N° 730

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juin 2023

AVIS

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense,

Par M. Dominique de LEGGE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

1033, 1234 rect. et T.A. 127

Sénat :

712 et 726 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

Dans un contexte géostratégique fortement dégradé, marqué par le retour de la guerre de haute intensité sur le continent européen, le présent projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 (PLPM 2024-2030) vise à programmer les besoins physico-financiers des armées pour les sept prochaines années. Cette programmation est détaillée dans le rapport annexé au projet de loi, qui fixe les grandes orientations de la politique de la défense pour la période.

La montée en puissance des moyens des armées prévue par cette programmation s'inscrit dans la continuité de l'actuelle LPM 2019-2025, qui a marqué une rupture avec les LPM des décennies précédentes caractérisées, dans une logique d'économies budgétaires, par la réduction du format et des effectifs des armées jusque dans des proportions déraisonnables pour la sécurité et l'autonomie stratégique de la France.

Le projet de loi comporte en outre diverses dispositions intéressant la défense.

I. UNE PROGRAMMATION 2024-2030 ASSISE SUR UN BESOIN FINANCIER DE 413,3 MILLIARDS D'EUROS EN FAVEUR DE NOS ARMÉES

A. UNE TRAJECTOIRE DE CRÉDITS DE PAIEMENT DE 400 MILLIARDS D'EUROS, PORTANT LE BUDGET DES ARMÉES À PRÈS DE 70 MILLIARDS D'EUROS EN 2030

L'article 3 du présent PLPM 2024-2030 prévoit une enveloppe de crédits budgétaires de 400 milliards d'euros pour la mission « Défense » sur la période de programmation, soit un total supérieur de 105 milliards d'euros au montant de l'enveloppe septennale de la programmation 2019-2025.

Trajectoire en crédits de paiement de la mission « Défense » hors CAS Pensions et à périmètre constant prévue par l'article 3 du PLPM 2024-2030

(en milliards d'euros courants)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total
2024-2030

CP de la mission « Défense »

47,04

50,04

53,04

56,04

60,32

64,61

68,91

400,00

Variation

+ 3,1

+ 3,0

+ 3,0

+ 3,1

+ 4,3

+ 4,3

+ 4,3

 

Source : PLPM 2024-2030

Au terme de la programmation, le montant total des crédits atteindrait 68,9 milliards d'euros, soit 21,9 milliards d'euros de plus qu'en 2023 (+ 57 %), et 37,5 milliards d'euros de plus qu'en 2014 (+ 120 %).

Trajectoires en crédits de paiement prévues par les deux précédentes LPM et par le présent PLPM

(en milliards d'euros courants et en pourcentage)

Source : Commission des finances du Sénat, d'après la LPM 2014-2019 actualisée, la LPM 2019-2025 et le PLPM 2024-2030

B. UNE TRAJECTOIRE QUI FAIT REPOSER LA PLUS GRANDE PARTIE DE L'EFFORT SUR LE PROCHAIN QUINQUENNAT

Force est cependant de constater qu'une grande partie de l'effort budgétaire, marqué par le passage à des marches annuelles de 4,3 milliards d'euros, serait accomplie à compter de 2028, et est ainsi renvoyée au prochain quinquennat.

Si l'on tient compte du fait que les marches 2024 et 2025 sont en principe déjà couvertes par l'actuelle LPM 2019-2025, on peut considérer que l'effort prévu pour l'actuel quinquennat par le présent PLPM consiste à maintenir la marche annuelle au même niveau (+ 3 milliards d'euros) les deux annuités suivantes en 2026 et 2027 (en rouge dans le graphique ci-dessous).

Évolution des marches annuelles de crédits de paiement prévues par la LPM 2019-2025 et par le PLPM 2024-2030

(en milliards d'euros courants)

En rouge : annuités de l'actuel quinquennat non couvertes par la LPM 2019-2025

Source : commission des finances du Sénat

C. UN FINANCEMENT DU BESOIN PHYSICO-FINANCIER GLOBAL QUI SUPPOSE LA PERCEPTION DE RESSOURCES COMPLÉMENTAIRES À HAUTEUR DE 13,3 MILLIARDS D'EUROS

La différence entre le besoin financier programmé et l'enveloppe de crédits de paiement prévue implique pour le ministère des armées la perception de ressources complémentaires à hauteur de 13,3 milliards d'euros. Selon le ministère, ce besoin serait financé par trois leviers :

- des ressources extrabudgétaires (5,9 milliards d'euros). Ces ressources sont bien identifiées et documentées (produits de cessions immobilières, offre de soins du service de santé des armées - SSA...) ;

- l'apport de financements interministériels en cours de gestion de l'effort de soutien à l'Ukraine (1,2 milliard d'euros) : l'absence d'intégration à la trajectoire des crédits nécessaire au financement des recomplètements de matériels cédés à l'Ukraine interroge, dès lors que ces besoins sont bel et bien identifiés et programmés ;

- des ajustements de dépenses (6,2 milliards d'euros), liés à l'anticipation de reports de charges (dépenses reportées sur l'année N+1) et de marges frictionnelles (prise en compte des décalages/retards/reports de programmes du début vers la fin de période). Le fait de poser, en début de programmation, que son financement sera assuré par des moindres dépenses au caractère par définition aléatoire ne constitue pas une méthode satisfaisante.

D. L'INFLATION ABSORBERAIT JUSQU'À 30 MILLIARDS D'EUROS SUR LA PÉRIODE

La période de programmation, par contraste avec les années 2019-2021, est marquée par une inflation soutenue, en particulier en début de période. La programmation s'appuie sur des hypothèses d'inflation adaptées aux spécificités des dépenses du ministère des armées, qui comprennent à la fois beaucoup d'investissements pluriannuels et des achats très spécifiques (programmes d'armements). Celle-ci représenterait ainsi un total de 30 milliards d'euros sur la période, dont 2 milliards d'euros liés aux dépenses de fonctionnement, 2 milliards d'euros liés aux carburants opérationnels et 26 milliards d'euros liés aux dépenses « spécifiques » des armées.

II. UNE PROGRAMMATION QUI NE PERMET PAS D'ATTEINDRE LES AMBITIONS CAPACITAIRES INITIALEMENT PRÉVUES À L'HORIZON 2030

A. UNE PROGRAMMATION QUI CONSACRE UN IMPORTANT EFFORT AUX ÉQUIPEMENTS ET CONFORTE LES FONDAMENTAUX DE LA DÉFENSE FRANÇAISE

Les crédits de l'agrégat « Équipement » s'élèveraient à 268,6 milliards d'euros sur la période, à comparer aux 172,8 milliards d'euros prévus par l'actuelle programmation.

Ces dépenses ont notamment vocation à financer la modernisation de la dissuasion nucléaire, dans ses deux composantes aéroportées et océaniques. Les dépenses liées à cette opération stratégique représenteraient environ 13 % de l'enveloppe globale, soit un total stable par rapport à la précédente LPM.

Les programmes à effet majeurs (PEM) se verraient allouer 100 milliards d'euros sur la période de programmation. Celle-ci serait notamment marquée par le lancement des travaux de construction du Porte-avions de nouvelle génération (PA-Ng) qui a vocation à remplacer le Charles de Gaulle à compter de 2038 (5 milliards d'euros sur la période).

S'agissant de la préparation de l'avenir, des incertitudes continuent cependant de peser sur les programmes en coopération en cours, en particulier le SCAF (en coopération avec l'Allemagne et l'Espagne) s'agissant du combat aérien et le MGCS (en coopération avec l'Allemagne) s'agissant du combat terrestre.

B. LE DÉCALAGE DIFFICILEMENT JUSTIFIABLE DE CERTAINES CIBLES CAPACITAIRES MAJEURES

Le présent PLPM 2024-2030 s'inscrit dans la continuité de la LPM 2019-2025, qui avait été adossée à une programmation visant à poser les jalons permettant d'atteindre « l'Ambition 2030 ». Cette feuille de route du ministère vise un renforcement significatif de notre modèle d'armées, qui se traduit notamment par l'atteinte de certaines cibles capacitaires pour les équipements majeurs à l'horizon 2030.

Alors même que la guerre en Ukraine, conflit de haute intensité faisant appel à la masse, a confirmé le diagnostic posé à l'époque sur la dégradation du contexte stratégique qui a justifié l'élaboration de l'Ambition 2030, la programmation proposée pour 2024-2030 prévoit le décalage de ces cibles à l'horizon 2035 sur certains segments pourtant majeurs.

Principaux décalages de programmes à effet majeur prévus par le
PLPM 2024-2030

Force

Capacités

« Ambition 2030 »

Parc fin 2023

Parc fin 2030

Parc à horizon 2035

Équipements

Description

Armée de Terre

Leclerc rénovés

Char de combat. Les travaux de rénovation doivent permettre d'intégrer cette capacité au programme SCORPION pour le combat collaboratif avec les autres blindés.

200

19

160

200

SCORPION (programme de renouvellement des capacités de l'armée de Terre autour d'un système de combat collaboratif)

Jaguar

Engin blindé de reconnaissance Appelé notamment à remplacer l'AMX-10 RC.

300

60

238

300

Griffon

Véhicule blindé multirôle (VBMR) lourd destiné au transport de soldats au plus près des combats. Appelé à remplacer les véhicules de l'avant blindés (VAB).

1818

575

1437

1818

Serval (dont Scorpion)

VBMR léger tactique polyvalent (transport de troupe, pose de commandement...). Appelé à remplacer les véhicules de l'avant blindés (VAB).

2038 (978)

189 (nc)

1405 (660)

2038 (978)

Marine nationale

Frégates de défense et d'intervention (FDI)

Bâtiments de combat capables d'opérer dans tous les domaines de lutte (antinavire, antiaérien, anti-sous-marin et projection de forces spéciales). Appelées à remplacer les Frégates type La Fayette (FLF).

5 FDI

5 FLF

3 FDI +
2 FLF rénovées

5 FDI

Patrouilleurs hauturiers (PH)

Bâtiments contribuant à des missions de surveillance et de défense maritime du territoire. Appelés à remplacer les Patrouilleurs de haute-mer et les Patrouilleurs de service public (PSP).

10 PH

6 PHM + 3 PSP

7 PH

10 PH

Armée de l'Air et de l'Espace

Rafale

Avions de chasse omnirôle (pénétration et attaque au sol par tous les temps, attaque à la mer, défense et supériorité aérienne, intervention à long rayon d'action avec ravitaillement en vol, reconnaissance tactique et stratégique). Objectif de remplacement des Mirage 2000 D pour atteindre le « tout-Rafale ».

185 Rafale

100 Rafale + 36 M2000 D rénovés

137 Rafale + 48 M2000 D rénovés

185 Rafale

Source : commission des finances du Sénat, d'après le PLPM 2024-2030

C. DES PRIORITÉS À SALUER, QUI TRADUISENT UN SOUCI DE « COHÉRENCE » ET LA VOLONTÉ DE TIRER LES ENSEIGNEMENTS DE LA GUERRE EN UKRAINE

Le rapport annexé au PLPM 2024-2030 identifie un certain nombre de priorités, qui s'inspirent directement des principaux éléments du retour d'expérience (Retex) de la guerre en Ukraine, affrontement se déployant dans tous les champs de la conflictualité.

Des enveloppes conséquentes sont ainsi spécifiquement fléchées :

- concernant les champs « conventionnels », sur les munitions (16 milliards d'euros), la défense sol-air (5 milliards d'euros) et les forces spéciales (2 milliards d'euros) ;

- concernant les nouveaux champs de la conflictualité et le renforcement technologique, sur le renseignement (5 milliards d'euros), l'espace (6 milliards d'euros), le cyber (4 milliards d'euros), la robotique et les drones (5 milliards d'euros) ainsi que, de manière générale, l'innovation (10 milliards d'euros) ;

- un effort en faveur des forces de souveraineté outre-mer (13 milliards d'euros), est également à saluer. Il répond à la recommandation émise par le rapporteur à l'occasion de son contrôle budgétaire consacré à ce thème présenté en octobre 2022.

Dans un souci de renforcement de la « cohérence » du modèle d'armées, prérequis de la préparation à la haute intensité à laquelle participe le renforcement des moyens dédiés au maintien en condition opérationnelle (+ 14 milliards d'euros) et aux munitions (+ 7 milliards d'euros), le PLPM 2024-2030 prévoit également un renforcement des moyens consacrés aux services de soutien (18 milliards d'euros) et aux infrastructures (16 milliards d'euros), connaissant tous deux une progression 4 milliards d'euros par rapport à la LPM 2019-2025.

La programmation serait également adossée à un objectif d'augmentation nette d'effectifs sur la période (+ 6 300 ETP), devant permettre d'atteindre une cible à 275 000 ETP pour le ministère à l'horizon 2030. Un doublement de la réserve est également visé, pour parvenir à un objectif de 290 000 militaires (210 000 professionnels et 80 000 réservistes).

In fine, le renseignement, le cyber et les nouveaux champs de la conflictualité captent environ le tiers des augmentations nettes de postes. Les services de soutien en capteraient quant à eux 16 %.

Répartition des augmentations nettes d'effectifs entre les principaux domaines d'emploi

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

III. UN DÉBAT SUR LA PROGRAMMATION MILITAIRE QUI DOIT ÊTRE L'OCCASION DE RÉTABLIR LA « VÉRITÉ DES PRIX » SUR L'AUTONOMIE STRATÉGIQUE FRANÇAISE

Le rapporteur pour avis tient à rappeler que le budget des armées est loin de constituer le seul déterminant de l'autonomie stratégique. Il est ainsi permis de s'interroger sur le niveau de souveraineté d'un pays comme le nôtre, dont le budget des armées, en dépit de son augmentation louable, resterait inférieur à la charge de la dette dans le budget de l'État.

Comparaison entre l'évolution exécutée et prévisionnelle des crédits de la mission « Défense » et de la charge de la dette de l'État (2019-2025)

(en milliards d'euros courants)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et le PLPFP 2023-2027

Or, le PLPM 2024-2030 s'inscrit dans un contexte de multiplication de lois et projets de loi de programmation sectoriels (loi de programmation de la recherche, loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, projet de loi de programmation pour la justice). La part des dépenses couvertes par ces programmations dans le budget de l'État passerait ainsi de 20,7 % à 23,2 % des dépenses de l'État entre 2023 et 2027 (soit 18,6 milliards d'euros de plus).

Évolution de la part des dépenses couvertes par une programmation
entre 2023 et 2027

(en milliards d'euros courants et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le HCFP

Comme l'a relevé le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) dans son avis sur le projet de loi, il en résulte que respecter la trajectoire de finances publiques globale prévue par le PLPFP impose une concentration et une intensification des économies à réaliser sur un volant de dépenses plus réduit.

Ainsi, alors que les dépenses couvertes par une programmation croîtraient de 2 % en volume sur la fin de la période 2023-2027, les dépenses non couvertes devraient connaître une baisse de 0,8 %, soit une trajectoire encore plus contrainte que celle constatée en moyenne entre 2012 et 2019 ( 0,4 %), ce qui ne paraît guère réaliste. Dès lors, le respect cumulé des trajectoires haussières prévues par les différentes lois de programmation sectorielles et de la trajectoire de réduction du déficit prévue par le PLPFP est une gageure.

Si l'on a donc pu se féliciter du strict respect à ce jour, au plan budgétaire, de la LPM 2019-2025, force est de constater que le contexte de finances publiques actuel, marqué par une hausse de la charge de la dette, affecte nécessairement la crédibilité de la trajectoire prévue par le présent PLPM 2024-2030.

Vis-à-vis de nos alliés comme de nos compétiteurs, la crédibilité de notre politique de défense, et partant de notre autonomie stratégique, passe donc nécessairement par un redressement de nos comptes publics et la diminution de notre endettement, qui imposent de faire d'assumer politiquement des choix budgétaires forts.

IV. LES PROPOSITIONS DU RAPPORTEUR POUR AVIS

A. LA PROGRAMMATION FINANCIÈRE (TITRE IER) : SÉCURISER LE FINANCEMENT DES BESOINS

· L'amendement COM-105 propose de réviser la trajectoire des crédits budgétaires prévue par l'article 3. Cette révision vise à « budgétiser » l'ensemble des ressources nécessaires au financement du besoin programmé (hors ressources extrabudgétaires dument documentées), ce qui constitue également un élément de sincérité dans la perspective d'une prochaine LPFP. Elle vise également à davantage « lisser » la trajectoire sur la période, tout en respectant les marches 2024 et 2025 prévues par la LPM 2019-2025 et le PLPFP 2023-2027 dans sa version adoptée par le Sénat ;

Comparaison entre la trajectoire adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture et celle proposée par l'amendement COM-105

(en milliards d'euros courants)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total
2024-2030

Trajectoire adoptée par l'Assemblée nationale

47,04

50,04

53,04

56,04

60,32

64,61

68,91

400,00

Variation

+ 3,1

+ 3,0

+ 3,0

+ 3,1

+ 4,3

+ 4,3

+ 4,3

 

Proposition de la commission des finances

47,04

50,04

54,05

58,06

62,06

66,07

70,08

407,40

Variation

+ 3,1

+ 3,0

+ 4,0

+ 4,0

+ 4,0

+ 4,0

+ 4,0

 

Source : commission des finances du Sénat

· le sous-amendement COM-250 à l'amendement COM-4 du rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées réécrivant l'article 3 apporte une précision rédactionnelle au dispositif de financement par ressources additionnelles des recomplètements d'équipements cédés à l'Ukraine ;

· le sous-amendement COM-251 au même amendement COM-4 vise à modifier l'article 3 pour instituer un dispositif de financement par ressources additionnelles des recomplètements rendus nécessaires par le prélèvement sur les parcs des armées d'équipements destinés à la vente. Il vise à ce que la politique de soutien à l'export, à vocation interministérielle, ne soit pas financée par les seules armées, comme ce fut le cas sous l'actuelle LPM s'agissant du recomplètement de Rafale cédés à la Grèce et la Croatie ;

· les amendements COM-108 et COM-109 visent à compléter, pour l'information du Parlement, les éléments contenus dans le rapport annuel d'exécution de la LPM prévu par l'article 8.

B. L'« ÉCONOMIE DE DÉFENSE » (ARTICLES 23 À 25) : AMÉLIORER LA RÉDACTION DU DISPOSITIF DE CONSTITUTION OBLIGATOIRE DE STOCKS STRATÉGIQUES ET COMPLÉTER L'INFORMATION DU PARLEMENT SUR LEUR MISE EN oeUVRE 

· L'amendement COM-110 vise à améliorer la rédaction des exigences de proportionnalité posées dans le cadre du dispositif, prévu à l'article 24, d'obligation de constitution de stocks stratégiques pour les industriels de l'armement ;

· l'amendement COM-112 propose la remise d'un rapport au Parlement sur la mise en oeuvre des dispositifs relatifs à « l'économie de défense ». Celui-ci contiendrait des éléments d'évaluation de l'impact des mesures prises pour les entreprises, une charge excessive risquant de se répercuter au moins en partie sur les prix des équipements achetés par les armées, à rebours des objectifs affichés « produire plus, plus vite et moins cher ».

C. LE RAPPORT ANNEXÉ : METTRE L'ACCENT SUR CERTAINS POINTS DE VIGILANCE

· L'amendement COM-99 vise à rappeler l'importance de l'enjeu de l'adaptation et de la simplification des normes applicables aux activités militaires ;

· l'amendement COM-100 vise à transcrire la recommandation du contrôle budgétaire précité sur les forces de souveraineté incitant à renforcer leurs coopérations avec l'Agence française du développement ;

· l'amendement COM-101 concerne les programmes réalisés en coopération. Il rappelle l'importance de s'engager dans de tels partenariats avec des pays ayant vocation à acquérir au profit de leurs armées les équipements qui en sont issus ;

· les amendements COM-102, COM-103 et COM-104 concernent le service de santé des armées (SSA). Ils rappellent certains enjeux fondamentaux pour ce service : préparation à la haute intensité, politique de recrutement et de fidélisation des personnels, infrastructures (avec le projet de construction d'un hôpital neuf) ;

· enfin, les amendements COM-96, COM-97 et COM-98 s'emploient à faire gagner en sobriété la rédaction du paragraphe introductif. Le rapport annexé constitue en effet un document important qui n'a pas vocation à constituer un support de communication.

INTRODUCTION :
D'UNE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE À L'AUTRE : UN DIAGNOSTIC CONFIRMÉ, UNE MONTÉE EN PUISSANCE À AMPLIFIER

I. UN PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE QUI S'INSCRIT DANS UN CONTEXTE STRATÉGIQUE DONT LA GUERRE EN UKRAINE A CONFIRMÉ LA PROFONDE DÉGRADATION

L'invasion de l'Ukraine lancée par la Russie le 24 février 2022 et la guerre qui se poursuit depuis lors constituent un tournant stratégique majeur pour la sécurité en Europe.

Elle marque le retour de l'affrontement entre États souverains et de la guerre de haute intensité en Europe, avec un emploi désinhibé de la force. Elle se caractérise également par un changement d'échelle de la conflictualité, qui se déploie sur tous les champs, aussi bien sur les trois champs historiques (terre, mer, airs) que dans les champs cyber et informationnels. Le volume des unités de combat engagées est en effet sans commune mesure avec les combats des dernières décennies, avec près de 150 000 combattants mobilisés de part et d'autre sur le front ukrainien. À titre de comparaison, l'opération Barkhane au Sahel, principale opération extérieure menée par la France, mobilise moins de 5 000 militaires.

Ces évolutions s'inscrivent dans le prolongement des tendances géopolitiques identifiées depuis plusieurs années par les principaux documents stratégiques publiés par les armées françaises.

Dès 2017, la Revue nationale stratégique de défense et de sécurité nationale (RSDSN) faisait état d'un « durcissement des menaces » dont il résulte « un risque accru d'escalade et de montée aux extrêmes entre États, potentiellement jusqu'au franchissement du seuil nucléaire ».

La Revue nationale stratégique (RNS) présentée par le Président de la République le 9 novembre 2022 s'inscrit ainsi dans la continuité de la précédente : dans un contexte de cristallisation des principaux antagonismes internationaux, elle constate le « passage d'une compétition latente à une confrontation ouverte, de la part de la Russie et, de plus en plus, à une compétition exacerbée avec la République populaire de Chine ». Elle prend acte de « pratiques de contestation et de contournement de l'ordre international fondé sur le multilatéralisme et la règle de droit » de la part de ces États, par ailleurs engagés dans une « bataille de l'influence » destinée à contester et fragiliser les démocraties.

La RNS, tirant les premiers enseignements de la guerre en Ukraine, insiste sur la nécessité de se préparer à des conflits placés sous le triple signe du retour du fait nucléaire, de la haute intensité et de l'hybridité.

Pour faire face à « un engagement majeur sous la voûte nucléaire de l'agresseur », elle souligne explicitement « le besoin de masse et de densité de l'action interarmées ».

Elle rappelle également l'importance de renforcer notre capacité à nous défendre et à agir dans les champs hybrides, notamment cyber. À ce titre, elle érige l'influence en fonction stratégique à laquelle doivent contribuer les armées, aux côtés des traditionnelles fonctions de connaissance-compréhension-anticipation, de dissuasion, de protection-résilience, de prévention et d'intervention.

Affirmant que ce contexte dans lequel les atteintes à notre autonomie stratégique se multiplient « fait peser un risque sans précédent sur les intérêts de sécurité prioritaires de la France », la RNS fixe enfin 10 objectifs stratégiques pour la France (voir encadré), pour l'atteinte desquels les armées sont appelées à jouer un rôle essentiel.

Les 10 objectifs stratégiques fixés par la Revue nationale stratégique 2022

1° Une dissuasion nucléaire robuste et crédible ;

2° Une France unie et résiliente ;

3° Une économie concourant à l'esprit de défense ;

4° Une résilience cyber de premier rang ;

5° a France, allié exemplaire dans l'espace euro-atlantique ;

6° La France, un des moteurs de l'autonomie stratégique européenne ;

7° France, partenaire de souveraineté fiable et pourvoyeuse de sécurité crédible ;

8° Une autonomie d'appréciation et une souveraineté décisionnelle garanties ;

9° Une capacité à se défendre et à agir dans les champs hybrides ;

10° Une liberté d'action et une capacité à conduire des opérations militaires y compris de haute intensité en autonomie ou en coalition, dans tous les champs.

Source : RNS 2022

Le présent projet de loi de programmation militaire (PLPM) pour les années 2024 à 2030 - le 14ème sous la Vème République - s'inscrit directement, comme le précise son rapport annexé, dans le cadre de ces enjeux et défis posés par la RNS.

L'amendement COM-97 vise à préciser la rédaction du rapport sur ce point.

II. UN PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE QUI S'INSCRIT DANS LA CONTINUITÉ DE LA LPM 2019-2025

A. LA LPM 2019-2025 : UNE RUPTURE AVEC LA PÉRIODE PRÉCÉDENTE

Soucieuses de bénéficier des « dividendes de la paix » en termes d'économies budgétaires, les lois de programmation militaire des dernières décennies s'étaient employées, notamment depuis la révision générale des politiques publiques (RGPP), à réduire le format et les effectifs des armées jusque dans des proportions déraisonnables pour la sécurité et l'autonomie stratégique de la France.

Les évolutions du contexte international au cours de la dernière décennie et en particulier la montée de la menace terroriste ont nécessité un niveau élevé d'engagement des forces armées. Celles-ci ont dû se déployer au Sahel dès 2013 (opérations « Serval » puis « Barkhane »), en Centrafrique à partir de 2014 (opération « Sangaris ») puis massivement sur le sol national depuis 2015 avec près de 10 000 soldats engagés dans le cadre de l'opération « Sentinelle ».

À cet égard, la loi d'actualisation de la LPM 2014-2019 adoptée en juillet 20151(*) avait marqué une première prise de conscience, avec un renforcement de la trajectoire initiale de 3,8 milliards d'euros, destiné à ralentir la forte réduction des effectifs initialement envisagée (- 33 675 ETP sur la période) et procéder à certains renforcements capacitaires. Sans procéder à une actualisation formelle, cette trajectoire avait de nouveau été revue à la hausse à la suite des annonces du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, entérinées en conseil de défense en 2016.

Adoptée le 13 juillet 2018 par accord en commission mixte paritaire entre les deux assemblées, la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 20252(*) (LPM 2019-2025) s'était inscrite en franche rupture avec les précédentes programmations.

Programmant, selon son rapport annexé un besoin de 295 milliards d'euros sur l'ensemble période (hors contribution au CAS Pensions), l'article 3 de cette loi fixait une trajectoire de crédits de paiement (CP) fortement haussière pour les années 2019 à 2023, avec notamment une marche à 3 milliards d'euros en 2023, qui devra être reconduite à l'identique les deux années suivantes pour atteindre le besoin total programmé.

Trajectoire en crédits de paiement de la mission « Défense » hors CAS Pensions et à périmètre constant prévue par l'article 3 de la LPM 2019-2025

(en milliards d'euros courants)

 

2019

2020

2021

2022

2023

Total
2019-2023

CP de la mission « Défense »

35,9

37,6

39,3

41,0

44,0

197,8

Source : LPM 2019-2025

Autre rupture notable, l'article 6 de la LPM 2019-2025 prévoyait une trajectoire d'augmentation nette des effectifs du ministère des armées, avec une cible de 6 000 ETP sur la période, avec notamment une marche à 1 500 ETP à compter de 2023.

Trajectoire d'augmentations nettes des effectifs du ministère des armées prévue par l'article 6 de la LPM 2019-2025

(en ETP)

 

2019

2020

2021

2022

2023

Total
2019-2023

2024

2025

Augmentation nette des effectifs 

450

300

300

450

1 500

3 000

1 500

1 500

Source : LPM 2019-2025

Ces moyens sont adossés à l'« Ambition 2030 », la feuille de route du ministère visant à renforcer significativement notre modèle d'armées de façon à garantir à la France son autonomie stratégique dans un contexte international fortement dégradé.

Cette ambition définit les contrats opérationnels, et les formats des armées à l'horizon 2030, en posant des jalons intermédiaires en 2021 et en 2025 sur chaque segment capacitaire.

Le présent PLPM 2024-2030 s'inscrit dans la continuité de la précédente programmation, comme le pose clairement la première phrase de son rapport annexé3(*). Cependant, si les cibles de l'Ambition 2030 restent sa référence, l'atteinte de plusieurs jalons capacitaires de première importance serait reportée à 2035 (voir infra).

B. UNE TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE PLEINEMENT RESPECTÉE À CE JOUR, FRUIT D'UN CONSENSUS NATIONAL SUR LA NÉCESSITÉ DE RENFORCER LES MOYENS DES ARMÉES

Bien qu'impliquant un taux de croissance annuel moyen des crédits en euros courants de 5 % sur 2019-2023 (contre 2 % sous la précédente programmation actualisée), la trajectoire budgétaire de la LPM 2019-2025 a été pleinement respectée à ce jour. Le rapporteur pour avis ne peut que s'en féliciter.

Entre 2019 et 2022, l'exécution budgétaire a ainsi strictement été conforme aux prévisions, comme le montre le graphique ci-dessous. Pour 2023, les CP en loi de finances initiale (LFI) au titre de la mission (hors CAS Pensions) s'établissent à 44 milliards d'euros, soit un montant conforme à la programmation et supérieur de 12,7 milliards d'euros à celui de 2014.

Prévisions LPM et exécutions des CP de la mission « Défense » (hors CAS Pensions) depuis 2014

(en milliards d'euros courants et en pourcentage)

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire et les documents budgétaires

Cet effort conséquent est le fruit d'un consensus politique clair entre l'Exécutif et le Parlement, qui a adopté année après année les crédits déclinant en loi de finances la programmation budgétaire, et ce malgré la situation très dégradée de nos finances publiques.

L'amendement COM-96 vise à rappeler cette volonté politique commune de renforcer nos armées, non réductible à celle du seul Président de la République comme le suggère le propos introductif du rapport annexé. L'amendement COM-98 vise, dans le même esprit, à rendre sa rédaction plus sobre : le rapport annexé constitue en effet un document important, qui doit fixer les orientations relatives à la politique de défense et les moyens qui lui sont consacrés au cours de la période 2024-2030. Il n'a pas vocation à constituer un support de communication politique.

PREMIÈRE PARTIE :
UN BESOIN DE 413,3 MILLIARDS D'EUROS EN FAVEUR DE NOS ARMÉES DONT LE FINANCEMENT DOIT ÊTRE SÉCURISÉ

L'article 3 du présent PLPM fixe un besoin de 413,3 milliards d'euros pour la période 2024-2030, adossé à une programmation physico-financière présentée dans le rapport annexé.

Le même article précise que ce besoin serait couvert à hauteur de 400 milliards d'euros par des crédits budgétaires, devant être complétés par des ressources additionnelles.

Il convient de souligner que si ces dispositions « déterminent des objectifs de l'action de l'État » au sens du 20ème alinéa de l'article 34 de la Constitution relatif aux lois de programmation, celles-ci n'ont pas de portée normative contraignante. Conformément au principe d'annualité budgétaire, il reviendra au législateur d'en donner la traduction chaque année en loi de finances.

I. UNE ENVELOPPE GLOBALE DE 400 MILLIARDS D'EUROS, PORTANT LE BUDGET DES ARMÉES À PRÈS DE 70 MILLIARDS D'EUROS EN 2030

L'article 3 du présent PLPM 2024-2030 prévoit une enveloppe de crédits budgétaires de 400 milliards d'euros pour la mission « Défense » sur la période de programmation, soit un total supérieur de 105 milliards d'euros au montant de l'enveloppe septennale de la programmation 2019-2025.

Trajectoire en crédits de paiement de la mission « Défense » hors CAS Pensions et à périmètre constant prévue par l'article 3 du PLPM 2024-2030

(en milliards d'euros courants)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total
2024-2030

CP de la mission « Défense »

47,04

50,04

53,04

56,04

60,32

64,61

68,91

400,00

Variation

+ 3,1

+ 3,0

+ 3,0

+ 3,1

+ 4,3

+ 4,3

+ 4,3

 

Source : PLPM 2024-2030

La progression des dépenses de la mission s'inscrirait ainsi dans la continuité de la programmation précédente, avec un taux de croissance annuel moyen de 7 % (après 6 %), qui tranche avec celui de la LPM 2014-2019 actualisée (1 %).

Au terme de la programmation, le montant total des crédits atteindrait 68,9 milliards d'euros, soit 21,9 milliards d'euros de plus qu'en 2023 (+ 57 %), et 37,5 milliards d'euros de plus qu'en 2014 (+ 120 %).

Trajectoires en crédits de paiement prévues par les deux précédentes LPM
et par le présent PLPM

(en milliards d'euros courants et en pourcentage)

Source : Commission des finances du Sénat, d'après la LPM 2014-2019 actualisée, la LPM 2019-2025 et le PLPM 2024-2030

II. UNE TRAJECTOIRE QUI FAIT REPOSER LA PLUS GRANDE PARTIE DE L'EFFORT SUR LE PROCHAIN QUINQUENNAT

Au vu de la trajectoire de crédits budgétaires proposée à l'article 3, force est cependant de constater qu'une grande partie de l'effort budgétaire, marqué par le passage à des marches annuelles de 4,3 milliards d'euros, serait accomplie à compter de 2028, et est ainsi renvoyée au prochain quinquennat.

Si l'on tient compte du fait que les marches 2024 et 2025 sont en principe déjà couvertes par l'actuelle LPM 2019-2025, on peut considérer que l'effort prévu pour l'actuel quinquennat par le présent PLPM consiste à maintenir la marche annuelle au même niveau (+ 3 milliards d'euros) les deux annuités suivantes en 2026 et 2027 (en rouge dans le graphique ci-dessous).

Évolution des marches annuelles de crédits de paiement prévues par la LPM 2019-2025 et par le PLPM 2024-2030

(en milliards d'euros courants)

En rouge : annuités de l'actuel quinquennat non couvertes par la LPM 2019-2025

Source : commission des finances du Sénat

Le rapporteur pour avis considère que cette méthode, qui postule la continuité de l'effort budgétaire indépendamment de l'alternance politique, affecte la crédibilité de la programmation.

Dans un souci de sécurisation de la programmation, l'amendement COM-105 (présenté au I. F. du présent rapport) propose ainsi de « lisser » davantage la trajectoire.

III. UN FINANCEMENT DU BESOIN PHYSICO-FINANCIER GLOBAL QUI SUPPOSE LA PERCEPTION DE RESSOURCES COMPLÉMENTAIRES À HAUTEUR DE 13,3 MILLIARDS D'EUROS

La différence entre le besoin financier programmé (413,3 milliards d'euros) et l'enveloppe de crédits de paiement prévue (400 milliards d'euros) implique pour le ministère des armées la perception de ressources complémentaires à hauteur de 13,3 milliards d'euros.

Selon le ministère, ce différentiel serait financé par trois leviers :

- des ressources extrabudgétaires (5,9 milliards d'euros) ;

- un financement interministériel du soutien à l'Ukraine (1,2 milliard d'euros) ;

- des ajustements de dépenses (6,2 milliards d'euros).

Décomposition des ressources complémentaires prévues au profit des armées

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les informations transmises par le ministère des armées

A. UN FINANCEMENT PAR RESSOURCES EXTRABUDGÉTAIRES À HAUTEUR DE 5,9 MILLIARDS D'EUROS DÛMENT DOCUMENTÉ ET VISÉ DANS LE TEXTE DU PROJET DE LOI

Le dernier alinéa de l'article 3 prévoit expressément l'intégration au financement des besoins programmés de ressources extrabudgétaires, comprenant notamment le retour aux armées de l'intégralité du produit des cessions immobilières du ministère des armées, les redevances domaniales et les loyers provenant des concessions ou des autorisations de toute nature consenties sur les biens immobiliers affectés au ministère. Au plan budgétaire, ces recettes prendraient la forme d'attributions de produit (ADP).

Le ministère des armées a dûment documenté ces ressources extrabudgétaires, qui représenteraient un total de 5,9 milliards d'euros sur la période. Celles-ci comprendraient:

- les recettes perçues au titre de l'offre de soin du service de santé des armées (SSA), qui représenteraient un total de 3 milliard d'euros ;

- des prestations de service (notamment les essais de la direction générale de l'armement au profit des industriels), qui représenteraient un total de 0,7 milliard d'euros ;

- des recettes patrimoniales (cessions immobilières, cessions de matériels et formations associées, dividendes...) et autres ressources extrabudgétaires (participations de l'Union européenne, coopération interalliée, legs...), qui représenteraient un total de 2,2 milliards d'euros.

Trajectoire des ressources extrabudgétaires exécutées (2019-2022)
et prévisionnelle (2023-2030)

(en millions d'euros)

Source : réponses au questionnaire au ministère des armées

Il est à noter que le surcroît de recettes patrimoniales observé entre 2021 et 2026 peut être en grande partie expliqué par la cession de 24 Rafale d'occasion prélevés sur le parc de l'armée de l'Air et de l'Espace (voir infra) dans le cadre d'opérations d'exports : 12 appareils seront ainsi cédés à la Grèce entre 2021 et 2023, et 12 autres appareils seront cédés à la Croatie à compter de 2023.

B. UN FINANCEMENT INTERMINISTÉRIEL AU TITRE DU RECOMPLÈTEMENT DE MATÉRIELS ET ÉQUIPEMENTS CÉDÉS À L'UKRAINE À HAUTEUR DE 1,2 MILLIARD D'EUROS, CORRESPONDANT À UN BESOIN DE CRÉDITS DÉJÀ PROGRAMMÉ

Les besoins programmés incluraient également, selon les informations transmises par le ministère, des recomplètements de matériels et équipements cédés à l'Ukraine.

Ceux-ci seraient financés par ouvertures de crédits supplémentaires en cours de gestion pendant la période de programmation à hauteur de 1,2 milliard d'euros.

Le rapporteur pour avis relève cependant que le calendrier de ces ouvertures de crédits n'a pas fait l'objet de précisions à ce stade.

Surtout, dans la mesure où ces besoins sont d'ores et déjà connus et programmés, l'absence d'intégration de ces derniers à la programmation des crédits budgétaires interroge.

C. DES AJUSTEMENTS DE DÉPENSES EN COURS DE PROGRAMMATION ÉVALUÉS À HAUTEUR DE 6,2 MILLIARDS D'EUROS

Enfin, le ministère indique que le complément du besoin programmé, soit 6,2 milliards d'euros, serait financé par des ajustements de dépenses anticipées intervenant en cours de programmation, liés aux reports de charges et aux marges frictionnelles anticipées (voir encadré ci-dessous).

Les notions de report de charges et les marges frictionnelles

Le report de charges est une notion budgétaire utilisée par le ministère des armées regroupant les dépenses qui auraient dû être réglées en année N-1 et constituant des dettes certaines et exigibles par les tiers. Il peut s'agir :

- de charges à payer, soit les charges au titre d'engagements juridiques consommés et pour lesquels le service fait a été constaté en N-1 mais le paiement n'a pas été effectué (du fait notamment du temps de traitement des factures)

- de dettes fournisseurs, qui n'avaient pas pu être liquidées en année N faute de crédits de paiement disponibles et qui constituent des dépenses obligatoires : elles sont liquidées en début d'année n+1, dès la mise à disposition des crédits de l'exercice suivant.

La notion de marges frictionnelles désigne la prise en compte, au travers de l'observation statistique de l'exécution des crédits des années précédentes, des décalages/retards/reports de programmes du début vers la fin de période.

Instrument de gestion de l'inflation, le report de charges a vocation à diminuer en fin de programmation, compte tenu du ralentissement prévu de celle-ci.

De même, la prise en compte des marges frictionnelles conduit mécaniquement à sur-programmer les premières années de la programmation et minorer les dernières années. Dans la construction de la programmation, le ministère a ainsi indiqué qu'un taux de 3 à 3,5 % a été appliqué à ce titre sur les crédits prévus entre 2024 et 2027. Ces taux seraient, toujours selon le ministère, comparables à ceux utilisés lors de la précédente programmation.

Le rapporteur pour avis considère cependant que, dans la mesure où le texte fait apparaître un besoin physico-financier de 413,3 milliards d'euros, poser en début de programmation que son financement sera assuré par des moindres dépenses au caractère par définition aléatoire ne constitue pas une méthode satisfaisante.

Au plan formel, l'ensemble des ressources contribuant au financement du besoin, hors ressources extrabudgétaires dument documentées, auraient vocation à être retracées sous forme de crédits budgétaires. C'est l'objet de l'amendement COM-105 (présenté au I. F. du présent rapport).

D. UN EFFORT DE TRANSPARENCE À MENER SUR LES RESSOURCES COMPLÉMENTAIRES

Contrairement à la trajectoire de crédits de paiement, la chronique de ces ressources additionnelles et ajustement de dépenses n'est retracée ni dans le projet de loi, ni dans le rapport annexé.

Grâce aux informations transmises par le ministère ultérieurement à la publication du projet de loi, leur chronique sur la période peut néanmoins être détaillée (cf. tableau ci-dessous).

Il est cependant à noter que le calendrier des ouvertures de crédits liés au financement programmé du soutien à l'Ukraine n'a pas fait l'objet de communication par le Gouvernement, mais peut être déduit à partir des autres informations transmises.

Évolution des ressources complémentaires nécessaires
à l'atteinte du besoin financier global (13,3 milliards d'euros)

(en milliards d'euros)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total
2024-2030

Ressources extrabudgétaires

1,3

1,1

0,9

0,7

0,7

0,6

0,6

5,9

Ajustements de dépenses

3,8

2,4

1,5

1,5

1,7

- 1,3

- 3,5

6,2

Financement interministériel du soutien à l'Ukraine (1)

0,4

0,3

0,4

0,1

-

-

-

1,2

Total

5,5

3,8

2,8

2,3

2,3

- 0,7

- 2,9

13,3

(1) La chronique du financement interministériel de soutien à l'Ukraine n'a pas été documentée par le Gouvernement, ni officiellement ni en réponse au questionnaire du rapporteur pour avis. Elle a ici été obtenue par déduction entre les montants indiqués des ressources additionnelles et des ajustements de dépenses.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les informations transmises par le ministère des armées

L'ensemble de ces informations permet ainsi de reconstituer la chronique des besoins financiers annuels sous-tendant la programmation proposée pour la période 2024-2030

Évolution des besoins financiers annuels
sous-tendant la programmation proposée pour la période 2024-2030

(en milliards d'euros)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total
2024-2030

CP de la mission « Défense »

47,04

50,04

53,04

56,04

60,32

64,61

68,91

400,00

Ressources additionnelles

5,53

3,84

2,84

2,32

2,31

-0,67

-2,87

13,31

Total

52,57

53,88

55,88

58,36

62,63

63,95

66,04

413,31

Source : commission des finances du Sénat

Dès lors que le texte fait apparaître un besoin de 413,3 milliards d'euros, l'analyse de l'exécution implique de disposer chaque année d'un bilan détaillé des différentes catégories de ressources contribuant à son financement. C'est la raison pour laquelle, dans un souci de transparence, l'amendement COM-108 propose que le rapport précité sur l'exécution de la LPM précise également ces informations.

IV. L'INFLATION ABSORBERAIT JUSQU'À 30 MILLIARDS D'EUROS SUR LA PÉRIODE

A. DÈS 2023, LE MINISTÈRE DES ARMÉES A FAIT LA DEMANDE D'UNE OUVERTURE COMPLÉMENTAIRE DE CRÉDITS À HAUTEUR DE 1,5 MILLIARD D'EUROS, NOTAMMENT POUR FAIRE FACE À L'INFLATION

En cours de gestion 2023, le ministre des armées Sébastien Lecornu a publiquement annoncé des ouvertures de crédits supplémentaires au profit de la mission « Défense » à hauteur de 1,5 milliard d'euros.

Cette enveloppe serait destinée :

- d'une part, à faire face au surcroît d'inflation constatée en 2023 et à permettre une diminution du report de charges ;

- d'autre part, à mener un effort sur certains équipements ne pouvant attendre ou de nature à améliorer les conditions d'entrée dans la LPM (munitions, maintien en condition opérationnelle, préparation aux Jeux Olympiques de 2024, lutte anti-drones...).

Un certain nombre d'incertitudes entourent pourtant cette ouverture de crédits.

En l'absence de loi de finances rectificative ni de décret d'avance en cours d'exercice, celle-ci ne pourrait être prévue que dans le cadre d'un projet de loi de finances de fin de gestion. L'ensemble des responsables du ministère des armées auditionnés prennent cette enveloppe pour acquise.

Pourtant, la direction du budget, auditionnée par le rapporteur pour avis, s'est limitée à la considérer comme une « demande » du ministère des armées qui aura vocation à être traitée dans le cadre des arbitrages à venir sur la fin de gestion.

Par ailleurs, certains responsables du ministère des armées auditionnés ont déclaré que cette enveloppe serait, au moins pour partie, traitée comme une « avance » sur les 413,3 milliards d'euros programmés pour 2024-2030, qui aurait vocation à être amortie sur la période. Le secrétariat général pour l'administration (SGA) du ministère des armées a cependant assuré au rapporteur que celle-ci ne concernait que l'exercice 2023 et n'était pas intégrée au besoin financier du PLPM.

Ce sujet constitue donc un point de vigilance important pour la fin de gestion 2023.

B. UNE PÉRIODE 2024-2030 MARQUÉE PAR UNE INFLATION SOUTENUE

La période de programmation, par contraste avec les années 2019-2021, est marquée par une inflation soutenue, en particulier en début de période. Sur le périmètre des crédits budgétaires programmés, les prévisions d'évolution de l'indice des prix à la consommation (IPC) fournies par le Programme de stabilité (PSTAB) transmis à la Commission européenne en avril 2023 permettent d'estimer l'évolution des crédits en euros constants à horizon 2027. La hausse, estimée à + 18 %, resterait conséquente mais inférieure de 9 points à celle programmée en euros courants.

Comparaison de l'évolution des crédits budgétaires programmés entre 2023 et 2027 en euros courants et en euros constants (2023)

(en milliards d'euros et en pourcentage)

Le déflateur utilisé est l'indice des prix à la consommation hors tabac.

Source : commission des finances du Sénat, d'après le PLPM 2024-2030 et le PSTAB 2023-2027 

Si l'on tient compte de l'inflation depuis 2019, on observe que la progression des crédits en euros constants (+ 30 %) à horizon 2027 serait presque inférieure de moitié à la progression en euros courants.

Comparaison de l'évolution des crédits budgétaires programmés entre 2019 et 2027 en euros courants et en euros constants (2019)

(en milliards d'euros et en pourcentage)

Le déflateur utilisé est l'indice des prix à la consommation hors tabac.

Source : commission des finances du Sénat, d'après l'Insee, la LPM 2019-2025, le PLPM 2024-2030 et le PSTAB 2023-2027 

C. LES ESTIMATIONS DE L'INFLATION ADAPTÉES AUX DÉPENSES MILITAIRES FONT APPARAÎTRE UN IMPACT GLOBAL ESTIMÉ À 30 MILLIARDS D'EUROS

Ces projections en euros constants n'en demeurent pas moins un outil un peu fruste pour apprécier l'impact réel de l'inflation sur le budget des armées.

Celles-ci ne sont pas dépourvues d'utilité dans la mesure où les projets de loi de programmation des finances publiques (PLPFP) et les PSTAB sont construits à partir d'elles pour apprécier l'évolution de la dépense publique en volume dans son ensemble.

Cependant, ces hypothèses d'inflation ne sont pas nécessairement adaptées aux spécificités des dépenses du ministère des armées, qui comprennent à la fois beaucoup d'investissements pluriannuels et des achats très spécifiques, à plus forte raison dans le contexte géostratégique actuel marqué par une demande plus forte pour les matériels militaires.

Interrogé sur ce point par le rapporteur pour avis lors de son audition, le SGA a confirmé que la programmation prévue par le présent PLPM a été construite sur la base d'hypothèses d'inflation spécifiques.

Celle-ci représenterait ainsi un total de 30 milliards d'euros sur la période, à rapporter au besoin financier global de 413,3 milliards d'euros. Cette estimation procède de l'application d'hypothèses d'évolution des coûts sur trois catégories de postes :

- les dépenses de fonctionnement dites « classiques », qui évolueraient comme l'indice des prix à la consommation et qui seraient affectées à hauteur d'environ 2 milliards d'euros sur la période ;

- les carburants opérationnels des armées, qui sont liés au cours du Brent, et seraient affectés à hauteur d'environ 2 milliards d'euros également ;

- les dépenses spécifiques, qui seraient enfin affectées à hauteur de 26 milliards d'euros et représenteraient ainsi la plus grande part de l'impact inflationniste. Pour estimer leur évolution, le ministère des armées dispose d'une méthodologie propre, plus précise et validée par une mission conjointe de l'inspection générale des finances et du contrôle général des armées (méthode dite « coût des facteurs »), qui s'appuie sur des formules de révision de prix des marchés, fondées sur des indices sectoriels (coût du travail dans l'industrie, des services, de la production et des matières premières) pour les dépenses essentiellement pluriannuelles. Les indices utilisés sont tous des indices de référence, issus de l'institut IHS Markit.

Décomposition estimée par le ministère des armées de l'impact de l'inflation sur les dépenses programmées

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les informations transmises par le ministère des armées

D. POUR APPRÉCIER LES RESSOURCES RÉELLES DES ARMÉES, L'ANALYSE DE L'EXÉCUTION DE LA LPM IMPLIQUERA DE POUVOIR DÉTERMINER L'IMPACT ANNUEL DE L'INFLATION SUR LES CRÉDITS DE LA MISSION « DÉFENSE »

Les données transmises par le ministère ne permettent cependant pas d'évaluer finement à ce stade l'impact estimé de l'inflation par année, rendant impossible la présentation d'une trajectoire représentant réellement l'effort budgétaire prévisionnel en volume prévu par la présente programmation.

Comme en attestent les incertitudes entourant la fin de gestion 2023 (voir supra), il s'agit pourtant d'un enjeu important pour la période qui s'ouvre, par contraste avec la précédente programmation, réalisée dans une conjoncture économique différente.

Le Haut Conseil des finances publiques, dans son avis relatif au présent projet de loi4(*), relève ainsi que « l'objectif d'évolution des dépenses des administrations publiques instauré par la loi organique étant exprimé en volume, une inflation plus forte, à budget de la mission Défense inchangé, réduirait d'autant la dépense publique en volume, facilitant ainsi le respect de cet objectif. À l'inverse, elle pourrait susciter un ajustement des crédits budgétaires en euros courants pour assurer le respect des orientations stratégiques du PLPM ».

Pour cette raison, l'amendement COM-109 vise à intégrer au rapport annuel remis au Parlement sur l'exécution de la programmation pour l'année écoulée prévu par l'article 8 un bilan détaillé de l'impact de l'inflation.

V. UNE PROGRAMMATION FINANCIÈRE ASSORTIE DE CERTAINS MÉCANISMES DE GARANTIE

Les articles 3 à 5 du présent PLPLM 2024-2030 comprennent plusieurs dispositifs visant à garantir la programmation financière. Compte tenu du principe d'annualité budgétaire, ces dispositifs sont, au même titre que la programmation, dépourvus de portée normative contraignante. Il reviendra au législateur de leur donner une traduction chaque année en loi de finances, en loi de finances rectificative (LFR), ou en loi de finances de fin de gestion.

A. LA RECONDUCTION DES MÉCANISMES DE GARANTIE PRÉVUS PAR LA PRÉCÉDENTE LPM EN CAS DE SURCOÛTS CONSTATÉS AU TITRE DES OPÉRATIONS EXTÉRIEURES ET DES PRIX DES CARBURANTS OPÉRATIONNELS

1. Le financement des surcoûts liés aux opérations extérieures et missions intérieures : une provision en baisse dans un contexte de réarticulation du dispositif français au Sahel

L'article 4 du PLPM 2024-2030, reprenant le dispositif de l'article 4 de la LPM 2019-2025, prévoit une provision annuelle destinée au financement des surcoûts liés à la conduite des opérations extérieures (OPEX) et missions intérieures (MISSINT).

Cette provision, qui s'établissait à 1,1 milliard d'euros en 2023 selon la LPM 2019-2025, serait diminuée à 800 millions d'euros en 2024. Cette baisse serait expliquée par la fin de l'opération Barkhane et un recentrage des opérations sur le Niger. Selon le ministère des armées, si la réarticulation du dispositif français au Sahel a pu entrainer des surcoûts élevés en 2022 et 2023, ceux-ci auraient bien vocation à diminuer à compter de 2024.

À compter de 2025 et jusqu'à la fin de la période de programmation, la provision annuelle serait ensuite abaissée à 750 millions d'euros. Le ministère des armées justifie cette baisse par l'hypothèse d'un resserrement de l'opération Sentinelle sur le territoire national après la fin des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.

Comme dans l'actuelle LPM, le même article 4 prévoit que les surcoûts non couverts fassent l'objet d'un financement interministériel. Cependant, comme le rapporteur pour avis a pu le regretter dans le cadre de ses travaux menés en qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission « Défense »5(*), ces financements n'ont en pratique pas été à la hauteur des surcoûts constatés lors des derniers exercices (voir graphique ci-dessous).

Le financement des surcoûts OPEX-MISSINT

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les informations transmises par le ministère des armées

2. Le mécanisme de compensation des surcoûts liés à la hausse du prix des énergies opérationnelles revêt une importance particulière dans le contexte actuel de forte inflation

L'article 5 du PLPM 2024-2030, reprenant le dispositif de l'article 5 de la LPM 2019-2025, prévoit qu' « en cas de hausse du prix constaté des énergies opérationnelles, la mission « Défense » bénéficiera de mesures financières de gestion, si nécessaire par ouverture de crédits en loi de finances rectificative et en loi de finances de fin de gestion, et, si la hausse est durable, des crédits supplémentaires seront ouverts en loi de finances de l'année pour couvrir les volumes nécessaires à la préparation et à l'activité opérationnelle des forces ».

Il est à noter que, sur l'ensemble de la période 2019-2025, la clause de l'article 5 a été activée à deux reprises afin d'amortir la hausse des prix des carburants opérationnels :

en 2021, compte tenu des surcoûts constatés, la mission a bénéficié d'une ouverture nette de 50 millions d'euros en LFR de fin de gestion ;

en 2022, dans le contexte de la crise énergétique, l'article 5 de la LPM a donc été activé une seconde fois, pour une ouverture nette de 150 millions d'euros.

Compte tenu du contexte inflationniste dans lequel s'inscrit la programmation proposée, l'amendement COM-109 précité propose que le rapport annuel remis au Parlement sur l'exécution de la LPM contienne un bilan de l'activation de l'article 5 pour l'année écoulée.

B. UN FINANCEMENT INTERMINISTÉRIEL DES SURCOÛTS LIÉS À L'EFFORT NATIONAL DE SOUTIEN À L'UKRAINE

L'article 3 du présent PLPM 2024-2030 prévoit en outre que le financement de l'effort national de soutien à l'Ukraine fasse l'objet de ressources supplémentaires, déterminées chaque année en loi de finances ou en exécution.

Il est précisé que ce soutien serait mis en oeuvre notamment sous forme :

- de contribution à la facilité européenne pour la paix (FEP). Ce dispositif de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) mis en place en mars 2021 vise à renforcer la capacité de l'Union européenne (UE) à agir de manière autonome en matière de défense et est financé par des contributions des États membres en dehors du budget pluriannuel de l'UE. Le dispositif a été mobilisé afin de rembourser partiellement les cessions de matériel (létal et non létal) faites par les États membres aux forces armées ukrainiennes. En 2023, le coût du dispositif supporté par la mission « Défense » au titre du volet létal de la FEP est estimé à 66 millions d'euros ;

- de cessions de tous les matériels et les équipements nécessitant un recomplètement. Le coût des recomplètements liés aux cessions s'est élevé à 133 millions d'euros en 2022, couverts par des ouvertures de crédits en loi de finances rectificative6(*). Pour 2023, celui-ci est estimé à 227 millions d'euros et devra faire l'objet d'un financement en fin de gestion ;

- ou d'aides à l'acquisition de matériels ou de prestations de défense et de sécurité. Déjà dans le cadre du schéma de fin de gestion 2022, des ouvertures de crédits avaient été prévues en loi de finances rectificative à hauteur de 200 millions d'euros au titre du fonds de soutien à l'Ukraine permettant le remboursement des acquisitions ukrainiennes auprès des industriels français (170 millions d'euros) et le financement d'acquisitions liées à des opérations réalisées par le ministère (prestations de la direction générale pour l'armement, du service interarmées des munitions...)

Par ailleurs, comme évoqué supra, la programmation physico-financière prévue intègre d'ores et déjà des besoins de recomplètements d'équipements et matériels cédés à hauteur de 1,2 milliard d'euros.

Le rapporteur pour avis ne peut que saluer le dispositif proposé : il est légitime que l'effort de soutien à l'Ukraine, qui engage la nation française dans son ensemble, soit financé par solidarité interministérielle. En pratique, ce financement doit notamment permettre de procéder dans les meilleurs délais aux recomplètements nécessaires pour préserver le format de nos armées, de façon à ce que les cessions de matériels ne se traduisent pas par des pertes capacitaires durables.

À ce titre, le sous-amendement COM-250 à l'amendement COM-4 du rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées réécrivant l'article 3 vise à clarifier la rédaction du dispositif. En particulier, le texte ne précise pas à quelle aune une cession d'équipements ou de matériels « nécessite un recomplètement ». Il est ainsi proposé de préciser que cette nécessité procède du souci de préservation intégrale du format des armées prévu par la présente programmation militaire.

C. UN OBJECTIF DE GARANTIE DU FINANCEMENT DE L'INTÉGRALITÉ DU BESOIN PHYSICO-FINANCIER INSCRIT DANS LE TEXTE LORS DE SON EXAMEN À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Lors de l'examen du texte en commission à l'Assemblée nationale, un amendement du député Olivier Marleix et plusieurs de ses collègues du groupe Les Républicains a prévu de modifier l'article 3 pour préciser que « si ces ressources extrabudgétaires ne sont pas suffisantes [pour compléter le financement du besoin physico-financier en sus des 400 milliards d'euros de crédits budgétaires déjà prévus], elles seront compensées en loi de finances par des crédits budgétaires ».

Ce dispositif est bienvenu puisqu'il concourt à l'objectif de sécurisation du financement du besoin programmé, auquel le rapporteur pour avis souscrit pleinement.

Il reviendra chaque année au législateur d'être pleinement éclairé sur les ressources supplémentaires à prévoir pour le cas où les montants perçus au titre des ressources extrabudgétaires seraient inférieurs aux prévisions.

D'où l'importance pour le Parlement d'être en mesure de retracer avec précision les ressources perçues à ce titre, ce que doit permettre l'amendement COM-108 précité enrichissant le rapport annuel sur l'exécution de la LPM.

D. POUR L'INTRODUCTION D'UN NOUVEAU DISPOSITIF DE GARANTIE EN CAS DE PRÉLÈVEMENT SUR LE PARC DES ARMÉES AU TITRE DU SOUTIEN À L'EXPORT

Sous la précédente programmation, le prélèvement - non prévu - de 24 Rafale sur la dotation de l'armée de l'Air et de l'Espace dans le cadre d'une opération d'export au profit de la Croatie et de la Grèce a considérablement fragilisé ses capacités opérationnelles, comme en témoignent les indicateurs de disponibilité technique opérationnelle des Rafale et d'heures de vol des pilotes de chasse, nettement inférieures aux objectifs (147 heures prévus en 2023, contre un objectif à 180).

Préparation opérationnelle des pilotes de l'armée de l'air
et de l'espace

(en heures de vol)

 

2019
(réalisé)

2020
(réalisé)

2021
(réalisé)

2022
(prévision)

2023
(prévision)

Norme LPM

Norme OTAN

Chasse

159

152

161

162

147

180

180

Transport

185

176

192

208

189

320

400

Hélicoptère

161

155

163

183

181

200

200

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

Surtout, le recomplètement de la flotte a été financé sous enveloppe LPM, alors que ces opérations n'avaient pas été prévues par la précédente programmation, et donc au détriment de l'atteinte des objectifs opérationnels et capacitaires fixés.

L'effort national de soutien aux exportations de matériel militaire (Soutex) constitue une politique par essence interministérielle, au service de l'autonomie stratégique et de l'économie françaises. Pour mémoire, l'exportation de matériels militaires apportait une contribution positive au solde commercial français de 7 milliards d'euros en 2021.

Pour cette raison, il est légitime que son financement soit assuré par la solidarité interministérielle. Le sous-amendement COM-251 à l'amendement COM-4 vise à prévoir que le financement des recomplètements rendus nécessaires par les prélèvements d'équipements ou de matériels sur les parcs des armées au titre du soutien à l'exportation, au même titre que les cessions réalisées au profit des forces armées ukrainiennes, fasse l'objet d'abondements de crédits supplémentaires

VI. LA PROPOSITION DU RAPPORTEUR POUR AVIS : SÉCURISER LE FINANCEMENT DU BESOIN PROGRAMMÉ EN RENFORÇANT ET « LISSANT » LA TRAJECTOIRE DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES

Au vu des constats précédents, et dans le souci sécuriser le financement du besoin physico financier programmé, l'amendement  COM-105 propose de réviser la trajectoire des crédits budgétaires prévue par l'article 3 du présent PLPM.

Comparaison entre la trajectoire adoptée par l'Assemblée nationale
en première lecture et celle proposée par l'amendement COM-105

(en milliards d'euros courants)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total
2024-2030

Trajectoire adoptée par l'Assemblée nationale

47,04

50,04

53,04

56,04

60,32

64,61

68,91

400,00

Variation

+ 3,1

+ 3,0

+ 3,0

+ 3,1

+ 4,3

+ 4,3

+ 4,3

 

Proposition de la commission des finances

47,04

50,04

54,05

58,06

62,06

66,07

70,08

407,40

Variation

+ 3,1

+ 3,0

+ 4,0

+ 4,0

+ 4,0

+ 4,0

+ 4,0

 

Source : commission des finances du Sénat

Cette nouvelle trajectoire diffère de celle proposée par le Gouvernement sur deux points essentiels.

En premier lieu, l'enveloppe globale de crédits de paiement de la mission « Défense » serait portée de 400 à 407,4 milliards d'euros sur la période. L'ajout proposé de 7,4 milliards d'euros de crédits de paiement correspond au souci de « budgétiser » la part non documentée des ressources nécessaires au financement du besoin physico-financier total de 413,3 milliards d'euros prévu par le projet de loi.

Par ailleurs, dans la mesure où les 7,4 milliards d'euros font partie intégrante du besoin de financement programmé en crédits budgétaires, il convient de les intégrer d'emblée à la trajectoire au risque d'entacher d'insincérité la prochaine loi de programmation des finances publiques.

En second lieu, le présent amendement propose de « lisser » davantage la trajectoire.

La trajectoire ici proposée entend maintenir à 3 milliards d'euros les marches annuelles pour 2024 et 2025, telles qu'elles sont expressément prévues par le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 dans sa version adoptée par le Sénat en novembre 2022.

À compter de 2026 et jusqu'à la fin de la période de programmation, celle-ci serait portée à 4 milliards d'euros. Dans la mesure où il s'agit de crédits de paiement, et compte tenu de la temporalité de la montée en charge des programmes d'équipement des armées, il peut sembler prématuré de relever ces marches dès le début de la période de programmation. En revanche, l'objectif affiché au titre de l'«économie de guerre » et les exigences de réactivité accrue des industriels qui en découlent justifient pleinement l'accélération dès 2026 de la trajectoire de crédits de paiement et par conséquent de l'atteinte de certaines cibles capacitaires.

Ces évolutions sont de nature à renforcer la crédibilité de la programmation militaire aux yeux de nos concitoyens, de nos militaires et de notre BITD, mais également de nos alliés comme de nos compétiteurs stratégiques.

L'impact financier du présent amendement est neutre en euros courants par rapport aux besoins financiers programmés, dont le montant de 413,3 milliards d'euros n'est pas remis en cause.

En termes réels, ce « lissage » de la trajectoire induit toutefois un gain de pouvoir d'achat pour le ministère des armées. Celui-ci peut lui permettre de réévaluer à la hausse certains objectifs capacitaires afin de se rapprocher des cibles initialement prévues dans le cadre de l'Ambition 2030, que la programmation proposée prévoit de décaler en dépit de la confirmation de la menace du retour de conflits de haute intensité illustrée par la guerre en Ukraine (voir la Deuxième partie).

DEUXIÈME PARTIE :
UNE PROGRAMMATION QUI NE PERMET PAS D'ATTEINDRE LES AMBITIONS CAPACITAIRES INITIALEMENT PRÉVUES À L'HORIZON 2030

I. UN IMPORTANT EFFORT CONSACRÉ AUX ÉQUIPEMENTS, MALGRÉ LES INCERTITUDES QUI ENTOURENT LA PRÉPARATION DE L'AVENIR

A. LA POURSUITE DU RENFORCEMENT DES DÉPENSES D'ÉQUIPEMENT ENGAGÉ SOUS L'ACTUELLE LPM

La LPM 2019-2025 a prévu une trajectoire d'évolution de l'agrégat « équipement », qui regroupe les différentes opérations stratégiques concourant à cette fonction7(*), avec l'objectif de porter celui-ci de 20,1 milliards d'euros en 2019 à 31,5 milliards d'euros à l'horizon 2025.

Le PLPM 2024-2030 propose de poursuivre cet effort pour atteindre une enveloppe annuelle de 42,1 milliards d'euros, soit plus du double du montant 2019. Il est à noter que la trajectoire prévoit un renforcement des besoins pour les années 2024 (+ 2,7 milliards d'euros) et 2025 (+ 3,6 milliards d'euros).

Évolution programmée des dépenses en crédits de paiement de l'agrégat « équipement » depuis 2019

(en milliards d'euros courants)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

Les crédits de l'agrégat « équipement » s'élèveraient à 268,6 milliards d'euros sur la période, à comparer aux 172,8 milliards d'euros prévus par l'actuelle programmation. Ce total représenterait ainsi près des deux tiers des besoins programmés et 85 % des besoins programmés hors dépenses de personnel.

Décomposition du besoin physico-financier global (413,3 milliards d'euros)

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

Toutes les principales opérations stratégiques de l'agrégat équipement seraient concernés par cette hausse, au premier rang desquels :

l'entretien programmé du matériel (EPM), qui traduit l'effort mené en matière de maintien en condition opérationnelle (MCO), et qui se verrait allouer une enveloppe de 49 milliards d'euros sur la période (à comparer aux 35 milliards d'euros prévus pour la LPM 2019-2025)

les programmes à effet majeur (PEM), qui traduisent l'effort mené dans les principaux programmes d'armement (Rafale, Scorpion...) et qui se verraient allouer une enveloppe de 100 milliards d'euros sur la période (à comparer aux 59 milliards d'euros prévus pour la LPM 2019-2025).

Comparaison des enveloppes de crédits de paiement affectées aux principales opérations stratégiques de l'agrégat « équipement » entre la LPM 2019-2025
et le PLPM 2024-2030

(en milliards d'euros courants)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le PLPM 2024-2030

B. DEUX FONDAMENTAUX DE LA POLITIQUE DE DÉFENSE FRANÇAISE CONFORTÉS : LA DISSUASION NUCLÉAIRE ET LE GROUPE AÉRONAVAL

1. Plus de 50 milliards d'euros au titre de la dissuasion nucléaire

Les dépenses d'équipement ont notamment vocation à financer la modernisation de la dissuasion nucléaire, dans ses deux composantes aéroportées et océaniques.

Les dépenses liées à cette opération stratégique représenteraient environ 13 % de l'enveloppe globale, soit une proportion stable par rapport à la précédente LPM, qui représenterait une dépense de plus de 50 milliards d'euros.

Le rapport annexé rappelle ainsi que « la dissuasion nucléaire reste une composante essentielle de notre défense nationale » et précise que l'effort de modernisation porte sur les deux composantes de la dissuasion (aéroportée et océanique) et à la fois :

dans le domaine des armes, avec la mise en place de missiles nucléaires aéroportés air-sol moyenne portée améliorés (ASMP-A) rénovés et la préparation de la quatrième génération de missiles aéroportés ainsi que la poursuite des évolutions du missile M51 pour la composante océanique ;

dans le domaine des porteurs de ces armes, avec les travaux sur les prochaines générations d'avions (évolution du Rafale et préparation de l'avion de combat futur « SCAF ») et de sous-marins (SNLE de troisième génération) ;

- les moyens de transmission associés seraient également modernisés.

2. Le porte-avions de nouvelle génération : 5 milliards d'euros dédiés au lancement des travaux

Le groupe aéronaval eu coeur duquel se trouve le porte-avions constitue un autre pilier fondamental de l'outil de défense français, aussi bien au service de la dissuasion que de la projection de puissance.

La programmation serait notamment marquée par le lancement des travaux de construction du Porte-avions de nouvelle génération (PA-Ng) à propulsion nucléaire qui a vocation à remplacer le Charles-de-Gaulle à compter de 2038 (5 milliards d'euros sur la période).

De premiers jalons sont posés, avec le lancement de la réalisation prévu pour 2025/2026 et les premiers essais en mer à horizon 2036/2037. Le rapport annexé précise que programme d'ensemble PA-Ng sera conduit pour garantir la pérennité des compétences « propulsion nucléaire » dans la BITD française.

Le coût global du programme est quant à lui estimé à environ 10 milliards d'euros, le complément devant donc être financé par une prochaine programmation.

Il est également prévu que des études de coûts permettront au Gouvernement de présenter au Parlement, en 2028, une estimation des crédits nécessaires à la réalisation d'un second porte-avions de nouvelle génération. Celui-ci ne fait cependant à ce stade pas partie de la programmation des besoins physiques.

C. LA PRÉPARATION DE L'AVENIR, QUI REPOSE POUR UNE LARGE PART SUR DES PROGRAMMES RÉALISÉS EN COOPÉRATION, RESTE ENTOURÉE D'INCERTITUDES

S'agissant de la préparation de l'avenir, des incertitudes continuent cependant de peser sur les programmes en coopération en cours, alors même que ceux-ci portent sur des segments capacitaires essentiels.

Le programme relatif au système de combat aérien du futur (SCAF) au centre duquel figure le New Generation Fighter (NGF) devait succéder au Rafale. Mené en coopération avec l'Allemagne et l'Espagne, le programme a connu, après de préoccupants retards, une avancée importante en décembre 2022 avec l'accord pour le lancement de la phase 1B, consacrée à la conception d'un démonstrateur. Le rapport annexé prévoit la remise d'un rapport au Parlement en 2028 pour tirer le bilan des réalisations de cette phase.

Le système de combat aérien du futur (SCAF)

En 2017, la France et l'Allemagne sont convenues de développer un système de combat aérien européen pour remplacer leurs flottes actuelles d'avions de combat sur le long terme. Le SCAF rassemblera autour d'un nouvel avion de combat polyvalent, adapté aux menaces aériennes de 2040 et exploitant le potentiel de l'intelligence artificielle, des moyens de combat travaillant en réseau, dont des drones de différents types. Il devrait être mis en service à l'horizon 2040 et remplacer à terme les flottes d'avions de combat Rafale et Eurofighter.

Initiée lors du conseil des ministres franco-allemand en 2017, élargie puis renforcée en 2019 par un accord-cadre regroupant la France, l'Allemagne et l'Espagne, la coopération SCAF se structure. La France a été désignée leader de ce projet. L'accord cadre porte sur les activités de R&T et de démonstrations s'étendant jusqu'en 2030.

Deux types de travaux sont menés à court et moyen terme :

- des études d'architectures permettant d'établir les exigences du système de systèmes et des objets qui le composent et également la comparaison de différents concepts (contrat JCS lancé en janvier 2019) ;

- des études de R&T et le développement de démonstrateurs indispensables pour répondre aux évolutions nécessaires à venir dans le domaine de l'aéronautique de combat. La France a en effet identifié 7 piliers couvrant l'ensemble des invariants technologiques nécessaires au SCAF (système de systèmes, avion de nouvelle génération « NGF », très haute furtivité, capteurs, propulsion, « Remote Carriers », démonstrations des architectures au sol). Les premières offres industrielles ont été remises lors du salon du Bourget et les négociations sont en cours. Ces travaux préparatoires initient le lancement progressif à compter de 2020 du développement de démonstrations technologiques en vue de ruptures capacitaires dans le domaine de l'aviation de combat.

Source : ministère des armées

Plus préoccupante est la stagnation constatée dans la conduite du programme « Main Ground Combat System » (MGCS), conduit en coopération avec l'Allemagne, et devant préparer l'avenir du combat terrestre. Ce programme devra préparer la succession du char Leclerc au-delà de 2040. Le rapport annexé prévoit qu'un point de situation sur le programme MGCS sera transmis au Parlement en 2025.

Si le lancement de programmes d'armement en coopération peut être pertinent dès lors que, comme l'indique le rapport annexé, « l'acquisition de ces capacités auprès de la BITD française ne permet pas d'atteindre des coûts soutenables et des délais cohérents avec les besoins opérationnels », force est de constater que leur conduite se heurte en pratique à de nombreux obstacles, aussi bien en termes industriels que politiques, dès lors qu'ils doivent concilier les besoins opérationnels d'armées aux cultures stratégiques potentiellement très différentes. Ces programmes peuvent également soulever des enjeux de souveraineté technologique et industrielle.

C'est pourquoi l'amendement COM-101 entend rappeler, dans le rapport annexé, l'exigence importante selon laquelle ne devraient y être associés que des partenaires ayant vocation à acquérir les équipements qui en sont issus au profit de leurs armées respectives.

II. LE DÉCALAGE DIFFICILEMENT JUSTIFIABLE DE CERTAINES CIBLES CAPACITAIRES MAJEURES

A. DES DÉCALAGES QUI REMETTENT EN CAUSE LA CRÉDIBILITÉ DE L'« AMBITION 2030 »

Le présent PLPM 2024-2030 s'inscrit dans la continuité de la LPM 2019-2025, qui avait été adossée à une programmation visant à poser les jalons permettant d'atteindre « l'Ambition 2030 » (voir Introduction). Le rapport annexé à la LPM 2019-2025 précisait ainsi clairement que « la programmation des opérations d'armement sur la période de la LPM 2019-2025 repose sur un socle de capacités qui conditionne l'autonomie stratégique de notre outil de défense. Elle permet de se placer sur une trajectoire rejoignant le niveau d'ambition recherché à l'horizon 2030. »

Pour autant, la programmation proposée pour 2024-2030 prévoit le décalage de ces cibles à l'horizon 2035 sur certains segments pourtant majeurs concernant les trois forces : terrestres, navales et aériennes (voir infra).

D'après les responsables du ministère des armées auditionnés par le rapporteur pour avis, ce choix se justifierait :

- d'une part, par la nécessité de financer de nouvelles priorités (voir II. C) sous enveloppe budgétaire contrainte ;

- d'autre part, par le souci de faire primer la « cohérence » sur la masse. En d'autres termes, la programmation proposée permettrait de s'assurer que chaque capacité soit pleinement opérationnelle en termes de soutien, de MCO, de munition et de formation des effectifs appelés à l'utiliser, quitte à retarder certaines livraisons et décaler l'atteinte des cibles prévues.

Si le raisonnement est fondé, on ne peut que constater que la programmation militaire proposée n'est pas à la hauteur de l'« Ambition 2030 ». Il est à cet égard permis de douter de la crédibilité de la trajectoire amorcée en 2019 et par conséquent de se demander s'il n'y avait pas, d'emblée, un décalage entre l'ambition opérationnelle affichée et l'effort financier réel à mener pour l'atteindre.

En effet, l'importance pour la conduite de la guerre contemporaine, des nouvelles priorités à financer (renseignement, cyber, spatial...) est loin de constituer une découverte et l'on ne peut donc que déplorer que l'ambition affichée en 2018 pour l'horizon 2030 n'ait pas permis de les intégrer d'emblée au bon niveau. Par ailleurs, l'importance de la « cohérence » des programmes à effets majeurs avec les infrastructures et les petits équipements avait expressément été identifiée dans le rapport annexé à la LPM 2019-2025 et ne constitue pas davantage une préoccupation nouvelle.

L'atteinte effective de l' « Ambition 2030 » reposera donc sur la prochaine programmation militaire, et est donc à ce titre affectée de fortes incertitudes.

Ces décalages envoient en tout état de cause un très mauvais signal alors que la guerre en Ukraine, conflit de haute intensité faisant appel à la masse, a justement confirmé le diagnostic posé à l'époque sur la dégradation du contexte stratégique qui a justifié l'élaboration de l' « Ambition 2030 ».

Principaux décalages de programmes à effet majeur
prévus par le PLPM 2024-2030

Force

Capacités

« Ambition 2030 »

Parc fin 2023

Parc fin 2030

Parc à horizon 2035

Équipements

Description

Armée de Terre

Leclerc rénovés

Char de combat. Les travaux de rénovation doivent permettre d'intégrer cette capacité au programme SCORPION pour le combat collaboratif avec les autres blindés.

200

19

160

200

SCORPION (programme de renouvellement des capacités de l'armée de Terre autour d'un système de combat collaboratif)

Jaguar

Engin blindé de reconnaissance. Appelé notamment à remplacer l'AMX-10 RC.

300

60

238

300

Griffon

Véhicule blindé multirôle (VBMR) lourd destiné au transport de soldats au plus près des combats. Appelé à remplacer les véhicules de l'avant blindés (VAB).

1818

575

1437

1818

Serval (dont Scorpion)

VBMR léger tactique polyvalent (transport de troupe, pose de commandement...). Appelé à remplacer les véhicules de l'avant blindés (VAB).

2038 (978)

189 (nc)

1405 (660)

2038 (978)

Marine nationale

Frégates de défense et d'intervention (FDI)

Bâtiments de combat capables d'opérer dans tous les domaines de lutte (antinavire, antiaérien, anti-sous-marin et projection de forces spéciales). Appelées à remplacer les Frégates type La Fayette (FLF).

5 FDI

5 FLF

3 FDI +
2 FLF rénovées

5 FDI

Patrouilleurs hauturiers (PH)

Bâtiments contribuant à des missions de surveillance et de défense maritime du territoire. Appelés à remplacer les Patrouilleurs de haute-mer et les Patrouilleurs de service public (PSP).

10 PH

6 PHM + 3 PSP

7 PH

10 PH

Armée de l'Air et de l'Espace

Rafale

Avions de chasse omnirôle (pénétration et attaque au sol par tous les temps, attaque à la mer, défense et supériorité aérienne, intervention à long rayon d'action avec ravitaillement en vol, reconnaissance tactique et stratégique). Objectif de remplacement des Mirage 2000 D pour atteindre le « tout-Rafale ».

185 Rafale

100 Rafale + 36 M2000 D rénovés

137 Rafale + 48 M2000 D rénovés

185 Rafale

Source : commission des finances du Sénat, d'après le PLPM 2024-2030

B. FORCES TERRESTRES : DES DÉCALAGES IMPORTANTS SUR LES SEGMENTS BLINDÉS

Pour l'armée de Terre, les décalages portent principalement sur le programme Scorpion, qui vise à renouveler ses composantes blindés médians et légers autour d'un système de combat collaboratif (le système d'information du combat Scorpion - SICS).

Le programme Scorpion

Lancé en 2014, le programme Scorpion consiste en la modernisation des groupements tactiques interarmes (GTIA) afin d'accroître, dans une approche globale et cohérente, leur efficacité et leur protection, en utilisant au mieux les nouvelles capacités d'échanges d'information au sein du GTIA.

Il comprend notamment les composantes suivantes :

- des véhicules blindés multi-rôles (VBMR) Griffon et Serval, destinés à remplacer les véhicules de l'avant blindés (VAB) - actuellement en service ;

- des engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) Jaguar, destinés à remplacer l'AMX10-RC, l'engin blindé ERC Sagaie et le VAB HOT ;

- un système d'information du combat Scorpion (SICS) unique destiné à l'ensemble du groupement tactique interarmes ;

- l'adaptation du système de préparation opérationnelle aux nouvelles capacités Scorpion ;

- un premier standard de robotique à des fins de reconnaissance, d'observation, de cartographie et de dépose de charge ;

- des mortiers embarqués pour l'appui au contact (MEPAC) destinés à remplacer une part importante des mortiers de 120mm tractés, par l'intégration d'un mortier semi-automatique de 120mm sur Griffon adapté.

Source : ministère des armées

La programmation proposée pour 2024-2030 conduit au décalage des cibles prévues à l'horizon 2030 pour les principaux équipements, avec notamment :

- un parc de Jaguar à 238 appareils en 2030, et un report à 2035 de l'atteinte de la cible de 300 ;

- un parc de Griffon à 1 437 appareils et un report à 2035 de l'atteinte de la cible de 1 818 ;

- un parc de Serval à 660 appareils et un report à 2035 de l'atteinte de la cible de 978.

Il est à noter que le texte initial du PLPM prévoyait à l'horizon 2030 une cible de seulement 200 Jaguar et 1 345 Griffon. Par amendement en séance publique lors de l'examen du texte en première lecture, le Gouvernement a relevé ces cibles de respectivement 38 et 92 appareils. L'exposé sommaire de l'amendement précise que ces acquisitions supplémentaires seront financées en dehors de l'enveloppe prévue au titre du PLPM 2024-2030, qui n'a en effet pas été modifiée en conséquence. Dans la mesure où ces capacités viennent remplacer des équipements plus anciens cédés à l'Ukraine (tels que des AMX10-RC), on peut considérer qu'ils ont vocation, selon les termes de l'article 3, à être financés par des ressources complémentaires apportées en gestion par solidarité interministérielle. Le rapporteur pour avis, en sa qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission « Défense », y sera attentif.

Du côté des blindés lourds, le segment char de combat est également affecté par des décalages, puisque l'ambition de rénovation à mi-vie des chars Leclerc a été abaissée à 160 en 2030, avec un report à 2035 de l'atteinte de la cible de 200.

Ce programme important de rénovation vise à intégrer le char Leclerc dans le combat collaboratif Sorpion, à l'adapter aux nouvelles menaces (amélioration des fonctions protection et agression) et à traiter les obsolescences lourdes. Il est indispensable au maintien de la capacité char lourd jusqu'à l'arrivée du MGCS, elle-même entourée d'incertitudes comme évoqué supra.

C. FORCES NAVALES : DES DÉCALAGES QUI CONCERNENT UNE GRANDE DIVERSITÉ DE CAPACITÉS

1. Le segment frégates de premier rang

Pour la marine, le principal décalage de programme concerne les frégates de défense et d'intervention (FDI), appelés à remplacer les Frégates de type La Fayette (FLF).

Ces bâtiments sont des frégates de combat polyvalentes, capables de contribuer à l'ensemble des fonctions stratégiques de la défense. Elles disposent des attributs fondamentaux des frégates de premier rang : aptitude à durer et combattre en haute mer, autodéfense dans tous les milieux et niveaux de survivabilité et d'interopérabilité suffisants pour participer aux missions de coercition.

La programmation proposée prévoit d'abaisser à 3 FDI la cible pour 2030, et un report à 2035 de l'atteinte de la cible de 5 FDI.

Le format global à 15 frégates de premier rang (en incluant les 8 frégates multi-missions [FREMM] et 2 frégates de défense antiaériennes [FDA]) serait cependant préservé grâce au programme de rénovation à mi-vie de 2 FLF.

2. Le segment patrouilleurs hauturiers

Un autre décalage concerne la capacité patrouilleurs hauturiers, avec un retard dans le remplacement par de nouveaux patrouilleurs hauturiers (PH) des 7 anciens patrouilleurs hauturiers métropolitains (PHM) et des 3 anciens patrouilleurs de service public (PSP). La programmation prévoit ainsi d'abaisser à 7 PH la cible pour 2030, et un report à 2035 de l'atteinte de la cible de 10. En attendant cette échéance, compte tenu du retrait des PHM et PSP, une tension serait donc constatée sur cette capacité.

Le rapporteur pour avis ne peut que regretter cette situation, imputable à un lancement trop tardif du programme alors même que le risque de tension est identifié de longue date par la Marine. La Marine doit s'adapter en conséquence pour être en mesure d'honorer son contrat opérationnel, notamment en utilisant un même bâtiment pour répondre à différentes exigences posées par celui-ci. Cette optimisation de l'emploi du capital reste une fragilité puisqu'elle ne permet pas de remplir simultanément les différentes de missions du contrat opérationnel et, à ce titre, elle ne saurait constituer une solution pérenne pour la Marine.

3. Autres décalages

Des décalages sont également prévus en matière de guerre des mines, avec :

- s'agissant des bâtiments de guerre des mines : l'objectif 2030 est abaissé à 3 et l'atteinte de la cible de 6 est reportée à 2035 ;

- s'agissant des bâtiments bases de plongeurs démineurs de nouvelle génération (BBPD NG), l'objectif 2030 abaissé à 3 et l'atteinte de la cible de 5 est reportée à 2035 ;

- s'agissant des systèmes de drones : l'objectif 2030 est abaissé à 6 et l'atteinte de la cible de 8 est reportée à 2035.

Le renouvellement de la flotte logistique par les nouveaux bâtiments ravitailleurs de forces (BRF) est également retardé, avec un abaissement à 3 de l'objectif 2030 et une atteinte de la cible de 4 BRF prévue pour 2035.

D. FORCES AÉRIENNES : LE « TOUT RAFALE » REPORTÉ À 2035

Pour l'Armée de l'Air et de l'Espace, la programmation est marquée par un décalage du programme Rafale, déjà fortement pénalisé par la cession de 24 Rafale à la Grèce et la Croatie prélevés sur son parc au titre du soutien à l'export.

Ainsi, la cible de Rafale Air pour 2030 est abaissée à 137, avec un report à 2035 de la cible initiale à 185. Le décalage concerne ainsi 38 appareils, soit environ 20 % du parc cible. La tension, déjà évoquée supra, sur la capacité avions de chasse devrait donc s'avérer durable.

Le programme Rafale

Le Rafale est un appareil totalement polyvalent, capable d'effectuer toutes les missions dévolues à un avion de chasse : dissuasion nucléaire, pénétration et attaque au sol par tous les temps, attaque à la mer, défense et supériorité aérienne, intervention à long rayon d'action avec ravitaillement en vol, reconnaissance tactique et stratégique. Il est aussi un appareil omnirôle : il peut, au cours du même vol, assurer différents types de missions, par exemple l'attaque au sol et la défense aérienne. Premier appareil conçu dès l'origine pour opérer aussi bien à partir d'une base terrestre que depuis un porte-avions, il est mis en oeuvre par l'armée de l'Air et de l'Espace et la Marine nationale.

Le périmètre du programme Rafale comprend la fourniture des avions, avec leurs équipements de mission et leur stock initial de rechanges. Il comprend également des moyens de maintenance et des centres de simulation. L'architecture industrielle du programme est confiée à Dassault Aviation. La cellule est conçue et produite par Dassault Aviation, les moteurs par Safran Aircraft Engine (ex-Snecma), le radar et la grande majorité des capteurs par Thales, les sociétés Safran Electronics & Defense (ex-Sagem) et MBDA sont également impliquées dans le programme Rafale.

La logique de conduite du programme Rafale s'appuie sur des développements continus permettant d'adapter les appareils par standards successifs à l'évolution du besoin. Les avions en service sont actuellement très majoritairement au standard F3-R.

Source : ministère des armées

Pour préserver une partie de la capacité, ce programme s'accompagne de la rénovation de 48 Mirage 2000 D à horizon 2030, mais le décalage a ainsi pour effet de reporter à l'après 2030 la réalisation du « tout-Rafale », déjà atteint dans le parc de la Marine.

Il est également prévu que la programmation poursuive les travaux liés au standard F4 du Rafale, qualifié de « première marche vers le SCAF ». Prévu dans le cadre de la LPM 2019-2025, ce développement doit en effet permettre de faire face à l'évolution des menaces dans des contextes d'engagement plus contestés en améliorant notamment les capacités de combat collaboratif connecté. Le rapport annexé au PLPM 2024-2030 prévoit également le lancement, au cours de la programmation, des travaux relatifs au développement du standard F5, qui comprendra notamment le développement d'un drone accompagnateur du Rafale8(*).

III. DES PRIORITÉS À SALUER, QUI TRADUISENT UN SOUCI DE « COHÉRENCE » ET LA VOLONTÉ DE TIRER LES ENSEIGNEMENTS DE LA GUERRE EN UKRAINE

A. UNE PROGRAMMATION STRUCTURÉE AUTOUR DE PRIORITÉS VISANT À NOTAMMENT À TIRER LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE EN UKRAINE

Le rapport annexé au PLPM 2024-2030 identifie un certain nombre de priorités, qui s'inspirent directement des principaux éléments du retour d'expérience (Retex) de la guerre en Ukraine, affrontement se déployant dans tous les champs de la conflictualité.

Concernant les champs dits « conventionnels », des enveloppes conséquentes sont ainsi spécifiquement fléchées sur les munitions (16 milliards d'euros), la défense sol-air (5 milliards d'euros) et les forces spéciales (2 milliards d'euros).

L'effort sur les munitions, qui revêt une importance cruciale en matière de préparation à la haute intensité, serait supérieur d'environ 7 milliards d'euros à celui prévu par la LPM 2019-2025. Il convient également de souligner, au vu de l'importance prise par les HIMARS américains sur le front ukrainien l'effort important mené sur la composante frappe longue portée terrestres, avec le remplacement des 9 systèmes de lance-roquettes unitaires (LRU) de production américaine actuellement en dotation pour l'armée de Terre par au moins 13 nouveaux systèmes à horizon 2030 (et 26 systèmes à horizon 2035). Compte tenu du caractère désormais hautement stratégique de cette capacité, il est indiqué qu'une solution souveraine sera recherchée avec la BITD française pour la production de ces systèmes.

Concernant les nouveaux champs de la conflictualité et le renforcement technologique, des enveloppes seraient fléchées sur le renseignement (5 milliards d'euros), l'espace (6 milliards d'euros), le cyber (4 milliards d'euros), la robotique et les drones (5 milliards d'euros) ainsi que, de manière générale, l'innovation (10 milliards d'euros). Le Retex de la guerre en Ukraine met en particulier en avant le caractère hautement stratégique des capacités en matière de drones, aujourd'hui insuffisantes pour les armées françaises. La structuration d'une filière nationale de production de munitions téléopérées (MTO) - dits « drones suicide » - constitue à cet égard un enjeu de souveraineté majeur.

Efforts prioritaires identifiés dans le rapport annexé au PLPM 2024-2030

Effort prioritaire

Besoins programmés 2024-2030

Description et exemples

Innovation

10 Md €

Études amont, développement de démonstrateurs dans les axes prioritaires (hypervélocité, intelligence artificielle, robotique furtivité, quantique...) et analyse pour affiner les besoins sur certaines thématiques (hydrogène et biocarburants, canon électromagnétique, avion spatial...)

Espace

6 Md €

Renouvellement des capacités de surveillance et d'écoute (programme Syracuse V) y compris dans l'espace exo-atmosphérique, renforcement des capacités de commandement, de contrôle, de communication et de calcul des opérations spatiales (C4OS)

Drones et robots

5 Md €

Développement de capacités dronisées, en particulier pour les drones de contact et munitions téléopérées (MTO), objectif de structuration d'une filière française de MTO, renouvellement des capacités de guerre des mines et de robots sous-marins

Défense surface-air (DSA)

6 Md €

Élément important du retour d'expérience de la guerre en Ukraine. Modernisation des systèmes de missiles anti-aériens et anti-missiles, renouvellement des systèmes d'armes assurant la défense de la basse couche (remplacement des Crotale par les VL MICA) et investissement dans la lutte anti-drone.

Souveraineté outre-mer

13 Md €

Renforcement des capacités de commandement et effort généralisé sur le plan capacitaire (surveillance, protection, intervention, infrastructures), poursuite du programme Patrouilleurs outre-mer (POM) et lancement d'un programme de navires de projection de force.

Renseignement

5 Md €

Transformation des services par des projets en matière d'infrastructures, de fonctionnement interne et de traitement de données. Renforcement de capacités humaines de recherche technique, de traitement de sources, d'exploitation du renseignement ou d'action. Achèvement du déménagement de la DGSE au Fort-Neuf de Vincennes.

Cyber

4 Md €

Augmentation des effectifs de cyberdéfense et diversification des modes d'action. Effort accru de lutte informatique d'influence (L2I).

Forces spéciales

2 Md €

Renforcement des forces spéciales des trois armées et du service de santé des armées (SSA). Modernisation de leurs équipements et livraisons de nouvelles capacités (avions de transport, hélicoptères NH90, drones...)

Munitions

16 Md €

Objectif de consolidation des stocks de munitions. Modernisation des capacités de munitions complexes (missiles longues portées anti-navire et de croisière, intercepteurs surface-air et air-air, torpilles lourdes, trame antichar). Acquisition de nouvelles capacités avec recherche de solution souveraine, notamment en matière de frappes longues portées terrestres (objectif de remplacement du lance-roquette unitaire - LRU). Effort appuyé sur la démarche « économie de guerre ».

Source : commission des finances du Sénat, d'après le PLPM 2024-2030

B. UN RENFORCEMENT DES MOYENS AFFECTÉS À LA PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE

Le PLPM prévoit également un renforcement des moyens affectés à la préparation opérationnelle dans les trois forces :

pour l'armée de Terre, ces moyens seraient portés de 13 à 18 milliards d'euros, soit une progression de 5 milliards d'euros courants. Compte tenu de l'impact de l'inflation, cette hausse est néanmoins évaluée par les responsables de l'armée de Terre auditionnés à seulement 1,5 milliard d'euros en termes réels ;

- pour la Marine nationale, ces moyens seraient portés de 17 à 24 milliards d'euros, soit une progression de 7 milliards d'euros courants ;

- pour l'armée de l'Air et de l'Espace, ces moyens seraient portés de 19 à 27 milliards d'euros, soit une progression de 9 milliards d'euros courants.

Comparaison des enveloppes de crédits de paiement affectées à la préparation opérationnelle des différentes forces entre la LPM 2019-2025
et le PLPM 2024-2030

(en milliards d'euros courants)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le PLPM 2024-2030

C. DANS UN SOUCI DE COHÉRENCE DE L'OUTIL DE DÉFENSE, UN RENFORCEMENT NOTABLE DES INFRASTRUCTURES ET DES SOUTIENS

1. Un effort généralisé en faveur des infrastructures, des services de soutien et du numérique

Dans un souci de renforcement de la « cohérence » du modèle d'armées, prérequis de la préparation à la haute intensité à laquelle participe le renforcement des moyens dédiés au maintien en condition opérationnelle (+ 14 milliards d'euros) et aux munitions (+ 7 milliards d'euros), le PLPM 2024-2030 prévoit également un renforcement des moyens consacrés aux services de soutien (18 milliards d'euros) aux infrastructures (16 milliards d'euros) ainsi qu'à la modernisation numérique du ministère, connaissant tous les trois une progression de 4 milliards d'euros par rapport à la LPM 2019-2025.

Besoins programmés en crédits de paiements en matière de services de soutien, d'infrastructures et de modernisation numérique du ministère des armées

(en milliards d'euros)

Source : PLPM 2024-2030

L'effort en infrastructures passerait notamment par la conduite du « Plan Famille II » (750 millions d'euros). Selon le rapport annexé, celui-ci visera prioritairement, à la suite du premier « Plan Famille » lancé dans le cadre de la LPM 2019-2025, à améliorer les conditions de vie des militaires et de leurs familles au travers de « l'accompagnement de la mutation du militaire et de sa famille, l'atténuation des impacts des engagements opérationnels, l'amélioration du quotidien des familles dans les territoires de la République, l'aide à l'emploi, l'aide au logement, l'aide à la scolarisation et la création de services de crèche ».

Un effort important serait également mené au profit des services de soutien, avec un budget annuel hors T2 passant de 2,4 à 3,1 milliards d'euros.

Besoin programmé en crédits de paiement (hors T2) au titre des services de soutien pour la période 2024-2030

(en millions d'euros courants)

 

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Total 2024-2030

Bases de défense

994

948

970

950

946

969

1 036

6 813

Service du commissariat des armées

885

994

1 065

1 111

1 172

1 215

1 369

7 811

Service interarmées des munitions

21

18

18

18

18

18

19

130

Service de santé des armées

373

403

397

408

437

442

491

2 951

Autres soutiens(1)

153

169

161

149

140

138

155

1 065

Total

2 426

2 532

2 612

2 637

2 712

2 783

3 070

18 772

(1) Hors service des énergies opérationnelles, financé par un compte de commerce dédié.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

2. Focus : le service de santé des armées

Le rapporteur pour avis accorde une vigilance particulière aux moyens du service de santé des armées (SSA), le Retex de la guerre en Ukraine ayant mis en avant l'importance stratégique décisive du soutien médical.

La préparation du SSA à un engagement majeur a été amorcée, et notamment sa capacité à coopérer avec les services de santé publique en cas de crise, comme ce fut le cas dans le cadre de l'exercice ORION 2023. L'amendement COM-102 vise ainsi à rappeler solennellement dans le rapport annexé l'objectif de préparation du SSA à un conflit de haute intensité.

Le renforcement du SSA passe notamment par celui de ses effectifs. La LPM 2019-2025 avait constitué à cet égard une rupture avec les précédentes programmations, caractérisées par une déflation des effectifs du SSA (baisse en ETP de - 8,5 % sur la période 2015-2019). L'objectif de « reflation », que le présent PLPM entend poursuivre, se heurte cependant aux fortes tensions constatées sur le marché du travail, particulièrement prononcées en matière de compétences médicales et paramédicales. L'amendement COM-103 vise à poser dans le rapport annexé cet objectif de croissance des effectifs et préciser que, pour améliorer l'attractivité de ses métiers et la fidélisation des personnels, cet effort de recrutement doit s'appuyer sur une politique salariale volontariste. À cet égard, la nécessaire poursuite de la mobilisation des leviers habituels de fidélisation (telle que la prime de lien au service) ne dispense pas d'un effort pour revaloriser les rémunérations et repenser les parcours. Par ailleurs, la stratégie de recrutement et de fidélisation du SSA gagnerait à mieux valoriser l'identité militaire du service, qui le distingue de la médecine civile et permettrait de redonner du sens à l'engagement en son sein.

D'après les données transmises par le ministère, les effectifs du SSA devraient être augmentés de 418 ETP sur la période (à rapporter aux 14 864 ETP estimés pour 2023). Une enveloppe de 188 millions d'euros de mesures salariales serait en outre prévue au titre de la programmation pour améliorer l'attractivité et la fidélisation des métiers du SSA.

Enfin, le rapporteur pour avis rappelle que l'hôpital d'instruction des armées (HIA) Laveran, situé à Marseille, est aujourd'hui confronté au vieillissement avancé de ses infrastructures. Deux pistes sont aujourd'hui à l'étude au sein du ministère des armées : la remise à niveau du site d'une part, la construction d'un hôpital neuf d'autre part. Cette seconde option permettrait d'envoyer un signal fort en faveur du service de santé des armées (SSA), que la présente programmation entend renforcer. Ce service est en effet appelé à jouer un rôle accru dans une perspective de préparation des forces à la haute intensité. L'amendement COM-104 propose ainsi de poser cet objectif dans le rapport annexé.

Évolution des effectifs du service de santé des armées depuis 2015 et cible d'augmentation prévue par la programmation 2024-2030

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par le ministère des armées

D. UN EFFORT DE 13 MILLIARDS D'EUROS EN FAVEUR DES FORCES DE SOUVERAINETÉ OUTRE-MER

Un effort en faveur des forces de souveraineté outre-mer (13 milliards d'euros) est également à saluer.

Il répond à la recommandation n° 1 émise par le rapporteur pour avis en sa qualité de rapporteur spécial de la mission « Défense » à l'occasion de son contrôle budgétaire consacré à ce thème présenté en octobre 2022 : « prévoir, dans la nouvelle programmation militaire (...) une augmentation significative des moyens des forces de souveraineté, afin de répondre à l'évolution de leur environnement stratégique notamment dans l'indopacifique, au renforcement des menaces et aux différents défis capacitaires qu'elles rencontrent aujourd'hui. »9(*).

Les forces de souveraineté

Les forces de souveraineté constituent des forces prépositionnées, interarmées et à dominante marine. Elles se répartissent en cinq forces armées régionales, qui ont chacune la responsabilité d'une importante zone géographique, dénommée zone de responsabilité permanente (ZRP). Elles y assurent, en appui des moyens de l'État et de l'action interministérielle, la protection du territoire national, le maintien de notre souveraineté et la préservation des ressources présentes dans les zones sous juridiction française.

Chacune des forces de souveraineté évolue dans un contexte géostratégique particulièrement sensible. Elles jouent notamment un rôle clé dans la zone Pacifique Sud, et en particulier dans la zone indopacifique, qui est le nouveau centre névralgique des tensions mondiales.

À l'issue d'un processus de consolidation au cours des années 1980 et 1990, les forces de souveraineté ont connu d'importantes réorganisations depuis 2008. La principale a été liée à la révision générale des politiques publiques, dont les objectifs ont été repris dans le livre blanc de 2008, qui prônait « une rationalisation des moyens militaires stationnés en dehors de la métropole, afin de grouper nos capacités d'intervention à partir du territoire national ou sur ces axes. [...] Les forces de souveraineté stationnées dans les départements et collectivités d'outre-mer devront être définies au niveau strictement nécessaire aux missions des armées proprement dites ». Cette volonté de réduction des forces de souveraineté à leur niveau « strictement nécessaire » a amené à une réduction de 20 % de leurs effectifs et profondément changé leur organisation.

Le rapport annexé à la LPM 2019-2025 prend acte de l'importance stratégique des forces de souveraineté et de leurs fragilités, en mentionnant la nécessité de pouvoir, au titre de l'Ambition 2030, « conduire [des] opérations dans le cadre d'une approche globale élargie, permise notamment par un dispositif de forces prépositionnées et de forces de souveraineté, toutes deux dotées des effectifs suffisants et des équipements adéquats ». Depuis 2016, l'évolution des crédits des forces de souveraineté a été marquée par leur stabilité, et s'élevaient à 946 millions d'euros en 2020, crédits des personnels civils inclus.

En matière d'effectifs, la LPM 2019-2025 a prévu un rythme d'augmentation des effectifs de plus de 2,5 %, supérieur à celui prévu pour l'ensemble des effectifs par la LPM d'ici à 2025 (+ 2,25 %). Cet effort, s'il met fin à la déflation de la décennie passée, ne permet pas de renouer avec les niveaux antérieurs à 2008. Aussi, alors qu'elles doivent faire face à une menace croissante contre nos intérêts stratégiques et à une pression accrue sur les ressources naturelles de nos territoires et de notre zone économique exclusive (ZEE), les forces de souveraineté peuvent répondre aujourd'hui strictement à leurs missions du quotidien. En cas de crise, elles devront être rapidement renforcées depuis la métropole ou par une bascule de moyens entre forces prépositionnées, selon une logique d'appui mutuel.

Source : La présence militaire dans les outre-mer : un enjeu de souveraineté et de protection des populations, Rapport d'information n° 12 (2022-2023) de M. Dominique de LEGGE, fait au nom de la commission des finances, déposé le 5 octobre 2022

Le rapport annexé au PLPM 2024-2030 prévoit ainsi que les forces de souveraineté disposeront « de capacités de surveillance-anticipation développées », ainsi que « de capacités de commandement durcies et densifiées », et bénéficieront « d'un effort généralisé sur le plan capacitaire (protection, intervention et appuis, infrastructure) ». Il est également prévu que « les capacités d'intervention terrestres [soient] durcies, plus réactives, renforcées lorsque ce sera nécessaire par des hélicoptères et dotées de moyens de vision nocturne ».

Faute de référentiel harmonisé en la matière, les responsables du ministère auditionnés par le rapporteur pour avis n'ont pas été en mesure de comparer le montant de 13 milliards d'euros prévu avec le besoin programmé sur le même périmètre sous la LPM 2019-2025. Il lui a cependant été précisé que cet effort devait notamment inclure un effort d'environ 800 millions d'euros en faveur des infrastructures et permettre une augmentation des effectifs d'environ 10 % (soit environ + 860 ETP).

Le rapporteur pour avis se montrera ainsi particulièrement vigilant, en sa qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission « Défense », à la traduction concrète de ces engagements dans les prochains projets de loi de finances.

Parmi les autres enjeux soulevés par le rapport précité, figure celui de la nécessaire coordination entre les activités de coopération régionale menées par les forces de souveraineté et les politiques d'aide au développement conduites par l'Agence française du développement (AFD) au sein de leur zone de responsabilité permanente (ZRP). Ces actions de coopérations régionales conduites par les forces de souveraineté leur permettent de renforcer leur connaissance de leur ZRP, l'influence de la France, et le soutien à la stabilité des pays en son sein. À titre d'exemple, les Forces armées dans la zone sud de l'Océan indien (FAZSOI) conduisent un certain nombre d'actions en coopération avec Madagascar et Maurice en matière de sécurité maritime. La structuration d'une réelle coordination entre les forces de souveraineté et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères ainsi que l'AFD serait non seulement de nature à renforcer l'efficacité de leurs actions respectives en la matière mais permettrait également une meilleure « acceptation » de la présence militaire française dans la zone. C'est pourquoi l'amendement COM-100 vise à transcrire la recommandation n° 7 du rapport de contrôle précité dans le rapport annexé au PLPM 2024-2030.

IV. LA POURSUITE DE L'EFFORT DE RENFORCEMENT DES EFFECTIFS, DANS UN CONTEXTE MARQUÉ PAR DE FORTES TENSIONS DE RECRUTEMENT

A. UN REPORT À 2030 DE L'OBJECTIF DE 275 000 ETP POUR LE MINISTÈRE DES ARMÉES

Au 1er janvier 2023, les effectifs du ministère s'élèvent à 267 914 ETP, dont 205 262 militaires.

La programmation serait également adossée à un objectif, posé par son article 6, d'augmentation nette d'effectifs sur la période (+ 6 300 ETP), devant permettre d'atteindre une cible à 275 000 ETP pour le ministère à l'horizon 2030, soit avec un retard de cinq ans par rapport à l'objectif, identique, déjà fixé pour le terme de la programmation 2019-2025.

La trajectoire prévue par le présent PLPM 2024-2030 conduit à réviser à la baisse les cibles d'augmentations nettes d'effectifs prévues par la LPM 2019-2025 pour les années 2024 et 2025.

Comparaison des augmentations nettes d'effectifs annuelles
prévus par la LPM 2019-2025 et par le PLPM 2024-2030

(en ETP)

En grisé : diminution de la marche initialement prévue par la LPM 2019-2025 au titre des années 2024 et 2025.

Source : commission des finances du Sénat, d'après la LPM 2019-2025 et le PLPM 2024-2030

Sur l'ensemble de la programmation, les dépenses de personnel (T2) représenteraient 24 % des besoins programmés. Celles-ci passeraient de 13,6 milliards d'euros en 2024 à 14,5 milliards d'euros en 2030 (+ 7 %).

Décomposition du besoin programmé sur la période 2024-2030

(en milliards d'euros courants)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

B. UNE TRAJECTOIRE DE RECRUTEMENT QUI S'INSCRIT DANS UN CONTEXTE DE FORTES TENSIONS SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL

Interrogé sur ce point, le ministère des armées a précisé que cette trajectoire était « plus réaliste » du fait de ses « difficultés conjoncturelles pour atteindre ses cibles d'effectif compte tenu de la concurrence exacerbée sur le marché de l'emploi ».

À la demande du rapporteur pour avis, le ministère des armées a ainsi précisé les principaux instruments de stratégie pour dynamiser le recrutement et fidéliser les effectifs dans ce contexte (voir encadré), avec notamment une enveloppe de 2 milliards d'euros prévue au titre de mesures salariales nouvelles.

Le rapport annexé annonce notamment une revalorisation des grilles salariales, devant permettre de renforcer l'incitation à la progression pour les militaires du rang dès les premières années de leur engagement. Une meilleure reconnaissance des grades de sous-officiers supérieurs ainsi qu'un développement de la valorisation des parcours des officiers en fonction de leur potentiel et de leurs performances sont prévus, sans davantage de précision sur leur traduction précise et leur impact budgétaire à ce stade.

Les principaux instruments de la stratégie recrutement et de fidélisation du ministère des armées

Les mesures mises en place pour tenir les objectifs de recrutement inscrits dans le projet de LPM sont les suivantes :

- une montée en puissance de l'apprentissage via le nouveau dispositif prévu dans la programmation 2024-2030 qui inclut notamment une hausse de l'apprentissage, avec une cible apprentis civils (contribution à la formation avec l'objectif de recruter sous statut civil ou militaire à l'issue, au profit du ministère) de 2 783 en 2023/2024 et 3 681 en 2025/2026, et une cible apprentis militaires (formation technique au sein des armées) de 1 300 en 2030 ;

- une allocation financière spécifique de formation (AFSF) pour le recrutement de personnel militaire : enveloppe de 2 M€ en 2023 pour une cible à 400 bourses de formation. Une montée en puissance du dispositif est prévue dans la future programmation ainsi qu'une ouverture du dispositif au recrutement du personnel civil ;

- la prime de lien au service (PLS) avec un effet attractivité : ce dispositif est conservé dans la future LPM. En 2022, 1 425 primes ont été attribuées au titre de l'attractivité. Elles ont vocation à être attribuées dans les familles professionnelles en forte concurrence avec le civil : santé, systèmes d'information et de communication, exploitation nucléaire de défense, etc. ;

- la mise en place de parcours professionnels attractifs avec notamment la valorisation des qualifications (équivalence de diplômes) ;

- une politique salariale ambitieuse et ciblée sur les métiers en forte tension et les profils d'expérience. Elle représente 2 milliards d'euros de mesures nouvelles sur la durée de la LPM.

- le développement du Plan Famille II.

Source : ministère des armées, réponse au questionnaire

Le dernier alinéa de l'article 6 est révélateur de cette conjoncture particulière. Celui-ci prévoit en effet que « le ministère adaptera la réalisation des cibles d'effectifs fixées au présent article et sa politique salariale en fonction de la situation du marché du travail ».

Dans son avis sur le projet de loi, le Conseil d'État10(*) a cependant jugé « obscur » le sens de cette disposition qui anticiperait une non-réalisation des cibles. Les responsables du ministère des armées interrogés sur ce point par le rapporteur pour avis ont relevé que cette disposition, certes sans portée normative, devait permettre au ministère des armées, dans le cadre des travaux de construction budgétaire annuels, de conserver les crédits de T2 prévus même en cas de non atteinte des cibles pour pouvoir les employer au titre du renforcement de sa politique salariale.

C. UNE TRAJECTOIRE DE RECRUTEMENT QUI REFLÈTE LES PRINCIPALES PRIORITÉS DE LA PROGRAMMATION

La trajectoire de recrutement prévue reflète les principales priorités de la programmation rappelées supra.

In fine, le renseignement, le cyber et les nouveaux champs de la conflictualité captent environ le tiers des augmentations nettes de postes. Les services de soutien en capteraient quant à eux 16 %.

Compte tenu de la forte concurrence du secteur privé sur les compétences cyber, l'atteinte des cibles constituera forcément un point de vigilance important.

Répartition du schéma d'emploi de la programmation 2024-2030 (+ 6300 ETP) entre les principaux domaines d'emploi

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire

D. UN OBJECTIF DE DOUBLEMENT DE LA RÉSERVE OPÉRATIONNELLE

Un doublement de la réserve (+ 40 000) est également visé, pour parvenir à un objectif de 290 000 militaires (210 000 professionnels et 80 000 réservistes).

À cet égard, l'article 14 du PLPM 2024-2030 prévoit diverses mesures destinées à promouvoir l'engagement au sein de la réserve, notamment en relevant à 70 ans l'âge maximal des réservistes opérationnels, en adaptant les critères de capacité physique requis et en assouplissant leurs conditions d'emploi.

L'impact budgétaire sur le budget des armées d'un doublement de la réserve opérationnelle sur la période de programmation est évalué à 1,2 milliard d'euros (dont 466 millions d'euros de crédits de T2).

TROISIÈME PARTIE :
UN DÉBAT SUR LE PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE QUI DOIT ÊTRE L'OCCASION DE RÉTABLIR LA « VÉRITÉ DES PRIX » SUR L'AUTONOMIE STRATÉGIQUE FRANÇAISE

I. L'IMPORTANCE D'UN DÉBAT PARLEMENTAIRE APPROFONDI SUR LA PROGRAMMATION MILITAIRE

A. UN ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE HAUTEMENT CONTESTABLE

Si les dispositions programmatiques du PLPM 2024-2030 n'ont pas par elles-mêmes de valeur normative, elles n'en constituent pas moins une référence solennelle et un repère dans la perspective du vote annuel des crédits alloués à la mission « Défense ».

Aussi, depuis 1960 et le vote de la première loi de programme11(*), l'examen des projets de LPM constitue un rendez-vous démocratique important au cours duquel le Parlement se prononce sur les orientations de la politique de défense. La LPM 2024-2030 constituerait à cet égard la 14ème loi de programmation militaire.

Compte tenu de l'importance des enjeux, qui engagent le budget de l'État à hauteur de plus de 400 milliards d'euros sur sept années, le choix du Gouvernement d'engager la procédure accélérée prévue par l'article 45 de la Constitution sur ce texte, qui lui permet de convoquer une commission mixte paritaire après une seule lecture dans chaque chambre, est hautement contestable.

Dans la mesure où, en tout état de cause, la programmation proposée laisse inchangée l'effort budgétaire prévu par la LPM 2019-2025 pour les années 2024 et 2025, aucune urgence ne saurait justifier l'adoption d'une nouvelle loi de programmation.

B. LA NÉCESSITÉ D'ASSOCIER PLEINEMENT LE PARLEMENT À L'ACTUALISATION DE LA PROGRAMMATION

1. L'absence d'association du Parlement à l'actualisation de la LPM 2019-2025

La LPM 2019-2025 devait faire l'objet d'une actualisation en 2021. Son article 7 prévoyait ainsi que « la présente programmation fera l'objet d'actualisations, dont l'une sera mise en oeuvre avant la fin de l'année 2021. Cette dernière aura notamment pour objet de consolider la trajectoire financière et l'évolution des effectifs jusqu'en 2025 ».

Au début de l'année 2021, la ministre des armées Florence Parly avait indiqué à plusieurs reprises souhaiter associer le Parlement à cette révision, sans en préciser les modalités. Début 2021, un travail de mise à jour de l'analyse de l'environnement stratégique et international avait ainsi été conduit12(*). Le Premier ministre Jean Castex a pourtant finalement décidé de prononcer une déclaration devant chacune des chambres du Parlement les 22 et 23 juin 2021 au titre de l'article 50-1 de la Constitution, utilisé pour l'informer des actualisations prévues.

Cette procédure ne saurait cependant masquer la volonté de contournement dont a fait l'objet le Parlement, alors que la Constitution ne confie qu'à lui seul le pouvoir de modifier une loi, conformément à l'article 24 de la Constitution. Le recours au dispositif prévu par l'article 50-1 de la Constitution ne constitue aucunement un moyen de modification de la loi et ne constitue pas une modalité d'« association » suffisante du Parlement. La précédente programmation militaire (2015-2019) avait d'ailleurs logiquement fait l'objet d'une actualisation par voie législative (loi du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense).

Afin de justifier cette absence de saisine adaptée du Parlement, le Gouvernement avait indiqué dans ses réponses au questionnaire budgétaire que « du fait de la crise sanitaire de 2020, le PIB s'est affaissé portant artificiellement l'effort national de défense à 2 % du PIB sans pour autant que les objectifs de modernisation et de préparation de l'avenir donnés aux armées aient été atteints. Alors que l'année d'actualisation prévue par la LPM devait permettre de fixer plus sûrement la trajectoire financière jusqu'en 2025, l'année 2021 portait conjoncturellement davantage d'incertitudes ne permettant pas de remplir sereinement l'objectif recherché à travers une actualisation. » Le rapporteur pour avis considère, tout au contraire, que c'était précisément le caractère alors très incertain du contexte sanitaire, économique et géostratégique qui rendait plus que jamais inexcusable le non recours à l'actualisation par la voie législative.

2. La question de l'actualisation de la programmation 2024-2030

Dans sa version initiale du texte, l'article 7 prévoyait que « la (...) programmation fera l'objet d'une actualisation avant la fin de l'année 2027. Cette actualisation permettra de vérifier la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la présente loi, les réalisations et les moyens consacrés. Elle permettra également une mise à jour des besoins au regard du contexte sécuritaire du moment et des avancées technologiques constatées ».

L'amendement adopté à l'initiative du rapporteur, le député Jean-Michel Jacques, lors de l'examen du texte par la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale, qui prévoit que l'actualisation devra « prendre la forme d'un vote au Parlement » ne suffit pas à lever l'ambiguïté puisque la procédure prévue par l'article 50-1 de la Constitution permet bien de faire suivre d'un vote la déclaration faite devant l'une ou l'autre des assemblées.

C. AU-DELÀ DU DÉBAT BUDGÉTAIRE, L'EXAMEN DU PLPM INVITE LE PARLEMENT À SE POSER LA QUESTION DE CE QUE VEUT ET PEUT LA FRANCE DANS SON ENVIRONNEMENT STRATÉGIQUE

Le débat sur la programmation militaire ne peut s'affranchir d'un certain nombre de questions d'ordre géostratégiques tenant à nos alliances, au rôle que nous donnons à l'outil militaire dans la conduite des affaires internationales, au format de nos armées, ainsi qu'à la cohérence de l'ensemble de ces choix.

Il convient de noter que ces choix sont en partie dictés par la réduction considérable de la « masse » dans les armées françaises sur les trente dernières années. Ainsi, entre 1991 et 2021, le nombre de chars de combat est passé de 1 349 à 221, le nombre d'avions de chasse de 686 à 254 et le nombre de grands bâtiments de surface de la Marine de 41 à 19.

Évolution de la « masse » dans les armées françaises
et projection du PLPM 2024-2030

Source : commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

Si le rapporteur pour avis de la commission des finances ne saurait toutefois se prononcer plus avant sur ces enjeux, il peut contribuer à situer ce débat dans son contexte budgétaire et économique et éclairer ainsi certaines des contraintes qui pèsent sur la « remontée en puissance » (voir infra).

II. L'EFFORT FINANCIER EN FAVEUR DE LA DÉFENSE N'EST QU'UN ASPECT PARMI D'AUTRES DE L'INDÉPENDANCE NATIONALE

Le débat sur le niveau de l'effort financier en faveur de la défense est trop souvent réduit à son rapport au produit intérieur brut (PIB), avec l'objectif affiché de 2 % du PIB.

L'article 2 du PLPM 2024-2030 pose ainsi l'objectif « de porter l'effort national de défense, charges de pensions incluses, à hauteur de 2 % du produit intérieur brut entre 2025 et 2027 ».

Cet indicateur a le mérite de faciliter les comparaisons internationales. En 2021, le budget de défense de la France représentait 1,9 % de son produit intérieur brut (PIB), ce qui le classe devant celui de l'Allemagne mais derrière celui du Royaume-Uni et à plus forte raison des principales puissances militaires mondiales (États-Unis, Chine, Russie).

Les principaux budgets de défense dans le monde

(en pourcentage du PIB, prix et taux de change constants 2020)

L'analyse de cet indicateur sur le temps long rend également compte de la diminution de l'effort national en faveur de la défense, dont le budget représentait 7,6 % du PIB de la France en 1953.

Évolution des dépenses de défense (charges de pensions comprises) rapportées au PIB de la France

(en pourcentage du PIB)

Source : commission des finances du Sénat d'après SPIRI Military expenditure database

Néanmoins, l'atteinte imprévue du seuil des 2 % en 2020, année où le PIB s'est fortement contracté du fait de la crise sanitaire, atteste des limites évidentes de cet indicateur.

En tout état de cause, la détermination du bon niveau du budget de la défense ne peut s'apprécier qu'à l'aune de la menace à laquelle un pays donné fait face et de la doctrine d'emploi de l'outil militaire. L'investissement financier consenti en faveur de l'armée française, armée d'emploi régulièrement engagée sur plusieurs théâtres d'opérations, ne saurait revêtir la même signification que celui qui peut être mené dans d'autres pays relevant de cultures stratégiques distinctes.

Le rapporteur pour avis considère, quel que soit le budget de la défense en pourcentage du PIB, qu'il est permis de s'interroger sur l'indépendance réelle d'un pays dont la situation économique et financière est aussi dégradée que celle de la France. Quelques chiffres permettent de le rappeler :

- la France se caractérise en effet par une position extérieure nette13(*) négative de 801,9 milliards d'euros en 2021, soit 30,2 % de son PIB14(*) ;

- en 2022, son déficit commercial sur le marché des biens s'établit à 163,3 milliards d'euros, dont 115,3 milliards d'euros imputables aux produits énergétiques15(*).

- à la fin 2022, l'encours de la dette négociable de l'État s'élevait à 2 278 milliards d'euros, soit 86,2 % du PIB16(*) et, selon l'Agence France Trésor, 50,1 % des titres étaient détenus par des non-résidents. De façon significative, la charge qu'elle représente pour le budget de l'État est en outre supérieure au budget des armées (voir infra).

III. L'ÉTAT DÉGRADÉ DE NOS FINANCES PUBLIQUES AFFECTE LA CRÉDIBILITÉ DE LA PROGRAMMATION MILITAIRE

A. UNE MULTIPLICATION DES LOIS DE PROGRAMMATION DIFFICILEMENT CONCILIABLE AVEC L'OBJECTIF DE SOUTENABILITÉ DE NOS FINANCES PUBLIQUES

Comme rappelé à l'instant, la France se caractérise en 2022 par une dette des administrations publiques représentant 111,6 % du PIB17(*) et un déficit public représentant 4,7 %.

Le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 26 septembre 2022 prévoyait à son article 2 une trajectoire de diminution du déficit public pour atteindre 2,8 % du PIB à l'horizon 2027, et repasser ainsi sous les 3 % du PIB. Le programme de stabilité 2023-2027 prévoit même d'abaisser la cible 2027 à 2,7 % du PIB.

Or, le PLPM 2024-2030 s'inscrit dans un contexte de multiplication de lois et projets de loi de programmation sectoriels (loi de programmation de la recherche, loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, projet de loi de programmation pour la justice). La part des dépenses couvertes par ces programmations dans le budget de l'État passerait ainsi de 20,7 % à 23,2 % des dépenses de l'État entre 2023 et 2027 (soit 18,6 milliards d'euros de plus).

Évolution de la part des dépenses couvertes par une programmation
entre 2023 et 2027

(en milliards d'euros courants et en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le HCFP

Comme l'a relevé le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), il en résulte que respecter la trajectoire de finances publiques globale prévue par le PLPFP impliquant un retour sous les 3 % de déficit public en fin de programmation, impose une concentration et une intensification des économies à réaliser sur un volant de dépenses plus réduit.

Ainsi, alors que les dépenses couvertes par une programmation croîtraient de 2 % en volume sur la fin de la période 2023-2027, les dépenses non couvertes devraient connaître une baisse de 0,8 %, soit une trajectoire encore plus contrainte que celle constatée en moyenne entre 2012 et 2019 (- 0,4 %), ce qui ne paraît guère réaliste. Dès lors, le respect cumulé des trajectoires haussières prévues par les différentes lois de programmation sectorielles et de la trajectoire de réduction du déficit prévue par le PLPFP est une gageure.

Croissance des dépenses de l'État en volume entre 2013 et 2027 en volume

(en milliards d'euros constants 2022)

Lecture : une augmentation des dépenses sous lois de programmation (PLPJ, PLPM, LOPMI, LPR) de 2,0 % en volume est prévue entre 2026 et 2027. Par conséquent, les dépenses hors lois de programmation devraient diminuer de 0,8 % en volume en 2027, pour atteindre l'objectif de dépenses fixé en PLPFP.

Source : Haut Conseil des finances publiques, Avis n° HCFP-2023-3 relatif au projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice pour 2023-202

B. PROGRESSION DU BUDGET DES ARMÉES ET DIMINUTION DU BUDGET DE L'ÉTAT EN VOLUME : UNE RUPTURE DE TENDANCE HISTORIQUE

S'agissant spécifiquement du budget des armées, les crédits prévus par la programmation connaîtraient une croissance annuelle moyenne en volume de + 4,2 %, très sensiblement supérieure à celle des dépenses de l'État dans leur ensemble (- 0,5 %).

Comparaison entre les taux croissance annuelle moyen en volume programmés du budget des armées (PLPM 2024-2030) et du budget de l'État (PLPFP 2023-2027)

(en milliards d'euros constants 2023 et en pourcentage)

Le déflateur utilisé est l'indice des prix à la consommation hors tabac.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et le PLPFP 2023-2027

Il convient de noter qu'il s'agit là d'une inversion de tendance par rapport à la période précédente. Dans ses travaux sur l'évolution du budget de défense français, l'universitaire Martial Foucault avait en effet notamment mis en évidence une opposition de type « Welfare vs. Warfare », étayée par l'observation, sur la période 1995-2010, d'une croissance en euros constants des dépenses en volume de 3 % (dont 3,35 % pour les dépenses sociales) contre 2,31 % pour les budgets de défense18(*).

Comparaison entre l'évolution des dépenses militaires et des dépenses sociales
et d'éducation sur la période 1995-2010

(en milliards d'euros constants 2005)

Source : Martial Foucault, « Les budgets de défense de la France, entre déni et déclin », IFRI, Focus stratégique n° 36, Avril 2012

C. UN BUDGET DES ARMÉES QUI RESTE INFÉRIEUR À LA CHARGE DE LA DETTE DE L'ÉTAT

Compte tenu du niveau très élevé de la dette publique, dans un contexte de remontée des taux d'intérêts, le budget des armées prévu par la programmation resterait inférieur à l'évolution prévisionnelle de la charge de la dette dans le budget de l'État (cf. graphiques ci-dessous).

La comparaison de ces deux postes de dépenses de l'État montre que ceux-ci dépasseraient la barre des 10 % à l'horizon 2025 (10,1 % pour le budget des armées, contre 11,6 % pour la charge de la dette). À horizon 2027, le budget des armées atteindrait les 11 % du budget de l'État.

Comparaison entre l'évolution exécutée et prévisionnelle des crédits
de la mission « Défense » et de la charge de la dette de l'État (2019-2025)

(en milliards d'euros courants)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et le PLPFP 2023-2027

Comparaison entre l'évolution de la part du budget des armées
et de la charge de la dette dans le budget de l'État (2023-2025)

(en milliards d'euros courants)

Source : commission des finances du Sénat, d'après le PLPM 2024-2030 et le PLPFP 2023-2027

Si l'on a donc pu se féliciter du strict respect à ce jour, au plan budgétaire, de la LPM 2019-2025, force est de constater que le contexte de finances publiques actuel, marqué par une multiplication des lois de programmation sectorielles et une hausse de la charge de la dette, affecte nécessairement la crédibilité de la trajectoire prévue par le présent PLPM 2024-2030.

Vis-à-vis de nos alliés comme de nos compétiteurs, la crédibilité de notre politique de défense, et partant de notre autonomie stratégique, passe donc nécessairement par un redressement de nos comptes publics et la diminution de notre endettement, qui imposent d'assumer politiquement des choix budgétaires forts.

IV. LA QUESTION DE L'ÉCONOMIE DE GUERRE : PRODUIRE MOINS, MOINS VITE ET PLUS CHER ?

L'inscription du débat sur la programmation militaire dans son contexte économique et social impose enfin de poser la question de l'« économie de guerre ».

Suite au discours du Président de la République du 13 juin 2023 annonçant l' « économie de guerre », des travaux en ce sens ont été engagés à l'automne 2022 autour de 4 engagements : la simplification de l'expression du besoin militaire aux industriels par le ministère, la simplification des procédures administratives, la mise en place d'un agenda de relocalisation de certaines capacités et un changement d'approche sur la gestion des stocks de matière première pour pouvoir répondre plus rapidement aux besoins exprimés. Le ministre des armées a résumé les objectifs en une formule : « produire plus, plus vite et moins cher ».

À cet égard, le rapporteur pour avis considère notamment que l'adaptation et la simplification des normes applicables aux activités militaires représentent un enjeu important de la préparation de la nation à la perspective d'un engagement majeur, qui constitue l'un des objectifs essentiels de ce projet de loi de programmation militaire. Pour cette raison, l'amendement COM-99 vise à poser cet objectif dans le rapport annexé. À titre d'exemple, le cadre normatif applicable au stockage et à la gestion des munitions, qui se borne souvent à l'application du droit commun sans prise en compte des spécificités militaires, constitue une contrainte forte sur ce segment capacitaire. L'effort de simplification normative est ainsi une condition de l'efficacité de l'investissement important en faveur de l'outil militaire proposé par le présent projet de loi. En tout état de cause, ces adaptations et simplifications ne doivent en aucun cas porter préjudice à la sécurité des civils et des personnels militaires.

Les dispositions relatives à l' « économie de guerre » dans le projet de loi sont prévues aux articles 23 à 25. Dans le détail :

l'article 23 vise à refondre et clarifier le régime des réquisitions, de façon notamment à sécuriser le cadre juridique permettant d'y procéder en cas d'urgence si la sauvegarde des intérêts de la défense nationale le justifie ;

l'article 24 vise à instituer, pour les industriels de la défense, une obligation de constitution de stocks minimaux de matières, composants ou produits semi-finis stratégiques dans l'objectif de garantir la continuité de l'exécution des missions des forces armées ou de sécuriser leur approvisionnement ;

- le même article 24 vise également, pour répondre aux mêmes objectifs, à instituer un dispositif de priorisation des livraisons de prestations afférentes à des marchés de défense passés par la France ou par un États tiers sur tout autre engagement contractuel, sur le modèle du « Defense Priorities and Allocations System Program » (DPAS) mis en oeuvre aux États-Unis ;

l'article 25 vise à faire évoluer le régime d'enquêtes de coûts lors de la passation des marchés publics dans le domaine de la défense.

Si l'on peut pleinement souscrire à la philosophie de ces dispositifs, qui participent de la préparation de la nation à la perspective d'un engagement majeur, il demeure important de veiller à ce qu'ils n'impliquent pas de faire peser une charge excessive sur les industriels. Il en va en particulier de l'article 24, la constitution obligatoire de stocks étant laissée entièrement à la charge des industriels. Outre le souci de ne pas affaiblir le secteur, des coûts de constitution de stocks excessifs risqueraient de se répercuter au moins en partie sur les prix des équipements achetés par les armées, à rebours des objectifs affichés de l'« économie de guerre », d'où l'importance de rappeler les exigences de proportionnalités des mesures prises dans ce cadre. C'est l'objet de l'amendement COM-110. De même, l'amendement COM-112 vise la remise d'un rapport annuel au Parlement sur la mise en oeuvre de ces dispositifs nouveaux, comprenant notamment un bilan de leur impact financier pour l'État comme pour les industriels de la défense.

Au-delà de ces charges nouvelles, les décalages de livraisons d'équipements sur les programmes à effets majeurs (voir deuxième partie) envoient un signal paradoxal aux entreprises de la BITD après l'annonce de l' « économie de guerre ». L'ensemble des entreprises auditionnées par le rapporteur pour avis ont déclaré être prêtes, si l'État le voulait, à accélérer leurs livraisons. La revue à la baisse des commandes n'est en outre pas neutre budgétairement, et est fortement susceptible de se traduire par une hausse des prix unitaires des équipements.

In fine, il est permis de se demander si la programmation physique proposée, en retrait par rapport à « l'Ambition 2030 » dont les jalons avaient pourtant été posés bien avant le déclenchement de la guerre en Ukraine et le lancement de l' « économie de guerre », ne conduira pas en réalité l'État à demander à la BITD de produire « moins, moins vite, et moins cher ».

TRAVAUX EN COMMISSION

I. AUDITION DE M. PIERRE MOSCOVICI, PRÉSIDENT DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES, SUR L'AVIS DU HAUT CONSEIL DES FINANCES PUBLIQUES SUR LE PROJET DE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE POUR LES ANNÉES 2024 À 2030. (12 AVRIL 2023)

Mme Sylvie Vermeillet, présidente. - Nous avons le plaisir de recevoir ce matin le Premier président Pierre Moscovici, pour nous présenter l'avis du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030.

Depuis la révision de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) que nous avons adoptée fin 2021, le Haut Conseil peut désormais, en application de son article 61, rendre un avis sur les projets de lois de programmation dites « sectorielles ». Il s'agit donc là d'une première application de cette nouvelle disposition puisque les deux autres textes de programmation récents, la loi de programmation pour la recherche et la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, avaient été déposés avant l'entrée en vigueur de la révision de la Lolf.

C'est toutefois une première un peu particulière puisque la Lolf prévoit que cet avis permette en principe d'évaluer la compatibilité entre le projet de loi, d'une part, et la loi de programmation des finances publiques (LPFP) en vigueur, d'autre part. Or, vous le savez, nous n'avons pas de loi de programmation des finances publiques en vigueur, ce qui rend l'exercice pour le moins complexe.

L'enjeu budgétaire du projet de loi de programmation militaire est de taille et mérite qu'on s'y penche : 400 milliards d'euros de crédits nouveaux sont en effet prévus sur la période, portant les crédits de la mission « Défense » de 44 milliards d'euros en 2023 à 69 milliards d'euros en 2030. C'est un total nettement supérieur aux 295 milliards d'euros prévus sous la précédente programmation, pour les années 2019 à 2025.

Le contexte du retour de la guerre sur notre continent justifie plus que jamais que le Parlement se saisisse pleinement du débat sur l'effort que notre nation doit consacrer à sa défense et à ses armées pour la période qui s'ouvre.

Cette audition marque donc le début des travaux de la commission des finances sur ce texte important, qui seront conduits par notre rapporteur spécial Dominique de Legge. Je sais que, de son côté, la commission des affaires étrangères et de la défense a déjà lancé les siens.

M. Cédric Perrin, président. - Je remercie le président de la commission des finances d'avoir proposé à notre commission cette audition conjointe sur le texte majeur qu'est la loi de programmation militaire (LPM). C'est pour nous l'occasion d'un éclairage différent sur ce texte, que nous devons considérer dans le contexte plus large du budget de l'État. L'exercice a ses limites, nous en avons conscience, puisque l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques n'est pas parvenu à son terme. Nous avons néanmoins quelques interrogations sur la présentation de cette LPM, au regard du principe de sincérité budgétaire. Votre regard sur ce sujet sera précieux.

Les ressources supplémentaires, tout d'abord : elles sont évaluées à 13 milliards d'euros sur la période. Il ne s'agit pas uniquement de ressources extrabudgétaires, puisque celles-ci sont évaluées à 6 milliards d'euros, comme le ministre nous l'a confirmé lors de son audition. Le ministère compte donc, par ailleurs, sur 7 milliards d'euros pour compléter cette enveloppe de ressources supplémentaires. Que penser de cette présentation des choses ? Est-il normal de compter dès à présent sur la solidarité interministérielle ou sur de supposées « marges frictionnelles », c'est-à-dire sur les retards des industriels ?

Quant au report de charges, ce n'est plus un tabou depuis l'an dernier, mais un instrument assumé de gestion de l'inflation. L'actuelle LPM prévoyait une trajectoire de baisse de ce report de charges. Le ministère semble maintenant adopter la position inverse de celle vantée en 2018. Quelles pourraient être les conséquences de cette pratique, à horizon de cinq ans ? N'y a-t-il pas un risque de diminuer considérablement la marge de manoeuvre du ministère pour réaliser les objectifs de la LPM ?

L'inflation, en effet, introduit une incertitude majeure. Elle représenterait 30 milliards d'euros sur l'ensemble de la période. Nous nous demandons si cette évaluation n'est pas sous-estimée. Là encore, nous avons le sentiment d'un certain manque de transparence. Il est très difficile d'évaluer ce que signifiera vraiment la trajectoire qui nous est proposée, en termes réels. Pouvez-vous nous indiquer quelles sont les anticipations d'inflation du Haut Conseil pour la période concernée ?

Le report d'une partie importante de l'effort après 2027 n'arrange rien. Sans doute pourrez-vous aussi nous éclairer sur l'évolution de la part du budget de la défense dans le budget de l'État.

La défense est le secteur régalien par excellence. Les lois de programmation garantissent, certes, des ressources à certains secteurs, au détriment d'autres dépenses budgétaires. Mais les secteurs régaliens ne sont-ils pas, eux aussi, en train de devenir une variable d'ajustement, compte tenu de l'ensemble des dépenses contraintes ? Le risque que les dépenses d'investissement courant sur de longues périodes soient en particulier victimes de ces ajustements est bien connu. La pratique d'étalement des programmes a été, à juste titre, très critiquée par la Cour des comptes.

M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques. - C'est la première fois que le HCFP est amené à exercer la nouvelle compétence que le législateur organique lui a conférée en décembre 2021, et qui consiste à rendre un avis sur la compatibilité des lois de programmation dites « sectorielles » avec les objectifs de dépenses pluriannuels que l'État a fixés en loi de programmation des finances publiques.

Le HCFP n'est pas en mesure aujourd'hui de rendre un avis tel que prévu par le législateur organique. En effet, le projet de loi de programmation des finances publiques déposé au Parlement en septembre 2022 n'a pas été adopté. En conséquence, le Haut Conseil ne peut pas évaluer la compatibilité du projet de loi de programmation militaire avec une LPFP qui n'existe pas. La loi organique prévoit que, dans ce cas, il analyse la compatibilité du projet de LPM avec l'article liminaire de la dernière loi de finances. Or celle-ci porte exclusivement sur 2023, alors que le projet de loi de programmation militaire commence en 2024. Ainsi, le HCFP ne peut pas exercer pleinement son mandat.

La nécessité pour la France de disposer d'une loi de programmation des finances publiques à même de fournir une ancre pluriannuelle pour l'évolution de la dépense publique et de la dette est impérative. Le Parlement a adopté plusieurs lois de programmation sectorielles ces dernières années, en particulier la loi de programmation de la recherche 2021-2030 et la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur 2023-2027. Je ne conteste en rien l'intérêt de ces lois de programmation : cette démarche peut être utile, car nos politiques publiques doivent être prévisibles et financées à moyen terme. Mais cela ne doit pas se faire dans le brouillard. On ne peut pas et on ne doit pas empiler de telles lois sans fixer de limite globale à la dépense publique, au risque de s'engager sur une trajectoire de finances publiques non soutenable.

Le Parlement et le Gouvernement doivent fixer des plafonds pluriannuels de dépenses publiques, comme le législateur organique l'a prévu. Cet outil est indispensable pour piloter l'évolution des comptes publics.

La France a connu une érosion progressive de la situation de ses finances publiques au sein de la zone euro, alors qu'elle faisait figure de bonne élève au moment de l'entrée dans l'euro : au début des années 2000, notre dette publique était exactement la même que celle de l'Allemagne, soit 58,9 % du PIB. Progressivement, elle est devenue l'un des pays les plus endettés de cette zone monétaire : sa dette a augmenté de 55 points, contre 40 points pour l'Italie et 10 points pour l'Allemagne. Un certain nombre de nos partenaires, frappés par les mêmes crises, ont réussi à engager une dynamique de diminution de la dette en profitant des périodes de croissance pour réduire les déficits, mais pas la France.

La LPFP doit nous permettre d'empêcher une dérive lente de nos comptes publics. La France n'est pas une championne de l'austérité, ce n'est pas sa culture. Il s'agit de prévoir des efforts raisonnables de maîtrise de la dépense publique pour se conformer aux objectifs fixés. Nous n'avons pas aujourd'hui le cadre conceptuel et législatif pour le faire. Les pouvoirs publics doivent utiliser tous les moyens à leur disposition, à commencer par ceux prévus par la loi organique, pour gérer au mieux les finances publiques et maintenir une gouvernance irréprochable. Le Haut Conseil appelle une nouvelle fois à l'adoption rapide d'une LPFP crédible et ambitieuse.

En l'absence de LPFP et à la demande du Gouvernement, le HCFP a donc examiné la conformité de la trajectoire du projet de loi de programmation militaire avec celle du projet de loi de programmation des finances publiques déposé le 26 septembre 2022 au Parlement. Cette trajectoire n'a pas été actualisée depuis septembre 2022, alors même que la loi de finances initiale pour 2023 a été votée avec un montant de dépenses accrues de 8 milliards d'euros par rapport à celles inscrites dans le projet de LPFP. La trajectoire de référence est donc d'ores et déjà dépassée en 2023.

J'en viens au contenu de l'avis du HCFP. Le projet de loi de programmation militaire prévoit une trajectoire de crédits de paiement pour la mission « Défense » qui s'élève à 400 milliards d'euros au total sur la période 2024-2030, en faisant la somme de l'ensemble des exercices. Le projet de loi prévoit une augmentation des crédits de cette mission de 3 milliards d'euros par an entre 2024 et 2027, puis de 4,3 milliards d'euros par an jusqu'en 2030. Les crédits atteindraient ainsi 69 milliards d'euros courants en 2030, contre 47 milliards en 2024.

L'avis du Haut Conseil porte trois messages.

Premier message : la trajectoire de crédits de paiement de la mission « Défense », soit 400 milliards d'euros, est compatible avec celle du projet de loi de programmation des finances publiques.

Deuxième message : le HCFP ne peut pas assurer que la trajectoire des besoins programmés, évaluée à 413,3 milliards d'euros dans le projet de loi de programmation militaire, soit entièrement prise en compte dans le projet de LPFP. Dès lors, la compatibilité des deux trajectoires est affectée d'incertitude - je n'aime pas, pour ma part, utiliser le terme d'insincérité, qui implique un désir de tromper.

Troisième message : dans la mesure où environ 20 % des dépenses de l'État sont désormais couvertes par les lois de programmation sectorielles, qui prévoient des augmentations importantes de moyens, les dépenses restantes, qui représentent 80 % des dépenses de l'État, devront faire l'objet d'une maîtrise encore plus stricte pour permettre le respect de la trajectoire visée par le projet de LPFP.

Permettez-moi de revenir sur ces trois points.

Premièrement, le projet de loi de programmation des finances publiques couvre la période 2023-2027, alors que le projet de loi de programmation militaire s'étend de 2024 à 2030. L'examen de la compatibilité de ces deux trajectoires doit donc uniquement porter sur la période 2024-2027. Le HCFP a constaté que les crédits budgétaires de la mission « Défense » inscrits dans le projet de LPM et dans le projet de LPFP étaient identiques pour les années 2024 et 2025.

L'administration a par ailleurs indiqué au HCFP que la trajectoire du projet de loi de programmation militaire était bien incluse dans celle du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2026 et 2027 - pour lesquelles les plafonds de dépenses par mission n'étaient pas précisés - ce que le Haut Conseil n'a pu vérifier directement.

Vous avez évoqué la question des restes à payer de la mission « Défense » qui, en 2022, représentaient 93 milliards d'euros, en hausse de 8 milliards par rapport à 2021. Comme l'explique la note d'exécution budgétaire pour 2021 de cette mission, publiée par la Cour des comptes, les restes à payer augmentent pour deux raisons : des acquisitions importantes de matériel ; la modification d'une partie des contrats de maintenance. La hausse des ressources prévue par la LPM permettra de financer ces reports de charges.

Deuxièmement, le Haut Conseil relève que le projet de LPM établit à 413,3 milliards d'euros le montant des besoins programmés pour la période 2024-2030, alors qu'il n'identifie que 400 milliards d'euros de crédits budgétaires pour les financer. Il y a un « hiatus » de 13,3 milliards d'euros, qui serait financé de trois manières. D'abord, l'administration attend des ressources extrabudgétaires - recettes de cessions immobilières, cessions de matériels, recettes du service de santé des armées - d'un montant total de 5,9 milliards d'euros, et qui sont donc bien documentées. Ensuite, les besoins supplémentaires seraient financés par la solidarité interministérielle, soit par des transferts provenant d'autres budgets ministériels ayant des dépenses moindres que prévu. Enfin, les marges frictionnelles ainsi que les reports de charges du ministère seraient mobilisés pour assurer le besoin de financement résiduel. Ces sources de financements sont toutefois moins documentées.

Ces 13,3 milliards d'euros de dépenses supplémentaires ne sont pas isolés dans le projet de loi de programmation des finances publiques. Le Gouvernement n'a pas fourni d'éléments permettant au Haut Conseil de s'assurer que ces dépenses supplémentaires sont pleinement prises en compte dans la trajectoire de dépenses. La compatibilité est donc ici moins assurée.

Ainsi, l'impact exact du projet de loi de programmation militaire sur le montant des dépenses publiques prévues dans le projet de LPFP reste affecté d'incertitude. Le ministère des armées a indiqué qu'il avait demandé pour 2023 des ouvertures de crédits supplémentaires très significatives, notamment en lien avec l'inflation qui s'annonce plus forte que la prévision du Gouvernement. À cet égard, nous avons souligné dans de précédents avis que l'anticipation d'inflation de 4,2 % pour 2023 était inférieure au consensus, soit 4,5 %, lequel pourrait également évoluer. Nous n'avons pas sur ce point de lumières plus précises.

Enfin, l'effet conjugué de ce projet de loi de programmation militaire, de la loi de programmation de la recherche et de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur serait de contraindre fortement les autres dépenses du budget de l'État. Les crédits couverts par ces trois textes vont augmenter plus rapidement que le total de la dépense de l'État, ce qui impose une baisse en volume des autres dépenses pour atteindre les objectifs fixés dans le projet de loi de programmation des finances publiques. Cette baisse des crédits restants - soit 80 % des dépenses de l'État - devrait être de 1,4 % par an en moyenne sur la période 2023-2027, alors qu'elle n'était que de 0,3 % par an entre 2012 et 2019. L'exigence de documentation de cette maîtrise de la dépense augmente également.

Nous faisons face à une montagne d'investissements publics indispensables pour notre défense, nos hôpitaux, nos universités, mais aussi la transition énergétique et écologique. Néanmoins, le mur de la dette est déjà très élevé - près de 3 000 milliards d'euros - et coûte de plus en plus cher puisque les taux d'intérêt remontent, d'où l'importance à cet égard de préserver la crédibilité du pays. Dans le passé, nous n'avons pas suffisamment utilisé les périodes de croissance pour réduire le déficit annuel. C'est pourquoi les moyens supplémentaires octroyés à l'État régalien impliquent des efforts collectifs de maîtrise de la dépense dans les autres champs de l'action publique. Laisser tout déraper aurait des conséquences : l'explosion du service de la dette et l'incapacité à financer l'investissement.

Il n'y a pas de fatalité : notre pays est capable de s'engager dans une revue de ses dépenses publiques et d'en tirer les enseignements. La Cour des comptes est prête à y contribuer ; elle va publier ce printemps neuf notes thématiques analysant les dépenses engagées pour diverses politiques publiques.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Vous nous avez invités à réfléchir aux notions d'insincérité et d'incertitude. Après votre exposé, nous avons du moins la certitude que ce projet de loi de programmation militaire ne sera pas un long fleuve tranquille !

Mes vues concordent pleinement avec celles de Cédric Perrin. Je souhaiterais formuler quatre observations.

Premièrement, vous avez évoqué l'écart de 13,3 milliards d'euros entre les crédits de paiements prévus - 400 milliards d'euros - et les besoins programmés sur la période. Si l'on veut donner un ordre de grandeur, cette dernière somme correspond à peu près au cumul des marches qui doivent être franchies après 2027 dans cette programmation. En son sein, la provenance de 5,9 milliards d'euros est à peu près identifiée - essentiellement des cessions et les ressources du service de santé. Il reste donc 7,4 milliards d'euros à trouver, ce qui correspond à peu près en ordre de grandeur à la hausse des restes à payer en 2022 indiquée à l'instant.  Vous considérez que la programmation ne peut être qualifiée d'insincère mais les incertitudes qui l'entourent demeure très fortes ; la concordance des ordres de grandeur laisse penser qu'on renvoie à des jours meilleurs la résolution des impasses budgétaires. Je souligne également que la solidarité interministérielle, évoquée parmi les ressources restant à trouver, a été quasiment inexistante dans la période précédente. Enfin, il est expliqué que le besoin programmé pourrait être atteint grâce à des moindres dépenses, ce qui est pour le moins étonnant : il est paradoxal qu'une programmation intègre d'emblée l'idée d'une surestimation du besoin.

En deuxième lieu, je souhaite mentionner la problématique soulevée par la construction de la programmation sur la base de l'évolution des prix à la consommation. Je crains que la vision des coûts exposée par le Gouvernement ne soit trop optimiste. Du fait de la hausse de la demande d'équipements militaires liée à la montée des tensions internationales et de l'évolution spécifique des prix des matières premières dont les équipementiers ont besoin, les coûts pour le ministère des armées risquent d'augmenter plus vite que l'indice des prix à la consommation.

Troisièmement, la diminution des provisions pour les opérations extérieures (Opex) n'a pas non plus été évoquée. Cette diminution représente pourtant en cumulé  2,4 milliards d'euros par rapport à un scénario où la provision serait maintenue à son niveau de 2023 sur toute la période. On nous explique certes que les coûts liés à la guerre d'Ukraine seront comptabilisés à part. Pour autant, cela fait plusieurs années que les sommes prévues pour les Opex s'avèrent insuffisantes en cours d'exercice. L'incertitude est là encore importante.

Quatrièmement, vous avez insisté sur l'addition des lois de programmation et la diminution des marges qui en découle pour le reste du budget. Si l'on y ajoute l'augmentation de la charge de la dette, qui n'est quant à elle pas programmée, mais est certaine ainsi que le budget de l'éducation nationale, c'est la moitié du budget de l'État qui se trouve complètement figée. Il serait trop optimiste de penser qu'on pourrait ne faire porter les efforts que sur des missions budgétaires d'ampleur relativement minime.

En conclusion, je ne sais pas si cette programmation est insincère, mais elle me paraît difficile à assumer au regard des contraintes générales que connaît notre pays. Fonder nos perspectives d'ici à 2030 sur une amélioration de la situation internationale et de nos finances publiques ne me paraît pas réaliste.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. -Vous avez relevé l'essentiel : l'absence de maîtrise de nos comptes publics, alors même que la majorité présidentielle avait, dès le précédent quinquennat, insisté sur la nécessité d'une programmation susceptible de permettre cette maîtrise. Je m'étonne et m'indigne donc de la volte-face du Gouvernement, qui s'exonère de la mise en oeuvre d'une trajectoire claire de maîtrise de nos comptes en renvoyant à plus tard, on ne sait trop quand, la loi de programmation des finances publiques. Cela témoigne d'un manque de courage vis-à-vis de nos concitoyens, en plus de nous mettre en difficulté vis-à-vis de nos partenaires européens. On peut craindre une forme d'inconséquence budgétaire, voire une amnésie vis-à-vis des engagements pris il y a quelques semaines.

Pour qualifier cette programmation, vous avez dit privilégier la notion d'incertitude. Ce terme est employé pour qualifier quelque chose d'imprévisible. Si c'est ainsi que vous l'avez employé, nous devons quand même nous interroger, au vu des enjeux régaliens et budgétaires de ce texte. Ne serait-il qu'un paravent chargé de couvrir les incertitudes ? J'ai pour ma part des doutes sur la capacité du Gouvernement à conduire les nécessaires efforts de maîtrise de la dépense publique et dans le même temps honorer l'engagement, inscrit dans diverses lois de programmation, de dépenses nouvelles mal renseignées. Pour s'assurer que les engagements pris dans ce projet de loi puissent être tenus, ne faudrait-il pas par ailleurss'engager réellement dans la voie de la sobriété budgétaire ?

M. Cédric Perrin, président. - Je partage les propos de MM. Husson et de Legge. L'essentiel de la discussion porte sur les 13,3 milliards d'euros dont la provenance reste incertaine : ce n'est pas une paille au regard de l'augmentation annuelle prévue d'ici à 2030 ! On avait parlé de ventes de fréquences - déjà évoquées en 2016, elles n'avaient finalement pas eu lieu - et d'efforts importants de la part de la base industrielle et technologique de défense (BITD), pourtant déjà mise à rude épreuve. Cette incertitude majeure pèse sur notre défense. Nous serons vigilants pour que ce projet de loi de programmation militaire soit le plus sincère possible.

M. Rachid Temal. - Il est certain que le monde sera toujours plus incertain... En matière militaire, entre la décision de lancer un programme et sa réalisation, beaucoup de temps s'écoule, ce qui justifie les lois de programmation. Pour autant, il faut s'appuyer sur l'existant. À cet égard, il est regrettable qu'aucun bilan n'ait encore été fait de la loi de programmation militaire en vigueur actuellement, qui court jusqu'en 2025. Par ailleurs, c'est la seconde fois qu'on nous dit qu'il y aura une bosse ! Je regrette aussi le flou quant à l'origine de 7,4 milliards d'euros au sein des 13,3 milliards d'euros de ressources non couvertes par des crédits de paiements. L'incertitude règne aussi pour les restes à payer ou l'inflation prévue. Un vrai débat de fond doit se tenir autour des Opex : quel modèle d'armée, quelle logique d'intervention de la France dans le monde ? Je me félicite que l'Ukraine ne soit pas intégrée dans ces comptes, mais il faudra bien payer les dépenses engagées. Surtout, je regrette la faiblesse du travail d'analyse, financière et géopolitique, qui aurait dû précéder le dépôt de ce texte. Toutes les majorités avaient su faire des livres blancs ; ce n'est pas le cas cette fois.

M. Vincent Delahaye. - Je ne suis pas un fervent partisan des lois de programmation. D'une manière générale, je les trouve « bloquantes » pour l'avenir, même s'il est vrai qu'en matière de défense, la nécessité d'anticiper est réelle

13,3 milliards d'euros restent donc à financer en plus de la programmation des crédits, ce qui est conséquent. Pourriez-vous préciser ce que recouvrent les recettes du service de santé des armées évoquées pour contribuer au financement de ce besoin ?

M. Christian Bilhac. - Avec la modération qui vous caractérise, vous avez tout de même parlé de « trajectoire dépassée », « d'incertitudes » et de « nécessaires efforts collectifs ».

Lors de l'examen au Sénat du projet de loi de programmation des finances publiques il y a six mois, nous étions nombreux, au sein de la commission des finances, à penser que nous n'allions pas assez loin dans le redressement des comptes publics.

La loi de programmation militaire prévoit 400 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. Je rappelle que, pour redresser les comptes publics, 52 milliards d'euros d'économies, partagées entre la sécurité sociale et les collectivités territoriales, étaient prévues. Or on voit bien sur le graphique qui nous a été présenté que le compte n'y est pas. J'ai noté également que la marche de progression des crédits resteraient inchangée jusqu'en 2027, et donc qu'une grande partie de l'effort portera sur les trois années 2028, 2029 et 2030.

Vous évoquez des incertitudes. Pour ma part, j'ai la certitude que nous allons dans le mur si nous ne prenons pas en compte notre niveau d'endettement.

Enfin, peut-être faudrait-il faire un rapport sur les comptés à part, qui deviennent à la mode. Les dépenses liées à l'Ukraine ou à la dette covid sont comptées à part. Dès qu'une difficulté se présente, on la compte à part. Je veux bien, mais il faudra quand même que les Français remboursent !

M. Emmanuel Capus. - Face aux menaces préoccupantes qui pèsent sur la France, je me réjouis de l'augmentation significative des crédits prévue par ce projet de loi de programmation militaire. Je me réjouis également que le Haut Conseil des finances publiques considère cette augmentation comme compatible avec la trajectoire sinon de rigueur, du moins de maîtrise des comptes, qui était prévue dans le projet de loi de programmation des finances publiques.

Au-delà de cette lecture comptable, les dépenses militaires représentent également des emplois et des investissements qui concourent à notre base industrielle et technologique de défense (BITD). Quelles sont vos hypothèses chiffrées sur la croissance induite par cette loi de programmation militaire ?

M. Pierre Moscovici. - Monsieur Temal, la Cour des comptes a dressé un bilan plutôt rassurant - je l'ai présenté en son temps - de la LPM 2019-2025.

Ce bilan montrait une exécution plutôt conforme à la programmation, avec des capacités militaires très fortement employées et des fragilités qui ont été définies depuis. Nous appelions notamment à faire des choix pour améliorer les programmes d'armement et la coopération européenne. Incontestablement, des progrès, bien qu'incomplets, ont été accomplis.

Pour le reste, je vous laisserai débattre avec qui de droit - cela ne relève pas de ma compétence - du contenu et de la pertinence de la loi de programmation.

La question se pose de savoir ce qui se passerait en cas d'inflation supérieure aux estimations. La loi de programmation militaire a été construite en effet sur le fondement de prévisions d'inflation identiques - c'est la moindre des choses - à celles du projet de loi de programmation des finances publiques.

Or la prévision d'inflation du Gouvernement pour 2023 est désormais légèrement optimiste. Selon le consensus des économistes du Haut Conseil, l'inflation pour 2023 devrait atteindre en effet 4,9 %, contre 4,2 % anticipés par le Gouvernement. Par ailleurs, dans son avis relatif au projet de loi de programmation des finances publiques, le Haut Conseil relevait des incertitudes à partir de 2026. Plusieurs dirigeants d'organisations internationales ont également alerté sur une résistance de l'inflation, qui doit nous faire réfléchir. Il est donc possible que les prévisions à partir desquelles a été construite la loi de programmation militaire aient été sous-évaluées.

Pour assurer le respect des orientations stratégiques du projet loi de programmation militaire, ce surplus d'inflation pourrait nécessiter un ajustement des crédits budgétaires en euros courants. Des mesures d'ajustement en cas de hausse du prix des carburants opérationnels sont déjà explicitement prévues, mais il peut y en avoir d'autres.

Dans un contexte d'inflation dynamique, une question sous-jacente est celle de la trajectoire financière en volume. En valeur, la LPM prévoit une augmentation importante des crédits de la mission « Défense » de 6,3 % par an en moyenne entre 2023 et 2027. Ces dépenses restent dynamiques en volume, puisque, en tenant compte des prévisions d'inflation initiales, elles augmenteraient de plus de 4 % par an entre 2023 et 2027. Avec une inflation plus forte, la hausse serait certes moindre, mais il y a tout de même une place pour une augmentation des dépenses de défense. Tout cela demande à être ajusté dans le temps en fonction de l'évolution de l'inflation.

Si les opérations extérieures ont été surexécutées ces dernières années, on note une baisse de la provision de 1,1 milliard d'euros à 0,8 milliard d'euros en 2024, qui se justifie notamment par un moindre engagement en Afrique, avec par exemple la fin de l'opération Barkhane.

Bien que nous n'ayons pas réalisé de simulations sur le sujet nous n'avons pas le sentiment que la loi de programmation militaire induise globalement un surcroît de croissance potentielle. Lors de la présentation de ce même avis à l'Assemblée nationale, la question m'a été posée de l'existence d'un éventuel multiplicateur keynésien. Il peut y en avoir un localement - des emplois seront créés et certaines régions seront particulièrement concernées -, mais sur le moyen terme, nous n'anticipons pas de surcroît de croissance.

Notre base industrielle technique et de défense, dont la capacité reste entourée d'incertitudes, n'entre pas dans le champ d'expertise du Haut Conseil des finances publiques.

Quant aux recettes du service de santé - 0,5 milliard d'euros par an - elles correspondent aux contributions des armées à l'offre de soins. L'augmentation prévue ne nous paraît pas inatteignable.

Monsieur le rapporteur spécial, je vous l'accorde : si un certain nombre de dépenses - les 5,9 milliards d'euros - sont documentées et crédibles, des incertitudes subsistent sur les 7,4 milliards d'euros restants, pour lesquels nous manquons d'une documentation précise au sujet de leur financement.

Monsieur le rapporteur général, faut-il, dans ces conditions, parler d'incertitude ou d'insincérité ? Pour nous il ne s'agit pas de grammaire comptable. La sémantique a son importance. Elle est économique, mais aussi politique. L'insincérité supposerait un désir assumé de tromper le Parlement et la certitude que toutes les hypothèses sur lesquelles a été construit le projet de loi sont inatteignables. Ce n'est pas notre avis et c'est la raison pour laquelle je suis extrêmement économe du mot « insincérité ». J'ai trop de respect pour les responsables politiques - je l'ai été dans le passé - pour penser que ces derniers puissent être facilement insincères. En revanche, il peut leur arriver d'être volontaristes.

C'est donc à dessein que je parle ici d'incertitudes. Aux incertitudes internationales que vous avez évoquées les uns et les autres et qui sont incontestables, s'ajoutent les incertitudes sur l'inflation et, enfin, les incertitudes sur le financement des fameux 7,4 milliards d'euros. Sur ce dernier point, il ne serait pas illégitime que vous posiez la question à qui de droit à l'occasion de l'examen du projet de loi de programmation militaire.

Pour notre part et malgré nos demandes, nous n'avons pas obtenu de réponse. Sachez que le Haut Conseil mène son expertise à partir d'un questionnaire qu'il adresse aux administrations et à partir d'auditions approfondies des administrations concernées. Sur le financement des 7,4 milliards d'euros, nous n'avons pas eu de détails comparables à ceux que nous avons eus sur les 5,9 milliards d'euros. Voilà pourquoi nous disons que les uns sont documentés et globalement atteignables, et les autres incertains.

Enfin, reste la grande question de la maîtrise de nos comptes publics, qui relève bien, cette fois, des missions du Haut Conseil comme de la Cour des comptes. Le Sénat est une assemblée pluraliste par définition, où s'expriment des positions différentes. Évidemment, selon que l'on soit de droite, de gauche, du centre ou d'ailleurs, la façon de réduire les déficits publics et la dette ainsi que la conception qu'on en a ne sont pas les mêmes. J'appelle néanmoins votre attention sur le fait que la maîtrise des comptes publics est un impératif auquel personne, j'y insiste, ne peut se soustraire.

Nous sommes en effet confrontés à une situation très particulière. La France est un des pays les plus endettés de la zone euro - à hauteur de 111 % du PIB -, alors que ce n'était pas le cas autrefois. De surcroît, la dynamique de désendettement y est quasi nulle. Ainsi, selon la loi de programmation des finances publiques, la dette s'élèverait toujours à 111 % du PIB et le déficit public tout juste à 3 % du PIB en 2027.

Nous sommes donc entrés dans une logique sinon de décrochage, du moins de divergence avec nos partenaires. La part des dépenses publiques dans le PIB - 58 % aujourd'hui en France - n'est certes pas un indicateur pertinent en soi, car il faut se rapporter à la qualité de ladite dépense, mais avons-nous vraiment le sentiment que nos concitoyens sont satisfaits de l'éducation nationale, de la santé ou des différents services publics ?

Le service de la dette est en passe de rattraper, voire de dépasser le budget de la défense comme deuxième budget de l'État. Or vous le savez par expérience, il s'agit de la dépense publique la moins productive qui soit. Tout euro qui y est consacré est un euro en moins pour notre défense, notre sécurité intérieure, nos hôpitaux ou encore notre justice.

Réduire notre dette est donc indispensable. C'est une condition pour retrouver des marges de manoeuvre, préparer l'avenir et investir. Voilà pourquoi nous ne pouvons pas nous dérober devant cette question d'une grande gravité pour la Nation. Elle mérite un grand débat et des mesures à la hauteur de l'enjeu.

En ce sens, la revue de dépenses publiques qui s'engage est un exercice extrêmement important, qui n'a jamais été tenté dans notre pays et dont nous avons un besoin impératif. La Cour des comptes, que je préside par ailleurs, y tiendra toute sa place.

Je le redis : nous avons besoin d'une loi de programmation des finances publiques qui soit crédible et plus ambitieuse que le projet qui a été présenté en septembre dernier. La revue de dépenses publiques doit nous permettre de réaliser les efforts collectifs dont le pays a besoin. Grâce à ces derniers, nous resterons crédibles et forts au sein de la zone euro, ce qui est notre choix collectif.

Mme Sylvie Vermeillet, présidente. - Je vous remercie.

II. EXAMEN EN COMMISSION (13 JUIN 2023)

Réunie le mardi 13 juin 2023 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport pour avis de M. Dominique de Legge sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

M. Claude Raynal, président. - Notre commission examine maintenant le rapport pour avis de M. Dominique de Legge sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - On peut avoir trois lectures de ce projet de loi de programmation militaire.

La première, optimiste, consiste à insister sur la hausse du budget : 400 milliards d'euros sur sept ans pour couvrir la période 2024-2030, à comparer aux 295 milliards d'euros pour les sept années de l'actuelle loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Le budget des armées passerait, entre 2018 et 2030, de 34 milliards à près de 70 milliards, soit un doublement en douze ans. Sur le plan capacitaire, la programmation reste fidèle à certains fondamentaux de la politique de défense française : la dissuasion nucléaire et le groupe aéronaval. Ainsi, 5 milliards d'euros seraient notamment consacrés aux travaux de construction du porte-avions de nouvelle génération (PA-ng), qui doit succéder au Charles de Gaulle à compter de 2038.

On peut également souligner l'effort consenti en faveur de notre présence outre-mer, identifiée comme l'une des principales priorités de la programmation, avec 13 milliards d'euros fléchés sur ladite période, répondant ainsi entre autres à la recommandation du rapport que j'avais consacré à ce sujet l'an passé.

Une autre lecture possible est plus pessimiste. On constate en effet une augmentation de la dépense, qui s'accompagne de la diminution des livraisons des armements avec un report de 2030 à 2035 des objectifs capacitaires quantitatifs par rapport à « l'Ambition 2030 », qui avait été posée au moment de l'élaboration de l'actuelle loi de programmation. Ainsi le nombre de Rafale de l'armée de l'Air et de l'Espace à l'horizon 2030 passe de 185 à 137. Le constat est le même s'agissant du programme Scorpion, relatif au renouvellement des blindés de l'armée de Terre : le nombre de Jaguar passe de 300 à 238, le nombre de Griffon de 1 818 à 1 437, le nombre de Serval de 978 à 745. L'ambition de rénovation des chars Leclerc passe de 200 à 160. Les bâtiments de la marine ne sont pas épargnés : le nombre de frégates de défense et d'intervention passe ainsi de 5 à 3, et celui des nouveaux patrouilleurs hauturiers de 10 à 7. Et ce, dans un contexte d'augmentation de la menace illustrée entre autres par la guerre en Ukraine...

Enfin, nous pouvons avoir une lecture nuancée. Sur les 100 milliards supplémentaires par rapport à la précédente LPM, 30 milliards a minima seraient absorbés par l'inflation et 9 milliards étaient déjà prévus au titre des marches initialement « crantées » dans la loi de programmation actuelle. L'effort n'en reste pas moins important.

Mon premier élément d'analyse concerne le contexte budgétaire général, qui laisse peu de marges de manoeuvre.

Notons tout d'abord que notre souveraineté et indépendance ne s'apprécient pas seulement à l'aune de la quantité et de la qualité de nos forces armées, mais également d'un contexte géopolitique avec ses menaces et d'une situation économique qui sont le résultat des politiques conduites depuis plusieurs décennies. Nous en mesurons aujourd'hui les effets et conséquences. Laissant le soin à nos collègues de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées d'aborder les questions stratégiques de nos alliances et des rapports de force sur le plan international, je me bornerai à évoquer le volet économique et financier, même si les deux sujets sont bien souvent liés. J'en veux pour preuve les importants retards pris pour la conduite de programmes d'armement en coopération, imputables notamment à des cultures stratégiques distinctes.

Quelle est la souveraineté d'un pays qui consacre plus d'argent à la charge de sa dette qu'à sa défense ? Quelle est l'indépendance d'un pays dont le déficit commercial est plus de trois fois supérieur au montant qu'il consacre à sa défense et dont une partie est liée à ses approvisionnements alimentaires et en énergie quand ce ne sont pas les matières premières indispensables à notre industrie de défense ? Quelle crédibilité accorder à une loi de programmation militaire quand nous assistons à la multiplication des textes programmatiques comme la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi), la loi de programmation pour la recherche, le projet de loi de programmation du ministère de la justice, sans compter l'affirmation d'ambitions dans la transformation écologique et l'éducation nationale. Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a bien montré à quel point la conciliation entre la multiplication des lois de programmations sectorielles dépensières et l'atteinte des objectifs affichés de redressement des comptes publics était une gageure. Les respecter impliquerait en effet de concentrer et surtout d'intensifier la recherche d'économies sur un périmètre de dépenses de plus en plus réduit. Lorsque tout devient prioritaire il est urgent de faire des choix.

Mon deuxième angle d'analyse est une question : quelle crédibilité accorder à ce budget ?

Le besoin de financement est estimé à 413,3 milliards d'euros, dont 400 au titre des crédits budgétaires. Si l'actuelle LPM a jusqu'ici pleinement été respectée sur le plan budgétaire, la crédibilité de l'actuelle programmation est rendue plus incertaine compte tenu du contexte de finances publiques dégradé que j'ai rappelé, et d'une charge de la dette qui passerait de 40,5 à 57,5 milliards d'euros entre 2019 et 2025.

S'agissant des 400 milliards d'euros, il est à noter que la progression des crédits sur les années 2024 et 2025 est conforme à l'actuelle LPM et au projet de loi de programmation des finances publiques. En revanche, l'effort supplémentaire est renvoyé à après 2027 ce qui, au regard du calendrier électoral et au débat qui ne manquera pas de s'ouvrir à cette occasion, paraît peu respectueux des échéances démocratiques.

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai un nouveau tableau de la progression des crédits qui, tout en étant conforme à l'actuelle LPM et au projet de loi de programmation des finances publiques, intègre les éléments de la nouvelle LPM à partir de 2026, date de fin de l'actuelle loi de programmation.

S'agissant des 13,3 milliards d'euros de recettes exceptionnelles, 5,9 milliards sont documentés et réalistes - cessions et recettes en remboursement des prestations du service de santé des armées (SSA) - ; 6,2 milliards sont aléatoires puisque sont anticipés des coûts moindres et des « marges frictionnelles », c'est-à-dire des retards de livraison et donc de paiement.

L'expérience prouve que les programmes prennent plus souvent du retard que de l'avance et il est rare que les coûts des équipements diminuent au fil du temps. Aussi, afficher en début de LPM comme un moyen de financement des besoins un décalage des livraisons semble en contradiction avec l'ambition capacitaire annoncée, le respect même du calendrier des livraisons et contraire aux principes de l'« économie de guerre » développés par le Président de la République.

Enfin, 1,2 milliard d'euros correspondant à des besoins liés au recomplètement de matériels fournis à l'Ukraine devrait être apporté en gestion par la solidarité interministérielle. Dans la mesure où ces besoins sont d'ores et déjà clairement identifiés, il n'y a pas de raison de ne pas les intégrer à la programmation des crédits.

À l'Assemblée nationale, un amendement a été adopté pour sécuriser ces recettes aléatoires, en prévoyant qu'en cas de non-réalisation elles soient garanties par abondement de crédits. Il nous semble, dans un souci de transparence, impératif de considérer que ces 7,4 milliards font partie intégrante du besoin de financement en crédits budgétaires. Il convient au contraire de les intégrer d'emblée à la trajectoire au risque d'entacher d'insincérité la prochaine loi de programmation des finances publiques. J'ajoute que la clause de revoyure prévue à l'article 7 permettra, le cas échéant, d'ajuster les prévisions actuelles, mais il est vrai que nous avons été échaudés par le fait que le Parlement n'ait pas été associé à l'actualisation de la LPM en cours.

Un troisième élément d'analyse est la question de l'inflation, estimée à 30 milliards d'euros sur l'ensemble de la période. Cette évaluation a été faite en considérant trois types de dépenses L'inflation sur les carburants opérationnels, qui représenterait 2 milliards d'euros, fait l'objet, comme dans l'actuelle LPM, d'un traitement particulier avec le dispositif de garantie prévu par l'article 5. Les dépenses courantes ont été calculées sur l'indice des prix à la consommation et ne sont assorties d'aucune garantie. Enfin, l'inflation d'éléments constitutifs de l'activité militaire proprement dite - les composants des munitions, les matières premières liées à l'industrie - devrait représenter à elle seule 26 milliards d'euros. En revanche, l'affectation annuelle de ces 30 milliards n'est détaillée ni dans le rapport annexé ni dans les réponses au questionnaire que nous avons adressé au ministère. Dans ces conditions, la capacité du Parlement à prendre la mesure réelle de ces évolutions paraît insuffisante. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement sur ce point.

Le Gouvernement invoque « le choix de la cohérence » pour justifier sa révision à la baisse de la programmation des équipements et expliquer que l'acquisition de matériels et d'équipements est bien sûr nécessaire, mais n'a pas de sens si nous n'avons pas les moyens de les entretenir et de les utiliser. C'est la raison pour laquelle les crédits nécessaires au maintien en condition opérationnelle (MCO) sont augmentés de 14 milliards d'euros, ceux à l'acquisition de munitions d'environ 7 milliards, ceux des infrastructures de 4 milliards, tout comme ceux des services de soutien. J'accorderai pour ma part une vigilance tout particulière au renforcement du service de santé des armées.

La programmation prévoit également une augmentation nette des effectifs de 6 300 équivalents temps plein (ETP) pour le ministère des armées, devant permettre d'atteindre en 2030 la cible initialement visée pour 2025, soit 275 000 ETP. Cependant, la révision à la baisse des augmentations d'effectifs visées par la précédente LPM pour les deux prochaines années atteste de la forte tension qui pèse actuellement sur les ressources humaines, laquelle est d'ailleurs particulièrement prégnante s'agissant du SSA qui connait les mêmes difficultés rencontrées tant par la médecine de ville que la médecine hospitalière, qu'elle soit privée ou publique. Cette situation met en avant la nécessité de rendre plus attractive la carrière et de fidéliser les personnels, sans que ces objectifs n'aient trouvé à ce stade une traduction budgétaire précise.

Le choix est aussi fait de renforcer le cyber, avec 4 milliards d'euros fléchés sur la période, et les moyens du renseignement, avec 5 milliards d'euros. Ces deux domaines représenteraient à eux seuls 27 % de l'augmentation nette des emplois du ministère.

Cette correction est sans doute bienvenue, mais ne saurait épuiser le sujet du niveau minimum d'équipements et prouve que la précédente LPM n'avait pas suffisamment intégré ces éléments relatifs au développement de nouveaux champs de conflictualité.

Le Président de la République a utilisé la formule d'« économie de guerre » le 13 juin 2022. Le ministre des armées en a donné la traduction : « produire plus, plus vite et moins cher. »

Nous pouvons légitimement nous demander si cette LPM, à l'exception des articles 23 et 24, qui adaptent le régime des réquisitions et de la constitution de stocks, répond à cette définition. Je me bornerai, à cet égard, à proposer des amendements de clarification rédactionnelle et relatifs à l'information du Parlement. Cette LPM, en renvoyant à 2035 les objectifs de 2030, consacre le principe de produire, sinon moins, pas plus, moins vite et plus cher en raison de l'inflation et en ne permettant pas à notre base industrielle et technologique de défense (BITD) par un effet masse et de montée en puissance d'entrer dans une logique de coût marginal.

Cela me paraît d'autant plus regrettable que l'élément nouveau intervenu depuis la dernière LPM est bien sûr le conflit ukrainien, qui nous enseigne deux choses. Un conflit sur le sol européen est toujours possible. La guerre de demain mobilisera sans doute des moyens cyber et de haute technologie, mais, en l'espèce, nous sommes plutôt sur un conflit « traditionnel », qui met en présence deux puissances qui ont autant recours à la masse qu'à la haute technologie De ce point de vue, le décalage de nos livraisons de matériels blindés n'est pas une bonne nouvelle.

Au sujet de la BITD et de « l'économie de guerre », le Gouvernement justifie le report de la montée des crédits de paiement à 2028 au motif que l'industrie serait dans l'incapacité d'augmenter ses capacités de production et qu'il n'est pas nécessaire en conséquence de disposer de crédits de paiement supplémentaires avant cette date.

Cette assertion vient en contradiction avec les principes de l'économie de guerre affichés, mais aussi des dires des industriels, qui affirment avoir seulement besoin d'une visibilité accrue sur le rythme des commandes pour augmenter leurs capacités de production et être au rendez-vous initial de 2030. Et, curieusement, le coût de l'atteinte des cibles d'équipement de l'Ambition 2030 sur les principaux segments capacitaires ayant fait l'objet d'un décalage peut être estimé à environ 7 milliards d'euros de crédits supplémentaires, soit l'équivalent de l'estimation du coût des reports de charges et des « marges frictionnelles ».

En proposant une réécriture de la courbe des crédits à partir de 2026 pour les raisons exposées préalablement, nous invitons le Gouvernement, sur les deux années à venir, à négocier avec les industriels la concrétisation de la volonté présidentielle et la BITD à se mettre en capacité de produire « plus, plus vite et moins cher ». De son côté, le ministère devra sans doute réfléchir à des cahiers des charges qui sauront conjuguer un niveau de technologie « raisonnable » avec une conception des matériels plus facile à produire et donc à exporter.

Mon dernier angle d'analyse concerne les opérations extérieures (Opex) et l'Ukraine.

Les crédits provisionnés pour les Opex, qui avaient très sensiblement augmenté lors de la dernière LPM pour s'approcher de la réalité du surcoût lié à ces opérations enregistrent une baisse sensible, passant de 1,2 milliard d'euros à 700 millions. Notre retrait des théâtres africains peut justifier cette évolution. Notre soutien à l'Ukraine fait l'objet d'une disposition spécifique à l'article 3. Nous considérons qu'elle est bienvenue, mais mérite d'être précisée. C'est le sens de la réécriture que nous proposons.

Dans le même ordre d'esprit, échaudés par le fait que le recomplètement des Rafale prélevés sur le parc de l'armée de l'Air et de l'Espace pour être vendus à la Grèce et à la Croatie ait dû être financé sous enveloppe LPM, nous proposons de faire en sorte que si de nouvelles ventes de cette nature devaient être effectuées aux cours de la prochaine programmation, les recomplètements qui en découleraient ne viennent pas entraver les possibilités d'atteindre les objectifs fixés.

En conclusion, je déplore que nous soyons invités à examiner ce texte dans le cadre de la procédure accélérée, d'autant plus que l'actuelle LPM court jusqu'en 2025.

Cela étant, d'un strict point de vue financier et budgétaire, il apparaît que la dérive de nos dépenses publiques et de nos déficits nous contraint à limiter nos ambitions. Pour autant, l'affirmation de celles-ci dans la présente LPM, sauf à considérer qu'il s'agit d'un affichage, doit avoir une traduction budgétaire fiable et sincère au regard des finances publiques et assortie de garanties pour nos militaires, qui risquent leur vie, et notre industrie de défense qui, outre sa participation à notre économie, contribue à notre crédibilité.

Aussi, sous réserve de l'adoption des amendements de clarification et de sincérisation que je vous soumets, je vous propose de donner un avis favorable à ce projet de loi de programmation militaire.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - M. le rapporteur a réalisé un examen critique en replaçant ce projet de loi dans le contexte actuel, aussi bien le contexte géopolitique, avec le retour de la guerre sur le sol européen, que le contexte budgétaire national, marqué par la multiplication des lois de programmation, faisant perdre du crédit à celles-ci. D'une manière générale, on a tendance à se donner bonne conscience en adoptant plusieurs textes pour montrer qu'on soutient les efforts qui doivent être réalisés au regard du contexte, mais ne perdons pas de vue la réalité des déficits publics et de la dérive de la dépense publique. Un ancien secrétaire d'État à la défense nous avait expliqué quand il était député que notre pays est fragilisé si nous consacrons moins de 3 % du PIB à la défense nationale. Les manques d'effectifs et de matériels constituent une véritable préoccupation au regard de nos capacités d'intervention.

Je souscris aux amendements proposés par le rapporteur. Il importe de concilier la réalité des chiffres avec la volonté de corriger la trajectoire actuelle, pour permettre à notre industrie de produire mieux et plus vite - ce sera difficile de produire moins cher. Cet objectif me semble à la portée de notre ambition politique et de nos capacités financières.

Je remercie le rapporteur d'avoir trouvé un juste équilibre en corrigeant la trajectoire, dans un contexte de menaces et d'instabilité en Europe et dans le monde qui rend les questions de défense incontournables dans l'opinion publique. Comme lui, j'estime qu'il n'était pas indispensable de recourir à la procédure accélérée pour les raisons qu'il a évoquées

M. Claude Raynal, président. - Je suis moi aussi sensible à la question de la multiplication des lois de programmation sectorielles, car cela est de nature à diminuer nos marges de manoeuvre au titre de la politique budgétaire de l'État. On peut penser que cette LPM sera probablement correctement exécutée, à l'instar de la précédente, mais d'autres seront peut-être à l'avenir remises en cause, car on ne peut à la fois multiplier les projets et les lois de programmation et baisser la dépense publique.

M. Jean-Claude Requier. - Je remercie le rapporteur pour son exposé. Je m'interroge sur le montant de ce projet de loi de programmation : pourquoi cette somme considérable de 413 milliards d'euros, à une époque de raréfaction de l'argent public. Qui va payer ?

Pour autant, je suis favorable à cette LPM. Pendant longtemps, des économies ont été faites au détriment de la défense nationale, mais la guerre est aujourd'hui à nos frontières.

Je m'interroge sur le coût du nouveau porte-avions. Par ailleurs, est-il prévu de doter la France d'un plus grand nombre de drones, car on voit qu'ils jouent un rôle crucial dans les opérations militaires en Ukraine ?

M. Rémi Féraud. - La précédente LPM prévoyait déjà de reporter l'effort sur la fin de la programmation, et ce projet de nouvelle LPM reproduit cette méthode.... Le ministre avait annoncé un budget de 413 milliards d'euros, mais, dans la mesure où les deux LPM se chevauchent, quelle sera l'augmentation budgétaire réelle ?

Le président Raynal a souligné la multiplication des lois de programmation, mais s'il est un domaine dans lequel elles se justifient, c'est bien le domaine militaire. Quid de l'inscription de cette LPM dans le projet de loi de programmation des finances publiques ?

Mme Christine Lavarde. - J'ai tout particulièrement apprécié le propos introductif du rapporteur structuré autour de trois visions. La réalité se situera certainement entre ces trois cas de figure.

Je souhaiterais avoir des précisions sur les 13 milliards d'euros qui doivent être financés autrement que par des crédits budgétaires. Vous auriez eu l'assurance que 5,9 milliards d'euros devraient provenir de la vente d'une partie du patrimoine immobilier de l'armée. Connaissez-vous la valeur du patrimoine que le ministère pourrait céder ? Comment pourrons-nous financer les prochaines LPM ? Je pense notamment aux 6,2 milliards d'ajustements de dépenses liés à l'anticipation de reports de charges sur l'année n+1. À terme, le glissement des paiements sera tel que, sur les 413 milliards d'euros, 6,2 milliards ne pourraient être utilisés dans la période courante.

M. Christian Bilhac. - Merci au rapporteur pour toutes ces informations et cette présentation détaillée. Il est difficile de s'opposer à une LPM, car le domaine militaire exige une programmation à long terme, eu égard au temps nécessaire pour fabriquer les sous-marins, les navires, les avions, etc.

Je me réjouis de l'augmentation des crédits destinés aux territoires et départements d'outre-mer, car ils contribuent à faire en sorte que la France reste une puissance majeure. La France jouit de la deuxième plus grande surface maritime au monde et nous avons la chance d'être déjà dotés des multiples « porte-avions » que sont nos territoires ultra-marins. En cas de conflit majeur, un porte-avions a une espérance de vie de vingt minutes. Dès lors, faut-il investir dans un nouveau porte-avions ?

Nous souhaitons tous l'indépendance stratégique de la France. Mais quelle est notre indépendance réelle ? De quelle indépendance jouissons-nous en matière d'acier, de blindage, de composants électroniques, de matériaux nécessaires à la fabrication de l'armement ?

M. Didier Rambaud. - Je partage votre scepticisme concernant la multiplication des lois de programmation, réclamées autant par les ministres que par les parlementaires. Je pense que de tels textes ne devraient porter que sur les questions régaliennes.

L'avis du Haut Conseil des finances publiques indique que l'écart entre les besoins programmés et les crédits identifiés devrait être comblé par des ressources complémentaires. Parmi ces dernières sont mentionnées les recettes de cessions immobilières. Ces cessions immobilières sont-elles encore possibles ? À quoi la cession de matériels renvoie-t-elle ? À quoi correspondent les recettes du service de santé des armées ?

M. Claude Raynal, président. - Ces ressources complémentaires sont estimées à 13 milliards d'euros, ce qui n'est pas négligeable.

M. Stéphane Sautarel. - Je remercie à mon tour le rapporteur pour son esprit d'ouverture, sa précision et la clarté de son rapport.

Quel rôle jouera l'inflation, qui absorbe jusqu'à 30 milliards d'euros sur la période ? Que devient la comparaison avec les LPM précédentes une fois cette inflation prise en compte ?

De plus, cette LMP insiste sur les équipements lourds, mais qu'en est-il des drones ? Ces derniers jouent désormais un rôle majeur dans les stratégies militaires des États et posent également la question de notre souveraineté industrielle, en ce qu'ils soulèvent des interrogations sur l'utilisation des informations qu'ils enregistrent. 

M. Jean-Baptiste Blanc. - Je salue la qualité du travail du rapporteur et je rejoins M. Sautarel sur la question des drones. La France semble afficher un retard dans ce domaine, peut-on le rattraper ?

Par ailleurs, je suis souvent interrogé par des élus locaux au sujet des effectifs. Mon département accueille la base aérienne de Saint-Christol. Les maires locaux n'ont aucune information concrète sur les effectifs et les objectifs.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Monsieur Husson, je puis vous préciser que nous consacrons aujourd'hui 1,9 % de notre PIB à la défense nationale. L'objectif est d'atteindre les 2 %, mais cet indicateur n'est pas, en lui-même, porteur de sens, puisque l'effort d'une Nation pour se défendre doit être rapporté à la menace davantage qu'à son PIB. Par exemple, ce rapport au PIB est de 2,3 % au Royaume-Uni, et il augmente plus vite en Allemagne et en Pologne qu'en France.

Vous êtes plusieurs à regretter la multiplication des lois de programmation et M. Rambaud propose de les restreindre aux seules questions régaliennes. Mais, plus encore, c'est la part de l'investissement qui justifie une loi de programmation. La construction d'un parc de Rafale ou d'un porte-avions prend plusieurs années. Je n'ai pas le sentiment que la part de l'investissement soit aussi importante dans les autres lois de programmation que nous votons dans d'autres domaines.

Monsieur Requier, le prix d'un porte-avions s'élève à environ 10 milliards d'euros, sans même y inclure les coûts liés aux travaux nécessaires à l'aménagement de la rade par exemple. La LPM prévoit 5 milliards au titre de ce programme pour la période 2024-2030.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur les drones. Mes collègues de la commission des affaires étrangères, la défense et des forces armées seraient plus à même de vous répondre sur ce sujet. Il est cependant certain que le futur porte-avions accueillera des drones. Cependant, les drones ne pourront remplacer nos Rafale, compte tenu de leur capacité d'emport limitée. Je pense notamment à l'arme nucléaire. Nous aurons donc encore besoin à l'avenir de gros-porteurs. Pour autant, le rapport annexé souligne la nécessité de faire un effort, en collaboration avec les industriels français, pour produire un drone français. Je ne puis que déplorer que la France ait pris du retard dans ce domaine, qui n'est pas nouveau.

Madame Lavarde, monsieur Féraud, vous souhaitiez des clarifications sur les ressources supplémentaires et le financement de cette LPM. Il apparaîtrait que les besoins de crédits pour maintenir les ambitions capacitaires initiales seraient de 430 milliards d'euros. La proposition du Gouvernement n'est donc pas suffisante, mais parie sur les retards des programmes. Poser ce principe d'emblée, alors même que l'ambition politique affichée consiste à produire plus et plus vite, me semble malsain. C'est l'une des raisons pour lesquelles je vous propose de réintégrer les 7,4 milliards dans la LPM.

Comment se décomposent les 13 milliards d'euros de ressources complémentaires ?

Les recettes quasi certaines représentent 5,9 milliards d'euros. : 2 à 3 milliards proviennent de la cession de fréquences et de la vente d'immobilier prévue sur la période, soit annuellement des sommes similaires à celles qui sont perçues depuis quelques années ; 3 milliards proviennent du SSA. Ces recettes s'expliquent par le fait qu'une grande partie de la patientèle des hôpitaux militaires est constituée de civils ; les actes médicaux qu'ils reçoivent font donc l'objet de remboursements de la part de la sécurité sociale.

Au titre du solde, 6 milliards de recettes sont aléatoires : ils sont liés à l'anticipation des retards des programmes. Je vous propose de les inscrire dans la trajectoire budgétaire, ne serait-ce que pour prendre date pour la prochaine loi de programmation des finances publiques. Enfin, 1,2 milliard d'euros est lié à l'effort fourni en faveur de l'Ukraine, et notamment la livraison d'équipements ou de munitions. Ils doivent faire l'objet d'un remboursement au ministère de la défense sous forme de solidarité interministérielle. Ce besoin de financement, bien qu'il ne soit pas formellement inclus dans la LPM, est nécessaire et reconnu par le Gouvernement. Je trouve donc plus sécurisant pour les militaires qu'il soit mentionné clairement.

Pour vous répondre, monsieur Bilhac, je tiens à préciser que les pistes d'atterrissage dont nous disposons dans nos territoires d'outre-mer ne sont pas toujours adaptées à l'activité militaire. Surtout, un porte-avions est entouré de nombreuses protections, telles que des sous-marins, et permet de charger de nombreuses munitions, des armes nucléaires parfois, qui le rendent très dissuasif. Nous avons donc fait le choix de lancer un nouveau projet de porte-avions pour remplacer notre porte-avions actuel.

Monsieur Sautarel, M. Lecornu évalue à 30 milliards d'euros les conséquences de l'inflation au cours de la période, a minima, reconnaît-il. En revanche, nous avons officiellement une clause de garantie pour les carburants opérationnels. Le Gouvernement a eu l'honnêteté de calculer l'impact de l'inflation sur plusieurs matières premières nécessaires à l'activité de défense, estimé à 26 milliards d'euros. Je n'ai pas obtenu de réponse lorsque j'ai cherché à savoir si les efforts seraient concentrés sur les trois premières années de la période, dans un scénario de réduction de l'inflation au cours des trois années suivantes. Je pense qu'il s'agit là d'une vision très optimiste.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 2

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-96 est un amendement rédactionnel qui consiste à rappeler que l'effort de défense n'a réellement débuté qu'en 2018 et de préciser que le Parlement joue un rôle crucial dans le vote des crédits chaque année.

L'amendement COM-96 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-97 est un amendement rédactionnel, dans le souci d'alléger le style du rapport annexé, que le Gouvernement semble avoir confondu avec un support de communication politique.

L'amendement COM-97 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Même sujet s'agissant de l'amendement COM-98. Je propose de supprimer une phrase qui ne sert absolument à rien.

L'amendement COM-98 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-99 permet de rappeler notamment que, en période de guerre, il est possible de faire un effort sur les normes, dès lors qu'elles ne mettent pas en danger la vie des militaires et de la population. Malgré tout, lorsqu'on appelle de ses voeux une économie de guerre, il faut parfois accélérer les projets.

L'amendement COM-99 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-100 précise qu'une coordination est nécessaire entre nos forces de souveraineté outre-mer et l'Agence française du développement (AFD), comme je l'avais recommandé dans mon rapport sur le sujet.

L'amendement COM-100 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Il apparaît nécessaire de préciser dans le rapport annexé que les programmes d'armement réalisés en coopération ne devront être engagés qu'avec des pays ayant vocation à acquérir les capacités qui en sont issues. Tel est l'objet de l'amendement COM-101.

L'amendement COM-101 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. -L'amendement COM-102 vise à mentionner l'objectif fixé au SSA de se préparer à un conflit de haute intensité.

L'amendement COM-102 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-103 rappelle la nécessité pour le SSA de pouvoir fidéliser ses personnels.

L'amendement COM-103 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. -L'amendement COM-104 indique que des travaux seront lancés en vue du remplacement de l'hôpital militaire Laveran, qui est dans un état épouvantable. Ce projet est en principe acté, mais il ne me paraît pas inutile de le mentionner explicitement au titre de la programmation militaire.

L'amendement COM-104 est adopté.

Article 3

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-105 est l'amendement le plus sensible et le plus structurant. Si le besoin de financement des armées s'élève à 413,3 milliards d'euros, son financement doit être sûr, pérenne et intégré aux futures lois de programmation des finances publiques. Je propose donc de retenir le besoin de financement à hauteur de 407,4 milliards d'euros, sachant que la somme manquante correspond aux recettes extrabudgétaires du SSA et qu'elle est aussi liée aux ventes de matériel et d'immobilier auxquelles nous devrions procéder.

Par ailleurs, je propose de maintenir l'augmentation prévue pour 2024 et 2025 à hauteur de 3 milliards d'euros et ce, pour deux raisons. D'abord, la programmation actuelle devait se poursuivre jusqu'en 2025. De plus, ces éléments financiers sont intégrés dans le dernier projet de loi de programmation des finances publiques dans sa version adoptée par notre commission et par le Sénat. Il est important de respecter nos votes et notre programmation.

En revanche, je suggère de ne pas attendre 2028 pour opérer la montée en puissance et d'entamer une progression à partir de 2026. La raison de ce choix est d'abord d'ordre politique : il n'est pas raisonnable de voter une LPM et de reporter l'effort à la période qui viendra après l'élection présidentielle. De plus, l'échéance fixée à 2026 nous donne deux ans pour mettre la pression sur l'industrie de défense, afin qu'elle se mette en situation de produire davantage et à moindre coût.

L'amendement COM-105 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Le sous-amendement COM-250 a pour objet de préciser le dispositif, prévu par le texte, de financement par ressources complémentaires des recomplètements rendus nécessaires par des livraisons de matériels au titre du soutien à l'Ukraine au regard des ambitions capacitaires posées dans la LPM.

Le sous-amendement COM-250 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - Dans la même logique de préservation des ambitions capacités de la LPM, le sous-amendement COM-251 vise à prévoir un dispositif de garantie supplémentaire en cas de prélèvement d'équipements sur les parcs des armées au titre du soutien à l'export, comme ce fut le cas dans le cadre de la vente de 24 Rafale à la Grèce et la Croatie sous l'actuelle programmation. Les recomplètements qui s'imposeraient pour préserver le format des armées devraient être financés par ressources supplémentaires et non sous l'enveloppe LPM, qui n'a pas prévu de telles opérations.

L'amendement COM-251 est adopté.

Article 8

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-108 concerne le rapport qui doit être remis par le Gouvernement au Parlement chaque année, pour lui permettre d'apprécier l'exécution de la LPM. Je propose d'ajouter dans la liste des éléments devant être fournis des précisions sur les ressources exceptionnelles notamment.

L'amendement COM-108 est adopté.

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-109 vise à intégrer à ce même rapport des précisions sur le suivi de l'impact de l'inflation.

L'amendement COM-109 est adopté.

Article 24

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'article 24 traite de la possibilité pour le Gouvernement de procéder à des réquisitions ou de demander aux entreprises de faire des stocks. L'amendement COM-110 vise à préciser que ces stocks se font de façon proportionnelle à la capacité de l'entreprise à produire et à stocker. On ne peut demander aux entreprises d'engager des dépenses importantes pour satisfaire des stocks qui seraient sans commune mesure avec leur activité habituelle.

L'amendement COM-110 est adopté.

Après l'article 25

M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. - L'amendement COM-112 a également trait à l'information du Gouvernement. Compte tenu des enjeux soulevés par les dispositifs institués en matière d'économie de défense, je propose qu'un rapport dédié à leur mise en oeuvre soit également remis au Parlement.

L'amendement COM-112 est adopté.

M. Claude Raynal, président. - Les amendements adoptés seront présentés par notre rapporteur à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour être, le cas échéant, intégrés dans son texte. Si certains devaient ne pas être retenus, je vous propose d'autoriser Dominique de Legge à les redéposer en vue de la séance publique.

Il en est ainsi décidé.

Les avis sur les amendements examinés par la commission sont retracés dans le tableau suivant :

TABLEAU DES AVIS

Article 2

Auteur

Avis de la commission

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-96

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-97

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-98

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-99

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-100

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-101

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-102

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-103

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-104

Adopté

Article 3

Auteur

Avis de la commission

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-105

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-250

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-251

Adopté

Article 8

Auteur

Avis de la commission

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-108

Adopté

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-109

Adopté

Article 24

Auteur

Avis de la commission

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-110

Adopté

Article additionnel après Article 25

Auteur

Avis de la commission

M. DE LEGGE,
rapporteur pour avis

COM-112

Adopté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Direction du Budget - 5ème sous-direction

- M. Sébastien DOUMEIX, adjoint au sous-directeur ;

- M. Benoît MALBRANCKE, chef du bureau « Défense et mémoire ».

Direction générale de l'armement (DGA) ;

- M. Nicolas FOURNIER, directeur des Personnels et des Affaires Politiques.

Secrétariat général pour l'administration du ministère des armées

- M. Christophe MAURIET, secrétaire général pour l'administration du ministère des armées ;

- Mme Chloé MIRAU, directrice des affaires financières du ministère des armées ;

- M. Victor DANJOU, chef du bureau Programmation budgétaire ;

- Mme Cécile LE BERRE, sous-directrice de la synthèse et du pilotage financier ;

- M. David KNECHT, chef du service de la politique des ressources humaines ;

- Commissaire Luc POZZO DI BORGO, sous-directeur de la fonction militaire ;

- M. Thomas RUOCCO NARDO, chef du bureau « Expertise générale et légistique » ;

- Colonel Boris VALLAUD, chef de cabinet du secrétaire général pour l'administration.

État-major des armées

- Général de corps d'armée Vincent PONS, sous-chef Plans ;

- Colonel Damien ROUILLÉ ;

- Capitaine de vaisseau Jacques LECOMTE.

État-major de l'armée de terre (EMAT)

- Major-général de l'armée de Terre Patrice QUEVILLY ;

- Colonel Bertrand DIAS, officier en charges des relations parlementaires ;

- Lieutenant-colonel Jean-Marc SOULIER, officier en charges des relations parlementaires ;

- Lieutenant-colonel Jean-François VARRY, assistant militaire du MGAT.

État-major de la marine (EMM)

- Vice-amiral d'escadre François MOREAU, major général de la marine ;

- Capitaine de vaisseau Vincent GUÉQUIÈRE.

État-major de l'Armée de l'air et de l'espace (EMAAE)

- Général de division aérienne Laurent RATAUD, sous-chef d'état-major Plans-Programmes ;

- Lieutenant-colonel Nicolas DION, assistant militaire du MGAAE ;

- M. Jacques DUBOURG, conseiller politico-militaire du MGAAE.

Service interarmées des munitions (SIMu)

- Général de brigade Éric LAVAL, directeur.

Navalgroup

- M. Pierre Éric POMMELLET, président-directeur général ;

- M. Loris GAUDIN, directeur des affaires publiques.

Nexter

- M. Nicolas CHAMUSSY, directeur général ;

- M. Alexandre DUPUY, directeur des affaires publiques, de la communication et du commerce France & Europe ;

- M. Alexandre FERRER, responsable des affaires publiques France & Europe.

Dassault aviation

- M. Bruno GIORGIANNI, directeur des affaires publiques et directeur de cabinet.

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl22-712.html


* 1 Loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense.

* 2 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 3 « La présente loi de programmation militaire (LPM) confirme et amplifie l'effort de défense engagé par la précédente ».

* 4 Avis n° HCFP-2023-2 relatif au projet de loi de programmation militaire pour 2024-2030, 27 mars 2023.

* 5 Voir par exemple l'annexe n°9 « Défense » du M. Domonique de Legge, rapporteur spécial, au Tome III du Rapport général n° 115 (2022-2023) sur le projet de loi de finances pour 2023 de M. Jean-François Husson, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, 17 novembre 2023.

* 6 Loi n° 2022-1499 du 1er décembre 2022 de finances rectificative pour 2022.

* 7 Le ministère des armées a développé une nomenclature propre pour assurer le pilotage de ses crédits, en les regroupant par opérations stratégiques (OS), transversales aux différents programmes.

* 8 Le projet de drone accompagnateur du Rafale est issu du démonstrateur Neuron réalisé du programme « système d'avions non habité (UCAV) » réalisé en coopération européenne (France, Italie, Suède, Espagne, Grèce, Suisse) sous maîtrise d'oeuvre de Dassault Aviation.

* 9 « La présence militaire dans les outre-mer : un enjeu de souveraineté et de protection des populations », Rapport d'information n° 12 (2022-2023) de M. Dominique de LEGGE, fait au nom de la commission des finances, déposé le 5 octobre 2022.

* 10 Conseil d'État, Assemblée générale, Avis n° 406858 sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, mars 2023.

* 11 Loi de programme n° 60-1305 du 8 décembre 1960 relative à certains équipements militaires.

* 12 Ministère des armées, Actualisation stratégique 2021.

* 13 Cet indicateur reflète la différence entre la valeur des actifs et celle des passifs vis-à-vis du reste du monde.

* 14 Banque de France, La balance des paiements et la position extérieure de la France, rapport annuel 2021.

* 15 Direction générale du Trésor, rapport annuel 2023 sur le commerce extérieur.

* 16 Cour des comptes, Rapport sur le budget de l'État en 2022, avril 2023.

* 17 Programme de stabilité 2023-2027.

* 18 Martial Foucault, « Les budgets de défense de la France, entre déni et déclin », IFRI, Focus stratégique n° 36, Avril 2012.

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