INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le programme 146 d'équipement des forces présente cinq singularités.

1. Ce programme contribue de façon déterminante à l'efficacité de notre outil de défense, car si la qualité des armes ne fait pas toute la valeur des armées, elle y contribue de façon critique. Et c'est bien grâce à la supériorité technologique de leurs armes, en particulier celles de la dissuasion, celles de la frappe dans la profondeur et celles permettant la connaissance et la maîtrise de l'information, que les armées occidentales, peuvent aujourd'hui faire face à un large spectre de menaces avec un nombre de combattants extrêmement réduit par rapport au passé. Le programme 146 ne regroupe pas toutes les « dépenses d'équipement ». Cet agrégat inclut les crédits de munitions et de maintien en condition opérationnelle ainsi que certains crédits de recherche et d'infrastructures inscrits dans les autres programmes de la mission défense. La part relative de ces dépenses d'équipements dans l'effort de défense dessine le « mix capacitaire » et par conséquence la physionomie de nos forces armées. La séquence budgétaire qui s'achève a donné la priorité aux équipements, avec un point haut en 2009-2010, lié en partie au plan de relance de 2009, et un quasi-retour au statu quo ante pour 2013. La politique menée ces dernières années s'est efforcée de dessiner un outil de défense avec moins de personnels, mais de meilleurs matériels.

Source : ministère de la défense 2 ( * )

2. Avec 7,5 milliards de crédits de paiement en titre 5 , le P 146 concentre 85 % des crédits d'investissements de la mission « Défense » et représente à lui seul les deux tiers (64,3 %) des investissements de l'Etat 3 ( * ) . Ce programme est donc le principal canal de transmission des impulsions de la politique industrielle française sur l'économie de la défense, ses entreprises grandes et petites. Or ce secteur représente 165 000 emplois directs et pèse quinze milliards d'euros de chiffre d'affaires, dont le tiers à l'exportation. Le P 146 joue également un rôle majeur dans l'orientation de la R&T, d'autant plus important que la Délégation Générale pour l'Armement (DGA) assume dans les faits le pilotage des 706 millions de crédits de paiement d'études amont 4 ( * ) inscrits au programme 144 - environnement et prospective de la défense - dont l'orientation est étroitement imbriquée à l'équipement des forces 5 ( * ) . La DGA est, compte tenu de l'importance de la commande publique, le principal donneur d'ordres et le premier contracteur étatique. Elle est l'outil de politique industrielle le plus efficace entre les mains de l'Etat, comme elle l'a du reste montré lors du plan de relance de 2010. Pour ces raisons, toute politique industrielle passe nécessairement en France par l'économie de la défense.

3. Le P 146 est un Janus budgétaire, dont le pilotage est partagé entre le chef d'état-major des armées, en charge de l'expression du besoin opérationnel, et le délégué général pour l'armement, comptable de sa satisfaction, mais également sensible à l'émergence et au maintien des capacités industrielles militaires critiques. Cette cogestion, cas unique dans l'organisation budgétaire, a été mise en place par la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) dès 2006. Elle a fonctionné, jusqu'à présent, à la satisfaction des intéressés pour ce qui est des hommes et des structures. Pour autant, l'absence de définition claire et affichée d'une stratégie d'acquisition par l'Etat - comme cela était pourtant prévu par le Livre blanc de 2008 - a laissé parfois trop de place aux seules considérations de stratégie industrielle. L'exemple des drones MALE est topique de cette situation qui a conduit à une écoute excessive des préoccupations des industriels, au détriment des capacités opérationnelles de nos forces. Il serait souhaitable qu'un meilleur équilibre soit trouvé entre ces deux stratégies, également légitimes, et que les outils d'arbitrage tel que le comité ministériel d'investissement fonctionnent de façon plus efficace.

4. Le P 146, pour toute une série de raisons dont la plus importante est la longue durée de développements des équipements militaires, est un programme à forte inertie. Il est donc difficile d'en modifier l'allure ou d'en changer le cap par des manoeuvres d'urgence . Les causes de cette inertie sont multiples. Elles tiennent en particulier à l'importance relative des dépenses de R&D conjuguée à l'étroitesse des séries de production. Afin d'étaler les coûts non récurrents sur des séries longues tous les Etats se sont efforcés de réaliser des programmes en coopération, ou d'étaler dans le temps leur production nationale, parfois de façon excessive. Par ailleurs, les efforts financiers sont concentrés sur un nombre restreint de programmes. Les dix plus importants « programmes à effet majeur » (PEM) totalisent près de la moitié des crédits de paiement pour 2013. Les conséquences de cette spécificité sont nombreuses. La plus pernicieuse est le risque d'inadéquation entre un outil de défense dessiné pour le long terme et une menace qui évolue dans le court terme. Une autre conséquence est qu'il est difficile et peu avantageux de modifier la cible de programmes en cours, compte tenu des modalités habituelles de révision des contrats d'armement. On ne renonce pas à acheter une frégate ou des avions de combat comme on renonce à acheter une voiture de série. C'est pour cette raison que les marges de manoeuvre du P 146 sont réduites et que la tentation habituelle est de reporter les programmes.

5. Enfin, et de façon paradoxale, malgré son importance pour l'industrie nationale, sa contribution décisive à la défense du pays et sa forte inertie budgétaire, le P 146 est un programme constamment menacé. Ces menaces sont d'autant plus fortes que les autres postes de dépenses, au sein de la mission défense, sont encore plus inertes, en particulier la rémunération des personnels. C'est la raison pour laquelle il est rare que les lois de programmation militaires soient intégralement respectées. Si la défense joue parfois le rôle d'une « variable d'ajustement budgétaire », le P 146 est la variable de cette variable. Cette élévation au carré du risque entraîne des effets pervers en série, dont le plus important tient sans doute au fait que les industriels de l'armement répercutent dans leurs prix l'incertitude pesant sur la parole de l'Etat.

En cette année de transition, vos rapporteurs souhaitent remettre en perspective l'équipement des forces au sein de la mission défense (chapitre I.) avant de présenter les dispositions spécifiques du projet de loi de finances (chapitre II.) et détailler l'avancement des opérations d'équipement par actions et sous-actions (chapitre III.).


* 2 Les dépenses d'équipement incluent les crédits provenant des ressources exceptionnelles (1 267 M€ en 2013 et 1 093 M€ en 2012, hors fond de démantèlement) en plus des crédits budgétaires. Les "autres dépenses" incluent 310 M€ de surcoûts OPEX titre 2 en 2012 et 210 M€ en 2013. Selon le ministère de la défense, l'écart de 200 M€ entre 2012 et 2013 sur les dépenses d'équipement serait principalement lié à une modification du périmètre de l'agrégat équipement.

* 3 Les crédits du titre 5 de la mission défense représentent, pour 2013, 8,9 milliards d'euros soit 75,8 % du total des crédits d'investissement de l'Etat qui s'élèveront à 11,3 milliards. Source PLF 2013 - état B et informations annexes série 3.

* 4 La recherche et le développement représentent entre 10 et 20 % du chiffre d'affaires des dix plus grands groupes de défense présents en France, qui emploient dans leurs bureaux d'études de l'ordre de quelques 20 000 personnes.

* 5 Il serait du reste plus lisible, plus cohérent et de meilleure méthode budgétaire d'intégrer les études amont du programme 144 dans le programme 146.

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