3. Les problèmes techniques liés au recours au vote électronique

Introduit pour la première fois dans le cadre d'une élection politique à enjeu national, le vote électronique a été utilisé par 57,4 % des suffrages exprimés lors du premier tour des élections des députés représentant les Français établis hors de France, et 53,5 % des suffrages exprimés lors du second tour.

a) Le recours au vote électronique

Le recours au vote par internet est prévu par l'article 1 er de l'ordonnance précitée du 29 juillet 2009, codifiée à l'article L. 330-13 du code électoral. L'objectif est de surmonter les contraintes de déplacement et de sécurité des Français de l'étranger résidant souvent loin de leur bureau de vote.

Le décret du 15 juillet 2011 61 ( * ) fixe les caractéristiques du recours au vote électronique, aujourd'hui codifiées aux articles R. 176-3 à 176-10 du code électoral. Un arrêté du 27 avril 2012 62 ( * ) , pris après avis de la Commission nationale informatique et libertés, est venu également préciser certains aspects du dispositif.

D'après les informations fournies à votre rapporteur, le vote électronique mis en place lors des élections des premiers députés des Français établis hors de France semble conforme aux principales recommandations de la commission nationale informatique et libertés (CNIL), telles qu'elles sont énoncées dans sa délibération du 21 octobre 2010 portant adoption d'une recommandation relative à la sécurité des systèmes de vote électronique. Ainsi, conformément à cette délibération, une équipe d'experts indépendants a suivi l'ensemble des opérations du système de vote électronique avant, pendant et après les scrutins et a pu en attester dans des rapports d'audit qu'elle a élaborés puis transmis à la CNIL.

Le coût du vote électronique s'élève à 3 276 856 euros. En le rapportant au nombre d'inscrits sur les listes électorales consulaires pour le premier tour de l'élection législative 2012 (1 067 225 inscrits) et au nombre total de votants par voie électronique (244 623 votants pour les deux tours, soit un électeur sur quatre), le coût du vote électronique représente alors 3,07 euros par inscrit et 13,39 euros par votant. Votre rapporteur souligne le coût élevé de ce dispositif compte-tenu du nombre peu élevé de suffrages exprimés.

Il se félicite que votre commission aborde la question du vote électronique, confiée à nos collègues Alain Anziani et Antoine Lefèvre, dont les conclusions seront connues dans le courant de l'année 2013.

De vastes campagnes de communication, aussi bien audiovisuelles que via Internet, relayées par les consulats, ont été organisées auprès des électeurs afin de les inciter à mettre à jour leurs coordonnées, nécessaires à l'envoi des instruments d'authentification pour voter par Internet.

Un test « grandeur nature » a été ensuite organisé en janvier 2012, auprès des Français préalablement sollicités et inscrits sur les listes électorales consulaires. L'objectif était d'effectuer une répétition générale du vote par Internet en conditions quasi réelles, afin de disposer d'un bilan sur l'utilisation pratique du site de vote par les électeurs. Les conclusions de ce test ont démontré que les utilisateurs rencontraient, dans leur grande majorité, des difficultés d'ordre technique, relevant de la configuration de leur ordinateur. Selon les informations fournies à votre rapporteur, seule une partie du parc informatique mondial était compatible avec les normes de sécurité imposées au dispositif. C'est pourquoi, dès le 30 mars 2012, le service « MonVoteSécurisé » a été mis en ligne afin de permettre aux électeurs de vérifier la compatibilité de leur ordinateur et d'effectuer, le cas échéant, les mises à jour nécessaires.

b) Les problèmes d'accessibilité technique au vote électronique

La préparation qui a précédé les élections des 3 et 17 juin 2012 s'est finalement avérée insuffisante au regard des nombreuses difficultés techniques apparues au cours des élections, ce que votre rapporteur déplore. En effet, alors que le ministère des affaires étrangères se félicite des différents dispositifs mis en place pour faciliter les premières élections législatives des Français établis hors de France, votre rapporteur constate avec regret que ces élections ont engendré de nombreuses difficultés techniques qui n'ont vraisemblablement pas été suffisamment anticipées.

L'essentiel des problèmes recensés est lié au passage du logiciel Java 1.6 à une nouvelle version 1.7 en mai 2012, soit quelques jours seulement avant le premier tour des élections. Toutefois, il semblerait que le comité de pilotage n'ait pas considéré ce changement de version comme un problème technique mais plutôt comme une mesure de sécurité. Selon les informations recueillies par votre rapporteur, seuls les ordinateurs munis d'une version du logiciel Java préalablement testée étaient autorisés à voter. Oracle, l'éditeur du logiciel, avait publié une version 1.7 en juillet 2011, qui avait ensuite été retirée en raison de dysfonctionnements. Une nouvelle version 1.6_032 avait été proposée sur le marché et recommandée aux électeurs en lieu et place de la version 1.7. En juin 2012, c'est-à-dire au moment des élections législatives, Oracle a lui-même recommandé la désinstallation de la version 1.7 au profit de la version 1.6 pour certaines de ses suites logicielles.

Pourtant, ces difficultés techniques ne semblent pas avoir affecté l'accès au vote par Internet, selon les informations recueillies par votre rapporteur. Sur 244 623 votants sur l'ensemble des deux tours, seuls 12 893 électeurs ont tenté de se connecter au site de vote sans toutefois déposer de bulletin dans l'urne électronique, soit un taux d'accès égal à 95 %.

Le Gouvernement se félicite qu'avec 57 % des votants au premier tour et 54 % au second tour, le vote électronique se soit imposé comme la modalité de vote majoritaire dans l'élection législative de juin 2012. Or, votre rapporteur souligne que la participation à cette élection est restée très inférieure à la moyenne nationale, ce qui atténue fortement ces résultats.

c) La question controversée de la transparence et de la sincérité du vote électronique

Si le ministère des affaires étrangères semble se féliciter du succès - pourtant relatif - du recours au vote électronique, votre rapporteur s'interroge sur la protection de la transparence et de la sincérité du vote par le recours d'un tel dispositif.

Le respect du caractère secret du vote électronique

Le caractère secret du vote est garanti par deux moyens :

- la séparation physique de l'urne électronique et de la liste d'émargement nominative dans les dispositifs du système de vote ;

- le chiffrement de bout en bout du vote par des algorithmes réputés forts. Ce chiffrement s'opère grâce à une application (une « applet Java ») internet mise à disposition des électeurs. Cette application correspond à un isoloir virtuel dans lequel l'électeur peut exercer son droit de vote sans risque. Une fois son vote réalisé, celui-ci est chiffré directement sur l'ordinateur de l'électeur puis transmis à l'urne électronique via une ligne sécurisée. Le bulletin de vote est donc chiffré depuis son émission et le demeure jusqu'au dépouillement ; on parle de chiffrement de bout en bout.

Avant l'ouverture du scrutin, la clef de déchiffrement a été fragmentée, chaque fragment étant enregistré sur une carte à puce. Chaque membre du bureau de vote électronique (BVE) reçoit une carte qu'il protège par un mot de passe connu de lui seul. Pendant toute la période de vote, la clef de déchiffrement n'existe donc pas dans son intégralité. Elle est reconstruite uniquement lors du dépouillement par la réunion des membres du BVE et l'insertion de leur carte à puce dans le dispositif de dépouillement.

De plus, l'urne électronique qui contient les bulletins chiffrés, est contrôlée en permanence, d'abord par le responsable des traitements puis par le BVE et enfin par la commission électorale, jusqu'à sa destruction définitive à l'expiration des délais de recours. Pendant toute la période de vote, l'urne est située dans le Data Center hautement sécurisé à Vendôme. Toutes les actions sur celle-ci sont enregistrées dans des journaux inaltérables dont l'intégrité est contrôlée tout au long du scrutin.

Ces dispositions permettent au BVE d'être le premier garant du secret de vote, mais aussi de la sincérité du scrutin et de l'accès au suffrage. Sa composition a été publiée par arrêté du 4 mai 2012. Les délégués des candidats qui l'accompagnent, en suivant ses travaux et décisions, sont associés à sa mission de contrôle.

Il convient de rappeler, comme l'a d'ailleurs souligné notre collègue Alain Anziani dans une question orale sans débat 63 ( * ) , qu'il est possible techniquement d'introduire dans le programme des systèmes de vote par internet des logiciels malveillants permettant de connaître l'identité des électeurs et de détourner ainsi leurs identifiants et de modifier leur vote.

La CNIL a d'ailleurs émis plusieurs réserves sur la confidentialité du vote électronique. Un jugement récent du tribunal d'instance de Brest 64 ( * ) a annulé les résultats des élections de délégués du personnel et au comité d'entreprise organisées dans le Finistère par voie électronique, en considérant que toutes les garanties de sincérité du scrutin n'étaient pas en l'espèce réunies.

D'après la réponse apportée par le Gouvernement à la question orale sans débat d'Alain Anziani, « le système de vote a respecté les prescriptions du référentiel général de sécurité adopté par l'État en 2010. Avant sa mise en oeuvre, le système de vote par Internet a donné lieu à des audits de sécurité réalisés par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, placée sous l'autorité du Premier ministre, ainsi qu'à un audit réalisé par un expert indépendant sur le respect des dispositions de la loi informatique et libertés. Ces audits ont permis aux ministères des affaires étrangères et de l'intérieur d'homologuer le système de vote ainsi que les conditions d'utilisation de celui-ci ».

M. Manuel Valls, ministre de l'intérieur, lors de son audition devant votre commission, a indiqué que la généralisation du recours au vote électronique n'était pas envisagée en raison des nombreuses difficultés qu'il engendre. Votre rapporteur souscrit pleinement aux conclusions du ministre.


* 61 Décret n° 2011-843 du 15 juillet 2011 relatif à l'élection de députés par les Français établis hors de France.

* 62 Arrêté du 27 avril 2012 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel prévu à l'article R. 176-3 du code électoral.

* 63 Question orale sans débat n° 0167S de M. Alain Anziani (Gironde - SOC), publiée dans le JO Sénat du 11/10/2012 - page 2200.

* 64 Tribunal d'instance de Brest, jugement du 7 juin 2012, n° 11-11-000973.

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