II. EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 23 novembre 2021, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport pour avis de Mme Frédérique Puissat sur la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2022.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous examinons ce matin les crédits de la mission « Travail et emploi ».

Mme Frédérique Puissat , rapporteur pour avis de la mission « Travail et emploi » . - Dans la version initiale du projet de loi de finances (PLF), les crédits demandés pour la mission « Travail et emploi » s'élevaient à 13,5 milliards d'euros, soit un niveau équivalent à la loi de finances initiale (LFI) pour 2021. Le texte qui nous parvient de l'Assemblée nationale prévoit une enveloppe de 14,7 milliards d'euros pour la mission, soit une augmentation de 1,3 milliard, qui résulte de deux amendements du Gouvernement pour financer le contrat d'engagement jeune et le plan de réduction des tensions de recrutement.

Une augmentation aussi significative des crédits en cours d'examen du texte, qui s'accompagne de l'introduction de dispositifs nouveaux, nuit à la bonne information du Parlement.

Au-delà de la seule augmentation des moyens alloués aux politiques de l'emploi, il convient d'apprécier la pertinence des dispositifs qui seront ainsi financés, dans un contexte économique et social qui s'améliore, mais demeure encore fragile, compte tenu des évolutions incertaines de la situation sanitaire.

À l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, j'exprimais de vives inquiétudes sur la situation de l'emploi, qui semble finalement s'améliorer plus tôt que prévu. Alors qu'il atteignait 8,9 % au troisième trimestre 2020, le taux de chômage en France hexagonale est retombé à 7,9 % au troisième trimestre 2021, soit son niveau d'avant la crise. Il pourrait même, selon l'Institut national de la statistique et des études économique (Insee), retrouver d'ici à la fin de l'année le niveau atteint en 2008, soit 7,6 %.

Ce contexte permettra de limiter en 2022 les dépenses d'indemnisation des demandeurs d'emploi supportées par l'État, qui seraient identiques au montant prévu l'an dernier, soit 2,3 milliards d'euros. Les comptes de l'Unédic devraient ainsi redevenir excédentaires dès 2022. Son endettement demeure toutefois préoccupant, s'établissant à 64,7 milliards d'euros en cette fin d'année, dont 19,4 milliards sont imputables aux mesures d'urgence.

Les moyens accordés à Pôle emploi connaissent des évolutions contradictoires, ce qui complique notre tâche pour évaluer les ressources dont disposera l'opérateur en 2022. Ses moyens diminuent de 85 millions d'euros en raison de la baisse de la subvention pour charges de service public, conformément à la trajectoire de maîtrise de ses dépenses, mais Pôle emploi bénéficiera aussi d'un soutien exceptionnel de 175 millions d'euros issus du plan de relance.
Ses effectifs réels doivent baisser de 500 équivalents temps plein (ETP), mais Pôle emploi devrait aussi procéder à 600 recrutements nets pour assurer le déploiement du nouveau contrat d'engagement jeune. Au total, ses moyens devraient donc être relativement stables.

Dans ce contexte de reprise d'activité, le Gouvernement a engagé un plan de réduction des tensions de recrutement pour les années 2021 à 2023, doté de 1,4 milliard d'euros, ce qui me semble utile pour accompagner le développement de l'emploi dans certains secteurs éprouvant des difficultés de recrutement. Ce plan permettra de renforcer la formation des salariés et des demandeurs d'emploi, en particulier ceux de longue durée. Un amendement du Gouvernement abondant les crédits de la mission à hauteur de 689 millions d'euros a été adopté à l'Assemblée nationale pour financer les actions de ce plan en 2022.

Un autre marqueur de l'amélioration de la situation de l'emploi se trouve dans l'extinction du dispositif d'activité partielle de longue durée, qui était financé au titre des mesures d'urgence. L'Assemblée nationale a adopté deux articles additionnels, rattachés à la mission, afin d'assurer une transition entre ces mesures exceptionnelles et le droit commun de l'activité partielle. L'article 56 vise à pérenniser des dérogations au dispositif d'activité partielle mis en oeuvre depuis le début de la crise, afin d'y inclure certains salariés qui n'étaient pas éligibles. L'article 59 prolonge d'un an l'éligibilité au dispositif d'activité partielle des salariés d'entreprises n'ayant pas d'établissement en France, mais cotisant au régime d'assurance chômage. Je crois que nous pouvons soutenir ces deux dispositifs pour accompagner la reprise progressive de l'activité.

J'en viens aux dispositifs destinés à favoriser l'insertion dans l'emploi des personnes en difficulté.

En matière de contrats aidés, le Gouvernement avait pris la décision de les transformer en « parcours emploi compétences » (PEC) dans le secteur non marchand et de les abandonner dans le secteur marchand. Avec la crise sanitaire, le retour des contrats aidés dans le secteur marchand pour les jeunes de moins de 26 ans - les contrats initiative emploi Jeunes - pouvait se justifier. Ils étaient d'ailleurs financés par le plan de relance, signe qu'ils devaient être mis en oeuvre à titre exceptionnel. Toutefois, la mission « Travail et emploi » prévoit 50 000 nouveaux contrats aidés dans le secteur marchand en 2022, ce qui contredit les orientations du Gouvernement, alors que l'activité reprend.

Je suis satisfaite que les moyens alloués au secteur de l'insertion par l'activité économique et au soutien de l'emploi des personnes handicapées progressent en 2022. À cet égard, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a prévu l'expérimentation des entreprises d'insertion par le travail indépendant (EITI). Ce dispositif sera financé par une enveloppe de 5,74 millions d'euros en 2022 et l'article 58, rattaché à la mission, prévoit de prolonger cette expérimentation jusqu'en 2023. Je crois que nous pouvons soutenir cette mesure pour que l'expérimentation, freinée du fait de la crise, se déploie pleinement.

L'accompagnement renforcé des jeunes vers l'emploi devait se traduire, dans le PLF initial, par une hausse des financements alloués à la garantie jeunes, afin d'accompagner 200 000 bénéficiaires supplémentaires l'année prochaine pour un montant de 596,8 millions d'euros. En parallèle, il est prévu que les missions locales soient soutenues à hauteur de 601 millions d'euros et que les écoles de la deuxième chance accueillent 15 500 jeunes en 2022, avec un budget de 24 millions d'euros.

Ces moyens devraient être redéployés pour financer le nouveau contrat d'engagement jeune (CEJ), annoncé par le Président de la République le 3 novembre. Quelques jours plus tard, l'Assemblée nationale a adopté un article additionnel, l'article 57, rattaché à la mission, afin de créer ce contrat dans le code du travail, en remplacement de la garantie jeunes.

Il constituerait ainsi une sorte de garantie jeunes au contenu renforcé et aux conditions d'éligibilité assouplies, en s'adressant aux jeunes de moins de 26 ans qui sont durablement sans emploi ni formation ou qui rencontrent des difficultés d'accès à un emploi durable. Il prendrait la forme d'un accompagnement intensif de 15 à 20 heures par semaine, en contrepartie de l'engagement et de l'assiduité du bénéficiaire, qui pourra percevoir une allocation allant jusqu'à 500 euros par mois, sous conditions de ressources. Il serait mis en oeuvre par les missions locales, Pôle emploi et des organismes publics ou privés proposant des services d'insertion et de formation, et pourrait être proposé à compter du 1 er mars 2022.

Le Gouvernement estime que 400 000 jeunes pourraient en bénéficier, dont ceux qui bénéficient de la garantie jeunes, qui basculeront vers un CEJ au 1 er mars.

Un amendement de crédits a été adopté pour abonder la mission à hauteur de 550,8 millions d'euros. Ces moyens complètent ceux qui sont prévus pour les dispositifs qui seront remplacés par le CEJ, de telle sorte que 2,6 milliards d'euros seraient consacrés à ce contrat en 2022.

Proposer en quelques jours un dispositif d'une telle ampleur, qui mobilisera plus de 2 milliards d'euros, par un amendement du Gouvernement ne permet pas la bonne information du Parlement. Ce dispositif n'a fait l'objet d'aucune étude d'impact, ses contours et son contenu restent à définir. Les opérateurs ignorent encore comment les jeunes seront répartis entre Pôle emploi et les missions locales. Au cours des auditions, nombreux étaient ceux qui ne percevaient pas bien si le CEJ allait ou non remplacer la garantie jeunes, preuve que cette mesure a été décidée dans la précipitation.

Je considère que nous ne pouvons pas approuver un dispositif qui nous est proposé dans ces conditions. En outre, je tiens à rappeler que des moyens considérables ont été alloués, à juste titre, pour soutenir l'emploi des jeunes pendant la crise : accompagnement renforcé, aides à l'embauche, etc . Proposer une mesure nouvelle sans effectuer un bilan de ces mesures et de leurs effets sur l'emploi me paraît prématuré. Je vous proposerai donc d'émettre un avis défavorable sur l'article 57.

Au titre des dispositifs destinés à développer l'emploi et les compétences, le projet de loi de finances 2022 propose de poursuivre l'expérimentation des emplois francs pour aider à l'embauche dans les quartiers prioritaires de la ville : 163,5 millions d'euros seront ainsi consacrés à ce dispositif en 2022, pour la conclusion de 36 000 nouveaux contrats. Si le dispositif semble monter progressivement en charge selon le ministère du travail, les résultats obtenus en 2018 et 2019 se trouvaient en deçà des objectifs. Comme je vous l'indiquais l'an dernier, je suis donc réservée sur la pertinence de cette expérimentation, qui devrait faire l'objet d'une évaluation prochaine.

La dynamique en faveur de l'apprentissage, enclenchée par la loi du 5 septembre 2018, n'a pas pâti des effets de la crise, puisque, après la signature de 368 000 contrats en 2019, ce sont 495 000 contrats qui ont été conclus en 2020. Le Gouvernement estime que 388 000 contrats pourraient être signés en 2022.

Pour supporter cette dynamique, les crédits d'intervention pour le développement de l'alternance s'élèvent à 1,47 milliard d'euros pour 2022. L'enveloppe allouée à la compensation des exonérations de cotisations sociales pour les employeurs d'apprentis progresserait de 58 % en 2022. En outre, l'aide versée aux entreprises de moins de 250 salariés embauchant un apprenti de niveau inférieur ou égal au baccalauréat serait financée à hauteur de 505 millions d'euros, pour 208 000 nouveaux contrats éligibles en 2022. Le soutien des écoles de production serait aussi renforcé, avec une enveloppe de 7,5 millions d'euros consacrée à leur financement.

Ces orientations me semblent positives et permettent d'accompagner le développement de l'apprentissage dans notre pays. Je suis toutefois plus inquiète s'agissant du système de financement de l'alternance. L'opérateur France compétences connaît depuis sa création d'importantes difficultés financières. Il devrait afficher un déficit de l'ordre de 4 milliards d'euros en 2021, partiellement comblé par des crédits issus du second projet de loi de finances rectificative pour 2021, à hauteur de 2 milliards d'euros. Il conviendrait donc de s'interroger sur la viabilité du financement de l'apprentissage, dans un contexte de forte croissance, afin d'opérer les ajustements nécessaires.

En matière de développement des compétences, le plan d'investissement dans les compétences (PIC) joue un rôle important, mais la lisibilité des financements qu'il regroupe est toujours très limitée. Je rappelle que le PIC est doté de 13,6 milliards d'euros sur la période 2018-2022 afin d'accompagner 2 millions de personnes vers l'emploi et d'améliorer le système de formation professionnelle.

Les moyens rassemblés au sein du PIC pour 2022 s'élèveraient à 3,032 milliards d'euros. Ils permettraient notamment, au-delà de la formation, de renforcer les actions de formations proposées par Pôle emploi ou encore d'accompagner plus de 30 000 jeunes en prépa-apprentissage en 2022. De manière plus discutable, le PIC contribue aussi au financement de dispositifs pérennes d'accompagnement, à l'image de la garantie jeunes. Des dispositifs sont ainsi à la fois financés par le PIC et par le plan de relance, ce qui ne permet pas de retracer aisément les moyens qui leur sont alloués.

Des dispositifs de soutien à l'emploi continuent ainsi d'être financés par la mission « Plan de relance », dont le programme 364 « Cohésion », qui comprend des crédits relevant de la politique de l'emploi. Ils seraient en nette diminution par rapport à 2021, en raison de l'extinction progressive de dispositifs qui ont été mis en oeuvre du fait de la crise sanitaire : activité partielle de longue durée, aides exceptionnelles à l'apprentissage, « emplois francs + », aides à l'embauche de travailleurs handicapés.

L'instauration de ces mesures a été pleinement justifiée par les circonstances exceptionnelles de la crise sanitaire et leur extinction progressive me semble opportune dans un contexte de reprise économique. Il convient donc que les dispositifs pérennes de soutien à l'emploi et à la formation professionnelle prennent le relais afin d'accompagner les employeurs, sans fragiliser la reprise de l'activité. Une évaluation des effets de ces dispositifs sur le marché du travail sera nécessaire afin d'en tirer des enseignements pour les politiques de l'emploi, compte tenu des moyens considérables qui ont été déployés.

J'aborderai enfin le financement des politiques de soutien au dialogue social, à la santé au travail et consacrées au fonctionnement des administrations mettant en oeuvre la politique de l'emploi.

Les crédits consacrés à la santé et à la sécurité au travail, à la qualité et à l'effectivité du droit, et au dialogue social progresseraient de 4,2 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2021. Cette hausse permettra, à titre principal, d'accompagner la mise en oeuvre de la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail : accompagnement des entreprises dans la mise en place du document unique d'évaluation des risques professionnels (Duerp), mise en place des nouvelles offres des services de prévention et de santé au travail, coûts transitoires induits par la fusion des associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail (Aract) au sein de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact).

Par ailleurs, les crédits demandés au titre des dépenses de personnel et de ressources humaines des services de l'État mettant en oeuvre la politique de l'emploi augmenteraient de 2,3 % par rapport à la LFI pour 2021, en raison de la hausse du plafond d'emplois de 370 équivalents temps plein supplémentaires pour 2022. Cette hausse permettrait de renforcer des services fortement sollicités depuis le début de la crise, notamment au niveau déconcentré.

Au total, je crois que nous pouvons partager les orientations retenues au titre du soutien à la formation professionnelle, qui s'inscrivent dans la continuité des actions que nous avons approuvées pour le développement de l'alternance et des compétences.

L'extinction progressive de dispositifs exceptionnels me paraît également aller dans le bon sens, dans le contexte économique actuel.

En revanche, les choix opérés en matière de soutien des personnes rencontrant des difficultés d'insertion professionnelle, qui s'illustrent par la création soudaine du contrat d'engagement jeune, me paraissent hasardeux et davantage fondés sur la volonté de marquer le dernier PLF du quinquennat par un dispositif nouveau que sur sa réelle nécessité. Ces orientations me semblent donc discutables, tant sur la méthode que sur le fond.

C'est pourquoi je vous propose d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission et à l'article 57 créant le contrat d'engagement jeune.

Je vous propose d'émettre un avis favorable sur les trois autres articles
- articles n os 56, 58 et 59 - rattachés à la mission.

Mme Annie Le Houerou . - Ce budget n'est pas facile à appréhender tant en raison des jeux de passe-passe opérés par le Gouvernement entre les crédits de la mission et ceux du plan de relance, que de l'introduction, par voie d'amendement, sans évaluation, de nouveaux dispositifs.

En dépit de leur hausse de 3 %, les crédits de la mission restent inférieurs à ce qu'ils étaient lors de la première année du quinquennat. Pôle emploi a ainsi vu sa subvention pour charges de service public baisser de 1,3 milliard d'euros durant le quinquennat. De plus en plus, l'organisme est financé par les chômeurs eux-mêmes du fait de la contribution de l'Unédic, alors que la réforme de l'assurance chômage rapportera 2,3 milliards d'euros d'économies et que plus de 1 million de chômeurs verront leurs indemnités baisser. Si le chômage baisse globalement, le chômage de longue durée, qui touche particulièrement les plus de 55 ans, augmente. Le taux d'emploi des 55-64 ans ne s'élève qu'à 55 % en France, soit 6 % de moins que la moyenne en Europe. Dans ces conditions, relever l'âge de départ à la retraite n'aboutirait qu'à un jeu de vases communicants entre les caisses de retraite et l'Unédic. Le service public de l'emploi doit être financé par l'État, et non par les allocataires.

Après avoir réduit de manière draconienne le nombre d'emplois aidés au début du quinquennat, fragilisant le tissu associatif, mais aussi les hôpitaux, le Gouvernement a été obligé de réviser sa politique pour faire face à la crise sanitaire, en créant de nouveaux contrats aidés dans le secteur marchand, à rebours de ce qui avait été fait au début du quinquennat.

Le PIC voit son budget baisser, alors que l'année 2022 doit correspondre au fonctionnement à plein régime du dispositif. Cette baisse, couplée à la diminution de 5 % des crédits dédiés au développement de l'emploi, conduit à une diminution des crédits du programme « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi » de 11 %.

L'apprentissage se développe, mais la proportion d'apprentis de niveau inférieur ou égal au baccalauréat diminue, s'élevant seulement à 40 %. Les apprentis post-bac ne relèvent pas de l'État, mais grèvent les comptes de France compétences à hauteur de 1 milliard d'euros, menaçant l'équilibre à long terme de cette structure.

On constate la création d'une nouvelle action relative au renforcement de la prévention en santé au travail, en lien avec la récente réforme de la santé au travail. Sans cela, les crédits destinés à cette fin auraient baissé de 9 %.

La création du contrat d'engagement a résulté d'une annonce de dernière minute. Un accompagnement des jeunes était annoncé depuis le début de l'année. On attendait une garantie jeunes universelle. Mais le dispositif a été maintes fois reporté, et finalement le CEJ est introduit par voie d'amendement dans ce texte. Toutefois, le flou persiste : combien de jeunes seront-ils concernés ? Pour quelle durée ? Ce revenu se substitue-t-il à la garantie jeunes ?

Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - Merci à notre rapporteur, qui a réalisé un travail remarquable pour démêler l'écheveau des crédits relatifs au travail, à l'emploi, à l'apprentissage. Il faut se demander, lorsque l'on étudie ces sujets, comment la politique nationale s'articule avec l'action des régions, qui travaillent beaucoup sur l'apprentissage et l'emploi, et celle des départements, compétents pour l'insertion.

Alors que nous avions pu avoir quelques inquiétudes concernant le financement des structures d'insertion par l'activité économique, on n'entend plus de critiques ; nous avons eu gain de cause pour les financements. Les contrats aidés sont même parfois plus nombreux qu'auparavant. Les structures ne se plaignent pas, en tout cas, d'un manque de financement de la part de l'État.

En ce qui concerne l'apprentissage, le bilan national est plutôt très bon. En dépit d'un léger recul parfois, dans des régions qui étaient très en pointe, on observe une réelle dynamique.

Certains auraient souhaité un revenu de solidarité active pour les jeunes. Le texte prévoit un contrat d'engagement. En dépit de la différence d'appellation, il s'agit bien d'une forme de soutien renforcé à l'égard des jeunes pour les accompagner vers l'emploi ou une formation. Certes, on peut déplorer une certaine improvisation, mais je m'abstiendrai : je ne peux pas voter contre une mesure d'accompagnement de la jeunesse. Nombre d'entreprises recherchent des salariés ; le problème est le manque d'adéquation entre les postes proposés et les qualifications. Il faut donc résoudre ce problème d'ajustement entre l'offre et la demande. Une évaluation des mesures d'urgence aurait sans doute été souhaitable, mais elle semble difficile à réaliser après deux années de covid.

Je déplore toutefois un manque qui concerne l'action en faveur des territoires d'outre-mer, où le taux de chômage des jeunes est colossal. Ces territoires mériteraient un effort renforcé. Le CEJ ne suffira pas. Il faut développer l'innovation en s'appuyant sur le tissu économique local, soutenir les initiatives des entrepreneurs, etc. Je voterai pour les crédits de la mission, mais m'abstiendrai sur le CEJ.

Mme Cathy Apourceau-Poly . - Il y aurait beaucoup à dire sur cette mission. Le Gouvernement ne sait plus sur quel pied danser : après avoir supprimé les contrats aidés, il en recrée d'autres. On s'y perd... Le CEJ concernera 400 000 jeunes. Initialement, le Gouvernement prévoyait une enveloppe de 2 milliards d'euros pour 1 million de jeunes : finalement, le budget est divisé par 4, et le nombre de jeunes divisé par 2 !

Comment le Gouvernement va-t-il faire pour s'adresser aux jeunes éloignés des missions locales, notamment ceux qui sont en rupture avec les institutions ? Je pense qu'il aurait plutôt dû renforcer Pôle emploi, qui voit une nouvelle fois ses crédits baisser cette année, de 85 millions d'euros - soit une diminution de 262 millions d'euros depuis 2018.

L'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) va, pour sa part, connaître une nouvelle restriction du nombre de ses emplois, avec 200 emplois en moins cette année.

Je pense que, lorsqu'on lance une telle mesure, il convient de renforcer les structures qui peuvent agir concrètement sur les territoires.

Mme Chantal Deseyne . - On jongle avec les milliards. C'est très bien de prévoir des dispositifs d'accompagnement et d'insertion dans le monde du travail pour les jeunes, mais tout pourrait se régler en amont, au niveau de l'éducation nationale et de l'orientation !

La mise en place de ces dispositifs démontre l'insuffisance de l'éducation nationale. Nos parents et nos grands-parents, qui étaient en classe unique, savaient tous lire, écrire et compter, et trouvaient à travailler. L'éducation nationale ne remplit plus son rôle. Je rappelle que 15 % des enfants de sixième ne maîtrisent pas la lecture.

Mme Jocelyne Guidez . - Aujourd'hui, tous les jeunes des outre-mer
- je parle surtout de la Martinique et de la Guadeloupe - les quittent faire leurs études et ne reviennent pas.

Ceux qui restent n'ont pas de diplôme. Un grand nombre souffrent d'addictions... Il est difficile de les amener vers un métier, et le service militaire adapté (SMA) ne suffit pas.

Il faut faire en sorte que ces jeunes qui partent faire des études en métropole reviennent pour apporter des solutions.

Mme Frédérique Puissat , rapporteur pour avis . - Je rappelle que la commission des finances a défendu la même position que celle que je vous propose.

En 2021, la mission « Travail et emploi », c'était 14 milliards d'euros. Le plan de relance y a ajouté 10 milliards d'euros ; ce n'est pas rien !

Madame la rapporteure générale, il est vrai qu'il n'y a pas eu d'évaluation et que la situation est compliquée, on a ainsi renforcé tous les dispositifs. La crise a été l'occasion de voir ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas. On a constaté, sur le terrain, qu'il y avait des difficultés de recrutement partout.

Les mesures nouvelles augmentent un certain nombre de lignes, puisque le plan de réduction des tensions sur le recrutement, objet d'un amendement à l'Assemblée nationale, vise à rajouter 600 millions d'euros pour la formation des salariés et 800 millions d'euros pour celle des demandeurs d'emploi. Certes, l'urgence justifiait qu'on le mette en place. Mais fallait-il abonder le fonds national de l'emploi (FNE) ou d'autres dispositifs ?

Avant même d'avoir tiré le bilan des 10 milliards d'euros supplémentaires, le Gouvernement crée le contrat d'engagement afin de répondre à la demande de la partie de l'hémicycle qui voulait un RSA jeunes.

Mme Monique Lubin . - Tout à fait !

Mme Frédérique Puissat , rapporteur pour avis . - Tout cela n'est pas sérieux. Il y va de 2 milliards d'euros !

Je vous invite à consulter le rapport de la commission des finances sur cette mission, qui dresse une comparaison entre le contrat d'engagement et la garantie jeunes, sachant que l'on ne sait pas toujours pas avec certitude comment le premier va se substituer à la seconde... Cela pourra nous aider en vue de l'audition de Mme la ministre de ce soir.

Madame la rapporteure générale, tout le monde souhaite que les jeunes puissent s'insérer. Mais quel message envoie-t-on, en tant que parlementaires, à nos populations ? Les dispositifs sont nombreux, et les chefs d'entreprise n'y comprennent plus rien. Il n'est pas très sérieux de supprimer un dispositif pour en recréer un autre, sans avoir tiré parti de ce qui a pu être fait dans le cadre du plan de relance, sans étude d'impact, sans savoir si ce sont 400 000 jeunes qui seront effectivement concernés - le champ du dispositif pourrait être un peu plus large. À cet égard, je rejoins ce qu'a dit Chantal Deseyne sur notre système d'apprentissage.

Au-delà, je m'interroge sur les contrats aidés, dont nous n'avons pas non plus tiré le bilan. Je sais qu'il n'y a pas d'unanimité à leur sujet. Dans mon département, les contrats aidés dans les secteurs marchands marchent mieux que dans les secteurs non marchands. Faut-il les développer ? Tant que nous ne disposerons pas d'évaluation, nous ne saurons pas si l'argent public est utilisé à bon escient.

Mme Monique Lubin . - Exactement !

Mme Frédérique Puissat , rapporteur pour avis . - C'est pourquoi je n'ai pas rejeté le principe des contrats aidés dans le secteur marchand. J'appelle à une évaluation pour voir si ces contrats permettent effectivement aux jeunes qui en sont signataires de mieux s'insérer sur le marché du travail.

La situation de l'apprentissage me fait penser à une cocotte-minute : on a refermé le couvercle, et on attend que les élections aient lieu... Le déficit de l'agence France compétences, dont je rappelle qu'elle vient juste d'être créée, peut s'expliquer ; il sera partiellement comblé avec 2 milliards d'euros qui ont été votés dans le second projet de loi de finances rectificatives pour 2021. Il n'empêche qu'il devrait encore atteindre 4 milliards d'euros à la fin 2022 ! Autrement dit, nous sommes structurellement en déficit sur l'apprentissage, ce qui va se traduire par une baisse des coûts-contrats, donc un appauvrissement des centres de formation d'apprentis (CFA) sur nos territoires. Posons-nous les bonnes questions. Je trouve dommage que le Gouvernement, qui a créé France compétences, n'ait pas été en mesure, même si la crise est passée par là, de réajuster ce dispositif avant la fin du quinquennat pour répondre à une attente dont on savait qu'elle allait exploser. Personne n'est opposé aux contrats d'apprentissage ; il faut juste que nous ayons la capacité de les financer !

S'agissant des outre-mer, j'avoue que je connais peu la nature des populations concernées. En revanche, je sais qu'il existe de nombreux dispositifs de défiscalisation, qui, en règle générale, rallient les sénateurs d'outre-mer de toutes les tendances politiques. En particulier, le plan de relance a amélioré le financement des contrats d'apprentissage. Une piste aurait été de continuer sur cette voie.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Travail et emploi », ainsi qu'à celle de l'article 57, qui lui est rattaché.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des articles 56, 58 et 59 rattachés.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Je rappelle que le bureau de la commission a décidé de lancer une mission sur France compétences.

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