Avis n° 146 (2016-2017) de Mme Esther BENBASSA , fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 novembre 2016

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N° 146

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2016

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 2017 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME II

ASILE

Par Mme Esther BENBASSA,

Sénatrice.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 4061, 4125 à 4132 et T.A. 833

Sénat : 139 et 140 à 145 (2016-2017)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Après avoir entendu M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, le mardi 15 novembre 2016, la commission des lois du Sénat, réunie le mercredi 16 novembre 2016 sous la présidence de M. Philippe Bas, président, a examiné, sur le rapport pour avis de Mme Esther Benbassa 1 ( * ) , les crédits alloués par le projet de loi de finances pour 2017 à la garantie de l'exercice du droit d'asile .

Mme Esther Benbassa, rapporteure pour avis, a indiqué que cette année encore, les crédits consacrés à l'asile visaient tout d'abord à la réduction des délais de traitement de la demande d'asile par la poursuite de l'accroissement des moyens et effectifs de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

La rapporteure a ensuite souligné les efforts de réalisme budgétaire conduits sur certains postes comme celui des centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), mais a également indiqué craindre que les prévisions budgétaires ne demeurent en retrait par rapport à l'exécution pour le financement de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) ou de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA).

Dans le contexte de forte contrainte budgétaire, la rapporteure a donc, comme les années antérieures, salué l'effort consenti en faveur de la garantie de l'exercice du droit d'asile.

Suivant sa rapporteure, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la garantie du droit d'asile par les programmes 303 « Immigration et asile » et 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » du projet de loi de finances pour 2017.

LISTE DES ACRONYMES

ADA - Allocation pour demandeurs d'asile

AMS - Allocation mensuelle de subsistance

ATA - Allocation temporaire d'attente

AT-SA - Accueil temporaire-Service de l'Asile

CADA - Centre d'accueil des demandeurs d'asile

CNDA - Cour nationale du droit d'asile

DGEF - Direction générale des étrangers en France

DNA - Dispositif national d'accueil

HUDA - Hébergement d'urgence des demandeurs d'asile

OFII - Office français de l'immigration et de l'intégration

OFPRA - Office français de protection des réfugiés et apatrides

PADA - Plateforme d'accueil des demandeurs d'asile

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des lois est appelée à se prononcer pour avis, pour la sixième année consécutive, sur les crédits consacrés par le projet de loi de finances à l'exercice du droit d'asile dans notre pays. Votre commission a en effet souhaité continuer de distinguer ce qui relève du droit d'asile de la politique de l'immigration, dont les crédits font l'objet du rapport pour avis de notre collègue François-Noël Buffet.

Après une année pleine d'application de la réforme du droit d'asile issue de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015, le projet de loi de finances pour 2017 s'efforce de réaliser l'objectif de réduction du délai de traitement de la demande d'asile dans un contexte de forte hausse de cette dernière . Il s'inscrit donc dans le prolongement des précédents budgets avec la poursuite de l'accroissement des moyens et effectifs de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

En 2017, les crédits consacrés à l'exercice du droit d'asile par le programme 303 « Immigration et asile » de la mission « Immigration, asile et intégration », au titre de l'action n° 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile », augmenteront ainsi significativement , passant de 597,4 millions d'euros en 2016 à 687,4 millions d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 15 % .

Parallèlement, les crédits consacrés à la CNDA par l'action n° 7 du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et Contrôle de l'État » augmenteront de 9,3 % , passant de 23,72 millions d'euros à 25,92 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

Cette année encore, étant donné le contexte de forte contrainte budgétaire, l'effort consenti en faveur de la garantie de l'exercice du droit d'asile mérite donc d'être salué. Comme les années passées, il vise avant tout à poursuivre la réduction du délai de traitement de la demande d'asile, mais également à améliorer la prise en charge des demandeurs d'asile.

I. UNE HAUSSE BUDGÉTAIRE CONSACRÉE À LA RÉDUCTION DES DÉLAIS DE TRAITEMENT DE LA DEMANDE D'ASILE

Au coeur de la politique menée depuis plusieurs années maintenant, la réduction des délais de traitement de la demande d'asile demeure le principal objectif assigné aux différents acteurs intervenant dans le domaine de l'asile, que ce soit par la loi ou par les contrats d'objectifs et de performance conclus avec leur ministère de tutelle.

Délais moyens d'examen des demandes d'asile
par l'OFPRA et par la CNDA

2014 (réalisation)

2015 (réalisation)

2016 (prévision actualisée)

2017
(prévision / cible)

Délai de traitement d'un dossier par l'OFPRA

203 jours

216 jours

140 jours

90 jours

Délais de jugement à la CNDA :

- en procédure ordinaire

7 mois et 29 jours

7 mois et 3 jours

7 mois et 10 jours

6 mois

- en procédure accélérée

-

-

2 mois et 15 jours

6 semaines

Source : commission des lois du Sénat à partir des projets annuels de performances
des programmes 303 et 165

Il est attendu de cette réduction des délais une réduction mécanique du coût de l'accueil des demandeurs d'asile . Un rapport des inspections générales sur l'hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d'asile 2 ( * ) avait en effet estimé le coût moyen d'un mois de délai de traitement de la demande entre 10 et 15 millions d'euros.

Toutefois, il convient de garder à l'esprit que la réduction des délais de traitement est largement tributaire de l'évolution de la demande d'asile , étant rappelé que l'exercice du droit d'asile est garanti par la Constitution aussi bien que par les engagements internationaux souscrits par la France.

Or, après avoir enregistré une légère baisse de 2,2 % en 2014, l'OFPRA est depuis 2015 confronté à une hausse importante de cette demande, le nombre total de demandes enregistrées s'établissant pour 2015 à 80 075 (dont 59 335 premières demandes), soit une hausse de 23,6 % par rapport à 2014 .

Source : OFPRA

Cette hausse devrait se confirmer en 2016. Aussi le projet de loi de finances pour 2017 a-t-il été construit sur une hypothèse de progression spontanée de la demande de 15 à 20 % en 2016 et en 2017, soit un nombre total de demandes enregistrées en 2017 compris entre 121 100 et 130 500 .

Dans cette perspective, les moyens alloués aux différents acteurs sont donc en augmentation cette année encore.

A. L'AUGMENTATION DES MONTANTS ALLOUÉS AUX PLATEFORMES D'ACCUEIL DES DEMANDEURS D'ASILE

Afin que l'enregistrement de la demande d'asile auprès de la préfecture soit effectif dans le délai légal de trois jours - dix jours en cas de fort afflux - conformément à la loi, le dossier de demande d'asile est préparé au sein des plateformes d'accueil des demandeurs d'asile (PADA) qui constituent donc désormais un passage obligé pour tout demandeur d'asile.

À ce stade, les PADA ont une triple tâche :

- renseigner le formulaire électronique d'enregistrement de la demande d'asile qui indique l'identité du demandeur et la composition de sa famille ;

- prendre rendez-vous auprès du guichet unique ( cf. infra ) et remettre au demandeur une convocation ;

- prendre les photographies d'identité qui seront ensuite présentées au guichet unique par le demandeur.

Ce dossier est transmis au guichet unique par voie dématérialisée.

Eu égard au nouveau rôle qui leur est dévolu en amont du passage au guichet unique, il a été jugé nécessaire de faire évoluer les relations qui lient les associations gestionnaires de PADA à l'OFII. Les associations désormais en charge des PADA ont été sélectionnées dans le cadre d'un marché public s'appuyant sur un cahier des charges et comprenant 34 lots géographiques correspondant à la carte des guichets uniques - seuls 31 lots ont été attribués à une vingtaine d'opérateurs.

Ce marché comprend deux missions : outre la mission de pré-enregistrement des demandeurs d'asile, les PADA sont en charge de l'accompagnement des demandeurs d'asile qui ne bénéficient pas d'un hébergement dans le cadre du dispositif national d'accueil (DNA).

Le montant global du marché s'est élevé, pour 2016 , à 15,5 millions d'euros , financé à hauteur de 12,5 millions d'euros par le Fonds européen Asile, Migration et Intégration (FAMI) sur la période 2016-2017, soit 6,25 millions d'euros par an. En réponse au questionnaire budgétaire, l'OFII a indiqué que ce montant devrait être en progression en 2017 en raison de la croissance de la demande d'asile enregistrée en 2016, le marché comportant un dispositif de revalorisation du tarif des prestations dans un tel contexte.

En 2015, le montant alloué aux PADA avait été de 12,7 millions d'euros au total (8,34 millions versés par l'OFII et 4,34 millions par les fonds européens). L'augmentation du montant provient essentiellement de ce que les opérateurs assurent désormais l'intégralité des prestations de premier accueil et d'accompagnement des demandeurs d'asile alors qu'autrefois certaines PADA n'en assuraient qu'une partie, le reste étant à la charge des directions territoriales de l'OFII - celles-ci sont désormais totalement déchargées de ces missions.

Les PADA étant subventionnées par l'OFII, les montants correspondant figurent parmi les dépenses d'intervention de l'opérateur qui est rattaché au programme 104 de la mission « Immigration, Asile et intégration ».

B. LES EFFECTIFS DES GUICHETS UNIQUES ÉGALEMENT EN AUGMENTATION

Les guichets uniques regroupent sous un même toit des agents des services de l'asile des préfectures et des agents de l'OFII.

Les agents des préfectures vérifient et valident l'ensemble des informations saisies lors du pré-enregistrement. Ils procèdent également au relevé des empreintes digitales des demandeurs d'asile et à un premier entretien sur leur parcours afin de déterminer l'État compétent pour examiner leur demande d'asile et la procédure adaptée à leur cas (procédure normale, procédure accélérée, procédure « Dublin III » lorsque l'examen de leur demande d'asile relève d'un autre État membre). Ils délivrent aux demandeurs d'asile une attestation de demande d'asile.

Les agents de l'OFII procèdent à l'évaluation de la situation personnelle des demandeurs afin, en particulier, de détecter d'éventuelles vulnérabilités. En tenant compte, le cas échéant, de ces vulnérabilités, ils orientent les demandeurs au sein du dispositif national d'accueil si ces derniers ne disposent pas déjà d'un hébergement et sollicitent une prise en charge. Ils ouvrent les droits à l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA).

Les guichets uniques étant partagés entre préfecture et OFII, les crédits alloués sont répartis entre le ministère de l'intérieur et l'établissement public.

Les crédits consacrés aux administrations centrale et déconcentrées du ministère de l'intérieur relèvent cependant d'une autre mission budgétaire, la mission « Administration générale et territoriale de l'État » ; ils ne figurent donc dans les documents budgétaires consacrés à l'exercice du droit d'asile qu'à titre « indirect ».

Les crédits indirects concourant à l'exercice du droit d'asile

Outre les crédits figurant à l'action n° 2 du programme 303, l'exercice du droit d'asile met à contribution d'autres crédits, que ce soit au sein du même programme 303 (5,1 millions d'euros) ou en provenance d'autres programmes et missions (11,4 millions d'euros), en particulier ceux qui portent les crédits des administrations centrale et déconcentrées du ministère de l'intérieur.

S'agissant plus spécifiquement des effectifs mobilisés, au 1 er janvier 2016, 50 ETP (contre 46 ETP en 2015) étaient dédiés à l'exercice du droit d'asile en administration centrale, principalement au sein de la direction de l'asile, rattachée à la direction générale des étrangers en France (DGEF), pour un coût estimé à 3 millions d'euros hors compte d'affectation spéciale « pensions », supporté par le programme 216 « Conduite et pilotage des politiques de l'intérieur » de la mission « Administration générale et territoriale de l'État ».

En préfecture, les dépenses de personnels supportées par le programme 307 « Administration territoriale » de cette même mission, au titre de la mission Asile s'élevaient à 11,9 millions d'euros pour environ 258 ETP (contre 232 ETP en 2015).

Source : commission des lois du Sénat à partir des données fournies par la DGEF

Le projet annuel de performances du programme 307 « Administration territoriale » indique une augmentation du plafond d'emplois entre la loi de finances initiale pour 2016 et le projet de loi de finances pour 2017 de 16 ETPT pour couvrir les renforts des guichets uniques octroyés en cours de gestion 2016. Votre rapporteure ne dispose cependant pas du nombre total d'ETPT affectés à cette mission.

Quant à l' OFII , en réponse au questionnaire budgétaire de votre rapporteure, l'établissement précise qu' au 31 août 2016 , 97 ETP étaient affectés aux guichets uniques contre 77 ETP prévus initialement. A la même date, les effectifs consacrés par l'opérateur à l'asile, tant pour la gestion du dispositif national d'accueil que pour celle de l'allocation pour demandeurs d'asile, étaient de 226,60 ETP dont 203,60 en directions territoriales et 23 au niveau de la direction de l'asile. Un redimensionnement à la hausse des effectifs en directions territoriales s'est toutefois avéré nécessaire en fin d'année.

C. UN NOUVEAU RENFORCEMENT DES MOYENS DE L'OFFICE FRANÇAIS DE PROTECTION DES RÉFUGIÉS ET APATRIDES

Son rôle d'instructeur des demandes d'asile fait de l'OFPRA l'un des acteurs pivots de la garantie du droit d'asile. C'est pourquoi il est rattaché budgétairement au programme 303.

Pour faire face à l'enjeu de la réduction des délais de traitement des demandes d'asile - son contrat d'objectif et de performances lui assigne un délai moyen de trois mois - tout en tenant compte des nouveaux droits ouverts par la réforme du droit d'asile de 2015 3 ( * ) , l'OFPRA a vu ses moyens croître de manière continue au cours des dernières années.

Les crédits qui lui sont consacrés par le projet de loi de finances pour 2017 poursuivent cette tendance : la subvention pour charges de service public de l'opérateur passe ainsi de 53,6 millions d'euros en loi de finances initiale pour 2016 à 65 millions d'euros en 2017 , soit une augmentation de 21,3 % .

Cette augmentation s'explique essentiellement par un nouveau relèvement du plafond d'emplois de l'opérateur à hauteur de 40 ETPT, portant les effectifs de l'OFPRA à 780 ETPT (contre 412 en 2009). Ce nouveau relèvement d'emplois fait suite à la création de 100 ETPT au cours de l'année 2016.

L'accroissement des moyens de l'OFPRA au cours des dernières années a certes permis un accroissement du nombre de dossiers traités (+ 19 % entre 2014 et 2015). Cependant, le stock, qui a connu une réelle inflexion en 2014 et 2015, semble être reparti à la hausse en 2016.

Source : commission des lois du Sénat à partir des données OFPRA

Aussi, l'objectif cible de 90 jours de délai moyen de traitement d'une demande d'asile, toutes procédures confondues, apparaît bien ambitieux au regard des délais constatés sur les premiers mois de 2016. S'ils sont en amélioration par rapport à ceux constatés en 2015, ils demeurent de 220 jours en procédure normale et 97 jours en procédure prioritaire / accélérée, soit un délai moyen de 174 jours. Cela résulte de ce que la croissance de la demande d'asile apparaît plus rapide que la hausse de la productivité de l'OFPRA.

Évolution de la demande d'asile et du nombre de décisions rendues
par l'OFPRA depuis 2009

Source : commission des lois du Sénat à partir des données de l'OFPRA

D. UN EFFORT ÉGALEMENT SOUTENU EN FAVEUR DE LA COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE

La réduction des délais de jugement de la CNDA participe du même mouvement de réduction du délai de traitement global de la demande d'asile.

C'est pourquoi la loi de 2015 relative à la réforme du droit d'asile a imposé à la Cour des délais, en distinguant selon le type de procédure :

- lorsque la demande d'asile a été traitée par l'OFPRA selon la procédure normale, la CNDA doit statuer en formation collégiale, dans un délai ne pouvant excéder 5 mois ;

- lorsque la demande d'asile a été traitée par l'OFPRA selon la procédure accélérée ou que l'OFPRA l'a jugée irrecevable, la CNDA statue en formation à juge unique, dans un délai de 5 semaines, à moins que le juge ne renvoie l'affaire à une formation collégiale s'il estime qu'elle n'aurait pas dû faire l'objet de la procédure accélérée ou d'une irrecevabilité ou qu'elle soulève une difficulté sérieuse.

Si la maquette de performance a bien évolué pour prendre en compte cette distinction selon la procédure, en revanche, l'objectif pour 2017 demeure fixé respectivement à 6 mois et 6 semaines, la cible étant purement et simplement jugée « sans objet ». Aussi peut-on se demander quand la juridiction estimera être en mesure de se mettre en conformité, tout du moins dans les objectifs qu'elle s'assigne, avec la loi.

Pour autant, la juridiction bénéficie à nouveau d'un renforcement de ses moyens, en hausse de 9,3 % , correspondant à une hausse de ses effectifs. Le rapport annuel de performances indique ainsi qu'après avoir bénéficié en 2015 de 23 emplois supplémentaires puis de 24 emplois supplémentaires en 2016, 40 nouveaux emplois y seront affectés en 2017 afin de créer deux nouvelles chambres de 10 rapporteurs et d'affecter 2 rapporteurs supplémentaires aux ordonnances. Le plafond d'emplois devrait ainsi être porté à 410 ETPT en 2017 , sachant que les effectifs 2016 sont de 367.

La CNDA bénéficiera en conséquence d'une augmentation de ses crédits de fonctionnement pour couvrir notamment la prise à bail de nouvelles surfaces nécessaires à l'accueil des nouveaux effectifs.

II. UN FINANCEMENT DE L'ACCUEIL MATÉRIEL DES DEMANDEURS D'ASILE TOUJOURS INCERTAIN

Depuis 2012, votre commission souligne les efforts de sincérité budgétaire mis en oeuvre par le Gouvernement tout en déplorant toutefois la persistance d'une certaine sous-budgétisation s'agissant des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile.

Le projet de loi de finances pour 2017 poursuit cet effort de sincérité. Si les prévisions tendent ainsi à devenir plus réalistes sur certains postes budgétaires comme les centres d'accueil pour demandeurs d'asile, il est à craindre qu'elles ne demeurent en retrait par rapport à l'exécution pour le financement de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile ou de l'allocation pour demandeurs d'asile.

A. LA POURSUITE DE L'UNIFICATION DU DISPOSITIF NATIONAL D'ACCUEIL SUR LE MODÈLE DU CENTRE D'ACCUEIL DES DEMANDEURS D'ASILE

Le projet de loi de finances pour 2017 consacre au financement des centres d'accueil des demandeurs d'asile ( CADA ) 280 millions d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement.

Ce montant correspond au financement de plus de 40 000 places pour un coût unitaire journalier de 19,50 €.

L`hébergement d'urgence des demandeurs d'asile ( HUDA ) se voit, pour sa part, doté de 245,76 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 118 millions d'euros en crédits de paiement (CP), la différence entre AE et CP s'expliquant par le lancement d'un appel à projets pour la création de 5 351 places relevant du dispositif AT-SA (Accueil temporaire - Service de l'asile). Ce montant doit financer 21 200 places réparties pour un peu plus de la moitié en places AT-SA 4 ( * ) , le solde consistant en places d'hébergement gérées au niveau déconcentré par les préfets.

Le projet de loi de finances pour 2017 s'inscrit donc pleinement dans le rééquilibrage du parc d'hébergement au profit des CADA engagé par le Gouvernement depuis 2013. Il est également conforme à la volonté désormais inscrite dans la loi d'héberger les demandeurs d'asile de manière prioritaire en logement sur le modèle du CADA plutôt qu'en HUDA.

Dans les faits, l'hébergement des demandeurs d'asile en CADA est loin d'être la norme . En effet, au 31 décembre 2015 , 61 018 personnes étaient susceptibles d'être hébergées en CADA . Or seulement 22 524 l'étaient effectivement, soit un taux de 36,9 %, en baisse par rapport à 2014 (39,4 %). À cette même date, environ 3 800 personnes étaient hébergées en AT-SA et 18 868 personnes en HUDA.

Votre rapporteure déplore incidemment que l'indicateur 1.1 ait été modifié depuis l'an passé de façon à ne plus faire apparaître la part des demandeurs hébergés en CADA alors même que la loi de 2015 en a consacré le principe.

Il résulte de cette situation qu' une part non négligeable des demandeurs d'asile est hébergé soit chez l'habitant, soit plus probablement dans le dispositif d'hébergement d'urgence généraliste porté par le programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Ville et logement » - quand les demandeurs d'asile sont effectivement hébergés...

C'est d'ailleurs ce même programme 177 qui finance les centres d'accueil et d'orientation (CAO) que le Gouvernement a multipliés au cours des derniers mois pour héberger les migrants à la suite de l'évacuation des campements parisiens ou du démantèlement de la « jungle » de Calais. D'après les éléments recueillis par votre rapporteure en audition, la raison en serait la lourdeur de la procédure de création de places de CADA, passant par appel d'offres. Ainsi, la simplification opérée par la loi de 2015, qui a consisté à supprimer l'obligation de solliciter l'avis d'une commission de sélection d'appel à projet social ou médico-social qui associe des représentants des usagers, serait encore insuffisante pour permettre la réactivité rendue indispensable par l'afflux des migrants auquel notre pays est confronté.

S'agissant du dispositif d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile, votre rapporteure s'interroge à nouveau sur le réalisme de la dotation prévue par le projet de loi de finances eu égard à la consommation de crédits sur ce poste au cours des dernières années.

Comparaison entre prévisions en loi de finances et consommation des crédits consacrés à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile

Année

Prévision en LFI
(en millions d'euros)

Exécution
(en millions d'euros)

Évolution

2008

35,3

53,1

+ 50,40 %

2009

30

72,8

+ 142,73 %

2010

29,8

110,2

+ 269,80 %

2011

40

134,3

+ 235,78 %

2012

90,9

135

+ 48,55 %

2013

125

150

+ 19,99 %

2014

115,4

142

+ 23,05 %

2015

136

135,8

-0,15 %

Source : commission des lois du Sénat à partir des données fournies par la DGEF

Si les crédits dédiés à ce poste (118 millions d'euros) sont en légère augmentation par rapport à ceux prévus en loi de finances initiale pour 2016 (111,5 millions d'euros), ils apparaissent toutefois insuffisants par rapport aux crédits consommés par le passé, quand bien même le nombre de places en CADA aurait augmenté.

B. UN RÉEL EFFORT POUR LE FINANCEMENT DE L'ALLOCATION POUR DEMANDEURS D'ASILE PROBABLEMENT TOUJOURS INSUFFISANT

L'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) a remplacé, à compter du 1 er novembre 2015, l'allocation mensuelle de subsistance (AMS) attribuée aux demandeurs d'asile hébergés en CADA et l'allocation temporaire d'attente (ATA) versée aux autres demandeurs.

Cette dernière faisait traditionnellement l'objet d'une sous-dotation chronique.

Comparaison entre prévisions en loi de finances et consommation des crédits consacrés à l'allocation temporaire d'attente

Année

Prévision en LFI
(en millions d'euros)

Exécution
(en millions d'euros)

Évolution

2008

28

47,5

+ 69,29  %

2009

30

68,4

+ 128,00 %

2010

52,8

105

+ 98,86 %

2011

54

157,8

+ 192,28 %

2012

89,7

149,8

+ 67,00 %

2013

140

149,2

+ 6,60 %

2014

129,8

169,5

+ 30,59 %

Source : commission des lois du Sénat à partir des données fournies par la DGEF

Pour 2015, le rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement et d'approbation des comptes indique d'ailleurs que la dette à l'égard de Pôle Emploi, gestionnaire de l'ATA jusqu'à son transfert à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) au 1 er novembre 2015, pour les années 2014 et 2015 s'élevait au 31 décembre 2015 à 182 millions d'euros.

Le projet de loi de finances pour 2017 prévoit une dotation de 220 millions d'euros correspondant au versement d'une allocation d'un montant journalier par ménage de 8,50 € pour 70 000 personnes sur 12 mois. Selon les éléments recueillis par votre rapporteure néanmoins, les versements mensuels devraient s'établir à 26 millions d'euros en moyenne pour 2016, soit sur 12 mois un montant total de 312 millions d'euros. En dépit de l'augmentation de la prévision, de nouveaux abondements en cours d'exercice pour faire face à l'augmentation de la demande sont donc à craindre.

C. LA CONSÉCRATION BUDGÉTAIRE DE L'AIDE AUX COMMUNES

Dans le cadre du programme européen de « relocalisation » de demandeurs d'asile, le Gouvernement s'était engagé à soutenir financièrement les communes qui se mobiliseraient soit pour créer sur leur territoire des places d'hébergement pour les demandeurs d'asile, soit pour mettre à disposition des logements durables pour des personnes bénéficiaires d'une protection internationale. Un montant forfaitaire de 1 000 euros par place d'hébergement créée en CADA ou en AT-SA ou par place dans un logement mis à disposition avait ainsi été annoncé.

Le programme européen de « relocalisation » des demandeurs d'asile

Depuis 2014 et surtout 2015, l'Europe est confronté à un flux migratoire sans précédent. Trois routes principales ont été utilisées par les personnes désireuses de rejoindre le continent européen : les îles italiennes de Sicile et Lampedusa, la route des Balkans de l'Ouest via la Hongrie et le passage par la frontière turque puis par la frontière grecque.

En vertu du Règlement « Dublin III » 5 ( * ) , un seul État membre de l'Union européenne est compétent pour l'examen d'une demande d'asile. En l'absence de titre de séjour ou de visa, ce règlement désigne comme compétent le pays par lequel le demandeur est entré dans l'espace européen. Ainsi, la majorité des demandeurs d'asile relèverait de l'Italie, de la Grèce et de la Hongrie.

Devant les difficultés rencontrées par ces trois pays, le Conseil de l'Union européenne a adopté les 14 et 23 septembre 2015, sur proposition de la Commission européenne, un mécanisme de « relocalisation » de 160 000 demandeurs d'asile afin que leur demande soit traitée par d'autres États, par dérogation au Règlement « Dublin III ».

Cette « relocalisation » est effectuée selon une clé de répartition fondée sur des critères objectifs et quantifiables (taille de la population prise en compte pour 40 % ; PIB pour 40 % ; nombre moyen de demandes d'asile antérieures pour 10 %, et taux de chômage pour 10 %). Elle s'applique aux nationalités de demandeurs pour lesquelles le taux de reconnaissance moyen à l'échelle de l'UE atteint 75 % ou plus, à commencer par les Syriens, les Irakiens et les Erythréens.

Dans le cadre de ce plan européen de « relocalisation », la France s'est engagée à accueillir, sur deux ans, 30 783 demandeurs d'asile.

Le projet de loi de finances pour 2017 concrétise cet engagement en ouvrant une ligne budgétaire de 4 millions d'euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement pour l'aide aux communes.

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Au bénéfice de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la garantie du droit d'asile par les programmes 303 « Immigration et asile » et 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » du projet de loi de finances pour 2017.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET DU DÉPLACEMENT

Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)

M. Didier Leschi , directeur général

Préfecture de police de Paris, Direction de la police générale, sous-direction de l'administration des étrangers

M. François Chauvin , sous-directeur de l'administration des étrangers

Mme Élodie Berard , responsable du centre asile

M. Philippe Arrondeau , adjoint au chef du 10 ème bureau

France Terre d'Asile

M. Christophe Harrison , responsable du secrétariat administratif général

Déplacement au Centre d'accueil des réfugiés de Paris 18 ème
(jeudi 17 novembre 2016)

Accueil et visite du centre avec M. Bruno Morel , directeur général de Emmaüs solidarité

Entretien avec M. Yannick le Bihan , directeur des opérations France de Médecins du Monde


* 1 Les compte rendus de ces réunions sont consultables à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html

* 2 Rapport sur l'hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d'asile établi par l'inspection générale des finances, l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'administration, avril 2013.

* 3 En application de la directive « Procédures » de 2013, la loi de 2015 a, notamment, modifié substantiellement les conditions du déroulement de l'entretien individuel auquel est soumis tout demandeur d'asile. Outre l'encadrement strict des cas de dispense d'entretien, la réforme a inscrit dans la loi le droit de tout demandeur à être accompagné, au cours de cet entretien, par un conseil. Ce dernier peut être, au choix du demandeur, soit un avocat, soit un représentant d'une association habilitée par le directeur général de l'OFPRA. Ce conseil n'est autorisé à intervenir qu'à l'issue de l'entretien pour formuler des observations jointes à la retranscription de l'entretien, qui fait l'objet par ailleurs d'un enregistrement audio.

* 4 Le dispositif Accueil temporaire - Service de l'asile est géré par la société mixte ADOMA. Il s'agit d'un dispositif national d'hébergement d'urgence dédié aux demandeurs d'asile. Contrairement à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile déconcentré, les demandeurs y bénéficient d'un accompagnement administratif et social.

* 5 Le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit règlement « Dublin III », est la « refonte » du règlement « Dublin II », qui succédait lui-même à la convention de Dublin signée le 15 juin 1990.

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