B. DES CHANTIERS À POURSUIVRE

1. Propriété intellectuelle : la grande oubliée des pouvoirs publics

Toutes les structures représentants les artistes ou leurs ayants droit ont alerté votre rapporteure pour avis sur le non-respect des règles relatives à la propriété intellectuelle .

La question a été soulevée depuis plusieurs années pour les photographes notamment à travers la proposition de loi n° 441 de Mme Marie-Christine Blandin 21 ( * ) déposée au Sénat. Elle n'a, en revanche, pas été appréhendée pour l'ensemble des artistes auteurs par les pouvoirs publics, qui d'ailleurs ne sont pas exemplaires en la matière.

Les travaux relatifs à la photographie de presse sont en cours puisque M. Francis Brun-Buisson , conseiller-maître à la Cour des comptes a été chargé par la ministre de la culture et de la communication, le 21 juin 2013, d'une mission de médiation entre les photographes, les agences de presse et les éditeurs de presse.

Cette concertation, qui doit aboutir à la signature d'un ou de plusieurs codes de bonnes pratiques en matière d'utilisation de photographies de presse, associera l'Union des photographes professionnels-auteurs (UPP), l'association Photographes auteurs journalistes (PAJ) et les membres de la Fédération française des agences de presse (FFAP).

La lettre de mission confiée à M. Francis Brun-Buisson rappelle que « la photographie de presse est un élément majeur de l'information qui traverse, depuis plusieurs années, une crise dont les conséquences pèsent lourdement sur le photojournalisme » .

Malheureusement la situation des artistes plasticiens ne semble pas être suivie de la même façon par les pouvoirs publics. Ils se mobilisent donc aujourd'hui pour appeler au respect de leurs droits patrimoniaux .

Les droits patrimoniaux imposent aux utilisateurs des oeuvres d'obtenir l'autorisation de l'auteur avant toute exploitation et de lui verser la rémunération correspondante.

Lorsque l'oeuvre, en tant qu'objet matériel, est vendue, les droits d'auteur ne sont nullement cédés au propriétaire qui ne pourra ni la reproduire ni la représenter sans l'accord de l'artiste.

Le droit moral, quant à lui, permet à l'auteur de faire respecter son oeuvre afin, notamment, qu'elle ne soit pas altérée lors de l'utilisation et que son nom soit mentionné. Il est incessible et ne peut donc être confié à une société d'auteurs.

En France et dans les pays de l'Union européenne, les droits patrimoniaux sont reconnus durant la vie de l'auteur et soixante-dix ans après son décès. Les oeuvres tombent ensuite dans le domaine public et peuvent être utilisées librement sous réserve du respect du droit moral qui, lui, est perpétuel.

Les droits patrimoniaux peuvent être, soit gérés directement, soit confiés à une société d'auteurs, afin que celle-ci perçoive auprès des utilisateurs la rémunération qui revient aux artistes du fait de l'exploitation de leurs oeuvres dont ils détiennent le monopole. Il s'agit du droit de reproduction, du droit de représentation et du droit de suite, que M. Jean-Patrick Gille a défini comme suit dans son rapport publié en avril 2013 sur les métiers artistiques.

Le contenu des droits patrimoniaux

L'article L. 122-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « le droit d'exploitation appartenant à l'auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction ».

Le droit de reproduction attribue à l'auteur la faculté d'autoriser la diffusion de son oeuvre fixée sur tout support matériel. Il se distingue du droit de représentation en ce que la diffusion au public est réalisée de manière indirecte.

Le droit de représentation, contrairement au droit de reproduction, ne suppose pas la fixation de l'oeuvre sur un support matériel . Comme l'avait précisé la Cour de cassation dès 1930, il faut que l'oeuvre « s'adresse directement au public appelé à en jouir dans le même temps où elle se produit ». Cette définition inclut la communication par le biais de supports tels que la télévision ou la diffusion par satellite.

En outre, le droit de présentation publique, après de nombreuses années de controverses juridiques, a fait l'objet d'une consécration par la Cour de cassation, par une décision du 6 novembre 2002 : la Cour a reconnu « que l'exposition au public d'une oeuvre photographique en constitue une communication au sens de l'article L. 122-2 et requiert en conséquence, l'accord préalable de son auteur ».

Enfin, le droit de suite ne concerne que les auteurs d'oeuvres d'art graphiques et plastiques : il a été consacré afin de ne pas priver les auteurs ou leurs héritiers de la plus-value acquise lors des reventes des oeuvres, mais aussi de corriger le déséquilibre existant avec les autres créateurs, les artistes plasticiens ne percevant que de faibles revenus du droit de reproduction et de représentation de leurs oeuvres. L'auteur d'une oeuvre d'art graphique ou plastique est associé au prix de revente de l'oeuvre, sauf si l'oeuvre est revendue par celui qui l'a acquise moins de trois ans auparavant auprès de l'artiste, pour une somme inférieure à 10 000 euros.

Le pourcentage varie en fonction du prix de l'oeuvre : 4 % pour celles de moins de 50 000 euros et jusqu'à 0,25 % pour celles dont le prix excède 500 000 euros. En toute hypothèse, un plafond est fixé à 12 500 euros. Contrairement aux autres droits patrimoniaux, le droit de suite est inaliénable.

Contrairement aux prérogatives ressortissant au droit moral, la propriété intellectuelle, dans son aspect patrimonial, n'est pas perpétuelle. La durée de protection d'une oeuvre s'étend tout au long de la vie de l'auteur et dans les soixante-dix ans qui suivent sa mort. À l'expiration de la durée légale de protection, l'oeuvre appartient au domaine public et son exploitation est libre et gratuite, sous réserve du respect du droit moral, droit perpétuel.

Source : Rapport d'information n° 941 de M. Jean-Patrick Gille, 17 avril 2013

Votre rapporteure pour avis souhaite alerter les pouvoirs publics sur la situation dénoncée par les artistes auteurs. En effet, les témoignages mettent en évidence une tendance très forte des collectivités territoriales et structures publiques à ne pas respecter leurs droits patrimoniaux. Est notamment systématiquement négligé le droit de présentation publique que les diffuseurs refusent de rémunérer en faisant valoir l'intérêt que présentent l'accès au public et la visibilité offerte à un artiste, décisive pour sa carrière.

Comme l'ont indiqué le CAAP et la Fédération des réseaux et associations d'artistes plasticiens (FRAAP), des travaux sont en cours avec le comité professionnel des galeries d'art afin de définir un modèle de contractualisation entre galeristes et artistes. Ce dialogue est d'autant plus important que les artistes critiquent l'habitude de ces diffuseurs privés de ne pas fournir de fiches de dépôt cosignées mentionnant la liste et la valeur des oeuvres que l'artiste leur confie. Il est pour le moins paradoxal de constater que les structures publiques sont non seulement très en retard dans ce processus de formalisation des relations contractuelles, mais aussi qu'elles ne respectent pas le droit en vigueur .

Seules quelques exceptions peuvent être citées par les artistes auteurs auditionnés par votre rapporteure pour avis. Ainsi, la région Champagne-Ardenne conditionne les subventions au respect du droit de présentation publique, créant ainsi un cercle vertueux respectueux à la fois de la propriété intellectuelle et de la juste rémunération des artistes.

Votre rapporteure pour avis souhaite vivement que le ministère de la culture et de la communication rappelle le cadre que doivent respecter les FRAC, Centres d'art, musées et autres structures subventionnées . Un tel effort de « mise aux normes » serait de surcroît cohérent avec la position du ministère exposée dans ses réponses au questionnaire budgétaire : « le ministère de la culture et de la communication, en lien avec les organismes et organisations professionnelles, les sociétés d'auteurs et les structures de diffusion, est attaché à promouvoir des pratiques (contrats) respectueuses des droits des auteurs. À cet égard, le ministère soutient l'action des organisations professionnelles, notamment le Congrès interprofessionnel de l'art contemporain (CIPAC) et la Fédération des réseaux et associations d'artistes plasticiens (FRAAP), pour l'élaboration de clauses de contrats respectant les droits moral et patrimonial des auteurs, destinées à être généralisées dans les relations entre les acteurs du secteur.

Du fait des nouveaux modes de diffusion et du développement du numérique, la possibilité de reproduire et de diffuser massivement les contenus culturels remet en cause la rémunération des auteurs. À cet égard, les propositions du rapport Lescure concernant les arts visuels se situent dans la recherche d'un équilibre entre l'accès aux oeuvres et la juste rémunération de leurs auteurs. Sans être explicitement citées dans les propositions du rapport, à l'exception des oeuvres photographiques (encadrement de l'utilisation des banques d'images et du recours à la mention DR « droits réservés »), les oeuvres des arts visuels sont concernées par une grande partie des mesures envisagées . »

Votre rapporteure pour avis considère indispensable d'aborder la question du respect des droits patrimoniaux et de façon plus globale, celle de la juste rémunération et de la place de l'artiste en général , au sein du projet de loi d'orientation de la création artistique, dont la ministre de la culture a annoncé la présentation en Conseil des ministres en février 2014.

Ceci est d'autant plus crucial que le secteur ne bénéficie que de crédits très modérés, comme cela a été rappelé en première partie du présent rapport, et qu'il regroupe des artistes auteurs dont les revenus sont en moyenne très modestes - comme le montre le tableau ci-dessous - et totalement déconnectés des valeurs invariablement rappelées lorsqu'est évoquée la question du marché de l'art.

Montants moyen et médian annuels des revenus d'activité des artistes
affiliés à La Maison des artistes et à l'AGESSA, depuis 2002

A- Artistes visuels affiliés à La Maison des artistes (plasticiens et assimilés) et à l'AGESSA (photographes)

A-1- Graphistes, plasticiens (et assimilés) affiliés à La Maison des artistes

Activité

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

Revenus d'auteur moyens (euros constants 2010)

Graphistes

29 441

28 126

27 695

26 930

27 457

28 826

28 713

Dessinateur

21 729

21 392

22 315

20 268

19 797

19 942

20 700

Graveur

15 803

17 565

20 027

18 692

17 741

18 423

19 713

Illustrateur

29 602

27 389

27 271

28 182

28 983

28 113

28 481

Peintre

20 018

19 297

20 186

19 793

20 896

21 587

21 237

Plasticien

16 013

16 989

17 636

16 904

18 471

21 711

20 929

Sculpteur

16 399

15 657

15 782

17 107

17 567

19 113

18 880

Ensemble plasticiens et assimilés

20 536

19 804

20 462

20 396

21 322

22 079

21 907

Ensemble artistes visuels affiliés à la MDA

23 077

22 340

22 863

22 758

23 670

24 714

24 731

Revenus d'auteur médians (euros constants 2010)

Graphistes

19 068

17 967

17 982

17 405

18 299

19 461

19 403

Dessinateur

12 559

13 414

13 623

13 048

13 569

13 305

14 082

Graveur

9 042

8 811

9 951

10 108

10 482

11 565

11 239

Illustrateur

16 715

15 448

16 200

15 969

15 848

16 051

16 938

Peintre

10 400

10 162

10 300

10 088

10 540

10 594

10 289

Plasticien

9 617

9 373

9 591

9 730

10 421

11 071

11 165

Sculpteur

9 682

9 339

9 378

9 812

10 040

10 446

10 124

Ensemble plasticiens et assimilés

10 791

10 519

10 668

10 647

11 181

11 471

11 332

Ensemble artistes visuels affiliés à la MDA

12 432

12 146

12 718

12 767

13 646

14 198

14 334

Champ : ensemble des artistes auteurs visuels affiliés à La Maison des artistes (i.e. bénéficiant du régime de protection sociale des artistes auteurs), France entière.

Source : La Maison des artistes/DEPS 2012

A-2- Photographes affiliés à l'AGESSA

(euros constants 2010)

Revenus

2005

2006

2007

Revenus d'auteur moyens

27 864

30 510

31 198

Revenus d'auteur médians

11 753

13 712

13 940

Champ : ensemble des photographes affiliés à l'AGESSA (i.e. bénéficiant du régime de protection sociale des artistes auteurs), France entière.

Source : AGESSA/DEPS 2012

B- Auteurs littéraires (écrivains, auteurs d'oeuvres dramatiques) affiliés à l'AGESSA

(euros constants 2010)

Revenus

2005

2006

2007

Revenus d'auteur moyens

36 443

37 392

34 301

Revenus d'auteur médians

15 165

16 253

15 135

Champ : ensemble des écrivains et auteurs d'oeuvres dramatiques affiliés à l'AGESSA (i.e. bénéficiant du régime de protection sociale des artistes auteurs), France entière.

Source : AGESSA/DEPS 2012

Les actions portées par le ministère de la culture et de la communication doivent permettre aux artistes de retrouver leur place au sein du secteur. Le schéma de la FRAAP, présenté ci-après, est intéressant car il rappelle le rôle central de l'artiste au sein du secteur des arts plastiques.

2. TVA : l'incompréhension du secteur

Votre rapporteure pour avis souhaite enfin évoquer la question de la TVA sur les droits d'auteur, devenue un sujet d'incompréhension pour le secteur compte tenu des dernières évolutions législatives.

L'article 68 de la loi n° 2012-1510 du 29 décembre 2012, troisième loi de finances rectificative pour 2012 , a modifié les principaux taux de TVA, avec une entrée en vigueur au 1 er janvier 2014, de la façon suivante :

- en diminuant le taux réduit de TVA (dont le champ d'application est défini à l'article 278-0 bis du code général des impôts - CGI) de 5,5 % à 5 % ;

- en augmentant le taux intermédiaire (dont le champ d'application est défini à l'article 278 septies du CGI) de 7 % à 10 % ;

- en augmentant le taux normal de 19,6 % à 20 %.

Plusieurs dispositions du présent projet de loi de finances font évoluer l'impact du taux de TVA :

- l'article 7 réintroduit dans l'article 278-0 bis du CGI, relatif au taux réduit de TVA, « les droits d'entrée dans les salles de spectacles cinématographiques, quels que soient le procédé de fixation ou de transmission et la nature du support des oeuvres ou documents audiovisuels qui sont présentés ». Les recettes sur la billetterie des cinémas seront donc taxées au même taux de TVA que celles des concerts (où les boissons sont servies facultativement) ou que le livre ;

- l'article 7 bis (nouveau), adopté par voie d'amendement lors de l'examen à l'Assemblée nationale, étend le champ d'application du taux réduit aux « importations d'oeuvres d'art, d'objets de collection ou d'antiquité, ainsi que les acquisitions intracommunautaires, effectuées par un assujetti ou une personne morale non assujettie, d'oeuvres d'art, d'objets de collection ou d'antiquité qu'ils ont importés sur le territoire d'un autre État membre de l'Union européenne » ;

- enfin l'article 6 bis (nouveau), également adopté par les députés, revient sur l'une des dispositions de la loi précitée n° 2012-1510 en maintenant le taux réduit de TVA à 5,5 %.

De nombreux biens et services culturels relevant du champ de la création artistique ou du patrimoine seront donc désormais taxés à un taux de TVA réduit. En revanche, aucune modification n'est envisagée pour que les droits d'auteur bénéficient de ce même taux.

L'ensemble des représentants des artistes auteurs auditionnés par votre rapporteure pour avis ont vivement réagi, soulignant les répercussions de la hausse de la TVA à 10 % sur leurs revenus . Comme l'indique le CAAP, « cette disposition témoigne d'une méconnaissance totale de nos conditions d'exercice. Toute majoration du taux de TVA est entièrement supportée par les artistes eux-mêmes : le montant qu'un collectionneur est prêt à consentir pour l'achat d'une oeuvre est totalement indépendant du taux de TVA applicable à l'artiste. Il en est de même du montant des achats publics d'oeuvres. Ainsi un taux de TVA aggravé induit mécaniquement une baisse de revenu pour l'artiste . Pour nous, le taux de TVA est un pourcentage « en dedans », non répercutable sur le « consommateur ». Et la grande majorité d'entre nous a des revenus inférieurs au seuil de pauvreté... ».

En réponse à un courrier du directeur général de la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) relatif aux conséquences de cette hausse de TVA pour les acteurs culturels, le Premier ministre a indiqué ne pas avoir retenu l'option d'une baisse du taux, compte tenu des efforts menés par ailleurs par le Gouvernement en faveur de la création française, en particulier en ayant réussi à défendre le principe de l'exception culturelle dans le cadre du futur traité de commerce transatlantique.

Votre rapporteure pour avis souhaite rappeler la situation extrêmement précaire d'une majorité d'artistes, dont les revenus sont l'éternelle variable d'ajustement des mesures fiscales ou budgétaires applicables au secteur de la création.

Elle propose donc un amendement visant à appliquer le taux réduit de TVA aux cessions de droits patrimoniaux.

Votre commission a adopté cet amendement à l'unanimité.

Lors de l'examen des dispositions de la première partie de la loi de finances, au cours de sa séance du samedi 23 novembre 2013, le Sénat n'a pas adopté cette disposition. À l'instar de la ministre de la culture et de la communication, lors de son audition par votre commission de la culture, le ministre du budget a mis en avant le coût qu'elle aurait représenté pour les finances publiques, qu'il a estimé à 70 millions d'euros.

*

* *

Compte tenu de ces observations, votre rapporteure pour avis propose à la commission de donner un avis favorable  aux crédits de l'action n° 2 du programme « Création », inscrits dans la mission « Culture ».

Après avoir entendu l'ensemble des rapporteurs, la commission donne un avis favorable aux crédits inscrits dans la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2014.

TROISIÈME PARTIE - LE SOUTIEN PUBLIC EN FAVEUR DU CINÉMA


* 21 Proposition de loi relative aux oeuvres visuelles orphelines. Doc. Sénat n° 441 (2009-2010).

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