B. UNE RÉFORME QUI APPORTE DES RÉPONSES CONCRÈTES À PLUSIEURS QUESTIONS EN SUSPENS

Le projet de loi de séparation et de régulation bancaire se propose de répondre à plusieurs des enjeux qui viennent d'être rappelés. De façon synthétique, on peut dire qu'il met en place des règles qui vont rendre les activités spéculatives beaucoup plus compliquées, risquées et coûteuses à mettre en oeuvre pour les banques . Il met donc ces dernières devant leurs responsabilités, non pas à travers un appel à leur sens éthique ou à leur autodiscipline, mais au moyen de mécanismes concrets de surveillance et de sanctions (1). Ce dispositif a par ailleurs été amélioré lors de son examen par l'Assemblée nationale (2).

1. Un dispositif pragmatique et cohérent pour aider à remettre la finance au service de l'économie
a) Des règles de séparation des activités bancaires sont établies
(1) Des opérations désormais interdites

En premier lieu, la réforme, à travers le nouvel article L. 511-48 du code monétaire et financier, interdit les opérations de négoce à haute fréquence et les opérations sur instruments financiers à terme dont le sous-jacent est une matière première agricole . Cela n'a certes jamais été le coeur de l'activité des banques françaises, mais c'est malgré tout une mesure symbolique forte. La loi dit clairement que ces dérives spéculatives sont désormais bannies du territoire français.

(2) Un cantonnement des opérations de compte propre pur

Ce cantonnement constitue l'essentiel des dispositions du titre I er . Celui-ci oblige chacune des quatre grandes banques systémiques françaises 11 ( * ) à localiser au sein d'une filiale ad-hoc toute une gamme d'opérations de trading . Il s'agit, d'une part, des opérations sur compte propre qui n'ont pas une utilité avérée pour le financement de l'économie et, d'autre part, des opérations avec les organismes de placement collectif à effet de levier - autrement dit, les hedge funds .

Cette filiale ad-hoc sera une filiale clairement déconnectée du groupe bancaire sur le plan prudentiel, capitalistique et stratégique :

- le groupe bancaire ne pourra lui accorder ni garantie, ni refinancement. Elle devra donc respecter individuellement et strictement les ratios de solvabilité et de liquidité prévus par Bâle III. Cela implique une immobilisation importante de fonds propres et d'actifs liquides qui rendra très coûteuses les activités de compte propre « pur » ;

- les personnes qui assurent la détermination effective de l'orientation de l'activité de la filiale cantonnée ne pourront être les mêmes que celles qui assurent ces fonctions dans la société-mère ;

- symboliquement, les filiales devront utiliser des raisons sociales et des noms commerciaux distincts de ceux des établissements de crédit du groupe qui les contrôlent, de manière à n'entretenir aucune confusion dans l'esprit de leurs créanciers et cocontractants.

(3) Une séparation contrôlée par un régulateur aux pouvoirs étendus

Pour garantir le respect des règles de séparation, les pouvoirs du régulateur seront considérablement renforcés. Les banques devront communiquer à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) la description précise et le compte-rendu motivé de leurs activités de marché. Le régulateur disposera ainsi d'une cartographie précise des « desks » et de leurs mandats. Il pourra mesurer quantitativement les risques pris, mais aussi vérifier que les opérations menées, par leur finalité, correspondent bien à des opérations utiles au financement de l'économie.

L'ACPR pourra enfin interdire les opérations susceptibles de porter atteinte à la stabilité financière ou au bon fonctionnement et à l'intégrité des marchés financiers. Même en l'absence de risque avéré pour leur propre solvabilité, les banques pourront se voir interdire d'investir dans un produit ou de le commercialiser dès lors que cela peut générer un risque systémique.

b) Un outil national de résolution des crises bancaires est créé

Le volet « séparation bancaire » du texte est le plus médiatique, mais la réforme bancaire comporte aussi des avancées importantes dans le domaine de la résolution bancaire. Elle obligera en effet les établissements à préparer, sous le contrôle du régulateur, ce qu'on appelle un testament bancaire. Il s'agit d'un plan qui prévoit comment les actifs seront liquidés et les actionnaires et les créanciers, mis à contribution, en cas de défaillance de la banque.

(1) La création d'une autorité de résolution

L'article 5 du projet de loi transforme l'Autorité de contrôle prudentiel (ACP) en Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et lui confie pour mission de veiller à l'élaboration et à la mise en oeuvre des mesures de prévention et de résolution bancaires qui seront précisées plus bas. L'ACPR comprend un collège de supervision, un collège de résolution et une commission des sanctions. Dans le collège de résolution siègent le gouverneur de la Banque de France (BdF), le directeur général du Trésor, le président de l'AMF, celui du Fonds de garantie des dépôts et de résolution et un sous-gouverneur de la BdF.

(2) L'anticipation des difficultés bancaires

L'ACPR supervisera l'élaboration des plans de résolution pour les établissements bancaires :

- chaque établissement bancaire devra concevoir un plan préventif de rétablissement en cas de difficultés financières. Il prévoira les différentes modalités possibles de son rétablissement, en excluant tout appel à un soutien financier de l'État ou du Fonds de garantie des dépôts et de résolution. Ce plan sera transmis à l'ACPR, qui pourra exiger les compléments ou modifications qu'elle juge nécessaires ;

- chaque établissement bancaire devra se doter d' un plan préventif de résolution bancaire (« testament bancaire ») pour préparer l'intervention de l'ACPR en cas de risque de défaut. L'ACPR pourra là encore demander d'apporter les compléments ou modifications nécessaires. Elle pourra même, si elle estime qu'il existe des obstacles pouvant empêcher la mise en oeuvre de ses pouvoirs de résolution, exiger que l'établissement lui propose des mesures pour réduire ou supprimer ces obstacles. Le cas échéant, elle pourra lui imposer d'office les mesures pour les supprimer, mesures pouvant aller jusqu'à la modification de l'organisation et du champ d'activité de l'établissement (abandon ou filialisation de certaines activités).

(3) Des pouvoirs considérables pour faire face à une crise bancaire

Dans le cadre d'une procédure de résolution, l'ACPR disposera de pouvoirs extrêmement étendus comme changer les dirigeants en place, nommer un administrateur provisoire, procéder au transfert ou à la cession d'office de tout ou partie de l'établissement, confier les actifs toxiques à un « établissement-relais » en vue de leur cession ultérieure ou encore impliquer les créanciers dans le sauvetage en annulant ou en convertissant leurs titres. Grâce à ces puissants mécanismes de résolution, les pertes des banques seront désormais épongées en priorité par les banques elles-mêmes. C'est une mesure essentielle pour diminuer l'attrait des paris spéculatifs .

(4) Un fonds national de résolution

L'article 6 du projet de loi transforme le Fonds de garantie des dépôts en Fonds de garantie des dépôts et de résolution . À la demande de l'ACPR, ce fonds interviendra auprès d'un établissement soumis à une procédure de résolution. Il a vocation à intervenir en deuxième ligne, lorsque les actionnaires et les créanciers auront été mis à contribution. Il pourra alors financer de façon complémentaire le plan de résolution. Actuellement financé à hauteur de 2 milliards d'euros par les établissements financier, le fonds devra, d'ici à 2020, conformément à l'objectif européen, être doté d'environ 10 milliards d'euros, ce qui correspond à 1 % des dépôts.

2. Un dispositif amélioré par le travail de l'Assemblée nationale

Les principaux amendements adoptés par les députés concernent le titre I er relatif à la séparation. La commission des finances de l'Assemblée nationale a « durci » le texte au travers de trois modifications :

- un amendement proposé par le rapporteur de la commission des finances autorise le ministre de l'Économie à fixer un seuil, exprimé en proportion du produit net bancaire, au-delà duquel la tenue de marché pourrait être obligatoirement filialisée . C'est une disposition intéressante dans la mesure où elle ouvre la possibilité de durcir à l'avenir la séparation au moyen d'un simple arrêté après avis de l'autorité de résolution. Pour les banques, c'est une épée de Damoclès : elles savent qu'en cas d'abus, les pouvoirs publics pourraient se montrer plus rigoureux dans la séparation des activités ;

- un autre amendement du rapporteur de la commission des finances concerne la question des activités de tenue de marché . Il donne pour mission à l'autorité prudentielle (ACPR) de contrôler que ces activités obéissent bien à une finalité de financement de l'économie. C'est un progrès par rapport au texte initial qui se contentait de définir les activités de tenue de marché et d'indiquer leurs finalités (apporter de la liquidité aux marchés sur une base régulière et continue et accompagner l'exécution d'ordres d'achat ou de vente de clients). Avec cet amendement, le teneur de marché sera tenu de fournir régulièrement à l'ACPR les informations nécessaires pour vérifier que les activités classées en tenue de marché ne dissimulent pas des activités spéculatives (indicateurs précisant les conditions de présence régulière sur le marché, l'activité minimale sur le marché, les écarts de cotation proposés et les règles d'organisation internes incluant des limites de risques). L'établissement devra aussi pouvoir justifier d'un lien entre le besoin des clients et les opérations réalisées pour compte propre ;

- enfin, un amendement proposé par le groupe écologiste crée un article additionnel 4 bis dans le titre I er , qui oblige les banques et les compagnies financières à rendre publiques, en annexe de leurs comptes annuels, des informations sur leurs implantations et leurs activités dans chaque État (activités sur chaque territoire, produit net bancaire réalisé, effectifs employés). Cela permettra de mieux appréhender les stratégies d'implantation dans les paradis règlementaires mises en oeuvre par les banques et de révéler les stratégies sous-jacentes éventuelles d'optimisation fiscale et d'arbitrage règlementaire.


* 11 Dans le nouvel article L. 511-47 du code monétaire et financier créé par l'article 1 er , sont visés les établissements financiers dont les activités de marché sont significatives (les seuils précis seront définis par décret). Concrètement, la mesure concernera cependant bien les quatre banques françaises d'importance systémique : BNP, BPCE, Société générale et Crédit agricole.

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