C. DES AIDES AU PLURALISME PRIVILÉGIÉES SUR LE SOUTIEN À LA DISTRIBUTION

L 'année 2019 ne fait que poursuivre un mouvement déjà engagé de longue date , mais avec deux événements significatifs :

- d'une part, la grave crise que traverse la société Presstalis , qui fera l'objet du chapitre suivant tant son ampleur et sa soudaineté ont ébranlé le monde de la presse ;

- d'autre part, une diminution plus forte qu'escomptée par les professionnels de l'aide au portage , qui a surpris par son ampleur.

Enfin, et comme prévu, la compensation versée à La Poste diminue de près de 7 %.

Le tableau ci-après permet de comparer l'évolution des différentes lignes d'aide entre 2018 et 2019.

Source : document budgétaire et commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat

1. Des aides au pluralisme inchangées

L'enveloppe globale des aides au pluralisme est reconduite à l'identique en 2019, soit 16 M€ .

Les aides au pluralisme se décomposent en trois parties, qui sont également stables entre 2018 et 2019.

a) L'aide aux publications nationales à faibles ressources publicitaires

Cette aide vise à soutenir les titres qui bénéficient structurellement de recettes publicitaires faibles compte tenu de leur positionnement éditorial et les titres qui traversent de façon conjoncturelle des difficultés financières.

En loi de finances initiale pour 2016, le montant de l'aide avait été porté à 12 655 000 €, montant abondé de 500 000 € par fongibilité des crédits. En 2017, la dotation a été directement portée à 13 155 000 €. Toutefois, pour prendre en compte l'éligibilité d'un quotidien supplémentaire, la dotation avait été augmentée suite à un redéploiement de crédits en fin de gestion pour atteindre 14 368 645 € (4 M€ pour les publications hors quotidiens, et 10 368 645 € pour les quotidiens).

Le montant de crédits alloués en 2019 est inscrit en reconduction par rapport aux crédits 2018 et 2017 à 13 155 000 € . Le ministère indique qu'un abondement en cours d'année par redéploiement des crédits sera nécessaire afin de financer de nouveau le quotidien éligible au fonds depuis 2017.

Sept quotidiens perçoivent cette aide, pour 10,3 M€ en 2017. L' Humanité et Libération sont les principaux bénéficiaires, avec environ 3 M€ chacun. 44 publications, hors quotidiens, sont également concernées, et se partagent 4 M€ en 2017, les montants allant de 200 000 € à 1 500 €.

b) L'aide aux quotidiens locaux à faibles ressources de petites annonces

Cette aide a pour objet de concourir au maintien du pluralisme et à la préservation de l'indépendance des titres concernés. Son montant est stable à 1,4 M€ depuis 2011 . Elle bénéficie à 15 titres, pour des montants allant de 214 000 € à 33 000 €.

c) L'aide au pluralisme de la presse périodique régionale et locale

Cette aide a été instituée en 1996, et son dispositif modifié à quatre reprises, en 1997, 2004, 2014 et 2016, année de l'extension de l'aide aux titres locaux d'IPG de périodicité jusqu'à trimestrielle.

L'aide est réservée aux publications d'information politique et générale à diffusion régionale, départementale ou locale, de langue française ou régionale, inscrites sur les registres de la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), reconnues d'information politique et générale par la CPPAP, hebdomadaires (paraissant plus de quarante fois par an et imprimées sur papier journal), ou d'autres périodicités plus longues, jusqu'à trimestrielles.

Son montant s'établit à 1,47 M€ en 2019 comme en 2018.

2. L'absence de soutien marqué au numérique : l'exemple du siphonage du fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP)

La presse numérique connaît un fort développement ces dernières années . C'est pourquoi votre rapporteur pour avis a choisi de consacrer une partie de son rapport aux kiosques numériques , qui constituent un mode de diffusion innovant.

Pour autant, les aides à la presse n'ont pas pris acte de cette tendance , en privilégiant la presse « physique ». Cette dernière reste la seule bénéficiaire des aides à la diffusion (portage, abonnement, vente au numéro) et au pluralisme , en dépit d'annonces répétées depuis plusieurs ann ées. Votre rapporteur pour avis avait déjà dénoncé l'année dernière ce qui s'apparente à une forme de « rente », d'autant plus incompréhensible dans un contexte marqué par le poids croissant des GAFAM dans l'accès à l'information en ligne. Aujourd'hui, près de 60 % des revenus de la presse en ligne passent par Google et Facebook .

L'évolution du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) en 2018 et 2019 constitue une nouvelle illustration de ce manque d'intérêt pour la presse en ligne.

Réponse apportée à la suite des États généraux de la presse de 2008 à la nécessité de permettre un développement ambitieux de la presse, il permet d'accorder des subventions ou des avances remboursables aux projets d'investissement innovants des services de presse en ligne, des entreprises éditrices de presse imprimée et des agences de presse. Les taux d'aide vont de 40 % (50 % pour les avances remboursables) pour les projets individuels à 50 % (60 % pour les avances remboursables) pour les projets collectifs ou représentant une innovation au regard des pratiques du secteur. En 2017, le nombre de projets aidés est passé de 71 à 93 , progressant de 31 % par rapport à 2016.

La même année, 17 M€ ont été attribuées par le Fonds, soit une augmentation de 34 % .

Cependant, le FSDP est apparu dans le courant de l'année 2018 comme le seul instrument à même de mobiliser rapidement des crédits en faveur de Presstalis . La moitié des 18 M€ prévus ont été réservés au sauvetage de la messagerie, soit une diminution de 50 % . Le protocole de conciliation du 14 mars 2018 prévoit le transfert de 9 M€ par an de 2018 à 2021 du FSDP vers l'aide à la distribution de la presse quotidienne nationale au bénéfice de Presstalis . Pour la seule année 2018, sur les 9 M€ restants, 3 M€ ont été attribués à un seul projet de modernisation de rotatives en région, ce qui ne laisse que 6 M€ pour l'ensemble des autres initiatives.

En contrepartie, les éditeurs associés de la Coopérative de Distribution des Magazines et de la Coopérative de Distribution des Quotidiens renoncent à présenter des dossiers de demande d'aide au FSDP pendant la même pério de. Le protocole d'accord précise néanmoins que l'État se réserve le droit de lever la condition de non-dépôt de dossiers au FSDP en cours d'année, en fonction des conditions budgétaires et des priorités de la politique publique de soutien à la presse.

La situation de Presstalis justifiait probablement la mobilisation de moyens exceptionnels. Cependant, on ne peut que regretter vivement le procédé trop fréquent consistant à préparer insuffisamment l'avenir , ce qui est l'objet même du FSDP.

3. Une baisse de l'aide au portage importante et problématique pour la presse quotidienne régionale

En 2017, 54 % de la presse quotidienne régionale et 13 % de la presse quotidienne nationale recourent au portage pour la distribution des titres, soit 800 millions d'exemplaires par an . Dans un contexte général d'attrition des ventes, le portage connaît une baisse beaucoup moins importante que l'abonnement et la vente au numéro , et emploie 12 000 porteurs. Il représente un enjeu crucial pour la presse, notamment locale, et pour la diffusion de l'information dans les territoires.

Sources : données Alliance, traitement commission de la culture du Sénat

Sources : données Alliance, traitement commission de la culture du Sénat

La part du portage dans la distribution des quotidiens est passée de 42,2 % en 2011 , avec 871 millions d'exemplaires, à 47,5 % en 2017, soit 817 millions d'exemplaires . La Poste de son côté, qui reste le deuxième diffuseur tout titres compris après la vente au numéro, connait une érosion bien plus importante.

Cependant, l'aide au portage s'inscrit en baisse de 5 M€, soit 16 %, qui représente la quasi-totalité de l'effort du programme . Elle fait suite à une diminution de 4,5 M€ en 2018, soit près de 10 M€ sur deux ans. On pourrait y ajouter, pour 2019, la non compensation de la transformation du CICE en exonérations de charges, pour un coût de 4 M€.

La non compensation de la transformation du CICE

Comme tous les secteurs économiques, le portage a bénéficié du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), qui lui a permis de recruter et d'investir dans des outils d'amélioration des performances (parc automobile, développements numériques d'organisation et de géolocalisation des tournées....).

L'article 8 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 a transformé le CICE en un allègement pérenne de 6 % des cotisations sociales des entreprises, pour les rémunérations n'excédant pas 2,5 SMIC.

Or la transformation du CICE en allègements de charges ne pourra pas bénéficier aux entreprises de portage de presse , qui supporteraient donc au 1er janvier 2019 une hausse des coûts de quatre millions d'euros. En effet, les dispositions de l'article L241-13 du code de la sécurité sociale excluent la possibilité de cumuler le bénéfice de la réduction générale des cotisations patronales sur les bas salaires avec une autre exonération totale ou partielle de cotisations patronales ou l'application de taux spécifiques, d'assiettes ou de montants forfaitaires de cotisations . Cette interdiction ne permet donc pas, à ce jour, de faire application de la réduction générale des cotisations patronales sur les bas salaires à l'ensemble de la rémunération du porteur, y compris la part de rémunération qui n'est pourtant pas soumise à la base forfaitaire de cotisations.

Votre rapporteur pour avis a fait adopter le 14 novembre un amendement à l'article 8 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 afin d'assurer une équité de traitement entre le secteur du portage et les autres secteurs .

Cette diminution ne peut s'expliquer qu'en partie par la baisse de l'utilisation de ce canal, qui diminue de 2,7 % « seulement ». Votre rapporteur pour avis n'a pu obtenir d'explications du ministre sur l'ampleur de cette baisse, ni sur ses motivations profondes. Il paraît difficile compte tenu des possibilités limitées d'amendements dans le cadre du budget de prélever sur une action pour abonder le portage. La seule marge de manoeuvre réelle réside dans le plan d'aide à Presstalis, mais il serait dangereux aujourd'hui, comme le montrera le chapitre suivant , de fragiliser un édifice déjà très instable . On ne peut cependant s'empêcher de relever que les faibles marges de redéploiement du programme ont été en totalité absorbées par le sauvetage de la messagerie, au détriment de l'aide au portage et du développement du numérique .

4. La baisse programmée des aides postales

Les articles L. 2 et L. 4 du code des postes et des communications électroniques prévoient que la presse bénéficie de tarifs préférentiels pour son transport et sa distribution , au titre des missions de service public de la Poste. Ces tarifs sont fixés par l'État. Le déficit subi du fait de cette réglementation tarifaire est partiellement compensé par une dotation publique versée annuellement à la Poste .

Cette contribution de l'État au financement de la mission de service public de transport postal de la presse constitue un soutien fort que les pouvoirs publics apportent, indirectement, à la presse. En 2018, l'aide de l'État s'élève ainsi à 111,5 M€ .

Une négociation tripartite avait conduit l'État, la presse et la Poste à conclure en 2008 des accords (dits « accords Schwartz ») qui déterminaient les conditions de prise en charge, d'acheminement, de traitement et de distribution de la presse par La Poste sur la période 2009-2015, 2015 marquant la fin de la période couverte par les accords Schwartz,

Se fondant sur les travaux conduits par M. Emmanuel Giannesini et par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), le Gouvernement a décidé de prolonger sur la période 2017-2020 la trajectoire d'évolution des tarifs définie à titre temporaire pour 2016 . Les tarifs de La Poste pour la période n'augmenteront pas au-delà de l'inflation pour les quotidiens à faibles ressources publicitaires et augmenteront, hors inflation, de 1% par an pour la presse d'information politique et générale et de 3 % l'an pour la presse CPPAP.

L'équilibre de la réforme du transport postal de presse repose également sur deux mesures complémentaires qui réaffirment le soutien de l'Etat en faveur de la presse d'information politique et générale, tout en veillant à ne pas dégrader la situation économique de La Poste.

En juillet 2013, il avait été décidé de mettre fin à partir de 2014 au moratoire d'une année sur la hausse des tarifs postaux et à la compensation versée à La Poste . Les arbitrages finaux rendus en décembre 2013 avaient néanmoins conduit à l'adoption d'un dispositif spécifique plus favorable pour les publications d'information politique et générale et les quotidiens à faibles ressources publicitaires . Pour ces publications, les augmentations supplémentaires de tarifs engendrées directement par la sortie du moratoire avaient été plafonnées à 1 % en 2014 et en 2015. Dans le cadre de la réforme du transport postal de la presse, l'État s'est engagé, à compter de 2016, à ne pas faire supporter aux éditeurs d'IPG le coût du moratoire résiduel .

En contrepartie, par souci d'équité, les suppléments des publications d'IPG voient, sur quatre ans et de façon lissée, leur tarif postal s'aligner sur celui des magazines dont le contenu est identique.

La trajectoire de compensation versée par l'Etat à La Poste sur la période doit permettre de préserver les équilibres financiers de l'opérateur postal . Le contrat d'entreprise entre l'Etat et la Poste pour la période 2018-2022 définit le niveau de la compensation : 111,5 M€ en 2018, 103,8 M€ en 2019 et 95,9 M€ en 2020.

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