B. POUR UNE POLITIQUE PLUS AMBITIEUSE

1. Une politique déterminée, l'exemple du Canada

Le Canada a instauré une politique fiscale attractive pour inciter les développeurs de jeux vidéo à s'y installer. Il se positionne aujourd'hui comme le troisième employeur mondial du secteur derrière les États-Unis et le Japon. Au cours des deux dernières années, et malgré la récession économique, ce secteur a affiché une croissance annuelle de 11 %.

Selon les données de l'Association canadienne du logiciel de divertissement (ACLD), 329 studios de développement employaient en 2012 16 500 personnes, chiffre en hausse de 5 % par rapport à 2011. À ce chiffre peuvent être ajoutés les emplois indirects générés par cette industrie (10 500). Le Québec est en tête du secteur canadien du jeu vidéo, avec plus de la moitié des emplois du secteur dans le pays.

Plus d'un tiers des emplois y sont occupés par des Français .

Ces dernières années ont vu le marché des jeux vidéo évoluer vers le mobile, cette évolution méritant d'être mieux prise en compte dans la conception des interventions publiques qu'elle ne l'est en France.

En effet, 84 % des studios canadiens travaillent sur des jeux pour mobile. Derrière, l'ordinateur est la cible de 66 % des studios, les consoles de 48 %, les jeux par navigateur de 46 %, et, enfin, les jeux sociaux de seulement 29 % des studios.

Parallèlement aux crédits d'impôt mis en place par les différentes provinces du Canada (v. infra ), le gouvernement fédéral a établi le programme « SR&ED » ( Scientific Research and Experimental Development ), qui propose aux sociétés des incitations fiscales sous forme de crédits d'impôt ou de remboursements des dépenses liées à la recherche et au développement. Il propose aussi des services de conseil en matière de définition de modèles économiques, développe des produits financiers adaptés, soutient les exportations et la recherche de nouveaux marchés. L'état fédéral incite par ailleurs le secteur privé à innover via des leviers financiers de tous niveaux. La Fondation canadienne pour l'innovation (FCI) a ainsi investi 3,6 milliards d'euros depuis sa création en 1997.

Sur le plan international , le gouvernement fédéral a souhaité faciliter les investissements étrangers en appuyant plusieurs dizaines de propositions d'investisseurs étrangers chaque année. Ces investisseurs étrangers s'engagent en contrepartie à créer des emplois au Canada, à soutenir des projets de recherche avec le concours de l'industrie et des programmes de développement artistique novateurs.

Cet arsenal est efficace.

Depuis 1997 et l'ouverture d'un premier studio Ubisoft à Montréal, le Québec est devenu une destination de choix pour de nombreux développeurs du monde entier.

En effet, alors qu'il y avait 500 professionnels en 2000, la province francophone du Canada a connu une croissance de 600 % depuis 2003 et on comptait en 2012 plus de 500 entreprises employant au total plus de 12 000 personnes dans l'industrie du jeu vidéo québécoise, dont une importante population de Français émigrés.

Cette évolution provient d'une politique fiscale très attractive du gouvernement québécois, qui soutient le secteur des jeux vidéo grâce à un certain nombre de dispositifs.

Par exemple, le Programme titres multimédias (PTM) consiste en un crédit d'impôt remboursable couvrant jusqu'à 37,5 % des dépenses de main d'oeuvre admissibles. En 2010, ce sont 56 millions d'euros qui ont été octroyés, soit une augmentation de 122 % en cinq ans.

À l'occasion du budget 2010-2011, le gouvernement du Québec a assoupli les règles d'admissibilité au crédit d'impôt pour la production de titres multimédias. Le coût des travaux de production d'un film d'animation numérique qui est issu d'un jeu vidéo développé par une société pourra en effet désormais être admissible au crédit. De plus, la période d'admissibilité des travaux relatifs à un titre multimédia, qui était auparavant de 24 mois, est maintenant prolongée à 36 mois afin de tenir compte de la complexité grandissante des nouvelles générations de titres multimédias. Enfin, les travaux relatifs à l'architecture de système sont aujourd'hui également admissibles au crédit.

Par ailleurs, « Investissement Québec » permet aussi d'obtenir des prêts sans intérêts , si les nouvelles entreprises qui souhaitent s'implanter proposent des garanties sur l'emploi.

Néanmoins, à la suite d'une décision du gouvernement québécois le 5 juin dernier, le secteur se verra amputé d'une part significative des crédits d'impôts jusqu'alors accordés aux studios de développement.

Mais cette mesure devrait épargner certaines grandes sociétés - à vrai dire les deux plus grandes qui concentrent une majorité du chiffre d'affaires du secteur - qui ont conclu pour des durées longues des rescrits fiscaux avec l'administration des impôts.

2. Pour une politique plus active en France inspirée par les recommandations du Sénat

Les transferts financiers réalisés en France sont sans commune mesure avec ceux que consentent les pouvoirs publics au Canada et, plus largement, l'action publique est insuffisamment diversifiée.

Avec un total de 3 millions d'euros par an, l'intervention du FAJV est utile mais ne peut être décisive. De même, le crédit d'impôt dont le déclenchement dépend de l'existence de projets ne peut pas être considéré comme un levier décisif.

Il faut cependant noter qu'en 2012 trois importants projets ont pu être agréés par le CNC pour un montant cumulé de 29,8 millions d'euros, supposant une dépense fiscale prévisionnelle de l'ordre de 2 millions d'euros par an pendant toute la phase de développement.

Votre rapporteur pour avis se réjouit par ailleurs que la préconisation d'abaisser le seuil d'éligibilité du crédit d'impôt à une somme de 100 000 euros ait été suivie d'effet en 2014.

Il faut espérer qu'elle permette d'aider des projets plus modestes, comme ceux en développement très rapide à vocation mobile.

Il conviendra d'analyser si cette mesure sera suffisamment mobilisée par ses bénéficiaires et si une marche supplémentaire ne devrait pas être franchie.

Les propositions du groupe de travail sénatorial des commissions de la culture et des affaires économiques constitué en 2013 méritent ici un rappel.

Il s'agit notamment de :

- la création d'une plateforme de valorisation et de distribution de la production française

Sur le modèle de la plateforme américaine Steam , cet instrument, ouvert à l'ensemble des studios, aurait pour vocation de faire connaître et de commercialiser, sans commissionnement prohibitif, la production française de jeux vidéo, mais également d'assurer aux consommateurs la qualité de la production proposée grâce à une sélection exigeante et originale ;

- la mise en place d'un fonds participatif

Il s'agit ici de permettre aux studios de renforcer leurs fonds propres nécessaires aux investissements mais également au maintien de leur indépendance vis-à-vis des éditeurs. À cet effet, pourrait être créé un fonds d'octroi de prêts participatifs financé par la banque publique d'investissement (BPI), sur le modèle du prêt participatif innovation. Cet outil pourrait être logé au sein de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) ;

- la création d'un guichet unique au sein du CNC pour l'ensemble des demandes de soutien

- un renforcement du FAJV et une simplification des critères d'octroi du CIJV

- la création d'une nouvelle ressource sous la forme d'une taxe sur la vente de jeux sur supports physiques

Sur le modèle du financement des productions audiovisuelles et cinématographiques françaises grâce à la perception d'une taxe sur les entrées en salles, une telle ressource, de quelques centimes d'euros par jeu, alimenterait un fonds géré par le CNC à destination des productions vidéoludiques françaises ;

- enfin, une meilleure articulation entre formations et création d'entreprises

Cet objectif passerait notamment par l'introduction d'une formation à la gestion dans les écoles de jeu vidéo, tant il est vrai que la faiblesse managériale des professionnels du jeu est source de nombreux échecs de création de studios. Afin d'aider les jeunes diplômés à développer leur propre projet et de renforcer l'ancrage territorial de l'industrie du jeu vidéo, il serait également judicieux de développer localement des pépinières d'entreprises dans le sillon des écoles.

Votre rapporteur pour avis souhaite que les excellentes recommandations formulées par le Sénat soient pleinement considérées.

Par ailleurs, à l'heure où, dans le cadre de l'OCDE, des progrès sont recherchés pour restaurer la sincérité fiscale, il serait bon que le Gouvernement se préoccupe de l'existence d'éventuelles pratiques de concurrence fiscale abusive de la part de certains pays concurrents.

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