B. PHOTOGRAPHIE : L'ACTION DES POUVOIRS PUBLICS DOIT ÊTRE POURSUIVIE

1. Des efforts répartis entre plusieurs programmes budgétaires
a) Une baisse des crédits imputable au CNAP

Comme chaque année, votre rapporteure pour avis a interrogé le ministère de la culture sur les crédits destinés à soutenir la photographie, ceux-ci n'étant pas identifiés dans le projet annuel de performances en tant que tels.

Le ministère indique que les crédits prévus en faveur de la photographie dans le BOP 131-action n° 2 permettent de :

- financer des acquisitions et des commandes publiques au bénéfice de collections publiques (fonds national d'art contemporain au sein du centre national des arts plastiques - CNAP et fonds régionaux d'art contemporain - FRAC).

- soutenir l'activité de centres d'art spécialisés dans la photographie, le principal d'entre eux étant le Jeu de Paume à Paris, et des manifestations et festivals notamment les Rencontres internationales de la photographie d'Arles ou Visa pour l'image à Perpignan.

- soutenir un certain nombre de projets dans le domaine de la photographie, financés soit par le CNAP, soit par les DRAC.

Étant donné qu'il n'existe pas de ventilation prévisionnelle spécifique à ce secteur, il est impossible de déterminer précisément les crédits qui seront affectés à la photographie en 2014. Néanmoins, il est possible d'observer que le montant total de ces crédits s'élevait à 6,54 millions d'euros en 2013, se répartissant de la manière suivante :

- acquisitions et commandes publiques (826 000 euros) : Les crédits consacrés en 2013 par le CNAP aux acquisitions « photographies et vidéos » correspondent à 300 000 euros, attribués par une commission spécialisée en son sein. Les vingt-deux FRAC consacrent environ 407 000 euros de leurs crédits d'acquisitions à l'achat d'oeuvres photographiques. En matière de commande publique, une dotation de 119 000 euros est prévue au CNAP en 2013 pour des projets sélectionnés à la suite d'un appel à projets. On observe une diminution de 331 000 euros par rapport à 2012, soit - 28,6 %. Cette baisse est principalement imputable à celle de l'enveloppe spécifique gérée par le CNAP, qui s'élevait à 600 000 euros en 2012 . Elle correspond à l'effort budgétaire demandé à tous les opérateurs ;

- centres d'art (4,6 millions d'euros) : le Jeu de Paume, spécialisé dans la photographie, bénéficie d'une subvention de 4,06 millions d'euros en fonctionnement. Les subventions aux cinq centres d'art en région spécialisés dans la photographie s'élèvent à 548 500 euros (le Centre de la photographie d'Ile-de-France à Pontault-Combault, le Centre d'art de Lectoure en Midi-Pyrénées, le Point du jour à Cherbourg, le Centre régional de la photographie de Douchy-les-Mines, et le Centre d'art Pour l'instant à Niort). En 2013, cette enveloppe est globalement stable (+ 7 000 euros) ;

- manifestations et festivals (920 000 euros) : les manifestations et festivals spécialisés dans la photographie bénéficient d'un soutien du ministère de la culture et de la communication à hauteur de 920 000 euros, les principaux bénéficiaires étant les rencontres internationales de la photographie d'Arles (593 000 euros en fonctionnement et 50 000 euros en investissement), le festival de photojournalisme Visa pour l'image à Perpignan (129 000 euros), ainsi que diverses manifestations en région comme les « Photaumnales » à Beauvais, les Promenades photographiques de Vendôme, le Festival de la Gacilly, l'Été photographique de Lectoure, les Estivales du Trégor, etc. Par ailleurs, la manifestation Paris-Photo est attributaire d'une subvention de 50 000 euros du ministère de la culture et de la communication. En région, les DRAC apportent leur soutien à des expositions, éditions et résidences dans le domaine de la photographie pour un montant évalué à 198 000 euros. L'enveloppe totale consacrée aux festivals en 2013 a connu une augmentation de 44 000 euros, soit + 5 % ;

- aides aux projets (185 000 euros) : Ces aides sont attribuées par les DRAC sur crédits déconcentrés à hauteur de 110 000 euros. Un fonds pour la photo-documentaire, constitué au sein du CNAP, a attribué des aides spécifiques, en 2013, pour un montant global de 75 000 euros, dont la reconduction est proposée pour 2014. La chute du montant global des aides aux projets par rapport à 2012 est imputable à la disparition de l'enveloppe des aides attribuées auparavant par le CNAP, en plus du fonds pour la photo documentaire (146 000 euros en 2012). Ceci doit correspondre à l'objectif de recentrage de l'établissement sur ses principales missions. Votre rapporteure pour avis veillera à ce que l'évolution des actions du CNAP et la définition de ses priorités ne se fassent pas au détriment de la photographie.

Enfin le ministère a indiqué que la mission dédiée à la photographie était désormais rattachée à la direction générale des patrimoines , estimant le montant global des crédits destinés à la photographie à un montant compris entre 10 et 12 millions d'euros .

b) L'évolution du portail Arago

Mis en ligne le 27 mars 2012, le portail « Arago » a pour but d'offrir l'accès libre et direct sur Internet à la connaissance de l'ensemble des collections et des fonds de photographies conservés en France . Il est conçu pour être un outil de repérage et de suivi de ces fonds, par-delà la simple présentation d'images. Sa conception repose sur une approche de l'indexation des photographies présentées qui soit homogène quel que soit le détenteur du fonds (musée, archives, bibliothèque, structure privée, etc.) et qui puisse renvoyer à une description du fonds auquel elles appartiennent.

Une convention pluriannuelle a été signée en 2011 entre le ministère de la culture et de la communication et la Réunion des musées nationaux (RMN). Dans ce cadre, l'État a contribué à hauteur de 450 000 euros à la conception de l'outil informatique, en 2011, et participe à son développement à hauteur de 300 000 euros par an pour les quatre années qui suivent, soit une participation qui représente 70,8 % du budget prévisionnel total évalué à 2 330 279 euros. Les crédits n'ont pas été réévalués depuis l'année passée, le portail bénéficie donc d'une enveloppe stable.

À ce jour, plus de 25 000 images - contre 17 000 fin 2012 - conservées dans près de 40 institutions publiques (la médiathèque du patrimoine, le musée d'Orsay, le centre Pompidou, l'Institut national d'histoire de l'art - INHA...) ou privées (Neuflize Vie, la collection Gabriel Veyre...) sont présentes sur ce portail et près de 100 fonds photographiques ont été repérés par le biais du site « Wikiconos 17 ( * ) », avec pour chacune de ces institutions une notice explicitant la nature des fonds conservés, les contacts et les photographes diffusés.

Comme l'indique le ministère de la culture et de la communication dans ses réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteure pour avis, l'accroissement de ces ressources photographiques se poursuit en collaboration entre les équipes dédiées, un comité de pilotage, un comité scientifique et la mission photographie du ministère chargé de la culture. La vocation pédagogique du portail est en cours de développement et des partenariats sont actuellement menés avec des lycées et des écoles spécialisées dans le cadre de l'éducation à l'image.

La fréquentation du site est actuellement de près de 10 000 visites par mois, chiffre en hausse constante, et plus de 50 000 pages sont vues chaque mois.

2. La carte de presse : un problème à résoudre de toute urgence

Dans la continuité des travaux de la commission lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2013, votre rapporteure pour avis a interrogé le ministère de la culture au sujet de la carte de presse. Celle-ci constitue une préoccupation récurrente pour les photojournalistes qui doivent, chaque année, surmonter des difficultés administratives.

La réponse du ministère de la culture permet de rappeller précisément le cadre juridique de cette carte d'identité des journalistes professionnels, attribuée par une commission aux personnes répondant à la définition légale du journaliste telle qu'elle résulte de l'article L. 7111-3 du code du travail.

Délivrance de la carte de presse aux journalistes professionnels

1. Définition du journaliste et critères de délivrance de la carte

L'alinéa 1 er de l'article L. 7111-3 du code du travail donne la définition suivante du journaliste professionnel : « est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ».

Selon les articles L. 7111-3, alinéa 2 et L. 7111-4 et L. 7111-5 du code du travail, peuvent également bénéficier d'une carte d'identité professionnelle des journalistes, les correspondants de presse, les collaborateurs directs de la rédaction, les rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes ainsi que les journalistes exerçant leur profession dans une ou plusieurs entreprises de communication au public par voie électronique.

Dès lors, les reporters-photographes expressément désignés à l'article L. 7111-4 du code du travail, sont assimilés à des journalistes professionnels et peuvent, à ce titre, bénéficier de la délivrance d'une carte d'identité professionnelle de journaliste.

En revanche, l'article L. 7111-4 du code du travail exclut du bénéfice de la carte d'identité des journalistes professionnels les agents de publicité ainsi que tous ceux qui n'apportent, à un titre quelconque, qu'une collaboration occasionnelle.

De plus, les fonctions de chargé de relations publiques et d'attaché de presse sont considérées comme incompatibles avec le statut de journaliste professionnel. En outre, le Conseil d'État considère de façon constante depuis un arrêt du 30 mai 1986 (CE, 30 mai 1986, n° 59289, Moglia : Rec. CE 1986, p. 155) que le statut de fonctionnaire ou d'agent public contractuel est exclusif du bénéfice de tout autre statut professionnel.

2. La commission de la carte

La carte d'identité professionnelle des journalistes est délivrée par la Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels (CCIJP), conformément à l'article R. 7111-18 du code du travail.

La CCIJP a été créée par un décret du 17 janvier 1936 après l'adoption par le Parlement de la loi du 29 mars 1935 fixant le statut des journalistes.

Cette commission est composée de 16 membres titulaires à raison de 8 représentants des employeurs, dont sept au titre des directeurs de journaux et agences de presse et un au titre des entreprises de communication audiovisuelle du secteur public, et de 8 représentants des journalistes. Le président de la commission est alternativement un représentant des employeurs et un représentant des journalistes professionnels.

Les décisions de délivrance, de renouvellement ou d'annulation d'une carte de presse sont prises à la majorité absolue des représentants présents et peuvent être contestées devant une commission supérieure composée de trois magistrats, d'un représentant des employeurs et d'un représentant des journalistes. Les décisions de la commission supérieure constituent elles-mêmes des décisions administratives susceptibles de recours en annulation devant le juge administratif.

3. Les conditions d'attribution de la carte

La Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels est conduite à rechercher, pour chaque demande d'attribution de carte, si l'activité de journaliste est bien l'occupation principale et régulière du demandeur. Ainsi, la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré, dans un arrêt en date du 17 mars 1993 (cass. soc. 17 mars 1993, SA La Dépêche et le Petit Toulousain c/Vidal) que le reporter photographe qui n'exerçait cette profession que durant son temps libre et ses congés n'avait pas la qualité de journaliste.

De même, la commission recherche si cette activité procure au demandeur l'essentiel de ses ressources, soit plus de la moitié de celles-ci . La loi n° 74-630 du 4 juillet 1974 a complété le code du travail afin de faire bénéficier les journalistes « pigistes » du statut des journalistes professionnels.

Elle a remplacé dans la définition du journaliste professionnel découlant de la loi du 29 mars 1935, l'expression « qui en tire le principal des ressources nécessaires à son existence » par les mots « qui en tire le principal de ses ressources ». Le Conseil d'État, dans une décision en date du 29 juin 1983 (CE, 29 juin 1983, n° 34198) a considéré que le législateur de 1974 « a ainsi entendu exclure de sa définition toute condition relative à un montant minimum de ressource ». Concernant les ressources, seul le pourcentage de celles-ci provenant effectivement de l'activité journalistique doit donc être recherché par la commission de la carte.

Source : Ministère de la culture et de la communication
Réponse au questionnaire budgétaire

La situation des photojournalistes est particulièrement préoccupante, comme le montre l'évolution des attributions de la carte de presse depuis 2000. En effet, on constate un « effet de ciseaux » entre l'augmentation du nombre de journalistes titulaires de la carte de presse (passé de 33 314 en 2000 à 37 012 en 2012) et la diminution du nombre de photojournalistes parmi eux (1 466 en 2000 contre 925 en 2012). Comme l'indique le tableau ci-dessous, leur proportion est ainsi passée de 4,4 % à 2,5 %.

Nombre de journalistes et de photojournalistes titulaires
de la carte de presse entre 2000 et 2012

Années

Nombre de journalistes titulaires de la carte de presse

Nombre de photojournalistes titulaires de la carte de presse

Part des photojournalistes

2000

33 314

1 466

4,40 %

2001

34 832

1 533

4,40 %

2002

35 312

1 531

4,34 %

2003

36 113

1 517

4,20 %

2004

36 520

1 497

4,10 %

2005

36 828

1 436

3,90 %

2006

37 423

1 459

3,90 %

2007

37 738

1 396

3,70 %

2008

37 811

1 399

3,70 %

2009

37 904

1 327

3,50 %

2010

37 415

1 235

3,31 %

2011

37 286

1 156

3,10 %

2012

37 012

925

2,50 %

Chiffres CCIJP

Pour la seule année 2012, 227 photojournalistes ont perdu leur carte, ce qui représente une chute de 19,6 %. Cette situation est très préoccupante au regard des conditions de travail des intéressés et de leur accès à l'information, et donc à celle des citoyens. Sans carte de presse, les photojournalistes rencontrent bien plus de difficultés pour obtenir une autorisation d'accès aux événements sur lesquels ils doivent travailler. Des témoignages montrent que la circulation des photojournalistes est bien plus difficile sans carte de presse. En cas de refus d'accès, ils ne peuvent donc pas faire leur travail, ce qui peut favoriser davantage le recours, par les diffuseurs, à des banques d'images moins coûteuses mais peut-être moins fiables en termes d'objectivité de l'information. Enfin, la carte étant destinée aux « professionnels et assimilés », on peut aisément mesurer l'impact négatif qu'un refus d'attribution peut avoir sur une population déjà économiquement malmenée dans un secteur en crise. Les personnes auditionnées regrettent que soient seules prises en compte, pour l'évaluation des ressources, les rémunérations tirées d'une activité salariée pour le compte de sociétés de presse, et non les droits d'auteur qui pourtant représentent un mode de rémunération de plus en plus courant des photoreporters .

Votre rapporteure pour avis estime qu'une réflexion de fond doit être menée à bien, car les journalistes n'ont pas nécessairement les moyens d'engager une procédure contentieuse qui, en tout état de cause dans le meilleur des cas, réglera la question trop tardivement. Un photojournaliste téméraire a indiqué avoir eu finalement gain de cause plus d'un an après le refus d'attribution, au bout d'une procédure précontentieuse, ce qui, en dehors du caractère symbolique du succès de la démarche, n'a rien changé à sa situation durant toute l'année visée par le recours. Ceci est d'autant plus déroutant qu'il convient chaque année de produire les mêmes justificatifs et de refaire la même démonstration, la Commission de la carte ne semblant pas s'embarrasser d'une doctrine qui s'appuierait sur sa propre jurisprudence.

Rappelons que la procédure contentieuse s'exerce en deux temps :

- dans un premier temps, la personne souhaitant contester une décision de la CCIJP peut s'adresser à la commission supérieure de la carte d'identité des journalistes conformément à l'article R. 7111-29 du code du travail. Cet article précise que : « toute décision de la Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels peut faire l'objet d'une réclamation, par l'intéressé, devant la commission supérieure mentionnée à l'article R. 7111-32 » ;

- dans un second temps, les décisions prises par la Commission supérieure sont susceptibles de recours devant les juridictions administratives. Le requérant peut donc contester cette décision devant le tribunal administratif, puis devant la cour administrative d'appel, enfin, le cas échéant, devant le Conseil d'État.

L'ampleur du découragement des professionnels concernés s'apprécie à la lumière du volume du contentieux, puisque seuls deux décisions et un jugement relatifs à la délivrance de la carte de presse à des photojournalistes ont été recensés au cours des vingt dernières années.

Votre rapporteure pour avis juge urgent d'évaluer l'opportunité de l'instauration d'une carte de presse distincte pour les photojournalistes, ou à tout le moins d'une modification du code du travail afin d'intégrer une définition plus adaptée au cas de la photographie dans le secteur du journalisme, prenant en compte la spécificité de la diversité des ressources de la profession .


* 17 http://www.photo-arago.fr

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