B. L'HYPOTHÈQUE DU SERVICE NATIONAL UNIVERSEL

Promesse de campagne du président de la République non encore examinée par le législateur, le projet de service national s'adresse à tous les jeunes entre 16 et 18 ans et devrait comporter trois phases :

- un « séjour de cohésion » obligatoire de deux semaines en hébergement collectif (phase 1), durant lequel le port de l'uniforme sera obligatoire, articulé autour de modules collectifs (défense, sécurité et résilience nationales/autonomie, connaissance des services publics et accès aux droits/citoyenneté et institutions nationales et européennes /développement durable et transition écologique/activités sportives et de cohésion/culture et patrimoine/découverte de l'engagement) et de bilans personnels (santé, fondamentaux de la langue française, bilan de compétences incluant une composante numérique).

- une mission d'intérêt général obligatoire d'environ deux semaines (phase 2) pouvant être effectuée auprès d'associations, de collectivités territoriales, d'institutions ou d'organismes publics, ainsi qu'auprès de corps en uniforme ;

- une période d'engagement volontaire , d'une durée d'au moins trois mois (phase 3), à effectuer après les deux autres phases, entre 16 et 25 ans, dans des domaines tels que l'environnement, la défense et la sécurité, l'accompagnement des personnes, la préservation du patrimoine... . Le service civique pourra être une façon d'accomplir cette troisième phase facultative.

Une expérimentation dite « préfiguration » du SNU a débuté en 2019. Elle s'adressait, sur la base du volontariat, à 2 000 jeunes dans 13 départements pilotes. La phase 1 s'est déroulée en juin 2019 et la phase 2 (mission d'intérêt général) en octobre.

Les armées ont participé à cette préfiguration.

Au titre de la phase 1 , elles ont été mises à contribution pour fournir de l'appui et du conseil auprès de la mission de préfiguration du SNU (MPSNU) rattachée au ministère de l'éducation et de la jeunesse, pour aider au recrutement des cadres, pour former les directeurs de centres et les cadres de compagnie, enfin pour concevoir et animer le module consacré à la défense et à la mémoire nationale.

S'agissant des cadres, il est souhaité qu'un tiers de l'encadrement soit assuré par des volontaires ayant une expérience de l'encadrement militaire (anciens militaires, réservistes). Les armées ont donc apporté une aide au recrutement en diffusant l'appel au volontariat dans leurs réseaux.

Les armées ont également participé à la formation de 300 cadres en 2019 au sein du pôle formation de la MPSNU (une cinquantaine de cadres de direction, au 2eme régiment de SMV de Brétigny, et environ 250 cadres de compagnies et tuteurs).

Le module « défense et mémoire nationale » a vocation à remplacer la Journée Défense et Citoyenneté (JDC). Exclusivement centré sur les questions militaires (suppression des éléments non militaires), il comporte des présentations, des séquences ludiques (jeux) visant à sensibiliser les jeunes à l'appréhension des menaces et au sens des commémorations et des ateliers pratiques visant à enseigner aux jeunes des savoir-faire militaires dits « actes réflexes » (savoir se protéger, savoir rendre compte, savoir se déplacer en s'orientant, notions d'hygiène cyber). Il est assuré par des militaires en tenue, à raison de 1 militaire pour 25 jeunes (comme dans le cadre de la JDC).

En 2019, les armées ont aussi contribué à la phase 2 , qui correspond aux deux semaines de missions d'intérêt général . Ainsi, les jeunes qui choisiront la thématique « défense et sécurité » auront la possibilité d'effectuer l'équivalent d'une préparation militaire. En 2019, ce dispositif a été neutre pour les armées, le nombre de places proposées (200) ayant été déduit du nombre de places offertes dans les préparations militaires (12 500 par an environ).

Les missions d'intérêt général proposées par les armées se déroulent dans les installations militaires sur le modèle des préparations militaires, c'est-à-dire une semaine complète, nuits incluses, équivalant à douze jours.

L'ensemble des armées directions et services du ministère des armées sont appelés à participer au dispositif, au prorata de leurs effectifs ; Pour les services de soutien comme le SSA, le SCA ou le service des essences qui n'ont pas d'expérience en la matière, il s'agit d'une nouveauté et d'un défi.

Une difficulté tient au fait que les jeunes doivent pouvoir effectuer cette phase 2 à proximité de leur domicile. Or, les armées, directions et services, compte tenu de leurs implantations, ne seront pas en mesure de fournir une offre par département.

Au total, pour la phase 1 et la phase 2, l'équivalent de 3 équivalents temps plein travaillé (ETPT) aurait été mobilisé au sein des armées en 2019, pour un coût de 500 000 euros. Avec les dépenses hors T2, le coût en 2019 pour les armées s'élèverait à 1 million d'euros.

Les échos recueillis sur l'expérimentation lors des auditions mettent en évidence ; outre retour positif des volontaires : (qui néanmoins avaient tous déjà préalablement une expérience de l'engagement) ;

- la nécessité de renforcer la formation des encadrants pour s'assurer de la qualité de l'encadrement, indispensable s'agissant de jeunes mineurs en situation de mixité (plusieurs incidents comportements ou sanitaires ont été relevés malgré le profil des jeunes volontaires). Se pose aussi la question de l'attractivité du statut des cadres , tant pour leur recrutement que pour leur fidélisation. Le « contrat d'engagement éducatif » (CEE) 2 ( * ) qui leur est proposé, avec des rémunérations comprises entre 120 € par jour pour un directeur de centre et 60 € par jour pour un « cadre de maisonnée », ne semble pas être l'instrument le mieux adapté, certains réservistes étant par exemple moins bien rémunérés par ce biais que dans le cadre de la réserve ;

- de nombreuses questions pratiques en suspens comme l'adaptation et la disponibilité des infrastructures et l'organisation du transport des jeunes. A cet égard, le principe retenu est que tous les jeunes devront accomplir leur SNU en dehors de leur département d'origine ;

- la différence des approches et des cultures liée à la diversité des acteurs . Elle est particulièrement tangible entre les armées, qui accomplissent leurs missions selon un même schéma conçu à l'échelon central, gage d'homogénéité, et l'éducation nationale, qui cherche avantage à s'appuyer sur les initiatives locales ;

- le pilotage du dispositif , assuré par la mission de préfiguration du service national universel, sous la direction du cabinet du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, « en mode projet » est certes léger mais ne permettra pas de budget, pas de RH, pas de faire face à la généralisation.

Pour 2020, l 'expérimentation va se poursuivre et sera étendue à 20 000 jeunes (voire 30 000 selon les déclarations du secrétaire d'Etat Gabriel Attal) dans 100 départements.

Les armées continueront à fournir du conseil, de l'appui au recrutement, à participer à la formation par la mise à disposition d'une « plateforme de formation » 3 ( * ) pour les cadres de direction et de 7 plateformes de formation (une par zone de défense) pour les cadres de compagnies. Elles animeront une centaine de journée défense et mémoire et offriront 2 000 places de missions d'intérêt général (phase 2). La direction du service national et de la jeunesse va également prendre en charge le développement du système d'information du SNU, pour l'heure inexistant, à partir de l'application JDC. Selon les estimations de l'état-major des armées, la contribution des armées en 2020 représentera au total 20,8 ETPT .

Si cet effort peut sembler raisonnable, il faut noter qu'aucun crédit supplémentaire n'est prévu en 2020 pour le financer, en contradiction avec ce que prévoit la LPM .

Certes, une enveloppe de 30 millions d'euros destinée au SNU figure en 2020 à l'action 06 du programme 163 «Jeunesse et vie associative » de la mission « Sport, jeunesse et vie associative». Mais aucun transfert à la mission Défense n'est prévu pour couvrir les dépenses induites par l'expérimentation, pour la phase 1 ou la phase 2 .

Ces crédits visent exclusivement à financer les dépenses des centres de cohésion (rémunération des cadres, habillement, hébergement, alimentation, activités...). Mais même pour ces seules dépenses, cette enveloppe risque d'être insuffisante : le coût par jeune étant évalué entre 1 700 € et 2 000 € frais de transport non compris, le coût en 2020 serait compris entre 34 millions d'euros (estimation basse avec 20 000 jeunes) et 60 millions d'euros (estimation haute avec 30 000 jeunes). En outre, le coût non chiffré du transport est un sujet en soi (en 2019, la SNCF a offert les frais de transport).

C'est sans doute la raison pour laquelle le projet annuel de performances (PAP) précise que « des crédits supplémentaires issus d'autres ministères parties prenantes au SNU pourront venir compléter cette dotation » ! Pour la commission des affaires étrangères et de la défense, il n'est pas concevable, vu la contribution déjà fournie par le ministère des armées, que celui-ci soit ponctionné à nouveau en 2020 .

Nous sommes par ailleurs très inquiets pour la suite.

En effet, en cas de généralisation, la demande adressée aux armées pour la formation des cadres de la phase 1 va mécaniquement augmenter et l'on peut craindre que celles-ci soient encore davantage sollicitées en cas de désengagement ou d'incapacité des autres acteurs à prendre leur part dans le dispositif, compte tenu de la qualité de l'offre qu'elles sont à même de fournir.

Concernant la phase 2, dans l'hypothèse couramment admise (et sous doute sous-estimée) que les armées accueilleraient 10 % des jeunes, soit 80 000 par an, pour des missions d'intérêt général, l'effectif militaire requis pour les encadrer serait, selon les calculs de l'EMA, de 667 ETP (sur la base d'un gradé pour quatre jeunes). A cela, il faut ajouter les conséquences en termes de soutien (administration, habillement, santé, alimentation, hébergement, transport). Ces effectifs ne devront pas venir en déduction des effectifs prévus par la LPM. Une réévaluation de la trajectoire sera nécessaire.

Qu'il s'agisse du pilotage, du statut et de la qualité des cadres, de l'organisation, de la logistique et des capacités d'accueil, les échos recueillis donnent pour l'instant le sentiment d'un dispositif bricolé, qui n'est pas taillé pour passer le cap de la généralisation . Des doutes sérieux existent sur la soutenabilité du dispositif à grande échelle. De plus, il n'est pas financé.


* 2 Utilisé notamment pour les colonies de vacances.

* 3 « Plateforme de formation » = hébergement + moyens pédagogiques + soutien.

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