C. LE LIVRE, UN CHEF D'oeUVRE EN PÉRIL ?

L'année 2013 a été la troisième année de baisse consécutive du revenu des éditeurs. Après un pic à 2,898 milliards d'euros en 2007, le revenu net des éditeurs a été, en 2013, inférieur de 211 millions d'euros, pour s'établir à 2,687 milliards (-7,3 %).

Le nombre d'exemplaires vendus a décliné de 59,8 millions d'unités (de 486 599 000 à 426 815 000 exemplaires), soit un repli de 12,3 %.

La hausse des prix a donc compensé partiellement la baisse des volumes.

La production de titres a pourtant connu une bonne dynamique, les nouveautés s'élevant d'une production de 37 899 à 46 619 titres de date à date.

Mais la production nouvelle s'est effondrée (de 750 millions d'exemplaires à 572 millions) sous l'effet d'une baisse prononcée du nombre moyen des tirages.

Sur cette production, le taux d'exemplaires vendus s'élève à 74,6 % si bien que les stocks tendent à grossir.

Cette situation n'est pas satisfaisante puisqu'un quart de leurs produits ne trouvant pas preneurs, les coûts de cette surproduction, difficilement évaluables, constituent une charge pour les différents acteurs de la filière.

Mais cet état de fait est en partie inéluctable et traduit la capacité de l'édition à prendre et assumer (certains) risques.

Plus préoccupantes sont les tendances qui semblent à l'oeuvre du côté du lectorat. Une étude récente montre que celui-ci suit une lente érosion, le nombre des « grands lecteurs » déclinant tout particulièrement. Au nombre des facteurs de ce déclin, la profession fait ressortir la concurrence des écrans. D'autres variables sont certainement à l'oeuvre, quantitatives (le prix du livre paraît assez inélastique à certaines données), ou plus qualitatives - peut-être faudrait-il s'interroger sur les conditions dans lesquelles le livre se fait connaître dans les médias ou à partir de campagnes publicitaires dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne reflètent pas la diversité de la production.

Pour l'heure, l'édition de livres demeure, à égalité avec le secteur des jeux vidéo, la première industrie culturelle en France.

Elle bénéficie d'un contexte réglementaire favorable et de soutiens financiers utiles.

Le livre n'en apparaît pas moins fragile et s'il est un vecteur fécond et singulier de culture collective et individuelle, comme en a la conviction votre rapporteur pour avis, il est indispensable de mieux défendre cette « exception dans l'exception culturelle française ».

Cette année, votre rapporteur pour avis souhaite tout particulièrement mettre en lumière l'objectif de popularisation du livre numérique, la nécessité de soutenir les points de vente physiques du livre, la défense des éditeurs et des auteurs contre des déséquilibres croissants qui les pénalisent particulièrement, étant la toile de fond des préoccupations de votre rapporteur.

Compléter le contrat d'édition numérique

L'accord-cadre relatif au contrat d'édition du 21 mars 2013 a représenté une étape importante de l'adaptation des relations entre auteurs et éditeurs au numérique. Des compléments doivent être apportés à cet accord. Comme dans d'autres domaines - la musique en particulier - la question de la rémunération des auteurs n'a pas été résolue.

Elle engage tous les problèmes classiques : la détermination des droits, le sort des avances, le régime des cessions de droits, les revenus annexes...

Les éditeurs font valoir que la rémunération des auteurs, en parts du chiffre d'affaires, augmente. Ils admettent qu'appréciée individuellement elle se réduit.

Par ailleurs, doit être pris en considération le sort de la « rente numérique » dont l'ampleur n'est pas connue avec précision et se trouve encore limitée par le sous-développement du marché du livre numérique.

Une réflexion est en cours sur cet ensemble de questions. Votre rapporteur pour avis souhaite vivement qu'elle connaisse le sort heureux des négociations passées dans le secteur du livre et qu'elle échappe à l'enlisement constaté dans d'autres secteurs.

1. L'émergence contrariée du livre numérique
a) Une pénétration hésitante

Le chiffre d'affaires du livre numérique représente autour de 40 % du chiffre d'affaires net des éditeurs (105,3 millions d'euros en 2013).

Il a connu une forte progression l'année dernière (+ 28,6 %).

Les achats de livres numériques concernent encore majoritairement la demande professionnelle. On observe pourtant une augmentation du poids de l'édition numérique grand public dans le chiffre d'affaires des éditeurs de 1 à 2,3 %.

Mais le livre numérique est loin de la part qui lui revient aux États-Unis (aux alentours du quart du chiffre d'affaires) ou au Royaume-Uni (entre 15 à 20 %), qui constituent des exceptions dans les pays d'ancienne diffusion du livre.

Les progrès de la diffusion du livre numérique que les éditeurs souhaitent manifestement sont hypothéqués par une évolution notable du lectorat qui voit la population des grands lecteurs diminuer. Or ce sont ces lecteurs qui recourent aujourd'hui plus particulièrement à la lecture numérique.

Ces dernières années, le législateur a pris des initiatives importantes pour favoriser l'essor du livre numérique.

Il a créé les conditions d'un déploiement de l'offre.

Il a adapté le régime fiscal du livre numérique.

De leur côté, les professionnels ont réalisé des progrès dans l'adaptation du contrat d'édition à l'exploitation numérique.

Cet ensemble améliore le contexte du développement du livre numérique, mais il n'équivaut pas à une stabilisation complète qui requiert l'attention du législateur.

b) La numérisation des livres du XXe siècle

Le développement du livre numérique suppose que le catalogue disponible soit suffisamment large.

C'est à cet effet que le Parlement a adopté, à l'unanimité, dans les deux assemblées, la loi n° 2012-287 du 1 er mars 2012 sur la numérisation des livres indisponibles du XX e siècle.

Il s'agissait aussi de prévenir la constitution d'un monopole de diffusion numérique des oeuvres de l'esprit, Google ayant procédé à la numérisation de livres en s'affranchissant de la considération et des principes du droit d'auteur.

Le dispositif adapté émane des ouvrages dont les perspectives de diffusion numérique ne pourraient être envisagées au moment de la conclusion du contrat d'édition, les technologies correspondantes n'étant pas constituées.

Cette situation créait une sorte de vide juridique qu'il fallait combler. Le choix de recourir à la formule du mandat légal, entouré de précautions destinées à assurer le respect de l'esprit du droit d'auteur était utile et judicieux et juridiquement impeccable.

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé, le 28 février 2014, que la loi ne portait pas atteinte aux droits et libertés fondamentaux des auteurs ni des autres ayants droit.

Le dispositif est particulièrement respectueux de ces droits.

Il prévoit un transfert de l'exercice des droits numériques des livres indisponibles à une société de perception et de répartition des droits - la société française des intérêts des auteurs de l'écrit (SOFIA) -, gérée de façon paritaire par des représentants des auteurs et des éditeurs et agréée par le ministère de la culture et de la communication.

Mais ce transfert ne peut intervenir qu'au terme d'un délai de six mois après l'inscription des livres dans une base de données publique réalisée par la BnF (ReLIRE) , et sauf opposition des titulaires de droits. Après l'entrée en gestion collective, les titulaires de droits conservent la possibilité de se retirer, sans contrepartie, du dispositif dès lors que les droits d'exploitation numérique de l'oeuvre n'ont pas été cédés à un éditeur.

Le mécanisme préserve la liberté des éditeurs. Il encourage, en effet, l'éditeur originel du livre, s'il est encore en activité, à assumer l'exploitation numérique des livres concernés . D'une part, comme l'auteur, l'éditeur du livre peut s'opposer pendant le délai de six mois à l'entrée du livre en gestion collective. En revanche, contrairement à l'auteur, il doit assumer les conséquences de cette opposition et se trouve contraint de rendre de nouveau le livre disponible sous forme imprimée ou numérique. D'autre part, lorsque les droits numériques sont exercés par une société de gestion collective, cette dernière doit prioritairement proposer une licence exclusive à l'éditeur historique. Si celui-ci l'accepte et si l'auteur ne s'y oppose pas, il est là encore tenu d'exploiter le livre indisponible concerné.

Il reste que le dispositif est complexe. En cas de non-levée d'option par l'éditeur ou pour les oeuvres orphelines, celles dont l'ayant droit a disparu, les droits sont exercés par la SOFIA, société de gestion collective de l'édition de livres, celle-ci devant faire son affaire de la numérisation. En pratique, elle recourt à cet effet à une société créée par la profession, la Fenix, en échange de l'attribution à cette dernière d'une licence d'exploitation valable 5 ans.

La BnF a publié, le 21 mars 2013, une première liste de 60 073 livres sur son Registre des livres indisponibles en réédition électronique (ReLIRE), dont les droits d'exploitation numérique sont entrés en gestion collective le 21 septembre 2013 à défaut d'opposition de leurs éditeurs, de leurs auteurs ou des ayants droit de ces derniers. À ce jour, seuls 4,1 % des titres ont fait l'objet d'un retrait de ReLIRE par l'auteur ou par l'éditeur.

Le 21 mars 2014, une deuxième liste de 35 200 titres a été publiée.

S'agissant du financement de la phase de numérisation , la situation est longtemps restée critique, faute d'accord sur la participation des éditeurs et du commissariat général à l'investissement (CGI) au capital de la société de projet. Depuis, un montage financier a pu être trouvé grâce à l'engagement des éditeurs et du commissariat général à l'investissement.

Il n'en reste pas moins que la situation financière de la société chargée des opérations de numérisation peu t être considérée comme tendue.

c) Le « prix unique » étendu au livre numérique

Étendant au livre numérique la logique à l'oeuvre dans la loi de 1981 sur « le prix unique du livre » (loi n° 81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre), le législateur a souhaité attribuer aux éditeurs la faculté de déterminer le prix de vente des livres numériques par la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix du livre numérique.

À ce jour, le dispositif n'a fait l'objet d' aucune restriction de la part des autorités européennes. D'autres pays ont d'ailleurs adopté des législations similaires (Allemagne, Espagne et Italie).

Ailleurs, les éditeurs avaient réussi à maintenir une pluralité de réseaux de diffusion, via un contrat de mandat leur permettant également de fixer le prix du livre. Toutefois, la validité de ce type de dispositif a été récemment mise à mal par les décisions des autorités de régulation de la concurrence américaines et européennes , convaincues de l'entente de certains groupes d'édition en matière de fixation du prix du livre numérique.

Les éditeurs incriminés se sont alors engagés, pour éviter de trop coûteuses condamnations, à résilier leurs contrats de mandat avec les revendeurs pour leur permettre à nouveau de fixer librement le prix de vente des livres numériques aux consommateurs. L'entrée en vigueur de ces accords, à partir de la fin de l'année 2012, a donc signé le terme d'une période inédite pour les pays ne possédant pas de système de prix fixe du livre, où le prix des livres numériques était fixé par les éditeurs.

La Commission européenne précisait cependant, dans sa communication de septembre 2012 relative auxdits accords, que les engagements des éditeurs étaient « sans préjudice des législations nationales qui autorisent ou obligent les éditeurs à fixer le prix de vente au détail des livres numériques à leur propre convenance (législations sur les prix de vente imposés) ».

Ces procédures sont lourdes de conséquence pour la structuration du marché du livre numérique dans les pays où il n'est pas régulé par un prix fixe : l'interdiction, pour les principaux éditeurs, d'exercer un contrôle sur le prix de revente de leurs ouvrages pendant plusieurs années, devrait permettre à Amazon, soupçonné d'avoir largement contribué à l'ouverture de ces procédures, de retrouver la position très dominante qu'il exerçait sur ces marchés. De fait, la période d'application du contrat de mandat a ouvert significativement le marché du livre numérique en permettant à de nouveaux acteurs de s'y développer. Aux États-Unis, il est ainsi estimé que, durant cette période, la part de marché d'Amazon était passée de 90 % à 65 % des ventes de livres numériques.

Votre rapporteur pour avis estime que la fragilisation extrême du principe du contrat de mandat plaide, plus que jamais, pour une législation fixant un prix unique pour le livre numérique, telle qu'adoptée par la France.

Cependant, il faut veiller à ce que la loi ne soit pas contournée, comme elle semble l'être, par des pratiques commerciales frauduleuses. Plusieurs plateformes accueillent désormais des « Marketplace » - « Places de marché » - à l'égard desquelles elles ne jouent qu'un rôle d'hébergement. Les offres publiées sur ces comportements semblent s'affranchir des régulations mises en place.

Il convient d'être particulièrement vigilant sur de tels développements qui pourraient aboutir à une neutralisation des dispositifs de préservation des équilibres nécessaires à la vitalité de la création.

Votre rapporteur pour avis souhaite qu'une analyse approfondie de ces pratiques intervienne au plus vite et que les conséquences qui sembleront s'imposer soient toutes tirées.

d) La TVA sur le livre numérique

Ainsi la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 précitée a instauré, au 1 er janvier 2012, un parallélisme fiscal avec le livre physique en matière de TVA . Cette mesure a conduit la France au contentieux avec la Commission européenne, dont votre rapporteur pour avis, favorable au taux unique, appelle de ses voeux la résolution rapide.

L'alignement du taux de TVA du livre numérique
sur le taux réduit du livre : un contentieux européen

À la suite de l'adoption, par la France, d'un taux réduit de TVA sur les livres numériques applicables au 1 er janvier 2012, la Commission européenne a lancé une procédure en manquement contre la France et le Luxembourg, qui applique une législation similaire, le 3 juillet 2012, dont les conclusions devraient être connues en 2015.

La France a fait valoir que l'harmonisation du taux de TVA sur l'ensemble des livres est favorable à la diffusion de la culture et aux consommateurs et respecte le principe de neutralité fiscale , jugeant que le livre est avant tout une oeuvre de l'esprit, quel que soit son support.

En parallèle de cette procédure, la Commission européenne a toutefois lancé une consultation sur les taux réduits de TVA et envisage une modification de la directive concernée. Si le signal est encourageant, toute réforme fiscale requiert cependant l' unanimité des États membres.

À la suite de la Journée de Berlin du 9 septembre 2013 « Avenir du Livre, avenir de l'Europe », l'Allemagne, qui était l'un des principaux opposants à l'application du taux réduit sur le livre numérique, s'est ralliée à la France. Une majorité solide d'États membres est désormais favorable à cette réforme . Seuls quatre pays demeurent opposés à l'alignement des TVA « papier » et « numérique » : le Royaume-Uni (qui craint la remise en cause du taux zéro qu'il applique sur les livres papier), le Danemark, l'Estonie et la Bulgarie (pour des raisons d'orthodoxie économique).

Dans le cadre du Conseil Européen du numérique des 24 et 25 octobre 2013, la France a envoyé une contribution aux chefs d'État et de Gouvernement, à Herman Van Rompuy et à la Commission appelant à mettre en place une réforme de la TVA, afin de permettre l'application d'un taux réduit sur l'ensemble des biens et services culturels .

En définitive, l'avenir du taux réduit de TVA sur le livre numérique dépend d'une course de vitesse entre, d'une part, un processus judiciaire, qui suit son cours, certes lent mais inexorable, et, d'autre part, un processus législatif, qui évolue positivement mais nécessitera l'unanimité des États membres pour aboutir.

Source : Réponses au questionnaire budgétaire de votre rapporteur

L'argumentaire de la France qui plaide la neutralité fiscale du net pour le livre mais aussi pour les autres services culturels tend à gagner des suffrages. Le Parlement européen, avant son renouvellement, semble s'y être rallié, de même que l'Allemagne jusqu'ici très opposée à cet alignement fiscal.

Pour autant, la Commission européenne a saisi la Cour de justice de l'Union Européenne le 6 septembre 2013, ouvrant la perspective d'une condamnation aux prolongements budgétaires incertains mais susceptibles de peser au vu de l'écart de taux existant.

2. L'avenir inquiétant des librairies

L'un des leviers de la politique du livre réside dans le soutien aux librairies dans la perspective d'assurer la présence sur le territoire de petites librairies comme autant de noeuds d'accès à la lecture mais aussi comme acteurs de la chaîne économique du livre.

Différents instruments sont mobilisés à cet effet. Financiers ou réglementaires, ils apportent une contribution utile mais leur efficacité semble de plus en plus remise en cause par la structuration d'un pôle de distribution dominant aux avantages comparatifs sans commune mesure avec ceux des petits distributeurs, sur fond de déclin du chiffre d'affaires du secteur.

De fait, la situation des petits libraires est devenue alarmante malgré les mesures de protection destinées à les soutenir. Le taux de mortalité des petites librairies pourrait bien être à la veille de connaître un accroissement fatal aux équilibres qui règlent encore, mais de façon très précaire, la création de valeur économique et son partage entre les différents acteurs du livre. Les effets de telles évolutions sur les buts profonds de la politique du livre pourraient être dévastateurs, préoccupation à laquelle il faut ajouter la perspective d'une attrition de la valeur ajoutée nationale du secteur avec ses incidences fiscales et sociales hautement indésirables.

En bref, une réaction très vigoureuse s'impose, qui passe par l'exploration de mesures plus audacieuses que celles qui s'appliquent aujourd'hui.

a) La préservation des librairies physiques de petite ou moyenne dimension est une composante importante de la politique du livre

La préservation d'un réseau de librairies implantées sur le territoire répond à une double préoccupation : maintenir une bonne capillarité de l'accès au livre avec tous les effets socio-culturels qu'on en attend ; instaurer un contexte économique favorable à un certain équilibre des positions de négociation des différents acteurs du livre afin que le partage de la valeur préserve les moyens de la création et de la production littéraires.

• L'existence d'un réseau de distribution physique du livre est vue comme une condition essentielle d'un bon accès au livre et à la lecture

D'un point de vue commercial , la fréquentation d'une librairie recèlerait un effet multiplicateur en ménageant la possibilité d'achats d'impulsion moins probables lors de l'acquisition auprès de sites d'e-commerce ou des rayons librairie des grandes surfaces alimentaires aux fonds moins diversifiés.

Cet effet multiplicateur serait renforcé par l'éventail des échanges intersubjectifs, entre clients et libraires et entre clients eux-mêmes qui approfondissent l'horizon d'attente des lecteurs, à travers la communication d'expériences variées de lecture.

On trouve d'ailleurs là un fait social qui dépasse le camp de la seule lecture, les petits commerces offrant un espace de socialisation, qui, à soi seul, représente une « externalité », certes non marchande, mais très précieuse.

Le professionnalisme des libraires ne doit pas être négligé. Ils apportent une forme d'expertise, de sorte que, généralement, les librairies fournissent un service qui va bien au-delà de la fourniture de livres présents au catalogue du point de vente.

À tous égards, enfin, la gestion des espaces des petites librairies diffère de celle d'une grande surface où les gondoles font l'objet d'une gestion inspirée de contraintes d'optimisation. Si les grandes librairies électroniques ne peuvent se voir opposer ce constat, il n'est pour autant pas certain que la logique d'accès à leurs catalogues n'aboutisse pas à distordre les choix ouverts de leur clientèle avec des effets de concentration des demandes effectives sur certains titres bénéficiant d'une promotion commerciale particulière.

En bref, pour faire image, il y a entre le réseau des petits libraires et les autres canaux de distribution du livre des différences de logique assez semblables à celles qui séparent les pôles industriels des unités artisanales.

• Il faut encore envisager la contribution des librairies indépendantes à des conditions structurelles du marché du livre propices aux éditeurs et aux créateurs.

L'atomicité de la distribution à laquelle conduit la diversité des points de vente est ici la composante principale, par contraste avec des circuits de distribution hyper concentrés dont les positions commerciales tendent à dominer les négociations sur la formation et le partage de la valeur quand elles existent. Les contestations récurrentes des agriculteurs et des producteurs de l'agro-alimentaire face aux pratiques commerciales de la grande distribution sont trop connues pour qu'on s'étende sur un phénomène qui tend à réduire les revenus des unités d'amont des filières au profit des logiques de maximisation des marges des grands distributeurs.

Comme on l'indiquera à l'occasion de l'examen des mesures de protection des petites librairies, en particulier avec le « prix unique du livre », ces problématiques sont loin d'être absentes du domaine du livre.

b) Les instruments mobilisés apportent une contribution utile mais dont l'efficacité est de plus en plus remise en cause du fait des bouleversements du contexte de la distribution du livre

• Des soutiens financiers bienvenus mais qui suscitent quelques interrogations

Les soutiens financiers aux entreprises de librairie empruntent différents canaux et bénéficient d'une petite partie des crédits de la sous-action n° 4 du programme 334 sous revue. Ces dispositifs dont la gestion mériterait quelques éclaircissements ont été renforcés mais sans que soit comblé le fossé entre les moyens et les défis à relever.

Les crédits budgétaires consistent, pour l'essentiel, en des crédits déconcentrés confiés aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC) qui subventionnent des projets de librairies avec une vocation d'aménagement du territoire tandis qu'au niveau central, le syndicat de la librairie française, qui regroupe 600 librairies de toutes tailles, bénéficie d'un soutien. La subvention versée au SNL sur les crédits centraux s'élève à 215 000 euros à comparer avec des cotisations comprises selon les années entre 250 000 et 280 000 euros. Elle est justifiée par les services de conseil rendus par le syndicat.

Le soutien financier aux librairies ne mobilise ainsi qu'une faible proportion des crédits ministériels.

La sous-action est dotée de 15,7 millions d'euros de crédits d'administration centrale et de 3 millions d'euros de crédits déconcentrés dans le projet de loi de finances pour 2015. Les soutiens procurés par les DRAC en 2011 s'étaient élevés à environ 1 million d'euros.

En réalité, l'opérateur central des soutiens financiers aux librairies est le Centre national du livre (CNL), l'action conduite par l'association pour le développement de la librairie de création (ADELC) créée en 1988 apportant à cette politique une contribution importante. Dans le cadre du plan librairies annoncé le 25 mars 2013, le rôle primordial du CNL a été encore accru.

Conforter le Centre national du livre (CNL)

Le CNL conduit bien d'autres actions que celles destinées aux librairies. Il est un acteur central de la politique du livre par la diversité des soutiens qu'il met en oeuvre.

Établissement public, opérateur de l'État, le CNL est financé par deux taxes, aux produits très inégaux : la taxe sur les services de reprographie et d'impression (29,4 millions d'euros au budget initial du centre en 2014) et la taxe sur l'édition (5,3 millions d'euros en 2014).

Ces deux recettes subissent la discipline budgétaire de l'écrêtement. Celle-ci a été appliquée, malencontreusement, ces dernières années, alors même que le CNL a pu se trouver sollicité pour financer des interventions exceptionnelles, se voulant structurantes, comme ce fut le cas avec le plan-librairie. Mais les difficultés budgétaires du centre pourraient résulter dans un proche avenir de l'accentuation de la tendance à la baisse du produit de la première taxe mentionnée quand la taxe sur l'édition dépend, de son côté, de la vitalité économique d'un secteur qui est fragile.

L'inquiétude porte donc principalement sur le produit de la taxe « reprographie » Il baisse régulièrement sous l'effet du recul de la consommation de papier, notamment dans les entreprises.

La perspective d'une moins-value de recettes de 4 millions d'euros paraît désormais crédible dès le bouclage financier de l'exercice à venir du CNL. Elle aurait des effets sur l'ampleur des actions du CNL ou sur leur périmètre.

Cette évolution invite à se pencher sur des financements alternatifs qui devront intervenir tôt ou tard afin de compenser la réduction structurelle de la recette.

En effet, les prélèvements sur le fonds de roulement de l'établissement, largement sollicité ces dernières années, atteint sa limite. Ne restent disponibles que 2 millions d'euros sur le fonds de réserve, soit un mois à peine de fonctionnement du CNL.

Dans le passé récent, 20 millions d'euros ont été prélevés sur les réserves de l'établissement pour financer le plan-librairie (9 millions d'euros en 2013) puis le projet ReLire de la BnF rendu nécessaire par le plan de numérisation des ouvrages indisponibles du XX e siècle (9 millions d'euros à nouveau).

À ce niveau de contrainte financière, il faut s'inquiéter de la perspective de l'abandon par le CNL de certaines de ses interventions dont le détail est précisé ci-après.

Bilan annuel des aides 2013

Source : Centre national du livre

Sans doute est-il toujours possible de procéder à des choix, les interventions du CNL ressortant comme particulièrement foisonnantes. Mais leur diversité est pour une bonne part le reflet de celle des relais de la lecture et ce qui apparaît marginal dans le budget du CNL est souvent essentiel pour le bénéficiaire.

Les progrès de gestion pourront être plus conséquents s'agissant des interventions substantielles du centre.

À cet égard , il est étonnant que des deniers publics puissent être délégués à des entités extérieures sur lesquelles le contrôle de leur emploi est des plus réduits . De la même manière , certaines actions, la promotion du livre français à l'exportation dont les résultats sont médiocres (100 millions d'euros de déficit nouveau), mériteraient sans doute une réévaluation d'ensemble pour les optimiser en les coordonnant plus étroitement avec les missions analogues d'autres organismes.

Enfin, la conditionnalité des soutiens du CNL pourrait être enrichie de certaines considérations, comme les recours à des moyens techniques de fabrication du livre, satisfaisant les normes de qualité que la France a toujours su promouvoir, mais dont les savoir-faire tendent à s'effacer sous l'effet de la fragmentation internationale de la chaîne de production.

Hors les deux taxes affectées, le CNL ne perçoit aucune subvention de la part de l'État mais celui-ci prend en charge 16 équivalents temps plein annuel travaillé (ETPT) financés sur les crédits du ministère de la culture complétant les 50 emplois rémunérés par l'opérateur.

Les recettes de l'établissement sont complétées par quelques recettes d'investissement qui reflètent principalement le placement de sa trésorerie de sorte que le budget prévisionnel pour 2014 atteignait 36 millions d'euros.

Les dépenses du CNL sont principalement des dépenses d'intervention (environ 26 millions d'euros au budget prévisionnel pour 2014, soit près des trois quarts des charges). En 2011, les interventions directes du CNL au profit des librairies s'étaient élevées à 1 634 000 euros auxquels il convenait d'ajouter une subvention de 260 000 euros au bénéfice de l'ADELC. Le soutien aux librairies était ainsi loin de prendre la première place dans les interventions du CNL. Rapportées au budget 2014, les interventions effectuées en 2011 à ce titre représentaient à peine 7,3 % du total. Avec le « plan-librairie », cette situation devrait fortement évoluer.

Les aides individuelles du CNL relèvent classiquement de trois catégories :

- les subventions pour la mise en valeur des fonds en librairie (subventions VAL) auxquelles sont éligibles les librairies labellisées LIR et désormais LR (ces librairies doivent satisfaire à des critères d'indépendance plus ou moins stricts, de diversité de l'offre, d'animation culturelle et de capital humain). Les subventions VAL sont décrites dans le rapport consacré par l'IGAC, au soutien aux librairies comme des subventions de fonctionnement parfois structurelles. Elles ont bénéficié à 220 librairies en 2011, soit 40 % des entreprises éligibles pour un montant moyen de 4 343 euros, une trentaine de librairies bénéficiant de subventions plus importantes pouvant atteindre 10 000 euros ;

- les subventions aux stocks concernent les lancements de projets correspondant à des qualités comparables à celles des librairies labellisées. En 2011, 18 librairies ont reçu à ce titre un montant d'aide de 178 500 euros moyennant une dispersion des soutiens unitaires entre 5 000 et 20 000 euros.

- des prêts à taux zéro financent des projets structurants, en particulier de numérisation. Ils sont consentis pour une durée de 7 ans et ont été accordés en 2011 à 19 librairies pour un montant total de 493 500 euros avec une forte dispersion là également puisque les prêts unitaires vont de 7 500 à 80 000 euros.

L'ADELC agit par apports non rémunérés de fonds en compte courant (exceptionnellement par des subventions) à partir d'un fonds de soutien doté de 16 millions d'euros au fil de donations successives, de contributions des adhérents et de fonds dédiés. Elle regroupe plusieurs éditeurs et se veut l'instrument d'une solidarité intra-filière. En 2011, ses interventions avaient atteint un peu plus de 1 million d'euros au bénéfice de 32 librairies pour une somme unitaire moyenne comparativement élevée de 34 568 euros. Par ailleurs, l'ADELC gère un fonds spécifique d'aide à la transmission des librairies constitué par une dotation du ministère de la culture et de la communication de 3 millions d'euros. Il s'agit essentiellement d'assurer la présence de librairies dans les centres urbains.

Il arrive que l'ADELC intervienne au profit de librairies situées en dehors du territoire national, ce qui n'est pas illogique au vu de l'objet de l'association, mais les 28 millions d'euros qu'elle a mobilisés depuis sa création en 1988 au profit de 412 librairies ont été presque exclusivement attribués à des entités sises en France.

Il faut encore relever l'intervention de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) à travers son fonds « industries culturelles » qui peut garantir les emprunts effectués par les librairies auprès des banques. Mais cette intervention était restée très résiduelle et avait décliné puisqu'alors qu'elle concernait une dizaine de nouveaux dossiers par an à la fin des années 2000, elle était tombée à trois ou quatre depuis trois ans.

Le « plan librairies » annoncé en mars 2013 a fait l'objet d'une présentation complète dans le rapport pour avis de votre commission à l'occasion du projet de loi de finances pour 2014. 5 ( * )

Il comporte plusieurs volets :

la mobilisation des ressources du CNL à hauteur de 9 millions d'euros partagées entre l'IFCIC, pour faciliter le financement des besoins de trésorerie des librairies (5 millions d'euros) et l'ADELC dans une perspective de financement de la transmission (4 millions d'euros).

un doublement des aides classiques du CNL ;

l'instauration d'un « Médiateur du livre », autorité administrative indépendante chargée de rechercher la conciliation pour les conflits pouvant opposer les différentes unités de la filière avant un recours au juge ;

l'assermentation d'agents du ministère pour constater les infractions aux lois concernant les prix uniques du livre (papier et numérique).

Votre commission avait salué cette initiative, regrettant toutefois que quatre points de vigilance n'aient pas été alors suffisamment abordés :

Le relèvement du seuil de la procédure d'appel d'offres de 15 000 à 50 000 euros dans le cadre des achats des collectivités publiques qui représentent entre 15 et 25 % du chiffre d'affaires des librairies ;

La limitation de l'augmentation des loyers ;

l'amélioration des marges commerciales ;

l'adaptation de la conditionnalité des aides à des moyens d'aménagement du territoire.

Votre rapporteur pour avis s'associe largement à des regrets auxquels quelques éléments de préoccupation doivent être ajoutés ;

la sollicitation du budget du CNL intervient dans un contexte tendu par le plafonnement des recettes de l'établissement et devrait obliger à des arbitrages qui peuvent avoir des effets négatifs sur ses autres missions ;

le « plan librairies » ressort comme largement en retrait par rapport aux recommandations établies par le rapport consacré à l'aide aux librairies par l'IGAC (v. infra) ;

il convient de déplorer avec force que le régime de la conditionnalité des soutiens publics n'ait pas été clarifié à l'occasion de cette initiative ;

de même (v. infra ), il aurait été à tous égards souhaitable d'engager une concertation afin que les paramètres de partage de la valeur économique de la filière livre ressortent clarifiés et modernisés de sorte que les équilibres atteints soient cohérents avec l'objectif d'un maintien du réseau de librairies sur le territoire ; à cet égard, il faut cependant saluer l'initiative du CNL de conclure des conventions territoriales avec les régions pour intégrer à ses dispositifs de soutien ceux accordés localement aux librairies de qualité qui ne réunissent pourtant pas des conditions usuelles de soutien par le CNL ;

enfin, les conditions de gouvernance des aides posent un problème de principe. Votre rapporteur s'interroge sur la cohérence existant entre la provenance du financement du plan - une contribution du CNL - et la gouvernance des interventions ainsi financées confiée à l'IFCIC et à l'ADELC.

• Les librairies bénéficient de mesures réglementaires destinées à préserver leur position compétitive menacée par les grands réseaux de distribution mais l'efficacité de ces protections est de plus en plus incertaine.

(1) Le régime du prix unique du livre et son extension au livre numérique

Depuis 1981, le régime du prix unique du livre est vu comme une protection majeure des librairies indépendantes.

La loi oblige les distributeurs à appliquer le prix fixé par les éditeurs. Elle ménage cependant une marge de modulation de 5 % de ce prix. Elle s'applique aux livres neufs.

La loi a effectivement protégé les librairies tant que le numérique était dans les limbes. Depuis, le développement des plateformes de vente à distance semble s'accompagner d'une multiplication de contournements, difficiles à maîtriser en dépit du système de la Hadopi et de l'existence d'un corps de contrôle des pratiques commerciales.

L'essor des « market-places » 6 ( * ) illustre les difficultés rencontrées.

Par ailleurs, même si elle a une dimension internationale, la loi sur le prix unique du livre est confrontée, en pratique, aux limites de contrôles sur des sites de fait peu accessibles. Handicap d'autant plus sérieux que la volonté de contrôle des administrations théoriquement compétentes ne s'est jusqu'à présent pas suffisamment manifestée.

(2) La réglementation de la vente à distance

L'année en cours a vu l'adoption définitive de la proposition de loi 7 ( * ) tendant à encadrer les conditions de la vente à distance des livres. Celle-ci s'accompagnait jusque-là de pratiques commerciales, qu'il s'est agi de combattre faussant la portée de la loi sur le prix unique du livre, adoptée en 1981, afin de défendre le réseau des librairies indépendantes contre la puissance commerciale de certaines enseignes et ses menaces sur la pérennité de ces librairies.

Cette loi qui a interdit toute concurrence par les prix entre les distributeurs, à quelques exceptions près (voir infra , les développements consacrés à exposer quelques interrogations sur l'impact du dispositif), a entendu prévenir une situation qui aurait nécessairement tourné aux dépens des « petites » librairies dans une position concurrentielle les empêchant de participer à une éventuelle guerre des prix. Le prix unique du livre a été d'emblée contesté ou, plus sournoisement, contourné par une série de pratiques commerciales qui ont fait l'objet d'une jurisprudence constamment réprobatrice sanctionnant, notamment, les remises illicites, les ventes à prime et autres circuits d'exportation-réimportation constitutifs de fraudes à la loi.

Cependant, le régime appliqué aux frais de port par quelques enseignes du commerce en ligne a posé problème dès les années 2000. Un contentieux a été ouvert sur ce point par le Syndicat de la librairie française qui a soutenu, un temps avec succès, que la gratuité des frais de port était constitutive d'une vente à prime. Cette bonne fortune judiciaire a cessé avec l'arrêt de la Cour de Cassation du 6 mai 2008 quand celle-ci a jugé que c'était à tort que cette gratuité avait pu être qualifiée de prime susceptible de contrevenir aux dispositions de la loi de 1981.

C'est dans ces conditions que le législateur est intervenu en complétant la loi de 1981 par un dispositif qui a évolué au cours de la discussion parlementaire pour aboutir à un équilibre dont il faudra s'assurer de l'efficacité.

La faculté ménagée aux détaillants de ristourner jusqu'à 5 % du prix unique fixé par les éditeurs ou les importateurs est fermée dans l'hypothèse où le livre, expédié à l'acheteur, n'est pas retiré dans un commerce de vente au détail de livres, situation qui vise les ventes à distance réalisées sans intermédiation d'un libraire physique.

Toutefois, le détaillant peut pratiquer une décote à hauteur de 5 % du prix appliqué au tarif de livraison qu'il établit, mais sans pouvoir offrir ce service à titre gratuit.

Ce dispositif doit être interprété au vu des intentions du législateur, qui sont claires. Il s'agit d'assurer un avantage de prix aux librairies physiques par rapport au commerce électronique de livres. Ainsi la notion d'offre à laquelle le texte se réfère doit être prise non seulement au sens d'une proposition commerciale mais encore à celui d'une prestation concrètement fournie. Toute autre interprétation permettrait aux vendeurs à distance d'établir un tarif de service de livraison très bas et d'appliquer la décote de 5 %, de sorte que le prix du livre pourrait avoisiner celui des librairies physiques à un centime d'euro près.

Ainsi deux acquis ressortent de la loi :

- l'interdiction de remiser 5 % sur le prix du livre vendu à distance qui confère aux librairies physiques un avantage de prix insusceptible d'être concurrencé ;

- l'interdiction de recourir à des annonces commerciales vantant la gratuité des frais de port, inaccessibles à la plupart des librairies traditionnelles.

Par ailleurs, le dispositif adopté conduit à un équilibre concurrentiel différent pour les sites de vente en ligne. Ils pourront toujours se concurrencer sur les tarifs de frais de port, mais la plage de leur concurrence ressort réduite du texte puisqu'elle ne comportera plus la remise sur le prix unique.

Au total, la portée de l'unicité du prix du livre, condition d'une concurrence moins déséquilibrée entre les différentes structures commerciales, est confortée par la loi. Elle devrait notamment permettre aux librairies physiques de développer leurs ventes à distance, développement inaccessible si la loi n'avait pas été adoptée du fait des barrières à l'entrée opposées par les grandes entreprises de vente à distance.

Toutefois, la tendance à la concentration des commerces du livre et celle d'un renforcement des parts de marché des distributeurs numériques restent deux hypothèses fortes d'un horizon prospectif.

Les conditions d'application de la loi sont en cause mais d'autres considérations apparaissent encore plus décisives.

Du premier de ces points de vue, il apparaît d'ores et déjà que des pratiques du commerce électronique visant à fournir le service de livraison à un prix très modique soient intervenues de sorte que les enseignes peuvent désormais communiquer sur une quasi-gratuité avec les effets qu'une telle communication peut exercer en termes d'attractivité.

Par ailleurs, la loi n'ôte rien à l'attractivité d'une formule de commercialisation utile aux zones de « désert de librairies ». Au demeurant, la volonté de concilier les initiatives de tous les acteurs du e-commerce a joué : le système d'incitations n'a finalement pas été profondément modifié.

Enfin, dans l'avenir, il est à envisager que les entreprises de distribution du livre développent leur activité éditoriale, comme c'est déjà le cas pour des biens de consommation courante. En ce sens, Amazon a déjà constitué une fonction d'édition qui passe pour l'heure par une offre d'autoédition sur son site d'oeuvres numériques. D'ores et déjà, sur les 100 meilleures ventes de livres homothétiques réalisées par Amazon, dix-sept concernent des ouvrages autoédités.

c) Une politique confrontée à un désastre économique ?

Le réseau des libraires structurellement très fragile semble à la veille de subir une vague puissante de destructions nettes d'entreprises.

Les contours du secteur de la librairie peuvent être appréciés diversement selon qu'on en retient une conception très large renvoyant à la notion de « point de vente de livres » ou une définition plus étroite, celle privilégiée par les organismes professionnels ou par les organisations en charge du soutien aux libraires.

Dans tous les cas, le secteur de la librairie apparaît menacé mais les fragilités touchent plus particulièrement la distribution du livre envisagée dans son acception la plus large, de commerces de détail.

Pour les librairies considérées sous un angle plus restrictif, c'est-à-dire les 2 500 à 3 000 librairies disposant d'un fond suffisamment étoffé, les inquiétudes, pour être moins prégnantes, ne manquent pas davantage.

Le commerce des biens culturels, aperçus tendanciels

En 2011, selon l'INSEE, la vente au détail de biens culturels représente un marché de 8 milliards d'euros, dont 3,5 milliards pour le livre, 2,7 milliards pour la presse, et 1,9 milliard pour la musique et la vidéo.

Entre 1996 et 2011, les ventes de livres ont été dynamiques, passant de 2,2 milliards à 3,5 milliards d'euros. L'augmentation atteint 57 % en valeur dans un contexte où les prix n'ont cru que de 18 %. Les volumes ont donc progressé de 33 % au cours de la période.

De leur côté, le marché de la musique et de la vidéo a été peu porteur. Par rapport à 1996, les ventes au détail ont augmenté, passant de 1,7 à 1,9 milliard d'euros. Compte tenu d'un repli des prix de 30 %, cette évolution ménage une croissance des volumes acquis. Mais, les années 2000 ont vu se produire un retournement spectaculaire du marché. Entre 2007 et 2011, le recul des CD physiques atteint 38 %.

La structure de la distribution des biens culturels a considérablement évolué sous l'effet de la percée de deux modes de commerce : les grandes surfaces alimentaires et l'Internet.

Source : INSEE Première n° 1517 Octobre 2014

Source : INSEE Première n° 1517 - Octobre 2014

Pour le livre, si le commerce spécialisé demeure majoritaire, il a perdu 19 points de parts de marché depuis 1996. Les grandes surfaces alimentaires ont gagné 5 points de parts de marché mais l'e-commerce des livres a fait mieux avec un gain de 17 points. Nulle en 1996, sa part de marché ne cesse de progresser. Les sites français ne captent qu'une part minoritaire de ce chiffre d'affaires (32 %) quand les sites des entreprises installées à l'étranger réalisent 68 % des ventes via Internet.

Des évolutions semblables s'appliquent à la musique et à la vidéo. La part de marché des grandes surfaces alimentaires a gagné 10 points depuis 1996 ; la vente à distance par Internet, 28 points. Ce sont les sites étrangers accessibles en France qui concentrent le plus cette progression (79 % des ventes par Internet).

Dans ce contexte, les magasins spécialisés subissent un profond recul de leur influence. C'est particulièrement le cas pour la musique et la vidéo avec une division de leur part de marché par deux (de 40 à 20 %).

Pour le livre, revues et journaux, le nombre de commerces de s'élève à 14 600 entreprises qui emploient 22 000 salariés et réalisent 5,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. L'INSEE précise qu'il s'agit d'entreprises de petite taille (1,5 salarié en moyenne), réalisant un chiffre d'affaires de l'ordre de 380 000 euros. Les trois plus grandes entreprises réalisent 22 % du chiffre d'affaires et les dix plus grandes 29 %. Même si 3 % des magasins occupent à peu près un tiers de la surface de vente, le secteur peut être qualifié d'encore peu concentré mais les évolutions en cours sont susceptibles de révolutionner cette situation (voir infra). Les enseignes sont relativement peu présentes avec 46 % du chiffre d'affaires du secteur contre 68 % pour le commerce en général.

Le secteur subit un recul très sensible de sa vitalité. Le nombre des commerces a diminué de 23 % depuis 1996. Les effectifs salariés ont quant à eux baissé de 14 % contre une hausse de 24 % dans le commerce de détail. Si le chiffre d'affaires a cru de 14 % en valeur, cette performance est à comparer avec celle de l'ensemble du commerce de détail qui a connu une augmentation de 70 %. Par ailleurs, pour ces commerces, le volume écoulé a baissé de 11 %. Le taux de marge des librairies est faible. : 13 % en 2011. En moyenne pour l'économie générale, il s'élève aux alentours de 33 % en rythme de croisière (la crise s'est accompagnée d'une réduction de l'ordre de 4 à 5 points du taux de marge). C'est dire si les bénéfices dégagés par la valeur ajoutée des entreprises du secteur laissent en moyenne peu de place à la rémunération du risque et au financement propre de l'investissement.

Encore faut-il observer que la dispersion des situations, très significative, laisse le plus grand nombre des commerces de détail dans une situation de plus en plus précaire qui laisse mal augurer de leur devenir et pourrait constituer un indice avancé d'une considérable restructuration du secteur dans les prochaines années.

Si les entreprises pérennes, c'est-à-dire celles qui existaient déjà en 1996, tirent leur épingle du jeu avec un chiffre d'affaires en hausse de 38 % sur la période et des emplois à peu près stabilisés (- 2 %), elles ne représentent que 20 % des entreprises du secteur. Pour le reste, le taux de mortalité des commerces de détail du secteur ressort comme élevé puisque 84 % des entreprises présentes en 1996 ont depuis disparu. Certes, le taux de natalité n'est pas négligeable : 80 % des entreprises actives en 2011 n'existaient pas en 1996. Mais la hausse du chiffre d'affaires du secteur leur a peu profité puisqu'elles ne s'en sont partagées que 10 % soit 68,6 millions d'euros répartis entre 11 680 entreprises soit un gain unitaire moyen de l'ordre de 5 700 euros au cours de leur période d'existence. 20 % des commerces ont capté 90 % de la progression du chiffre d'affaires, soit 617 millions d'euros et un gain unitaire moyen supplémentaire de 211 000 euros.

En outre, depuis 2012, le chiffre d'affaires des entreprises du secteur connaît une chute prononcée avec une baisse de 5,7 % en 2012 accentuée en 2013 (- 8,3 %). Sans que cette observation puisse être étayée par des données encore indisponibles, on peut imaginer que la totalité des gains de chiffre d'affaires des petites entreprises du secteur réalisés depuis leur création a été beaucoup plus qu'effacée au cours de ces deux dernières années. Le taux de marge de nombre d'entreprises doit être aujourd'hui proche de zéro, sinon négatif.

Ainsi, le taux de mortalité des librairies semble devoir s'élever considérablement dans un contexte où les charges ne s'infléchissent pas alors que les revenus, déjà très tendus, se contractent.

d) Un vigoureux sursaut s'impose qui passe par des mesures audacieuses

Un rapport remis par l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) avait dessiné en 2013 un scénario d'action ambitieux.

Un rapport de M. Serge Kancel 8 ( * ) de janvier 2013 avait avancé plusieurs propositions pour renforcer le soutien aux librairies qu'on trouvera résumées ci-dessous.

Présentation des principales propositions du rapport de l'IGAC
sur le soutien aux librairies (janvier 2013)

Renforcement des soutiens financiers

Renforcer le dispositif de soutien par le nombre des aides accordées comme par leur montant unitaire sous forme de subvention comme de prêts autour de quatre enjeux prioritaires :

. le renflouement et la restructuration de trésorerie ;

. la transmission/rachat de fonds de commerce ;

. l'accompagnement professionnel et la formation continue

. l'adaptation au numérique.

Lutter contre le saupoudrage voire la quasi-automaticité pour certains dispositifs et accroître la sélectivité des subventions quitte à abandonner le dispositif VAL du CNL qui s'est rapproché d'un système d'accompagnement permanent d'un panel de libraires.

Réfléchir à un certain desserrement des critères de labellisation et d'éligibilité à la subvention afin d'augmenter le nombre des bénéficiaires potentiels (ce qui peut apparaître quelque peu paradoxal avec la proposition précédente.

Ménager la possibilité de soutenir la partie « librairie » de projets de diversification commerciale vers une pluriactivité.

Constituer un groupe de référents libraires issus des professionnels retirés afin de transmettre les savoir-faire.

Concrétiser au Centre national du livre un portail Internet et téléphonique de conseil et d'accompagnement aux libraires.

Offrir la possibilité d'une prise en charge en tout ou partie, en fonction du chiffre d'affaires, pour les nouveaux libraires la cotisation d'adhésion à Datalib et à Dilicom.

Même proposition s'agissant de l'abonnement à Electre.

Restructurer le dispositif de subventionnement du CNL autour d'un effort supplémentaire de l'ordre de 1 à 2 millions d'euros par an avec l'octroi d'une cinquantaine de subventions structurelles entre 15 et 25 000 euros en moyenne, une centaine de prises en charge ponctuelles (jusqu'à 5 000 euros) et une centaine de journée d'accompagnement in situ (2 000 euros par unité). Ces mesures pourraient être financées soit par redéploiement à partir du budget hors librairie du CNL, soit par accroissement des taxes affectées, soit par subvention du ministère de tutelle, soit, transitoirement par mobilisation du fonds de roulement.

Créer à l'IFCIC un Fonds additionnel et spécifique de contre-garantie de prêts bancaires à 70 % jusqu'à 1 million d'euros en finançant le capital initial par prélèvement sur le fonds de roulement du CNL pour un enjeu de 2 millions d'euros.

Créer au sein de l'IFCIC un Fonds d'avances directes en trésorerie la mise de fonds initiale étant financée pour 2 millions d'euros par le Cercle de la librairie.

Mobiliser les ressources et dispositifs de la Banque publique d'investissement.

Amélioration de l'efficacité du soutien à la librairie par des outils de concertation, d'observation et d'alerte

Mettre rapidement en synchronisation les tableaux de subventions et instruments de suivi du service du livre et de la lecture (SLL) et du CNL afin de constituer un outil d'aide à la décision en matière de subvention publique.

Confier à un organisme spécialisé un travail méthodologique permettant la mise en place d'indicateurs réactifs aux situations conjoncturelles difficiles.

Organiser sous l'impulsion du SLL une mise à plat interprofessionnelle de la question des remises et des délais et envisager une intervention régulatrice si nécessaire.

Organiser sous l'égide du SLL une réflexion globale sur le prix du livre envisageant une mutualisation des gains structurels dégagés par la distribution sous format numérique.

Mutualiser les données au sein de Datalib dont les adhésions devraient progresser.

Raviver la mise en place par la filière d'un dispositif informatique général sur les ventes sur le modèle du britannique Bookscan.

Constituer une base de données économique des librairies.

Évaluer les formations aux libraires.

Relancer une concertation interministérielle pour la réactivation du FISAC culturel.

Création d'un Fonds de soutien à la librairie face à la dégradation économique du secteur.

Créer un Fonds de soutien qui développera et centralisera l'ensemble des fonctions nationales de soutien aux entreprises du secteur confié au CNL et doté de 10 à 15 millions d'euros. Il pourrait être financé par une taxe participative sur le chiffre d'affaires des libraires, par une contribution des éditeurs pour un montant équivalent à celui à la charge des libraires, par une taxe sur le livre et une mise à contribution des acteurs de l'économie numérique.

Même si le « plan librairies » s'est étroitement inspiré de ces propositions, des impasses ont été faites sur certaines d'entre elles, pourtant importantes. Par ailleurs, d'autres pistes pourraient être explorées.

(1) Pour une mise à niveau du soutien public aux librairies, en cohérence avec le maintien d'un réseau de points de vente physiques sur tout le territoire

Le « plan librairie » a entendu apporter des solutions à quelques-uns des problèmes structurels des entreprises concernées : le financement de la trésorerie, celui de la transmission.

Pour autant, les moyens dégagés appellent quelques observations à la fois sur leur niveau et sur leur nature.

Le rapport de l'IGAC mentionné précédemment avait préconisé la constitution d'un fonds de soutien à hauteur de 10 à 15 millions d'euros. En juillet 2013, le syndicat de la librairie française avait de son côté mentionné que 18 millions d'euros seraient mobilisés dans le cadre du « plan librairie », faisant notamment état d'un engagement des éditeurs de procurer à un fonds chargé de restructurer les fonds de roulement des librairies 7 millions d'euros.

Cet engagement paraît être en attente de traduction effective.

En toute hypothèse, un exercice de clarification des besoins s'impose, d'autant que les données économiques et démographiques indiquent que de nombreux commerces de livres sont menacés.

Cet exercice devrait être conduit au plus vite sur la base d'une redéfinition de la conditionnalité des interventions publiques qui diversifie les approches et puisse mieux promouvoir la dimension territoriale du problème.

Le bilan quantitatif des aides dressé par la mission de l'IGAC fait ressortir une contribution effective du système de soutien financier décrit plus haut. Les tableaux ci-après récapitulent les données disponibles pour apprécier l'intervention des différents guichets.

Source : Rapport de Serge Kancel « Le soutien aux entreprises de librairie »

La mission de l'IGAC conclut que pour 2011, 600 décisions de soutien avaient été prises se répartissant entre l'octroi de subvention dans les deux tiers des cas et de prêts pour le reste pour une masse financière totale de 4,655 millions d'euros. Compte tenu du cumul des soutiens, 458 librairies auraient été aidées. La moitié des aides va à des entreprises dégageant un chiffre d'affaires compris entre 250 000 et 850 000 euros et proposant entre 7 500 et 25 000 références sur des surfaces de vente comprises entre 75 et 200 m 2 où travaillent entre deux et sept personnes. Il s'agit d'établissements de dimension moyenne (et non de petits établissements) au vu de la population générale des librairies. L'IGAC estime encore qu'au total, « une part essentielle du tissu des entreprises potentiellement concernées a probablement été impactée » au cours de ces dernières années. « Entre 500 et 1 000 librairies indépendantes ont pu se trouver aidées par un canal ou par un autre » , affirme-t-elle.

Cette appréciation gagnerait en crédibilité si cette fourchette d'estimation, qui ne témoigne pas d'une connaissance réellement précise du fonctionnement du système d'aides, était moins large et avait pu être rapportée à un échantillon des commerces du livre plus représentatif que celui nécessairement étroit des librairies éligibles. Par ailleurs, l'appréciation quantitative du dispositif suppose quelques observations complémentaires.

De ce point de vue, une forme de sélectivité des aides qui se concentrent sur des entreprises d'une taille relativement importante doit être relevée. Certaines grandes librairies avec un chiffre d'affaires supérieur à 20 millions d'euros et proposant jusqu'à 300 000 références avec un personnel nombreux sont également aidées comme l'observe l'IGAC. De fait, la confrontation de l'aide moyenne avec l'aide médiane indique l'existence d'une concentration des aides autour des soutiens importants, dont il faut imaginer qu'ils bénéficient plus spécifiquement aux unités relativement développées. C'est tout particulièrement le cas pour le dispositif géré par l'ADELC mais les prêts consentis par le CNL confirment cette situation.

Cette sélectivité contraste avec le constat fait par le rapport de l'IGAC sur le saupoudrage des aides. En la matière, il est difficile de trancher. La structuration du système d'aides peut suivre deux logiques qui ont chacune leur cohérence : une logique de soutien à des établissements présentant des perspectives économiques crédibles qui va plutôt vers la concentration des aides ; une logique de présence des unités de distribution du livre sur le territoire, qui peut s'accommoder d'une forte dispersion des soutiens. En réalité, le système d'aides financières paraît poursuivre ces deux logiques, le CNL distribuant davantage ses interventions que l'ADELC qui semble plus sensible à des contraintes de viabilité économique.

Cette observation macroscopique appelle à une analyse à un niveau microscopique du fonctionnement du système de soutien financier. La gestion des interventions au profit des librairies implique des décisions concernant des unités individuelles. Un certain encadrement intervient à travers le filtre de la labellisation évoqué plus haut. Pour autant, les critères de soutien devraient être plus transparents. Au-delà, il convient de s'interroger sur les critères d'éligibilité. Ils ne favorisent pas l'orientation du système d'aides vers une diversification de la présence des librairies sur le territoire. Il est sans doute excellent de conditionner les soutiens à des critères de qualité, mais ce type de conditions exerce des effets discriminants qui peuvent aller à l'encontre du but recherché. Par ailleurs, il faut relever l'aspect quelque peu statique de la conditionnalité telle qu'elle est posée. Une redéfinition des conditions autour d'une conception plus soucieuse des projets qui déterminent le succès d'une librairie et de l'apport des commerces concernés en termes d'accessibilité au secteur du livre pourrait être recommandée.

Enfin, la récurrence des aides mériterait un examen particulier. Le bilan dressé par l'IGAC n'apporte pas d'informations à ce sujet si bien que le degré de concentration des aides dans le temps n'est pas identifiable. Sans doute faut-il observer que certaines interventions publiques suivent une logique de ponctualité des soutiens, autour d'événements singuliers de la vie des entreprises de librairie. Mais, au niveau individuel de chaque entreprise, ceux-ci peuvent être plus ou moins fréquents de sorte que des phénomènes d'abonnement peuvent concerner ce type d'aides comme d'autres. L'état des commerces du livre montre que les situations critiques concernent près de 90 % des unités. Selon toute apparence, celles-ci ont peu de chance d'être aidées, du moins avec récurrence. Des clarifications sur la significativité de la population des librairies effectivement soutenues, dans le temps, s'imposent.

Le rapport de l'IGAC conclut en ce sens. Le ciblage des aides lui paraît devoir être révisé. Votre rapporteur pour avis souhaite qu'une réflexion intervienne rapidement à ce sujet et qu'à cette occasion le déploiement des librairies sur le territoire ainsi que des conditionnalités dynamiques conçues en fonction des facteurs qui, aujourd'hui, conditionnent le succès durable des librairies physiques (l'accès aux TIC notamment) soient pleinement pris en compte.

En toute hypothèse, le niveau des soutiens accessibles est aujourd'hui beaucoup trop contraint pour qu'on puisse juger que les moyens de la politique en faveur des librairies sont réunis.

Par ailleurs, il faudrait veiller à ce que la modernisation des commerces physiques, autour des enjeux bien compris de la diffusion numérique du livre, soit mieux prise en compte . De ce point de vue, une mobilisation de l'outil fiscal pourrait être envisagée. Compte tenu de l'ampleur des questions fiscales que pose l'économie numérique, cette dimension fait l'objet de développements à part entière dans le présent rapport.

On se contentera ici d'évoquer pour le futur une modulation éventuelle des taux de TVA selon la réalité économique des distributeurs ainsi que l'impérieuse nécessité d'une contribution effective de certaines grandes entreprises multinationales à l'imposition.

(2) Pour une pratique des remises commerciales adaptée aux objectifs de la politique du livre

La loi sur le prix unique du livre encadre les remises que peuvent consentir les éditeurs aux distributeurs.

Pourtant, la pratique semble s'accommoder de ristournes systématiques, plus ou moins élevées selon la distribution du pouvoir de négociation entre des intérêts en présence.

On évoque des marges commerciales pour certains grands distributeurs beaucoup plus importantes que pour les librairies de plus petite dimension. Dans son rapport pour avis sur la loi de finances pour 2014, votre commission de la culture avait regretté que le « plan librairies » n'ait pas été l'occasion de traiter cette question qui pose quelques problèmes aigus :

• combinées avec les dispositions relatives au prix unique du livre, l'inégalité des remises accordées a pour effet de renforcer les marges commerciales des grands distributeurs qui sont déjà les plus confortables, si bien que leur disposition à ristourner aux clients une partie du prix du livre s'en trouve encore favorisée, accentuant l'inégalité de concurrence entre points de vente ;

• le pouvoir de négociation des grands distributeurs leur permet de prélever une portion conséquente de la valeur économique créée par la filière, au détriment des acteurs de l'amont (éditeurs et auteurs) et sans effet appréciable pour les consommateurs au vu de la situation économique et réglementaire qui gouverne les prix pratiqués ;

• les libraires indépendants tendent à considérer qu'en deçà d'une marge commerciale donnée (de l'ordre de 36 %), une unité ne peut subsister.

S'il faut, à cet égard, saluer la concertation intervenue entre Editis et Gallimard et un groupe de 500 librairies qui a débouché sur des engagements de remise minimale, il conviendrait d'aller plus loin et envisager les actions propres à adapter le régime des ristournes commerciales aux objectifs de la politique du livre et de la lecture.

(3) Assurer une meilleure surveillance des pratiques commerciales

La création d'une nouvelle autorité administrative - le médiateur du livre - a été saluée par la profession ainsi que l'assermentation de certains agents du ministère de la culture et de la communication pour constater les infractions aux prescriptions légales.

Les dispositifs de surveillance des pratiques commerciales sortent ainsi sensiblement renforcés des initiatives législatives adoptées récemment.

Il est évidemment regrettable que les problèmes envisagés n'aient pu trouver leur solution dans le fonctionnement ordinaire des administrations qui ont la mission générale de surveillance du respect des règles commerciales et de consommation.

Il faudra veiller à l'avenir à une coordination des actions désormais partagées entre les différents intervenants.

Relevons également qu'un médiateur n'a pas vocation à procéder aux enquêtes approfondies qui seules permettent de constater des infractions graves si bien que le défaut de résolution à faire prévaloir l'ordre public économique, s'il devait perdurer, laisserait entier le vide de l'action collective observé en ce domaine et qu'il faut déplorer.

Par ailleurs, certaines dispositions du décret n° 2014-936 du 19 août 2014 relatif au médiateur du livre font naître un embarras. Il est cohérent que les informations recueillies lors d'une médiation ne puissent être utilisées dans le cadre d'un litige. Le succès de la médiation est à ce prix. Pour autant, un tel dispositif fait peser un risque sur les parties en conflit, celui d'un « désarmement juridique » par le crible de la médiation. Ce risque est d'autant plus sérieux que la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 impose une médiation aux parties comme un préalable obligé pour toute action hors l'action publique.

Dans ces conditions, l'impossibilité où elles se trouvent de produire devant une juridiction les informations échangées lors de la médiation pourraient exercer des effets désastreux. Nul doute que les juridictions saisies sauront faire valoir les principes supérieurs qui garantissent l'accès au juge et le bon déroulement des procédures.

En toute hypothèse, l'étendue des missions du médiateur du livre, la diversité des modes de sa saisine et le sens de défense de l'intérêt général qu'il est souhaitable qu'il imprime à son action, au-delà de son rôle de conciliateur entre les acteurs de la filière, et qui justifie la faculté d'auto saisine à lui reconnue, invitent à le doter des moyens d'exercer sa mission. Or, sur ce point, rien de substantiel ne semble vraiment organisé.

Si le médiateur du livre a accès aux services ministériels pertinents, c'est tout autre chose que de disposer de moyens propres. Il est regrettable que des autorités administratives indépendantes puissent voir le jour sans que les moyens de leur mission, et de leur indépendance, ne soient réunis. Il faut que ces conditions aujourd'hui manquantes pour le cas du médiateur du livre soient rapidement créées.


* 5 Avis n° 160 (2013-2014) de M. Jacques Legendre - TOME IV Fascicule 3 - Médias, livre et industries culturelles - Livre et industries culturelle s .

* 6 ou place de marché, plateforme logicielle dont l'objectif est de mettre en relation des vendeurs et des acheteurs, particuliers ou professionnels (source : dictionnaire du web).

* 7 LOI n° 2014-779 du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition.

* 8 Rapport de M. Serge Kancel « Le soutien aux entreprises de librairie » - IGAC janvier 2013.

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