des bâtiments de France, dont l'avis lie la collectivité territoriale en matière de protection, de restauration des monuments historiques ou d'aménagement d'une ZPPAUP.

La loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité dans son article 112, ouvre une possibilité de recours contre les avis des architectes des Bâtiments de France et crée une instance spécifique de recours au sein de la Commission régionale du patrimoine et des sites. La loi tente, par ailleurs, de promouvoir un nouveau partage des compétences et, dans cette perspective, prévoit des expériences de décentralisation en matière de patrimoine. Les collectivités territoriales sont autorisées à exercer, à titre d'expérimentation et pour une durée maximale de trois ans, les compétences de l'État en matière d'inscription à l'Inventaire supplémentaire 2 ( * ) , de financement des travaux sur les monuments inscrits mais également l'autorisation de ces travaux. Les modalités de l'expérimentation, et notamment la compensation financière des charges transférées, doivent être définies par une convention conclue entre l'État et la collectivité intéressée.

En juillet 2002, dans le cadre de la préparation d'une nouvelle loi de programme pour le patrimoine, le ministre de la culture et de la communication, M. Jean-Jacques Aillagon, a confié à M. Jean-Pierre Bady, conseiller-maître à la Cour des Comptes, la conduite d'une mission pour une meilleure répartition de compétences entre l'État et les collectivités locales en matière de protection du patrimoine. Ce rapport conserve à l'État tous ses pouvoirs, à l'exception de l'Inventaire général du patrimoine confié aux régions, ce que la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales viendra confirmer. En revanche, notre collègue Yann Gaillard, dans son rapport « 51 mesures pour le patrimoine monumental » 3 ( * ) , a proposé notamment une évolution inéluctable vers plus de décentralisation.

Si tous les niveaux de collectivités sont propriétaires de monuments historiques, la loi de 2004 précitée consacre, dans son article 95, le transfert aux régions de la gestion et de la conduite de l'Inventaire général du patrimoine culturel. Celles-ci peuvent ensuite confier aux autres collectivités et groupements volontaires la conduite des opérations 4 ( * ) .

En outre, cette loi :

- d'une part, transfère à titre expérimental, à la région et, à l'initiative du Sénat, au département, la gestion décentralisée des crédits d'État affectés à l'entretien et à la restauration des immeubles, orgues et objets classés ou inscrits au titre de la loi du 31 décembre 1913, n'appartenant pas à l'État ;

- et d'autre part, aux termes de l'article 99, transfère aux départements, des crédits inscrits au budget de l'État en faveur du patrimoine rural non protégé.

Enfin, les collectivités peuvent se voir transférer la propriété de monuments classés ou inscrits et des objets qu'ils renferment, appartenant à l'État ou au Centre des monuments nationaux et figurant sur une liste établie par décret en Conseil d'État.

(4) Musées

Chaque niveau de collectivité locale peut également créer et gérer des musées, les personnels de musées pouvant choisir leur statut de la même façon que les personnels de bibliothèques.

Depuis la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002, les collectivités territoriales jouissent du droit d'obtenir l'appellation « musée de France ».

La loi n° 2004-809 du 13 août 2004, dans son article 98, introduit des dispositions qui encouragent le prêt des oeuvres d'art appartenant à l'État et dont les musées nationaux ont la garde, aux musées de France relevant des collectivités territoriales.

(5) Archéologie préventive

Le cadre légal de l'archéologie préventive est défini par le Livre V du code du patrimoine, notamment par son titre II qui codifie la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive. La loi précitée a créé un établissement public, l'INRAP - Institut national de recherches archéologiques préventives - qui a pour mission d'exécuter sur le territoire national les opérations d'archéologie préventive prescrites par les services de 1'État.

Depuis la loi n° 2003-707 du 1 er août 2003, l'État partage cette mission avec les autres opérateurs agréés de l'archéologie préventive que sont les services archéologiques des collectivités territoriales, pour les diagnostics et les fouilles, et les structures de droit privé, pour les fouilles uniquement.

b) Enseignements artistiques

Précisons tout d'abord que l'éducation artistique est confiée aux établissements scolaires, afin que tous les élèves aient accès à des connaissances et à une pratique artistique à l'école ; alors que l'enseignement artistique est dispensé par le réseau des conservatoires et des écoles de musique, danse ou théâtre, qui s'est développé, d'abord sous l'impulsion de l'État, puis surtout à l'initiative des collectivités territoriales, en particulier des communes. Ce réseau a pour double mission de former les futurs musiciens professionnels et de permettre le développement des pratiques artistiques.

La loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, a prévu que les écoles d'art peuvent, en accord avec la collectivité, être classées ou agréées par l'État. Dans ce cas, l'État définit les qualifications exigées du personnel enseignant, assure le contrôle de leurs activités ainsi que le fonctionnement pédagogique des établissements. Ce classement offre certes une garantie de qualité, mais il implique également de nombreuses contraintes sur lesquelles les collectivités territoriales ne peuvent influer.

En outre, elle avait prévu que les établissements d'enseignement public de la musique, de la danse et de l'art dramatique relèvent de l'initiative et de la responsabilité de chaque niveau de collectivité locale. Cette décentralisation est cependant réduite, du fait que la compétence de l'État demeure totale dans le domaine de l'enseignement général. Le pouvoir de programmation des enseignements artistiques, de musique et de danse que reçoivent les enfants scolarisés reste donc après les lois de décentralisation, une compétence étatique.

Toutefois, les articles 101 et 102 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, dans le domaine des enseignements artistiques ont précisé les responsabilités respectives des différentes collectivités. Premièrement, cette loi confie aux communes et à leurs groupements les responsabilités déjà exercées en termes d'organisation et de financement des missions d'enseignement initial et d'éducation artistiques des établissements. Précisons que les missions d'éducation artistique sont exercées en liaison avec les établissements scolaires. Deuxièmement, elle confie aux départements l'élaboration dans les deux ans suivant l'entrée en vigueur de la loi d'un « schéma départemental de développement des enseignements artistiques » dans les domaines de la musique, de la danse et de l'art dramatique, en concertation avec les communes concernées. Ce schéma fixe les principes d'organisation des enseignements artistiques pour améliorer l'offre et les conditions d'accès à cet enseignement. Enfin, la loi confie aux régions l'organisation et le financement du cycle d'enseignement professionnel initial, le CEPI, désormais sanctionné par un diplôme national d'orientation professionnelle, le DNOP, et intégré au plan régional de développement des formations professionnelles, le PRDF.

Quant à l'État, il continue d'exercer ses prérogatives en matière de classement et de contrôle pédagogique des établissements, ainsi que de définition des qualifications des enseignants. Il conserve en outre la responsabilité des établissements d'enseignement supérieur artistique. En parallèle, la loi a prévu le transfert aux départements et aux régions des crédits que l'État continue d'apporter à ces établissements. L'un des objectifs était de rééquilibrer une charge financière pesant à près de 80 %, voire davantage, sur les communes.

Ainsi que notre collègue Catherine Morin-Desailly l'a démontré dans son rapport d'information sur la décentralisation des enseignements artistiques 5 ( * ) : « cette loi a été porteuse d'une ambition louable en faveur des enseignements artistiques en clarifiant les compétences des collectivités publiques et les financements . Toutefois, alors que cette réforme a suscité de très fortes attentes chez les élèves et leurs parents, chez les professionnels ainsi que chez les élus, sa mise en oeuvre est toujours « en panne » 5 ans après son adoption » .

c) Spectacle vivant

Depuis les lois de décentralisation de 1982, les collectivités territoriales sont devenues des soutiens majeurs du développement du spectacle vivant et représentent aujourd'hui plus de 70 % du financement public de ce secteur.

La loi n° 99-198 du 18 mars 1999 portant modification de l'ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles rappelle, dans son article 1-2, que « les entreprises de spectacles vivants peuvent être subventionnées par l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements et établissements publics dans le cadre de conventions ». En outre, elle a étendu aux départements d'outre-mer l'application de l'ordonnance du 13 octobre 1945 précitée et leur a donc offert la possibilité de subventionner les entreprises de spectacles vivants.

Ce texte prévoit également que les collectivités territoriales et leurs groupements dotés d'une fiscalité propre peuvent exonérer de taxe professionnelle, jusqu'à 100 %, les théâtres nationaux, les autres théâtres fixes, les tournées théâtrales et les théâtres démontables exclusivement consacrés à des spectacles d'art dramatique, lyrique ou chorégraphique, les concerts symphoniques, etc. Cette disposition encourage les collectivités locales à apporter leur soutien financier aux entreprises de spectacles vivants, sous forme d'exonération d'impôt.

Pour ce qui le concerne, l'État apporte son soutien à quatorze établissements publics (l'Opéra national de Paris, les cinq théâtres nationaux, la Cité de la Musique...) et travaille en partenariat étroit avec les collectivités territoriales, principalement avec les régions. Il s'appuie sur un réseau dense de structures de création et de diffusion réparties sur l'ensemble du territoire et financées en partenariat avec les collectivités territoriales (dont, notamment, 39 centres dramatiques, 70 scènes nationales, 19 centres nationaux, 19 centres chorégraphiques...). Le partenariat avec les collectivités territoriales est quasiment toujours majoritaire, sauf pour les Centres dramatiques nationaux, dans le soutien aux réseaux financés par l'État dans les champs de la création et de la diffusion du spectacle vivant et des arts plastiques, mais dans des proportions variables : quand l'État est présent, les collectivités assurent les deux tiers du financement public des structures de création, les trois quarts de celui des structures et lieux de diffusion et près de la moitié du financement des équipes artistiques.

d) Cinéma et audiovisuel

En application de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, les collectivités peuvent mettre en oeuvre des dispositifs d'aides directes, sur la base desquelles elles peuvent apporter leur soutien aux entreprises de production cinématographique et audiovisuelle.

En effet, en l'absence de dispositions législatives et réglementaires spécifiques concernant l'intervention des collectivités en faveur des entreprises de production cinématographique et audiovisuelle, ces aides entrent dans le cadre du régime de droit commun des interventions économiques des collectivités territoriales.

L'article L. 1511-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), tel que modifié par la loi précitée, dispose désormais que les aides directes, revêtant la forme de subventions, de bonifications d'intérêt ou de prêts et avances remboursables, sont attribuées par la région après délibération du conseil régional, les départements, les communes ou leurs groupements pouvant participer au financement de ces aides dans le cadre d'une convention avec la région.

L'essentiel du financement de la création et de la production cinématographique et audiovisuelle est assuré par les régions, qui ont mis en place, dans les années 1980, des fonds régionaux d'aide à la création et à la production cinématographique et audiovisuelle. La vitalité de ces financements est alimentée par la signature, depuis 1989, de conventions de développement cinématographique et audiovisuel entre les collectivités territoriales, l'État et le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC).

À ces conventions conclues avec les régions peuvent, le cas échéant, s'associer des collectivités infra-régionales, sachant qu'en application du CGCT, la région coordonne les actions de développement économique de l'ensemble des collectivités situées sur son territoire.

En dehors du financement de la création et de la production cinématographique et audiovisuelle, les collectivités territoriales ont la possibilité d'accorder des subventions en faveur de l'exploitation cinématographique.

Ainsi, la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, modifiant la loi n° 92-651 du 13 juillet 1992 relative à l'action des collectivités locales en faveur de la lecture publique et des salles de spectacles cinématographiques, les autorise à attribuer des subventions à des entreprises existantes exploitant des salles de spectacle cinématographiques. Ces aides sont soumises à un seuil de fréquentation (moins de 7 500 entrées hebdomadaires) et incluent désormais l'ensemble des établissements bénéficiant d'un classement « art et essai ».

D'autre part, la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007 met en place un dispositif d'exonération d'impôt par les collectivités territoriales des établissements de spectacles cinématographiques soumis à différentes modalités 6 ( * ) .

À l'heure actuelle, on estime qu'une salle de cinéma sur cinq est gérée directement ou indirectement par une commune.

2. Un concours financier considérable consenti par les collectivités territoriales au domaine culturel

Les communes, départements, régions ainsi que, désormais, les groupements de communes, sont aujourd'hui des acteurs majeurs du financement public de la culture. Très attachées à leur compétence culturelle, les collectivités territoriales ont massivement investi ce domaine et les crédits qu'elles lui consacrent sont plus de deux fois supérieurs au budget du ministère de la culture . D'après une étude récente 7 ( * ) , les dépenses culturelles locales représentaient environ 7 milliards d'euros en 2006 .

a) Le poids prépondérant des villes

Propriétaires de la plupart des équipements culturels et monuments historiques, les communes de plus de 10 000 habitants ont un poids prépondérant dans les dépenses culturelles locales : en 2006, leur effort financier dans le domaine culturel s'élève à 4,4 milliards d'euros, soit en moyenne 8,1 % de leur budget , avec un effort culturel plus marqué en fonctionnement (9,3 % de leur budget total) qu'en investissement (5,7 % de leur budget total).

38 % des dépenses culturelles de ces communes sont consacrées à la conservation et à la diffusion des patrimoines (bibliothèques, musées, archives, entretien du patrimoine culturel). Leur effort financier est similaire en ce qui concerne le soutien à la création et à l'expression artistique (expression musicale, lyrique et chorégraphique ; arts plastiques ; cinémas et autres salles de spectacle ; théâtres). Leur intervention dans le domaine de l'action culturelle 8 ( * ) s'établit à 18 % de leurs dépenses culturelles.

LES DÉPENSES CULTURELLES DES COMMUNES PAR DOMAINE EN 2006

Source : Les dépenses culturelles des collectivités locales en 2006, MCC/DEPS, 2009

b) Les départements

Le domaine culturel représente en moyenne 2,2 % des budgets départementaux , soit 1,3 milliard d'euros, avec un poids variant dans une proportion de 1 à 8.

Les principales missions des départements concernent la conservation et la diffusion des patrimoines (54 % des dépenses culturelles) : archives et bibliothèques départementales, musées départementaux, soutien au patrimoine non protégé des communes, majoritairement rurales.

40 % de leurs dépenses regroupent essentiellement des subventions à des associations et à des communes ou leurs groupements en faveur de l'expression artistique et de l'action culturelle.

RÉPARTITION DES DÉPENSES CULTURELLES DES DÉPARTEMENTS
PAR SECTEUR EN 2006

Source : Les dépenses culturelles des collectivités locales en 2006, MCC/DEPS, 2009

c) Les régions, une intervention essentiellement fondée sur des subventions

Les dépenses culturelles des régions s'élèvent à 556 millions d'euros, soit en moyenne 2,5 % des budgets régionaux, avec un poids variant de 1,6 % à 4 % .

La subvention est la principale modalité d'intervention culturelle des régions. Ainsi, 78 % de leurs dépenses sont consacrées au versement de subventions notamment aux communes ou à leurs groupements et à des acteurs privés en faveur de l'expression artistique et de l'action culturelle (soutien à la création, audiovisuel et cinéma, orchestres, théâtres, grands évènements et festivals, fonds régionaux d'art contemporain, formations artistiques).

20 % de leurs dépenses concernent la conservation et la diffusion des patrimoines (monuments, archives, musées...).

d) La montée en puissance de l'intercommunalité culturelle

Une place émergente est attribuée à l'action intercommunale : 66 % des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ont adopté la compétence culturelle et les trois quarts sont « actifs » en matière culturelle (ayant ou non adopté la compétence) 9 ( * ) .

Les groupements à fiscalité propre dotés de la compétence culture y consacrent 840 millions d'euros. Ils interviennent notamment dans le financement ou la gestion d'équipements structurants transférés : 44 % sont des lieux de lecture publique, 17 % des écoles de musique, de danse ou de théâtre, 16 % des lieux de spectacle vivant. Cette intervention permet un partage des « charges de centralité » pesant sur les villes. Elle favorise en outre un aménagement plus cohérant du territoire, une mise en réseau des structures voire une harmonisation des tarifs (pour les écoles de musique par exemple).

3. L'engagement du Gouvernement en faveur du maintien d'une compétence partagée des collectivités territoriales en matière culturelle

Lors de la présentation de ses voeux au monde de la culture le 7 janvier 2010, le Président de la République a déclaré que « toutes les collectivités, des communes aux régions en passant par les intercommunalités et les départements, continueront à exercer leur compétence culturelle après le vote de la loi réformant les responsabilités des collectivités territoriales ».

S'appuyant sur cette déclaration, le ministre de la culture et de la communication, M. Frédéric Mitterrand, a assuré dans une tribune du journal Libération, le 7 mai 2010, qu'il fera « tout pour que la volonté du Président de la République de conserver à la culture son caractère de compétence partagée entre l'ensemble des collectivités territoriales soit bien suivie d'effet ».

Dans sa réponse à une question écrite posée par Mme Marie-Lou Marcel, député, le 19 janvier 2010, le ministère de la Culture et de la Communication a rappelé, concernant la suppression de la clause générale de compétence pour les départements et les régions, que le projet de texte laissait ouvert, tel qu'il était alors rédigé, « la possibilité, à titre exceptionnel, de compétences partagées entre les collectivités » et il a précisé que « la culture [rassemblait] suffisamment de spécificités pour entrer précisément dans le champ de cette exception ». Le ministère a également pris soin de préciser que « le souhait du Gouvernement, et avant celui du Président de la République, [était] très clair : il consiste à ce que toutes les collectivités continuent à exercer leur compétence culturelle une fois que la loi réformant les responsabilités des collectivités locales sera votée ». La nécessité de compétences partagées a donc toujours été clairement affirmée par les Pouvoirs publics.


* 1 Ce point précis fait l'objet d'un développement plus approfondi au chapitre V de la première partie du rapport d'information fait au nom de la mission commune d'information chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer des améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales, fait par M. Michel MERCIER, Sénat, n° 44, 28 juin 2000.

* 2 Seconde mesure de protection à côté de la procédure de classement au titre des monuments historiques.

* 3 Rapport d'information du Sénat n°378 (2001-2002) de M.  Yann Gaillard, sur une mission de contrôle sur l'action en matière de patrimoine.

* 4 Le transfert de personnels chargés de l'inventaire est intervenu au 1 er janvier 2007.

* 5 « Décentralisation des enseignements artistiques : des préconisations pour orchestrer la sortie de crise » - Rapport d'information n° 458 (2007-2008) du 9 juillet 2008n présenté par Mme Catherine Morin-Desailly

* 6 Voir l'annexe sur les aides régionales au cinéma.

* 7 « Les dépenses culturelles des collectivités locales en 2006 », Culture Chiffres n° 2009-3, mars 2009.

* 8 L'expression artistique, la conservation et la diffusion du patrimoine ainsi que l'action culturelle constituent les trois domaines de la nomenclature comptables des dépenses culturelles des communes et de leurs groupements.

* 9 « L'intercommunalité culturelle en France », Rapport d'étude conduit sous la direction d'Emmanuel Négrier, Julien Préau et Philippe Teillet, Observatoire des politiques culturelles, février 2008.

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