EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 21 novembre 2018, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'examen du rapport pour avis de M. Bruno Gilles sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » du projet de loi de finances pour 2019.

M. Alain Milon , président . - Nous en venons à la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». L'année dernière, j'avais suppléé Bruno Gilles qui se trouvait dans l'impossibilité de présenter son rapport. Je suis particulièrement heureux qu'il puisse le faire aujourd'hui.

M. Bruno Gilles , rapporteur pour avis de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » . - Merci, monsieur le président.

La mission budgétaire « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » présente une particularité : le simple maintien des dispositifs existants entraîne chaque année une économie substantielle. Cette tendance s'explique par la baisse naturelle du nombre d'anciens combattants à mesure que s'éteignent les générations qui ont combattu durant la Deuxième Guerre mondiale, en Indochine ou en Afrique du Nord.

Certes, l'engagement de la France sur de nombreux théâtres d'opérations extérieures fait grossir les rangs de la « quatrième génération du feu », qui a des attentes et des besoins spécifiques. Le nombre de soldats engagés dans les OPEX est néanmoins sans commune mesure avec celui des soldats mobilisés au siècle dernier.

Si les crédits de la mission baissent de près de 160 millions d'euros en 2019, cette baisse ne résulte donc pas de mesures d'économie. On constate néanmoins que le Gouvernement n'a pas fait le choix, en dehors de mesures sur lesquelles je reviendrai, de redéployer les économies réalisées pour améliorer, à budget constant, les dispositifs existants.

La mission est composée de trois programmes, d'importance très inégale.

Le programme 167, qui finance les actions concourant aux liens entre la Nation et son armée, est marqué par la fin du cycle de commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale. Le groupement d'intérêt public « Mission du centenaire » achèvera sa mission au premier semestre 2019 en publiant un rapport sur son action au cours des quatre dernières années. La subvention versée par l'État à ce GIP sera donc presque entièrement supprimée. Par ailleurs, les crédits dédiés à la rénovation de cimetières et lieux de mémoire baisseront du fait du retour à un rythme plus habituel.

Toutefois, la baisse des crédits dédiés aux actions de mémoire est plus forte que ce seul effet cyclique. Selon nos calculs, en dehors de l'arrêt des dépenses liées au centenaire, le PLF table sur une économie de 2,79 millions, soit plus de 20 % des crédits dédiés aux actions de mémoire en 2018. Je ne peux que regretter cette baisse, qui pourrait remettre en question un certain nombre d'actions, notamment éducatives, à un moment où elles sont particulièrement nécessaires.

Je note par ailleurs qu'aucun crédit n'est prévu pour le financement du service national universel (SNU), alors que sa mise en oeuvre devrait être amorcée en 2019. Il ne serait pas acceptable que ce nouveau dispositif soit financé en ponctionnant les lignes budgétaires qu'il nous est demandé de voter en loi de finances initiale.

Le programme 169 représente plus de 90 % des crédits de la mission. Il finance notamment les pensions militaires d'invalidité (PMI) et la retraite du combattant. Je l'ai dit : ces crédits connaissent une baisse tendancielle, qui serait de 156 millions en 2019.

Si les dispositifs existants sont maintenus, quelques mesures nouvelles doivent être saluées. Premièrement, le Gouvernement a enfin annoncé l'attribution de la carte du combattant aux soldats ayant servi en Algérie entre juillet 1962 et juillet 1964. Il s'agit d'une revendication ancienne du monde combattant, plusieurs fois relayée au Sénat et notamment en juin dernier, avec l'adoption par le Sénat d'une proposition de loi en ce sens. Cette mesure pourrait concerner jusqu'à 50 000 bénéficiaires, pour un coût en année pleine d'environ 30 millions d'euros. Pour 2019, toutefois, le coût ne serait que de 6,6 millions d'euros, en raison de la montée en charge nécessairement progressive de cette mesure. En outre, le Gouvernement a annoncé son intention de réunir une commission tripartite avec les associations et des parlementaires pour envisager une revalorisation du point d'indice des PMI. Enfin, une revalorisation de la rémunération des expertises médicales nécessaires en matière de PMI est annoncée. Ces mesures sont bienvenues, mais elles ne correspondent qu'à une fraction réduite des économies permises par la baisse du nombre d'anciens combattants.

Toutes les autres demandes du monde combattant ont été écartées, soit en raison de leur coût, soit pour des raisons de fond. Certaines de ces demandes seront peut-être évoquées au cours de nos débats ou en séance publique.

L'article 73 correspond à la mise en oeuvre du plan annoncé par le Gouvernement en faveur des harkis. Ce plan comporte une revalorisation de 400 euros de l'allocation de reconnaissance ainsi que la création d'un fonds en faveur des descendants de harkis en difficulté socioprofessionnelle. Ce plan met en oeuvre une partie des recommandations du rapport récemment rendu par le préfet Dominique Ceaux. Le coût de ces mesures en 2019 serait d'environ 10 millions.

Enfin, les dispositifs d'indemnisation des victimes de spoliations et de persécutions antisémites continuent d'être sollicités, et les crédits correspondant progresseraient nettement en 2019, du fait de l'anticipation de plusieurs dossiers à fort enjeu.

Je voudrais avant de conclure évoquer deux opérateurs financés par les crédits de cette mission. Un effort serait demandé à l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONAC-VG), dont la subvention serait réduite de 400 000 euros. Un nouveau contrat d'objectifs et de performance doit être conclu avec l'État dans les mois à venir. Malgré la baisse du nombre de ses ressortissants, l'ONAC-VG continuera à avoir un rôle essentiel à jouer en matière de transmission et de mémoire.

J'ai par ailleurs eu l'occasion de me rendre à l'Institution nationale des Invalides (INI), qui met en oeuvre un important plan de transformation. Ce plan, qui comporte une redéfinition du projet médical et la création d'un centre de réhabilitation post-traumatique, imposera une révision de la réduction du plafond d'emplois. Ce plan comporte également un important projet de rénovation des infrastructures, dont la première pierre devrait être posée prochainement et qui devra être menée en site occupé.

Au bénéfice de ces observations, je vous propose de donner, comme nos collègues de la commission des finances, un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission. Je vous propose également de donner un avis favorable à l'adoption de l'article 73, qui est la traduction législative du plan « harkis ».

Mme Jocelyne Guidez . - Je remercie le rapporteur pour son excellent travail.

L'allocation en faveur des harkis est une bonne nouvelle. En revanche, je regrette la diminution de la subvention versée à l'ONAC-VG, sachant que, par ailleurs, on fait chaque année des économies sur les crédits dédiés aux anciens combattants, puisque, hélas, leur nombre diminue régulièrement.

Le devoir de mémoire est l'affaire de tous, et pas seulement de l'État. Je pense notamment à nos écoles - en la matière, il y a beaucoup à faire. Je vous renvoie à une initiative sympathique qui a été menée dans l'Essonne : le Conseil départemental a distribué dans chaque commune un drapeau pour les enfants. Cette idée a permis d'impliquer les professeurs des écoles et de mobiliser nos concitoyens, parents et enfants, autour des monuments aux morts.

Mme Laurence Cohen . - Je suis particulièrement préoccupée par la baisse des crédits de l'action « Politique de mémoire ». Dans une période politique marquée par une montée de l'extrême-droite et un très grave révisionnisme concernant les événements de la Seconde Guerre mondiale, il y a un besoin d'éclaircissement et de travail sur la mémoire. Éclairer le passé permet de mieux comprendre le présent et de mieux voir l'avenir. Face à ce danger, cette baisse de crédits m'inquiète beaucoup - ce point devrait nous rassembler.

Par ailleurs, je suis préoccupée par le report de la revalorisation du point d'indice des pensions de 2020 à 2021.

Enfin, quid du refus d'améliorer la situation des conjoints survivants de grands invalides de guerre ou des veuves d'anciens combattants décédés avant l'âge de 74 ans, qui ne peuvent bénéficier de la demi-part fiscale supplémentaire ?

M. Philippe Mouiller . - Je félicite le rapporteur pour la qualité de ses travaux.

Concernant le service national universel, disposez-vous d'informations sur son financement ? Des annonces ont été faites ; vous avez fait part de vos inquiétudes. On parle de six mois de service universel, dont une partie avec hébergement. Le financement de cette mesure pose question - c'est vrai pour la présente mission, mais aussi, plus globalement, pour le budget des armées.

La diminution des crédits de l'ONAC-VG m'inquiète moi aussi. Le Gouvernement a-t-il prévu des réductions de personnels ? L'une des missions essentielles de l'ONAC-VG, dans chaque département de France, est d'accompagner les anciens combattants, en matière de solidarité notamment - je pense par exemple à la constitution des dossiers.

Je lance une autre alerte, s'agissant des commissions médicales de suivi. Lorsque la santé d'un ancien combattant ou d'une victime de guerre évolue défavorablement et que sa situation doit être réévaluée, l'avis du médecin traitant ne suffit pas ; or le temps nécessaire tant à l'obtention des rendez-vous médicaux qu'à l'instruction administrative des dossiers peut être considérable. Certains pensionnés décèdent avant la fin de l'instruction.

M. Jean-Marie Morisset . - Merci à notre rapporteur d'avoir rappelé que chaque année, à pareille époque, le même argument est brandi : si le budget baisse, c'est que la démographie de nos anciens combattants décroît. Mais les économies réalisées ne sont pas utilisées pour prendre en compte les besoins de ces anciens combattants !

Nous pouvons malgré tout nous féliciter - nous y sommes pour quelque chose, comme le sait bien Philippe Mouiller - des avancées obtenues en matière d'extension de la carte du combattant.

En revanche, il faudra se pencher sur le cas des militaires déployés en Algérie de 1964 à 1967 pour la sécurisation des installations militaires, après les accords d'Évian, dont certains sont décédés sur place.

Notre secrétaire d'État a ouvert le dialogue avec les anciens combattants ; il serait bon, dans ce cadre, après le succès obtenu sur la carte du combattant, que nous nous donnions une nouvelle priorité. Un dossier est souvent évoqué par les anciens combattants : l'attribution de la demi-part fiscale supplémentaire aux conjoints dont le mari est décédé avant l'âge de 74 ans.

On peut regretter que les crédits dédiés à la politique de mémoire diminuent. Ce qui m'inquiète davantage, néanmoins, c'est l'ONAC-VG. Sa directrice nous a expliqué qu'elle rencontrait des difficultés pour mener à bien ses recrutements, alors qu'un travail administratif important attend l'office. Il est indispensable de maintenir un office dans chaque département. Nos anciens combattants exigent à juste titre d'avoir accès à un interlocuteur de proximité.

Mme Corinne Féret . - À mon tour de remercier le rapporteur pour son rapport et pour la qualité des auditions qu'il a organisées.

Je regrette la diminution très forte de l'enveloppe dédiée au devoir de mémoire. Au terme de la mission du centenaire, il est normal que les crédits baissent ; mais il est en même temps nécessaire de maintenir un budget digne de ce nom.

Je constate que, dans nos départements, à l'occasion des commémorations du centenaire, la population, et notamment les enfants et les enseignants, se sont particulièrement mobilisés, grâce au travail pédagogique qui avait été réalisé. Entretenons cet élan !

Par ailleurs, le nombre des OPEX va croissant : la France intervient sur des terrains de plus en plus nombreux. Cette augmentation doit être prise en compte.

Doit être prise en compte également une demande récurrente des associations d'anciens combattants, qui a déjà été relayée par certains de mes collègues : celle qui concerne la demi-part fiscale supplémentaire pour les veuves des anciens combattants. Le seuil est aujourd'hui fixé à 74 ans ; nous devons travailler sur son abaissement, sachant que, en tout état de cause, les populations concernées ne seraient pas très nombreuses.

Sur la réorganisation de l'ONAC-VG dans nos territoires, enfin, il est nécessaire que nous soyons vigilants : concrètement, si le nombre d'agents diminue, on peut imaginer que certains sites ferment et que l'action de l'office soit recentrée au niveau régional ; or, si les services rendus par cette administration sont très bien perçus, c'est en vertu de sa proximité. Veillons donc à ce qu'un nouveau service public de proximité ne disparaisse pas de nos territoires.

M. Bruno Gilles , rapporteur pour avis . - Je rappelle quels sont les trois points positifs qui ont été soulevés pendant nos auditions, et qui nous ont amenés à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission : l'attribution de la carte du combattant aux soldats déployés en Algérie entre 1962 et 1964, les mesures en faveur des harkis et les orientations prises pour l'évolution de l'INI. S'agissant de ce dernier point, une légère inquiétude financière s'était exprimée l'an dernier ; elle a été levée cette année.

Madame Guidez, la diminution de 400 millions du budget de l'ONAC-VG correspond à peu près à la baisse du nombre d'anciens combattants. Lorsque nous avons reçu la directrice de l'office, elle n'était pas inquiète pour le budget de 2019 ; mais nous devrons être très attentifs concernant le budget de 2020. Cinq équivalents temps plein seront supprimées en 2019, mais, selon toute vraisemblance, cette baisse devrait être absorbée sans problème.

Madame Cohen, la diminution des crédits de l'action « Politique de mémoire » est en partie liée à la fin du centenaire ; ce qui me semble grave, c'est qu'on retranche de ces crédits une somme de 2,7 millions qui, elle, n'a rien à voir avec la fin du centenaire.

Monsieur Mouiller, aucune information ne nous a été transmise sur le financement du SNU. Nous avons soulevé à plusieurs reprises ce problème, qui méritera un débat en séance. La seule réponse que nous avons reçue est qu'un tel financement pourrait être inscrit dans un projet de loi de finances rectificative qui sera déposé au printemps. Nous avons besoin de réponses plus claires sur cet engagement du Président de la République.

Nous avons également soulevé la question de la représentation départementale de l'ONAC-VG, sur laquelle il ne faut pas transiger. En la matière, il faut de la proximité et du quotidien.

Madame Féret, sur le sujet des anciens combattants des OPEX, il faudra aussi que nous soyons attentifs, mais la secrétaire d'État nous a plutôt rassurés.

Par ailleurs, la présence de nos militaires en Algérie après 1964 relevait-elle à proprement parler de combats, ou d'opérations de maintien de l'ordre ? Nous avons réussi à obtenir l'attribution de la carte du combattant aux soldats déployés entre 1962 et 1964 ; pour ce qui est des déploiements ultérieurs, le dossier me paraît complexe à faire aboutir.

Pour ce qui concerne le devoir de mémoire, on peut certes regretter la baisse des crédits, qui est de 2,79 millions ; mais il faut rappeler que les crédits de l'ensemble de la mission s'élèvent à 2 milliards d'euros.

La demi-part est un droit pour les anciens combattants, que la veuve peut conserver ; en revanche, celle-ci ne peut l'obtenir si son mari n'en bénéficiait pas. On peut en débattre ; mais ce principe me semble assez justifié.

Mme Jocelyne Guidez . - Même si le mari est mort au combat ?

M. Bruno Gilles , rapporteur pour avis . - Je poserai la question.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », du projet de loi de finances pour 2019 et de l'article 73 rattaché.

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