IV. L'ÉVOLUTION DES TAXES SUR LES CARBURANTS : RAPPROCHEMENT DES FISCALITÉS DE L'ESSENCE ET DU DIESEL ET SOUTIEN AUX BIOCARBURANTS MAIS UNE ABSENCE DE STRATÉGIE GLOBALE

A. LA RÉDUCTION DES AVANTAGES DU DIESEL DOIT ÊTRE PROGRESSIVE

1. La poursuite du rapprochement des fiscalités du diesel et de l'essence

La fiscalité des carburants est aujourd'hui composée de trois éléments principaux :

- la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dont le produit s'est élevé à 24,5 milliards d'euros en 2014 ;

- la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), qui représente plus de 11 milliards d'euros ;

- enfin, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), mécanisme incitatif destiné à favoriser l'incorporation de biocarburants et dont les taux - 7 % pour l'essence et 7,7 % pour le diesel - sont minorés en fonction de la quantité de biocarburants incorporés, d'où un rendement plus faible d'environ 150 millions d'euros par an.

Depuis 2014, la TICPE intègre une composante carbone progressive et proportionnée aux émissions de CO 2 des produits énergétiques, ce qui devrait porter son produit à 26,9 milliards d'euros en 2015 puis 28,2 milliards d'euros en 2016 .

On rappellera aussi qu'afin de compenser le manque à gagner lié à la suppression de l'écotaxe, la loi de finances pour 2015 54 ( * ) a relevé de deux centimes par litre la TICPE sur le gazole pour les particuliers et réduit de 4 centimes le tarif réduit accordé aux transporteurs routiers , le produit de ces taxes supplémentaires étant affecté au financement des infrastructures de transport à hauteur d'1,1 milliard d'euros en 2015.

Dans un contexte marqué par le « scandale Volkswagen », le Gouvernement a annoncé sa volonté d'« entamer un rapprochement en cinq ans entre le prix du gazole et celui de l'essence » en prévoyant, à l'article 8 bis du projet de loi de finances pour 2016, une première hausse d'un centime d'euro par litre de la TICPE sur le gazole assortie d'une baisse de la taxation de l'essence dans la même proportion , applicables au 1 er janvier 2016.

Le parc automobile actuel étant encore massivement diésélisé, cette modification des tarifs devrait produire une recette supplémentaire de l'ordre de 245 millions d'euros que le Gouvernement s'est engagé à compenser en « [allégeant] la fiscalité locale des contribuables modestes, et notamment des retraités 55 ( * ) [et en renforçant] la prime à la conversion » via un élargissement de son assiette à tous les véhicules diesel de plus de 10 ans et un relèvement de son montant de 500 à 1 000 euros.

Comme annoncé par le Gouvernement, une nouvelle modulation d'un centime d'euro par litre aux dépens du gazole et au profit de l'essence est prévue pour 2017 par le présent projet de loi de finances rectificative, ce qui revient à réduire à nouveau l'écart de taxation entre les deux carburants de 2 centimes d'euros (2,4 centimes en incluant l'effet TVA) et devrait générer une recette supplémentaire du même ordre . Votre rapporteur pour avis attend donc que le Gouvernement prévoit, en temps utiles, de nouvelles mesures de compensation de cette hausse.

En parallèle, le projet de loi de finances rectificative pour 2016 prévoit encore, dans son article 12, une troisième modulation tarifaire applicable en 2016 aux seules essences et consistant à augmenter la TICPE d'un centime sur les essences sans plomb 98 et 95 « classique » tout en la baissant d'un centime pour l'essence sans plomb 95 dite « E10 » car incorporant jusqu'à 10 % de biocarburants ( cf. infra ).

En combinant les deux modulations prévues en 2016, la TICPE sur l'essence et le diesel évoluera donc de la façon suivante :

- un centime supplémentaire pour le diesel ;

- une fiscalité inchangée sur l'essence hors E10 , la seconde modulation annulant l'effet de la première ;

- une baisse de deux centimes sur le sans plomb 95-E10 .

En tenant compte de l'évolution de la CCE déjà votée et applicable en 2016, la fiscalité sur le gazole augmentera au total de 3 centimes d'euros (3,6 centimes TVA comprise), celle sur l'essence hors E10 d'1,7 centime tandis que l'essence sans plomb 95-E10 ne baissera que de 0,3 centime .

Comme le rapporteur pour avis de notre commission sur le projet de loi de finances initiale l'avait déjà observé, ces mouvements successifs décidés à quelques jours ou semaines d'intervalle dénotent une absence de stratégie globale du Gouvernement sur la fiscalité des carburants, qui semble « naviguer à vue » au gré de l'actualité .

Au surplus, la complexité du dispositif résultant de la juxtaposition de ces différentes mesures nuit à la lisibilité de l'action publique , au point que le Gouvernement lui-même a dû déposer, à l'Assemblée nationale, un amendement sur l'article 12 pour « fusionner ces dispositions afin de permettre une lecture directe des tarifs de TICPE applicables à l'essence et gazole à compter du 1 er janvier 2016 ».

Au total, votre rapporteur pour avis déplore que des choix aussi structurants du triple point de vue économique, énergétique et environnemental, fassent l'objet d'arbitrages tardifs 56 ( * ) , sans réflexion sur leur cohérence d'ensemble et sans véritable étude d'impact.

Il rappelle également que la mise en oeuvre de la CCE et les relèvements de tarifs votés fin 2014 ont déjà amorcé le rapprochement de la fiscalité applicable à l'essence et au gazole : entre 2014 et 2016, l'écart de tarif de TICPE entre le gazole et l'essence 57 ( * ) sera réduit de 15,31 centimes par litre, soit 14,2 % dès avant les deux nouvelles modulations prévues en 2016 et 2017.

Enfin, on signalera qu'un amendement a été adopté à l'Assemblée nationale pour préserver l'écart de fiscalité actuel entre l'essence et le GPL .

2. L'alignement des régimes de déductibilité de la TVA applicables à l'essence et au diesel déstabiliserait un marché déjà fragile et pénaliserait les constructeurs français

Les règles applicables en matière de déductibilité de la TVA pour les entreprises sont fixées au niveau européen . Elles disposent, en particulier, que la déductibilité est de droit - les entreprises déduisant la taxe acquittée sur leurs achats de biens et services dès lors que ces dépenses servent à produire des biens et services qui sont eux-mêmes taxés - et que la non-déductibilité est l'exception .

À cet égard, la France bénéficie d'une dérogation lui permettant, en vertu d'une « clause de gel » autorisant le maintien des exclusions au droit à déduction existantes au 1 er janvier 1979, d'interdire la déduction de TVA sur l'essence pour les flottes d'entreprises et, ce faisant, d'accorder un avantage fiscal au diesel.

Sur le plan juridique, si la suppression de l'avantage fiscal conféré au diesel ne peut par conséquent pas être décidée, l'extension du droit à déduction à l'essence est techniquement possible pour autant que la France renonce au bénéfice de la « clause de gel », renonciation qui serait irrévocable .

À l'initiative du groupe écologiste et contre l'avis du Gouvernement 58 ( * ) , l'Assemblée nationale a prévu, à l'article 30 ter , d' autoriser la déductibilité de la TVA sur l'essence, à hauteur de 40 % en 2016 puis de 80 % en 2017, soit un niveau équivalent à celui du diesel . Selon les estimations de l'Observatoire des flottes d'entreprises, le coût de la mesure serait compris entre 15 et 20 millions d'euros .

Le traitement fiscal historiquement favorable du gazole ayant fortement structuré le marché automobile français, votre rapporteur pour avis juge impératif de faire converger les fiscalités de l'essence et du diesel de façon progressive afin, en particulier, de permettre à la filière automobile française d'adapter son offre et son outil de production . A contrario , il est vrai qu'un tel rééquilibrage améliorera à terme la compétitivité des raffineries françaises , contraintes d'exporter 35 % de leur production excédentaire d'essence sur des marchés de plus en plus concurrentiels, ainsi que le solde de la balance commerciale , 40 % de la consommation française de gazole étant importée.

Il reste qu'en l'état, un alignement des régimes de TVA de l'essence et du diesel qui viendrait s'ajouter au rattrapage de TICPE dans les cinq ans déjà décidé risquerait de déstabiliser un marché du diesel fragilisé et de pénaliser, en priorité, les constructeurs français .

Sur le marché français, la part des véhicules diesel est d'ores et déjà passée de 72 % des immatriculations en 2012 à 54 % en octobre dernier . La baisse est encore plus marquée sur le marché des particuliers puisque les flottes d'entreprises , qui représentent environ la moitié du marché total, sont encore diéselisées à 90 % grâce au régime fiscal actuel , jouant ainsi le rôle d'amortisseur de la désaffection prononcée des clients particuliers pour le diesel.

Dans le même temps, les constructeurs français, dont les positions concurrentielles sont historiquement plus solides en diesel qu'en essence, ont perdu 1,5 point de parts de marché .

Au-delà de cette perte de part de marché, un basculement trop brutal se chiffrerait pour les constructeurs hexagonaux en centaines de millions d'euros de pertes par an sous l'effet, notamment, de l'obligation d'investir dans de nouvelles capacités de production, d'une moindre rentabilité des véhicules essence, de volumes réduits pour amortir le coût de la dépollution du diesel ou encore d'une difficulté accrue pour respecter l'objectif européen d'une gamme émettant au plus en moyenne 95 grammes de CO 2 par km en 2020 sous peine de pénalités financières.

Sur le plan environnemental en effet, on rappellera que bien que la combustion d'un litre de diesel émette plus de CO 2 qu'un litre d'essence, le moteur diesel, par son rendement thermique supérieur, consomme au total moins de carburant et émet moins de CO 2 qu'un moteur essence sans hybridation 59 ( * ) tandis que sur le plan sanitaire, l'adoption des normes Euro 5 et Euro 6 a très fortement réduit les émissions d'oxyde d'azote (NOx) et de particules nocives pour la santé.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur pour avis considère que le rapprochement des fiscalités engagé par le Gouvernement constitue déjà un signal fort en faveur d'un rééquilibrage du marché et est par conséquent favorable à la suppression de cet article.


* 54 Art. 36 de la loi de finances n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015.

* 55 Seraient concernés, en particulier, les retraités aux revenus modestes assujettis cette année au paiement de la taxe d'habitation ou de la taxe foncière en raison, notamment, du plein effet de la suppression de la demi-part fiscale supplémentaire accordée aux veufs et de la fiscalisation de la majoration de pension pour enfants.

* 56 L'amendement gouvernemental introduisant la première modulation a été déposé la veille de l'examen en séance publique à l'Assemblée nationale.

* 57 Calculé sur la base du tarif de TICPE applicable à l'essence sans plomb 95.

* 58 Le secrétaire d'État chargé du budget déclarant que « le Gouvernement considère que le signal qui a été envoyé [par les modulations tarifaires de TICPE] est suffisamment important et oriente de façon très forte la fiscalité sur les carburants. Aller plus vite et plus loin serait déstabilisant au regards de certains facteurs sociaux et économiques ».

* 59 En outre, le moteur électrique des modèles hybrides ne joue à plein que dans le cadre d'une utilisation urbaine.

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