N° 650

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er juin 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ,

Par M. Jean-Baptiste BLANC, Mme Dominique ESTROSI SASSONE,
M. Daniel GREMILLET et Mme Anne-Catherine LOISIER,

Sénateurs

Tome I

Rapport

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Martine Berthet, M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Marie Evrard, Françoise Férat, Catherine Fournier, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Mérillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

3875 rect., 3995 et T.A. 602

Sénat :

551 , 634 , 635 et 649 (2020-2021)

PRÉAMBULE

À la différence du choix opéré à l'Assemblée nationale de créer une commission spéciale, le Sénat a préféré s'appuyer sur l'expertise et sur la mémoire des commissions permanentes et au premier chef sur la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, à qui a été renvoyé l'ensemble du texte, et sur la commission des affaires économiques qui s'est vu déléguer 86 articles et a pris un avis sur 46 autres dont les listes figurent au sommaire de l'examen des articles.

La commission des affaires économiques s'est ainsi prononcée sur plus de la moitié des 218 articles de ce projet de loi, sur des sujets relevant de ses compétences tels que la consommation, l'alimentation, l'agriculture et la forêt, l'urbanisme, les logements et leur rénovation énergétique, l'énergie et les mines.

Elle a confié l'examen de ce texte à quatre rapporteurs spécialistes de leur secteur : Mme Anne-Catherine Loisier, sur les sujets concernant la consommation, l'alimentation et l'agriculture, dans le prolongement des travaux menés sur la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim) qu'elle a rapportée ; Mme Dominique Estrosi Sassone qui a notamment été rapporteur de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), sur les questions de logement ; M. Daniel Gremillet, sur les questions d'énergie, dans la continuité de ses travaux sur la loi relative à l'énergie et au climat ; et M. Jean-Baptiste Blanc, sur l'objectif de « zéro artificialisation nette », dans le prolongement du rapport d'information sur le sujet qu'il rapporté cette année.

Le travail d'auditions et d'examen des différents articles a été fait en lien étroit avec les rapporteurs de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Mme Marta de Cidrac, M. Pascal Martin et M. Philippe Tabarot et son président M. Jean-François Longeot. Il s'est appuyé sur de très nombreuses auditions et travaux préparatoires dont la liste est annexée au présent rapport ainsi que sur une consultation en ligne à laquelle 1 800 élus locaux ont répondu.

L'ESSENTIEL :
UN OBJECTIF PARTAGÉ,
UN TEXTE MAL CALIBRÉ,
DONT L'AMBITION SERA REHAUSSÉE PAR LE SÉNAT

Le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a été examiné par la commission des affaires économiques les 31 mai et 1 er juin 2021.

I. POUR UNE TRANSITION ÉCOLOGIQUE AMBITIEUSE, CRÉATRICE DE VALEUR ET D'EMPLOIS

Les rapporteurs de la commission ont souligné que la transition vers une économie sobre en carbone était une nécessité pour les générations futures , et une priorité identifiée depuis de nombreuses années par le Sénat. La commission des affaires économiques s'en est pleinement saisie parce le dérèglement climatique bouleverse les équilibres économiques et qu'à l'inverse la transition écologique peut représenter un formidable gisement de croissance, d'innovations et d'emplois.

Pour la France, qui est un leader mondial en matière de décarbonation, la transition écologique est aussi un vecteur de rayonnement. Elle doit contribuer à l'attractivité du territoire. Or trop longtemps, l'empreinte carbone de la France ne s'est améliorée qu'au prix de la délocalisation de ses émissions . Cette transition vers une économie sobre en carbone doit reposer sur la science , la recherche et développement , et compter sur le dynamisme des entreprises et la responsabilité des consommateurs . L'État a pour rôle d'orienter les acteurs économiques en fixant une trajectoire cohérente et de les accompagner dans cette voie par des mesures concrètes de soutien. C'est à ces conditions que l'on doit concilier économie et écologie.

Le projet de loi Climat-Résilience mêle mesures structurantes utiles et dispositions plus anecdotiques, voire de simple affichage. En tout état de cause, il ne permet pas d'atteindre les objectifs initialement fixés (« réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % d'ici 2030 par rapport à 1990, dans un esprit de justice sociale »). Dans sa recherche de solutions pour une transition écologique ambitieuse, créatrice de valeur et d'emplois, la commission des affaires économiques s'est attachée à renforcer l'efficacité du projet de loi selon six axes.

II. DES AMÉLIORATIONS VOTÉES PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES QUI VISENT UNE PLUS GRANDE EFFICACITÉ

A. REHAUSSER L'AMBITION DU TEXTE POUR ACCÉLÉRER LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE

La commission a rehaussé l'ambition du texte en renforçant les dispositifs votés à l'Assemblée nationale ou en faisant adopter ses propres dispositifs complémentaires. Dès que cela était possible, elle a augmenté les cibles, rapproché certaines échéances, transformé les objectifs en obligations ou élargi le champ d'application des mesures.

Cette démarche a par exemple été poursuivie dans le domaine de la rénovation énergétique des bâtiments : ainsi, la commission a défini la « rénovation énergétique performante » comme les logements A et B et inscrit un objectif de rénovation des bâtiments aux normes « bâtiments basse consommation » (BBC) d'ici à 2050. Cela a aussi conduit la commission à fixer une date butoir de 6 mois pour le lancement des expérimentations sur l'affichage environnemental, et à dresser une liste des secteurs dans lesquels cette expérimentation devrait prioritairement être menée. En matière d'alimentation, l'obligation pour les grandes entreprises d'élaborer des plans d'action pour identifier et prévenir la déforestation importée et l'enrichissement du cadre juridique des projets alimentaires territoriaux s'inscrivent dans cette logique. La commission a enfin replacé les enjeux énergétiques, qui sont majeurs pour la décarbonation de l'économie, au coeur de ce texte.

B. COMBLER LES LACUNES DU PROJET DE LOI

La commission des affaires économiques a complété le texte sur plusieurs aspects, en s'appuyant tant sur les propositions de la Convention que sur ses propres travaux. Elle a ainsi cherché à redonner plus de cohérence à un texte qui ne faisait pas toujours la part des choses entre l'essentiel et le superflu. En matière d'énergie, ce sont ainsi des dispositions très concrètes qui ont été ajoutées sur l'hydroélectricité , qui représente la moitié de notre énergie renouvelable, le nucléaire , qui assure les trois quarts de notre mix électrique, et l'hydrogène renouvelable et bas carbone, vecteur énergétique d'avenir, souvent évoqué, mais peu soutenu. À cette fin, elle a notamment adopté des mesures en matière d'énergie nucléaire, étrangement absente du texte, en fixant un principe selon lequel aucun réacteur nucléaire ne peut être arrêté en l'absence de capacités de production équivalentes fournies par des énergies renouvelables.

Elle a également consacré le principe d'une gestion durable et multifonctionnelle des forêts , et celui de la préservation des sols forestiers au regard de leur rôle de puits de carbone et de réservoir de biodiversité. Reprenant enfin une proposition de la Convention citoyenne pour le climat, elle a prévu d'intégrer au sein des publicités une mention alertant sur le fait que la surconsommation nuit à la préservation de l'environnement.

C. ACCOMPAGNER LES FRANÇAIS DANS LA TRANSITION

Soucieuse de ne laisser personne sur le bord de la route, la commission a souhaité accompagner les ménages les plus précaires et les TPE-PME dans la transition. L'enjeu est de donner à ces acteurs de la transition les moyens de la mettre en oeuvre, afin de ne pas aggraver les fractures sociales auxquelles notre pays est déjà confronté et qui étaient à l'origine de la crise des « Gilets jaunes ». Alors que le logement est le premier poste de dépense des ménages, la commission a cherché à lutter contre la précarité énergétique en améliorant l'accès aux aides, en facilitant la réalisation de travaux par des mesures juridiques ou fiscales, en garantissant un reste à charge minimal et en rendant possible la gratuité des « accompagnateurs Sichel ». Pour ne laisser personne passer à côté des transitions agroenvironnementales, elle a enfin transformé la promesse du chèque alimentation durable en une réalité.

D. RENDRE LES MESURES PLUS OPÉRATIONNELLES

La commission des affaires économiques s'est également donné pour ligne directrice de faire gagner en efficacité les dispositions qui lui étaient présentées. Cela l'a conduite à limiter les effets de bord, à redéfinir les modalités d'application ou à rediriger les trajectoires. À titre d'exemple, la liste des produits à privilégier dans la restauration collective a été élargie aux produits locaux , circuits courts et aux démarches environnementales vertueuses sous label privé. La commission a remplacé la taxation des engrais azotés , qui aurait accru les distorsions en faveur de produits importés moins écologiques, par un plan « Eco'Azot » , plus incitatif et opérationnel, privilégiant l'écologie de l'innovation, au plus près des besoins des agriculteurs, à l'écologie de l'injonction. La commission est, par ailleurs, revenue sur le transfert du pouvoir de police de la publicité aux maires non dotés d'un règlement local de publicité (RLP), qui n'était pas souhaité par les acteurs de terrain. Elle a également remplacé l'interdiction des emballages polystyrène par l'interdiction uniquement de ceux qui ne seront pas recyclables d'ici 2025, conformément aux accords trouvés dans la loi sur l'économie circulaire.

E. SIMPLIFIER LES DISPOSITIFS POUR LIBÉRER LES INITIATIVES

Afin de limiter la multiplication des normes réglementaires qui freinent les initiatives individuelles en faveur de la transition et l'innovation , la commission s'est efforcée de simplifier les réglementations et de clarifier les normes juridiques dans ce domaine. Elle a ainsi repris une partie de la proposition sur l'hydroélectricité adoptée par le Sénat le 13 avril dernier, pour promouvoir l'exploitation de la petite hydroélectricité en simplifiant les réglementations qui s'y appliquent. Elle a notamment introduit un cadre stratégique et des mécanismes incitatifs pour l'hydrogène renouvelable et bas carbone. Dans le domaine de l'urbanisme , elle a, par exemple, proposé des simplifications pour accélérer le réemploi de friches et alléger les procédures de réhabilitation. Concernant la consommation , elle a notamment supprimé l'obligation pour les commerçants de proposer au client de fournir lui-même le contenant pour recueillir l'échantillon, considérant que la solution viendrait de la responsabilisation de chacun plutôt que de l'infantilisation du consommateur.

F. DÉCENTRALISER LA DÉCISION

Partant du constat qu'une approche centralisatrice et uniforme n'est pas gage d'efficacité, la commission des affaires économiques a introduit plus de différenciation et de territorialisation dans le projet de loi Climat-Résilience. Elle a choisi ainsi de confier la décision en priorité aux collectivités territoriales, qui sont les véritables échelons de proximité .

La commission a par exemple replacé le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) dans son rôle d'orientation générale en matière de réduction de l'artificialisation des sols, confiant la fixation des cibles chiffrées et leur déclinaison territoriale aux SCoT, pour mieux adapter les efforts aux réalités locales. Elle s'est opposée à la centralisation de la décision en matière d'urbanisme commercial, qui témoigne de la volonté de reprise en main de compétences locales. Enfin, elle a valorisé les dispositifs innovants nés d'initiatives locales, par exemple en matière de « permis de végétaliser ».

Dans le même ordre d'idées, la commission a prévu la consultation des collectivités infrarégionales par le Comité régional de l'énergie (article 22), celles des collectivités ou de leurs groupements dans les analyses environnementales ou les arrêts de travaux (articles 20 et 20 bis A). Elle a rétabli la compétence des communes ou de leurs groupements dans les dérogations aux installations d'énergies renouvelables (article 24) et a consacré la co-élaboration du schéma d'orientation minière par la collectivité de Guyane (article 21).

III. LE VOLET « CONSOMMER » : DES MESURES AMBITIEUSES, UNE DÉMARCHE SOUVENT ÉLOIGNÉE DES RÉALITÉS DU TERRAIN - (Anne-Catherine Loisier, rapporteure)

Le volet « Consommer », qui mêle des dispositions bienvenues et des mesures médiatiques - voire démagogiques - repose essentiellement sur deux leviers : l'interdiction de certaines pratiques (comme la distribution d'échantillons, l'utilisation de la neutralité carbone dans les publicités, les emballages en polystyrène, etc.) et l'information du consommateur.

La commission des affaires économiques, saisie pour avis de huit des articles de ce volet, et sa rapporteure Anne-Catherine Loisier (Union Centriste - Côte-d'Or), ont souhaité rehausser l'ambition environnementale de ces mesures, mettre l'accent sur la responsabilisation du consommateur et opérer une articulation plus efficace entre les impératifs de la transition écologique et les potentialités du secteur économique.

Elle a ainsi proposé une nouvelle rédaction de l' article 1 er relatif à l'affichage de l'impact environnemental des produits qui :

• s'assure du lancement des expérimentations d'affichage dans les six mois qui suivent la publication de la loi, prioritairement dans les secteurs les plus avancés ;

• prévoit que les externalités environnementales de l'ensemble des systèmes de production soient évaluées scientifiquement ;

• crée un dispositif de sanction en cas d'infraction à l'affichage environnemental ;

• priorise l'affichage sous forme d'étiquetage et de marquage, les autres procédés ne pouvant être utilisés qu'en cas d'impossibilité technique.

Toujours dans l'optique de responsabiliser le consommateur , la commission a proposé à l' article 4 qu'une mention alertant sur les dangers de la surconsommation pour la planète figure obligatoirement dans les publicités, hormis celles pour des biens alimentaires, culturels et médicaux. Elle a également proposé de refuser l'infantilisation du consommateur à l' article 10 , en rejetant les dispositions encadrant les paroles qu'un commerçant doit prononcer à l'égard de son client lorsque ce dernier lui demande un échantillon.

Considérant que l' éco-blanchiment ( greenwashing ) représente tant une atteinte à la protection de la planète (en n'incitant pas à agir effectivement pour l'environnement) qu'au principe de concurrence libre et non faussée (en distordant les choix des consommateurs), la commission a également proposé de renforcer fortement son encadrement en :

• prévoyant à l' article 4 bis A que tout engagement en matière environnementale de nature à induire en erreur ou qui repose sur des allégations fausses est une pratique commerciale trompeuse. Ce faisant, la commission entend lutter contre les fausses promesses écologiques utilisées à des fins commerciales ;

• sécurisant juridiquement l'alourdissement des sanctions pour éco-blanchiment à l' article 4 bis B , dont le volet complémentaire pourra désormais atteindre 80 % des dépenses de publicité engagées ;

• interdisant l'utilisation de la notion de « neutralité carbone » dans les publicités à l' article 4 bis C et, plus largement, en interdisant de faire croire qu'un produit n'a absolument aucun impact pour la planète.

Par ailleurs, la commission a proposé, à l' article 6 , de rejeter le transfert du pouvoir de police de la publicité extérieure de l'État vers les communes non dotées de règlement local de publicité, ces dernières ne disposant bien souvent pas de l'ingénierie technique, humaine et financière pour l'exercer. Elle a également proposé à l' article 7 que la hauteur des publicités lumineuses intérieures ne fasse plus partie des éléments à propos desquels un règlement local de publicité peut fixer des prescriptions, considérant qu'il s'agit d'une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie sans aucun impact sur la préservation de l'environnement.

La commission a également souhaité favoriser le développement du vrac tout en tenant compte des réalités du secteur commercial. À l' article 11 , elle a ainsi proposé de clarifier la règle et de prévoir que :

• les commerces vendant des produits de grande consommation consacrent au vrac 20 % de la surface de vente ;

• les autres commerces mettent en oeuvre des dispositifs, définis par voie réglementaire, ayant le même effet en matière de réduction des déchets d'emballage.

Enfin, en lien avec l'objectif de 100 % de déchets d'emballages recyclables en 2025, la commission a proposé de remplacer l'interdiction des emballages en polystyrène par l'interdiction uniquement de ceux qui ne seront pas recyclables d'ici 2025.

IV. ÉNERGIE - MINES : UNE RÉFORME DU CODE MINIER CONSENSUELLE, UN TEXTE QUI DOIT ÊTRE ENRICHI SUR LE NUCLÉAIRE, L'HYDRAULIQUE ET L'HYDROGÈNE - (Daniel Gremillet, rapporteur)

Saisie de 37 articles dont 16 au fond , la commission et son rapporteur « Énergie-Mines » Daniel Gremillet (Les Républicains - Vosges) ont appliqué, dans l'examen de ces articles, la vision d'une transition énergétique ambitieuse, mais concrète, ancrée dans nos territoires, faisant confiance à l'innovation des entreprises, des collectivités territoriales ou de nos concitoyens.

Ils ont recherché un équilibre , dans chacune des dispositions examinées, entre compétitivité économique et exigence environnementale : pour la commission, en effet, il est impératif de progresser vers une « croissance verte », pourvoyeuse d'emplois à haute valeur ajoutée, peu délocalisables ; dans un monde globalisé, notre souveraineté énergétique et minière n'a jamais été aussi nécessaire.

1. La commission a largement consolidé la réforme du code minier : il s'agit d'un projet attendu depuis dix ans, faisant l'objet d'un certain consensus entre les professionnels et les associations de protection de l'environnement, comme en témoigne l'avis rendu à ce sujet par le Conseil national de la transition écologique (CNTE).

Elle partage les objectifs de cette réforme , qui vise à moderniser des procédures obsolètes, intégrer pleinement les enjeux sanitaires et environnementaux et à renforcer le contrôle par la France de ses extractions et importations minières, mais elle a souhaité donner à cet accord exprimé par le CNTE toute sa portée.

Elle a jugé crucial d'en infléchir la méthode , en supprimant ou encadrant 15 ordonnances, en limitant la durée à 12 mois de l'habilitation pour l'élaboration des ordonnances et à 3 pour leur dépôt, en spécifiant l'association de l'ensemble des parties prenantes à leur élaboration - à commencer par les professionnels et les collectivités territoriales -, et prévoyant la présentation des ordonnances ainsi adoptées par le ministre chargé des mines devant le Parlement (article 21).

De plus, elle a sécurisé les procédures clefs pour les projets miniers : pour ce qui concerne le contentieux, elle a jugé nécessaire de veiller à ce que les évolutions des documents d'urbanisme ne remettent pas en cause les autorisations accordées et a appliqué au code minier l'encadrement des délais et la régulation de procédures prévues par le code de l'environnement ; s'agissant de l'analyse environnementale, qui permettra à l'État de refuser des projets en cas de « doute sérieux » quant à une « atteinte grave » aux intérêts, notamment environnementaux, protégés par le code minier, elle a institué une procédure contradictoire et une motivation explicite ; en matière de lutte contre l'orpaillage illégal, elle a encadré les dispositifs, en précisant notamment les peines recherchées (articles 20 bis A, 20 ter , 20 quinquies , 20 decies et 20 undecies notamment)

Surtout, la commission a largement enrichi le texte proposé : d'une part, elle a inscrit « en dur » 5 articles manquants inspirés de l'avant-projet de réforme - sur le caractère d'intérêt général de la valorisation et de la gestion des ressources minières et leur administration par l'État ou les collectivités territoriales, le principe de proportionnalité des procédures, celui de l'information préalable des collectivités territoriales, le registre numérique des titres miniers ou la recodification du dossier de reconversion des concessions d'hydrocarbures - d'autre part, elle a renforcé le rapport sur la stratégie minière - en intégrant les objectifs fixés par le législateur, en permettant un recensement actualisé du sous-sol, en prévoyant sa présentation devant le Parlement et en visant les enjeux sanitaires, environnementaux ou internationaux ; enfin, elle a adopté un amendement destiné à préparer la réforme de la fiscalité minière, prévue dans le cadre du prochain projet de loi de finances, car cette fiscalité est mal répartie entre les communes et faible par rapport aux cours des matières premières, à commencer par celui de l'or (articles 20 bis A et 20 bis notamment).

Parce que l'enjeu du siècle est celui du contrôle de nos ressources minières, la commission a adopté, sur la proposition du rapporteur, l'objectif selon lequel la gestion et la valorisation de ces ressources doivent « développer l'activité extractive sur le territoire national, relocaliser les chaînes de valeur, sécuriser les circuits d'approvisionnement, garantir la connaissance et la traçabilité des ressources du sous-sol et réduire la dépendance de la France aux importations. » (article 20 bis A)

C'est donc un cap clair en direction de notre souveraineté minière que la commission a souhaité donner, en infléchissant la méthode du volet « Mines » du projet de loi, au profit d'un net rééquilibrage dans le sens des parlementaires et, au-delà, des citoyens, mais aussi en renforçant ses objectifs, en sécurisant ses procédures et en associant les professionnels du secteur minier et les collectivités territoriales.

2. Dans le domaine de l'énergie, la commission des affaires économiques a largement rehaussé l'ambition du texte. Elle a ainsi adopté :

• le principe selon lequel aucun réacteur nucléaire ne peut être arrêté sans développer au préalable de capacité de production équivalente issue des énergies renouvelables ;

• des dispositions de nature économique et fiscale très substantielles en matière d'hydroélectricité, reprenant en cela la proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique, adoptée par le Sénat le 13 avril dernier ;

• un « paquet législatif » sur l'hydrogène renouvelable et bas carbone, fixant un objectif de 6,5 gigawatts d'ici à 2030, intégrant l'hydrogène à la « loi quinquennale », proposant des souplesses administratives et des incitations budgétaires et associant au mieux les collectivités territoriales ;

• le critère du « bilan carbone » appliqué aux projets d'énergies renouvelables attribués par appels d'offres et, à titre expérimental, à ceux attribués par guichets ouverts ;

• la prise en compte des biocarburants, en les exonérant de l'interdiction de la publicité, en prévoyant une trajectoire de substitution dans l'évolution de l'incitation fiscale sur le gazole routier et en les intégrant aux plans d'action « transports » des grandes entreprises ;

• des dispositifs de soutien à toutes les formes de stockage : stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), hydrogène, batteries électriques.

Elle a également adopté :

• un dispositif de soutien budgétaire conséquent aux raccordements des installations de biogaz, issu du projet de loi dit « ASAP » ;

• des dispositions complémentaires, stratégiques ou financières, en faveur de l'hydroélectricité ;

• des mesures plus ponctuelles de simplification, telles que la dématérialisation de la transmission des C2E, la facilitation des réseaux intérieurs d'électricité des bâtiments (RIB) ou la consolidation de la réduction de la chaleur fatale des bâtiments professionnels.

Aussi la commission a-t-elle voulu adresser un signal ambitieux en direction de notre transition énergétique, car il est illusoire d'espérer atteindre l'objectif de « neutralité carbone » à l'horizon 2050 sans un investissement massif en faveur de l'énergie nucléaire, de l'énergie hydraulique et de l'hydrogène renouvelable et bas carbone. Complémentairement, les autres énergies renouvelables intermittentes, et leurs formes de stockage, doivent également être largement promues.

Elle a également regretté que le Gouvernement légifère sur le projet de loi « Climat-résilience » avant même d'appliquer la loi « Énergie-climat », rappelant que 20 % des ordonnances, 30 % des mesures réglementaires et 80 % des rapports sont encore attendus !

C'est pourquoi elle a veillé à maintenir les acquis de la « loi quinquennale » dans les articles du projet de loi consacrés à la stratégie nationale de la recherche (article 14), à la politique nationale de gestion et de valorisation des ressources du sous-sol (article 20 bis ), et aux objectifs régionalisés en matière d'énergies renouvelables (article 22).

Elle a souhaité conforter le rôle des élus locaux, en prévoyant la consultation des collectivités infrarégionales dans l'élaboration des objectifs régionalisés précités (article 22) et en maintenant la compétence des maires dans l'octroi des dérogations aux implantations d'installations d'énergies renouvelables sur les locaux commerciaux (article 23).

Elle a entendu garantir les grands principes de notre système énergétique, en préservant les dispositifs d'information des consommateurs, tels que le comparateur d'offres du Médiateur national de l'énergie, l'interdiction de la publicité sur les énergies fossiles (article 4), en articulant les compétences du comité régional des énergies renouvelables avec les instances en charge du nucléaire ou de l'hydroélectricité (article 22), en conditionnant l'essor des communautés d'énergies renouvelables et des communautés énergétiques citoyennes au respect du principe de péréquation tarifaire (article 23) et en prévoyant la consultation de la Commission de régulation d'énergie pour les infrastructures de recharge électrique (article 26 bis ).

Elle a voulu ajuster certains dispositifs mal ficelés : en premier lieu, elle a préservé l'autonomie de la police municipale et encadré une habilitation à légiférer par ordonnance dans le cadre de la fraude aux certificats d'économies d'énergie (C2E) (article 46 bis ) ; en second lieu, elle a conforté le « filet social » des salariés touchés par les fermetures de centrales à charbon (article 18 ter ) ; plus encore, elle a renforcé le rôle des autorités organisatrices de la distribution d'énergie dans l'élaboration du plan d'investissement des réseaux et promu le biogaz et le stockage dans le cadre de la ratification d'une ordonnance sur le « Paquet d'hiver européen » (article 22 bis ) ; enfin, elle a évité que certains dispositifs afférents à la lutte contre la pollution de l'air et aux opérations d'économies d'énergie n'entraînent « d'effets de bord », respectivement, sur la filière bois-énergie et les réseaux de chaleur (articles 46 ter et quater ).

Au total, parce que les ressources minières et énergétiques sont au fondement de notre modèle de développement, la commission des affaires économiques a jugé essentiel de passer d'un texte d'intentions à un texte d'actions, en complétant très largement le projet de loi ; elle a ainsi entendu poser les bases d'un modèle de développement moins émissif et plus compétitif, à même de contribuer véritablement à la lutte contre les dérèglements climatiques.

Car l'action climatique passe d'abord et avant tout par la décarbonation de l'économie, qui nécessite, pour réussir, de relocaliser l'activité minière et de relancer l'énergie nucléaire.

V. RÉNOVATION DES LOGEMENTS : REHAUSSER L'AMBITION, ACCOMPAGNER TOUS LES FRANÇAIS - (Dominique Estrosi Sassone, rapporteur)

A. UN DÉFI SANS PRÉCÉDENT POUR LE POUVOIR D'ACHAT ET LE CLIMAT

La rénovation des bâtiments présente deux enjeux principaux : le pouvoir d'achat et le climat . Le logement est le premier poste de dépense des ménages. Il est la cause de 27 % des émissions de gaz à effet de serre . Réussir la rénovation des logements, c'est réduire les factures, lutter contre la précarité énergétique, améliorer notre qualité de vie et relancer notre économie à travers le secteur du bâtiment et, in fine , atteindre l'objectif que nous nous sommes fixé avec la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) : un parc rénové aux normes « bâtiments basse consommation » (BBC) ou assimilées en 2050.

Le défi est de taille, sur 29 millions de résidences principales, 1,9 million seulement sont classées A ou B selon le diagnostic de performance énergétique, soit 7 % du parc. À l'opposé, 4,8 millions de logements sont classés F et G, soit 17 % du parc, et sont qualifiés de « passoires thermiques » .

Les rénovations performantes , c'est-à-dire permettant d'atteindre les gains les plus élevés soit une division par quatre ou cinq de la facture énergétique, sont trop peu nombreuses . Selon le rapport de juillet 2020 du Haut Conseil pour le climat , entre 2014 et 2016, seules 87 000 maisons individuelles par an ont fait l'objet de rénovations permettant un saut d'au moins deux classes énergétiques. Le taux de rénovation globale serait de 0,2 % par an dans le résidentiel et le tertiaire sur la période 2012 à 2016.

B. UN PROJET DE LOI MANQUANT D'AMBITION ET D'ÉQUILIBRE

Le texte issu de l'Assemblée nationale comprend quatre parties principales et plusieurs avancées :

• les articles 39 et suivants donnent une assise législative au diagnostic de performance énergétique, le DPE, et en tirent les conséquences pour définir la « rénovation énergétique performante » ;

• ensuite, les articles 40 à 42 visent à inciter ou obliger les propriétaires occupants et les bailleurs à rénover leurs logements. Est créé un audit énergétique lors de la vente des maisons individuelles, qui indiquera le montant des travaux à réaliser. Sont également instaurées des interdictions d'augmenter les loyers ou de louer les logements les plus énergivores ;

• le troisième volet, soit les articles 43 et 43 quater , cherche à restructurer le service public de la performance énergétique de l'habitat, le SPPEH, et à créer un accompagnement pour les ménages en application du rapport d'Oliver Sichel . En outre, un prêt avance mutation garanti par l'État est mis en place pour permettre aux ménages n'ayant pas accès au crédit bancaire de pouvoir financer la rénovation de leur logement ;

• enfin, les derniers articles rassemblent des évolutions du droit de la copropriété et de la construction dont la principale est la création d'un plan pluriannuel de travaux.

Mais ce projet de loi marque un recul par rapport à la SNBC et est déséquilibré entre les nouvelles obligations et l'absence d'accompagnement.

Beaucoup, y compris des industriels, ont dénoncé un recul. La définition de la rénovation performante qui est proposée est en retrait par rapport à l'objectif de neutralité carbone d'ici à 2050 fixé par la SNBC en laissant penser que les logements de classe C permettront d'y parvenir. En outre, le Gouvernement instaure de nouvelles obligations sans donner aux Français les moyens de réussir la transition énergétique. Alors que, depuis 2018, la Réduction de loyer de solidarité (RLS) prive chaque année les bailleurs sociaux de 1,3 milliard d'euros, le projet de loi les oblige à rénover des centaines de milliers de logements pour plusieurs milliards d'euros. Seulement 500 millions d'euros sur deux ans ont été alloués par le plan de relance. Elle constate que le montant alloué à MaPrimeRénov ' est, quant à lui, inférieur à celui qui était prévu pour l'ancien dispositif fiscal, le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE).

C. ÊTRE PLUS AMBITIEUX, SOLIDAIRES ET PRAGMATIQUES

La commission, sur proposition de son rapporteur Dominique Estrosi Sassone (Les Républicains - Alpes-Maritimes), a adopté plusieurs amendements suivant trois principes :

1 - Rehausser l'ambition

L'ambition, c'est retenir une définition cohérente de la rénovation performante reposant sur les classes A et B et prendre en compte la classe D car en 2050 le parc devra être essentiellement constitué de logements A et B et minoritairement C, sauf exception. C'est consolider l'objectif d'une rénovation du parc de logements aux normes BBC à l'horizon 2050 et étendre les pouvoirs du législateur en matière programmatique, dans le cadre de la « loi quinquennale » prévue d'ici 2023. Concernant les logements de classe D, un audit énergétique sera imposé en 2030 et ils deviendront indécents en 2048. Il s'agit aussi de clarifier les missions du SPPEH et de garantir ses ressources, mais aussi de s'assurer que les accompagnateurs seront bien des professionnels compétents, agréés, indépendants et impartiaux . Leur mission est ciblée sur les rénovations énergétiques performantes ou globales les plus importantes d'un montant d'au moins 5 000 euros, comme le préconise le rapport Sichel.

2 - Garantir une transition énergétique solidaire

Le souci des plus modestes, c'est garantir un reste à charge minimal et rendre possible la gratuité des accompagnateurs Sichel car on ne doit pas, à force d'obligations nouvelles, créer des « Gilets jaunes » du logement. Les aides doivent rester attribuées en fonction des revenus et pas seulement de la performance de la rénovation comme en Allemagne où les plus aisés en captent la plus grande part. La commission a aussi décidé d'accélérer l'application de l'interdiction d'augmenter les loyers des passoires thermiques dès la publication de la loi et de transmettre les données issues des DPE aux associations qui luttent contre la précarité énergétique. C'est enfin rétablir le taux de TVA à 5,5 % sur les travaux de rénovation énergétique dans le logement social , comme avant 2018 et la RLS.

3 - Accompagner tous les Français

La commission a voulu assurer l'accès de tous les Français aux aides selon leurs ressources et l'équilibre entre les nouvelles obligations et le besoin d'accompagnement . Elle a demandé une simplification face à la multiplication des audits et diagnostics, invitant le Gouvernement à créer des documents unifiés . Dans les copropriétés, le diagnostic technique global (DTG), et le plan pluriannuel de travaux (PPT) sont replacés dans un parcours logique et la portabilité du fonds travaux est instaurée entre vendeurs et acquéreurs afin de constituer une vraie épargne collective pour préparer les gros travaux de rénovation.

Concernant les interdictions de louer, tout en maintenant le calendrier exigeant pour les passoires thermiques, elle a adopté une vision pragmatique en retenant la date de 2040 pour les logements E. Elle a introduit des exceptions, à la demande de la commission de la culture pour la protection du patrimoine , si les meilleurs niveaux ne peuvent pas être atteints.

La commission souhaite, enfin, donner des outils aux bailleurs pour réussir la transition . Elle a créé un congé pour travaux d'économie d'énergie. Elle a élargi le « Denormandie dans l'ancien » ou permis une exception à l'encadrement des loyers dès lors que des passoires thermiques font l'objet d'une rénovation performante. Elle a également décidé de doubler le déficit foncier en cas de travaux d'économie d'énergie.

VI. LUTTE CONTRE L'ARTIFICIALISATION DES SOLS : INSUFFLER AMBITION ET DIFFÉRENCIATION À UN TEXTE CENTRALISATEUR COMPORTANT D'IMPORTANTS ANGLES MORTS - (Jean-Baptiste Blanc, rapporteur)

Délégué à la commission des affaires économiques et son rapporteur Jean-Baptiste Blanc (Les Républicains - Vaucluse), le chapitre relatif à la lutte contre l'artificialisation des sols traduit, avec des adaptations notables, les recommandations de la Convention citoyenne pour le climat. Sensiblement réécrit à l'Assemblée nationale, ce volet allie désormais des mesures très structurantes et d'autres plus anecdotiques . Parmi les dispositions importantes figurent :

• une trajectoire ambitieuse de réduction du rythme de l'artificialisation en deux étapes (- 50 % d'ici 2031, rythme nul d'ici 2050), fixée et déclinée au niveau régional, que les documents locaux (SCoT, PLU, cartes communales) devront rapidement intégrer ;

• une interdiction de l'implantation de nouvelles surfaces commerciales de plus de 10 000 m² de surface de vente sur des terres non artificialisées, et un encadrement plus strict de celles sous ce seuil, qui peuvent être autorisées à certaines conditions (notamment pour des secteurs identifiés dans les SCoT ou en opération de revitalisation territoriale).

• des dispositions disparates, principalement relatives au contenu, aux outils et à l'évaluation des documents d'urbanisme, pour la plupart insérées à l'Assemblée nationale.

Le projet de loi affiche d'ambitieux objectifs de réduction de l'artificialisation , qui proposent une réelle rupture avec les dynamiques passées et prolongent les efforts de sobriété foncière conduits par les collectivités territoriales depuis le début des années 2000. Il apporte des avancées attendues, concernant notamment les friches ou l'intégration des enjeux logistiques.

Ces objectifs sont toutefois desservis par une méthode centralisatrice , de nombreuses obligations sans réelle plus-value et de véritables angles morts :

• le texte traduit une volonté centralisatrice de la politique d'urbanisme, avec un État « répartiteur » des droits à construire et des collectivités reléguées au rang d'exécutants. Cette approche centralisée et uniforme va à rebours des intentions du projet de loi « 4D » , qui entend porter une ambition de décentralisation et de différenciation. Elle manque de réalisme et d'efficacité.

• la plupart des mesures du texte relèvent plutôt de compléments ou d'ajustements, voire de dispositions cosmétiques , que de changements structurants. Dans le même temps, le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont souvent adopté une approche coercitive, fondée sur des obligations dont la plus-value réelle est souvent incertaine, telles de nombreuses études préalables ou des obligations redditionnelles qui semblent apporter davantage de complexité que d'avancées réelles.

• enfin, des aspects pourtant centraux de la politique de lutte contre l'artificialisation des sols sont à l'évidence absents du projet de loi. Aucun accompagnement financier ou opérationnel n'est prévu, alors que les impacts sur les budgets publics seront conséquents. La renaturation et la compensation sont à peine évoquées, bien que la philosophie du texte se base sur l'artificialisation « nette ». Enfin, les mesures de simplification du droit de l'urbanisme sont inexistantes.

En conséquence, la commission a souhaité insuffler au texte une approche différenciée, opérationnelle, simplificatrice et innovante.

1 - Différencier

• À l'initiative de son rapporteur, la commission a souhaité remplacer l'approche centralisée et uniforme par une approche différenciée et territorialisée. Elle a replacé le SRADDET dans son rôle d'orientation générale, pour confier la territorialisation des efforts aux SCoT .

• Pour la traduction des objectifs de réduction de l'artificialisation, la commission a souhaité affirmer clairement, dans la loi, que les cibles fixées par les SCoT, territorialisées, tiendront compte de la conciliation des spécificités locales .

• En matière de dérogations aux plans locaux d'urbanisme, la commission a souhaité maintenir le rôle du maire et la portée normative du PLU , pour ne pas affaiblir la planification locale.

• La commission a rejeté l'idée d'une centralisation du pouvoir de décision en matière d'autorisation des dérogations au « moratoire » sur les surfaces commerciales, et a rendu aux commissions départementales (CDAC) cette compétence.

2 - Rendre plus opérationnel

• Les délais ont été assouplis quand nécessaire , par exemple allongés de deux ans pour la mise en place des observatoires locaux de l'habitat et du foncier, ou encore portés à trois ans pour la périodicité du rapport sur l'artificialisation.

• La commission a apporté des articulations qui reflètent l'expérience de terrain des élus locaux . Elle a permis que la densification de « dents creuses » ne soit pas comptabilisée comme de l'artificialisation. Elle a aussi exclu les opérations de réhabilitation de l'existant de l'application du coefficient obligatoire de pleine terre ou de surfaces végétalisées.

• Elle a favorisé la stabilité des documents existants et le respect de leur cycle de vie , par exemple en excluant les zones à urbaniser déjà délimitées des nouvelles exigences, ou en s'assurant que les évolutions des SCoT seront bien prises en compte dans l'examen des dérogations en matière de « moratoire » sur les surfaces commerciales.

• À l'initiative du rapporteur, la commission a introduit une définition plus opérationnelle des sols artificialisés , afin d'améliorer la prise en main concrète par les acteurs locaux.

3 - Aller plus loin dans l'ambition

• La commission a renforcé la logique de bilan des documents d'urbanisme , en particulier les cartes communales, qui seront soumises à bilan périodique, et les SCoT. La politique nationale de lutte contre l'artificialisation fera aussi l'objet d'une évaluation triennale.

• Le champ d'action des établissements publics fonciers , levier important de recyclage foncier, et les possibilités de mise en oeuvre d'opérations de revitalisation de territoire , qui contribuent au renouvellement urbain, ont été étendus.

• Tous les maires pourront soumettre un « petit » projet commercial à autorisation d'exploitation commerciale lorsqu'il soulève des préoccupations, y compris environnementales.

• La commission a prévu une meilleure intégration des enjeux de logistique dans les SRADDET.

• Elle s'est enfin engagée à déposer au stade de la séance un amendement soumettant, sous certaines conditions, les entrepôts de logistique à autorisation des CDAC .

4 - Simplifier et innover

• La commission a adopté, sur proposition du rapporteur, des dispositifs innovants afin d'accélérer les projets menés sur des friches , comme un certificat de projet et des « bonus réglementaires » spécifiques. Elle a également proposé une expérimentation visant à alléger les procédures d'autorisation pour aller à l'essentiel en matière de rénovation et de réhabilitation .

• Elle a proposé un cadre pour des initiatives locales visant l'intégration de la nature en ville, les « permis de végétaliser » .

• Enfin, elle a supprimé certaines dispositions à l'impact négligeable , ou dont l'application promettait davantage de complexité que de bénéfices.

VII. SE NOURRIR - ACCENTUER LA DURABILITÉ DE NOTRE ALIMENTATION, C'EST LUTTER AVANT TOUT POUR LA RENDRE PLUS LOCALE ET PLUS SOUVERAINE - (Anne-Catherine Loisier, rapporteure)

Sur le volet « Se nourrir », la commission et sa rapporteure Anne-Catherine Loisier ont estimé que le Gouvernement semblait avoir préféré la facilité d'un texte médiatique, qui ne comporte que peu de mesures prescriptives, mais au fort potentiel symbolique, à la complexité du sujet agricole et alimentaire. Le contenu du texte ne permet ni de relever les défis environnementaux en matière alimentaire ni de répondre aux attentes des consommateurs et des agriculteurs.

De façon plus générale, la commission a regretté que le projet de loi, refusant de réfléchir à la mise en place d'une politique alimentaire plus ambitieuse, plus locale donc plus durable, se contente de fusionner au sein d'une stratégie des plans préexistants (article 61) ou de s'assurer de la bonne coordination du plan stratégique national, élaboré dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), avec d'autres stratégies environnementales (article 65).

Pour aller plus loin, la commission a souhaité rehausser l'ambition du texte sur le volet agricole en suivant 4 axes :

1. Promouvoir une alimentation plus souveraine : elle a proposé d'enrichir la stratégie nationale proposée à l'article 61 par un programme pour la sauvegarde et la reconquête de notre souveraineté alimentaire, permettant d'allier objectifs environnementaux, sociaux et économiques dans une optique de développement durable de notre modèle alimentaire. Elle a, en outre, consolidé les démarches engagées en vue de lutter efficacement contre la déforestation importée, en y associant les entreprises les plus concernées (64 ter ) ;

2. Promouvoir une alimentation plus locale : elle a inclus dans la liste des produits à valoriser dans la restauration collective les produits locaux et issus de circuits courts, notamment des projets alimentaires territoriaux, ainsi que les démarches environnementales et qualitatives vertueuses, certifiées par un tiers indépendant, le tout sous le contrôle du ministre de l'agriculture (article 60). Elle a également appelé à considérablement renforcer le cadre juridique applicable aux projets alimentaires territoriaux pour en faire un véritable outil, au service d'une alimentation plus locale (article 61 bis ) ;

3. Promouvoir un volet social en permettant à tous les Français d'être informés de l'origine des produits alimentaires qu'ils achètent (nouvel article 66 ter A, à l'initiative de la rapporteure) et d'accéder à des produits sous signes de qualité : à cet égard, elle a inscrit dans la loi le principe de la création d'un chèque alimentaire et nutritionnel (article 60 bis ), conformément à la proposition de la Convention citoyenne. Le Gouvernement s'y est engagé : pourquoi en retarder la mise en oeuvre ? ;

4. Recalibrer le projet de loi pour davantage accompagner les transitions culturales plutôt que les imposer de manière punitive : elle appelle à la mise en place d'un plan Eco'Azot (article 62), sur le modèle du plan Eco'phyto, associant toutes les parties prenantes, afin de promouvoir des solutions d'accompagnement des agriculteurs dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à l'utilisation d'engrais azotés - à défaut de réussite, la redevance pourra entrer en vigueur, mais uniquement au niveau européen .

Sur les quatre volets du texte transmis par l'Assemblée nationale, la commission a estimé qu'un intéressant travail a été réalisé pour éviter les pratiques trompeuses à l'égard du consommateur sur les labels , notamment le label commerce équitable (article 66). Une définition précise des labels privés est de nature à permettre d'éviter la profusion de ces derniers sans encadrement (article 66 bis ). La commission a simplement voulu clarifier les dispositifs proposés.

Sur la partie relative à la restauration collective , la commission a estimé que les articles proposés participent d'une logique d'éviction des collectivités territoriales du processus de politique alimentaire. Au contraire, elle estime que les élus locaux sont des acteurs de premier plan pour favoriser une politique alimentaire plus locale, et par là même, plus durable . Elle a donc supprimé les contraintes trop fortes qui revenaient sur la libre administration des collectivités territoriales, notamment sur la tarification scolaire (article 59 ter ). S'agissant du cas spécifique des menus végétariens, elle a validé la position proposée par l'Assemblée nationale, tout en recommandant un prolongement de l'expérimentation en cours d'un menu végétarien hebdomadaire en restauration scolaire plutôt que sa généralisation, faute de données évaluatives suffisantes à ce stade . Elle a ainsi veillé à ce qu'un impératif de qualité des approvisionnements soit suivi par les gestionnaires dans les expérimentations sur les menus végétariens en restauration scolaire (article 59).

La solution proposée pour réduire les émissions de gaz à effet de serre liées à l'utilisation d'engrais azotés par l'amont agricole n'est pas apparue satisfaisante à la commission : donner deux ans aux agriculteurs pour se conformer à une trajectoire sous peine de mettre en place une redevance spécifique, c'est un ultimatum punitif (articles 62 et 63). La commission propose, à l'inverse, de sortir de cette logique mortifère, n'aboutissant qu'à une hausse des charges pour les agriculteurs et, partant, à un accroissement induit des importations de denrées alimentaires ne respectant pas les normes en matière d'engrais fixées en France, pour proposer une logique plus opérationnelle d'accompagnement des agriculteurs dans les transitions culturales.

VIII. FORÊTS ET AIRES PROTÉGÉES : POUR UNE GESTION DURABLE ET MULTIFONCTIONNELLE DES FORÊTS - (Anne-Catherine Loisier, rapporteure)

A. OPTIMISER LE RÔLE DE PUITS DE CARBONE ET AMÉLIORER LA RÉSILIENCE DES FORÊTS FACE AU DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE

Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) sur la forêt ayant pour la plupart été filtrées par le Gouvernement, la forêt était presque absente du texte initial. Les interactions entre forêt et dérèglement climatique sont pourtant nombreuses, et jouent dans les deux sens :

• en un sens, la forêt atténue le dérèglement climatique en absorbant chaque année en France plus de 11 % de nos émissions de gaz à effet de serre. Elle freine l'évaporation de l'eau, préserve de la chaleur et constitue un réservoir essentiel de biodiversité : à ce titre, elle contribue à la résilience face aux effets du dérèglement climatique ;

• dans l'autre sens, le dérèglement climatique menace la forêt dans son existence même . Ces dernières années, elle a subi de plein fouet les premiers effets du dérèglement climatique : les sécheresses ont affaibli ses « défenses immunitaires » et elle n'a pu ensuite résister aux attaques de parasites ; le risque incendie menace maintenant des régions où il était encore hier inimaginable.

La commission des affaires économiques du Sénat et sa rapporteure sur ce volet Anne-Catherine Loisier, ont eu pour fil conducteur dans leurs travaux la promotion d'une gestion durable et multifonctionnelle des forêts. Cela consiste à essayer, autant que possible, de concilier les objectifs environnementaux, sociaux et économiques. Il faut par exemple pouvoir prélever du bois pour séquestrer du carbone et ainsi répondre à l'objectif de la RE2020 d'une augmentation des matériaux biosourcés dans la construction ; dans le même temps, il faut rétribuer les pratiques sylvicoles plus durables et leurs externalités positives pour la résilience des écosystèmes forestiers.

La commission a ainsi repris les ajouts de l'Assemblée, les a complétés et a rehaussé leur ambition :

• en consacrant explicitement l'objectif de préservation des sols forestiers, abris pour la biodiversité et réservoirs de carbone (article 19 bis D) ;

• en encourageant les projets en forêt éligibles au label « Bas Carbone », pour rétribuer les pratiques sylvicoles plus vertueuses (article 19 bis D) ;

• en obligeant les petits propriétaires forestiers adhérant à un code des bonnes pratiques sylvicoles (CBPS), de faire agréer un programme des coupes et travaux, présentant des garanties plus sérieuses de gestion durable (article 19 bis EA) ;

• en incitant à la transformation du bois d'oeuvre sur le territoire de l'Union européenne afin d'optimiser le bénéfice de son stockage de carbone (article 19 bis EB) ;

• en adoptant sans modification l'adaptation du programme national de la forêt et du bois (PNFB) à la Feuille de route sur le dérèglement climatique : datant de 2016, le PNFB prescrit de fortes récoltes de bois alors que certaines régions ont déjà subi de nombreuses coupes sanitaires (article 19 bis F).

B. RENFORCER LA DIMENSION QUALITATIVE DE LA STRATÉGIE NATIONALE DES AIRES PROTÉGÉES

La stratégie nationale des aires protégées ambitionne de classer 30 % du territoire en aires protégées et 10 % sous protection forte d'ici 2030. Afin de rendre plus opérationnelle une stratégie à ce stade très quantitative, la commission a proposé d'en accentuer la dimension qualitative :

• Les espaces naturels, notamment de montagne ou de forêt, jouent un rôle d'équilibre territorial, avec à la clé de nombreux emplois ruraux. Il ne faudrait pas qu'une forme de « mise sous cloche » de ces espaces freine le développement d'activités bien souvent conciliables avec leur protection. C'est pourquoi la commission a proposé d'ancrer dans la loi la compatibilité de la « protection forte » à la française avec les activités humaines, pour autant qu'elles ne dégradent pas l'environnement, les paysages et la biodiversité.

• La mise sous protection forte de 10 % du territoire interroge alors que sur les dix dernières années, nous sommes parvenus seulement à 1,76 %. La stratégie aires protégées est d'abord quantitative et les moyens de gestion et de contrôle manquent souvent. À ce titre, la commission a proposé d'étendre l'encouragement aux projets éligibles au label « Bas Carbone » à l'ensemble des aires protégées, afin d'accroître leur financement sans dépense supplémentaire pour l'État.

• Les effets d'une mise sous protection forte ou de la pleine naturalité sur la résilience des écosystèmes sont incertains, à l'heure où le dérèglement climatique fait évaluer les risques à une vitesse inédite (incendie en l'absence de débroussaillage, dégâts de gibier sur les plants). La commission des affaires économiques, voulant s'assurer que réduire l'empreinte de l'homme sur les espaces naturels ne conduira pas à livrer la nature à elle-même, a proposé une évaluation systématique, avant chaque classement sous protection forte, de l'impact de ce classement sur la vulnérabilité des écosystèmes au dérèglement climatique.

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