B. LA DETTE SOCIALE EN 2022 : UNE GESTION SATISFAISANTE, UNE PERSPECTIVE D'EXTINCTION TOUJOURS AUSSI LOINTAINE

1. La gestion de la dette sociale en 2022 : un bilan relativement satisfaisant

La récurrence des soldes négatifs au cours des différents exercices a entraîné la constitution d'une dette, dite « dette sociale ». Celle-ci consiste en la consolidation de deux agrégats :

les déficits portés en trésorerie par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui couvre ses besoins par des emprunts auprès de banques ou de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et par des émissions de court terme sur les marchés, dans la limite de 65 milliards d'euros en 2022 ;

la dette reprise en vue de son apurement par la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades), établissement public administratif (EPA) géré par l'Agence France Trésor.

Endettement financier de la sécurité sociale

(en milliards d'euros)

Source : annexe 1 « Financement » du PLACSS 2022

a) La trésorerie de l'Acoss en 2022 est artificiellement soutenue par d'importants transferts entrants et sortants de la Cades

Le besoin de financement de l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) a connu une forte réduction en 2022. En application des modalités de gestion de la dette sociale arrêtées en 2020, l'Acoss a reçu de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) 20 milliards d'euros en 2020, 40 milliards d'euros en 2021 et à nouveau 40 milliards d'euros en 2022. Ces transferts se poursuivront, pour porter le montant transféré à la Cades à 136 milliards d'euros. Le besoin de financement de l'Acoss s'en trouve mécaniquement réduit.

En outre, la Cades a procédé à des transferts vers l'Acoss de fonds destinés à l'investissement et au désendettement hospitalier. Deux transferts de la Cades à l'Acoss de chacun 5 milliards d'euros sont intervenus en 2021 et 2022. Un troisième versement de 3 milliards d'euros est prévu en 2023. Les versements de la Cades ayant été plus rapides (échelonnés sur 3 ans) que les reversements de l'Acoss aux hôpitaux (échelonnés jusqu'en 2030), la situation de l'Acoss s'en trouve artificiellement améliorée.

Le plafond de recours à l'endettement de l'Acoss a été fixé à 65 milliards d'euros en LFSS pour 2022 et le point bas a atteint - 58,0 milliards d'euros en mars 2022.

Le solde de trésorerie de l'Acoss s'est établi à - 12,5 milliards d'euros fin 2022 après reprise de dette par la Cades. Malgré la remontée des taux d'intérêt en cours d'année, le taux moyen annuel de financement est resté négatif, à - 0,18 %, permettant un résultat financier de 70,4 millions d'euros.

b) Une gestion satisfaisante de la dette sociale reprise par la Cades

L'article 2 du PLACSS porte, entre autres, approbation des montants amortis par la Cades durant l'exercice. En 2022, la Caisse a amorti 18,9 milliards d'euros, une bonne performance, qui dépasse l'objectif d'amortissement fixé par la LFSS 2022 (18,3 milliards d'euros), et même l'objectif d'amortissement rectifié dans la LFSS pour 2023 (18,6 milliards d'euros).

La gestion de la dette sociale par la Cades a donné lieu, en 2022, au paiement de 1,25 milliard d'euros d'intérêt et à la réalisation d'un programme d'émission de titres comme suit10(*) :

- 12 émissions à moyen et long termes, dont neuf sous le format « social bond11(*) », pour un taux moyen de 1,98 %, ayant permis de lever 38,1 millions d'euros. Parmi ces emprunts, sept ont été faits sur le marché de l'euro (27,5 milliards d'euros) et trois sur celui du dollar (9,98 milliards d'euros ;

- 134 émissions à court terme, pour un taux moyen de - 0,38 %, ayant permis de lever 25,2 milliards de dollars (soit 23,7 milliards d'euros), avec un encours de 1,65 milliard d'euros au 31 décembre, au taux moyen de 1,24 %.

Du fait des importants niveaux d'émission de titres depuis 2020, la structure du passif de la Cades s'est sensiblement modifiée :

la maturité moyenne des titres s'est allongée, passant de 2,95 ans en 2019 à 4,4 ans en 2022, 32,8 % de l'encours affichant une maturité supérieure à 5 ans. Cela rend l'encours de la dette sociale moins sensible aux fluctuations de taux d'intérêt de court-terme ;

la part de la dette libellée en devises (autres que l'euro) a également augmenté, passant de 19,2 % en 2019 à 30,2 % en 2022 ;

- enfin, les instruments utilisés se sont diversifiés : la part des emprunts en devises a augmenté de 19,5 % en 2019 à 28,9 % en 2022 ; surtout, la part des emprunts indexés sur l'inflation diminue au fur et à mesure des remboursements, ce qui évite un alourdissement de la charge de la dette suivant la tendance haussière de l'inflation.

L'exercice 2022 porte ainsi le montant cumulé de dette portée et amortie par la Cades à 224,3 milliards d'euros, et le montant de la dette portée restant à amortir à 136,2 milliards d'euros.

Évolution de la dette reprise par la Cades depuis sa création

(en milliards d'euros, montants cumulés)

Source : annexe 1 « Financement » du PLACSS 2022

2. La longévité de la Cades : le transitoire devenu permanent

Initialement conçue comme une structure transitoire, la Cades a vu sa durée de vie prolongée du fait de la persistance des déficits et de l'accroissement de l'endettement social.

- en 1998, la durée de vie de la CADES est repoussée jusqu'en 2014 ;

- en 2004, il est prévu qu'elle demeure active « jusqu'à extinction » de ses missions d'apurement de la dette sociale. Dès lors, le transitoire était, de facto sinon en droit, devenu permanent.

Après la loi organique du 7 août 2020 et le transfert à la Cades de 136 milliards d'euros supplémentaire de dette portée par l'Acoss, la durée de vie de la Cades a à nouveau été étendue, jusqu'en 2033.

Échéancier de l'encours de dette à moyen et long-terme
au 31 décembre 2022

(en millions d'euros)

Source : rapport d'activité de la Cades pour 2022

Si la Cades estime pouvoir respecter son échéancier d'extinction de sa dette et ainsi pouvoir programmer sa disparition dans les délais prévu, plusieurs facteurs pourraient considérablement ralentir cette prévision.

a) La diminution des ressources de la Cades, programmée à partir de 2024

En 2022, les ressources de la Cades représentent 20,2 milliards d'euros et sont constituées de la CRDS au taux de 0,5 % pour un montant net de 8,5 milliards d'euros, de la CSG au taux de 0,6 % pour un montant net de 9,6 milliards d'euros et d'un versement annuel du FRR pour un montant de 2,1 milliards d'euros.

Or, les ressources attribuées à la Cades diminueront ainsi à partir de 2024 pour abonder les branches et renforcer la trajectoire d'équilibre de la sécurité sociale :

en 2024, la fraction de CSG affectée à la Cades passera de 0,6 à 0,45 point, notamment pour financer des dépenses nouvelles liées à la prise en charge de la perte d'autonomie par la CNSA ;

en 2025, le versement annuel du FRR passera de 2,1 milliards d'euros à 1,45 milliards d'euros, faute de réserves suffisantes.

Évolution des ressources de la Cades depuis sa création

(en millions d'euros)

Source : rapport d'activité de la Cades pour 2022

Bien que la diminution de ses ressources n'empêche pas a priori la Cades de réaliser les objectifs qui lui ont été fixés, la diminution de ses ressources ralentit d'ores et déjà la marche vers l'extinction de la dette sociale. Pour la première fois depuis la création de la Cades, un transfert de dette s'est accompagné - non d'une augmentation - mais d'une diminution des ressources de la Caisse.

b) L'augmentation des taux d'intérêt pourrait prolonger la durée d'amortissement de la dette sociale

La gestion de la dette sociale par la Cades s'est en outre poursuivie, en 2022, dans le contexte d'une remontée inquiétante des taux d'intérêt à long-terme : le taux annuel moyen de long-terme s'établit à 1,70 % en 2022, en hausse par rapport au taux de 0,13 % mesuré en 2019 avant la crise sanitaire ou au taux de 0,01 % mesuré en 202112(*). Les rehaussements des taux directeurs des banques centrales américaine (la Fed) et européenne (BCE), dans un contexte de forte inflation, l'expliquent.

Ces hausses de taux se sont fait sentir sur le programme de la Cades en 2022. Soumise à des taux d'intérêt légèrement supérieurs aux taux des obligations assimilables aux Trésor (OAT) de référence, les émissions de la Cades ont vu leurs taux offerts augmenter au fil de l'année, au fur et à mesure que la BCE procédait à des rehaussements.

Taux directeurs en zone euro et aux États-Unis
entre janvier 2020 et décembre 2022

(en pourcentage)

Source : rapport d'activité de la Cades pour 2022

Ainsi, alors que la première émission de la Cades en 2022, le 12 janvier, a été offerte à un taux de 0,465 %, ces taux n'ont cessé d'augmenter avec les hausses de taux décidées par la BCE à compter d'août 2022. L'émission du 24 août 2022 a été réalisée avec un taux offert de 1,877 %, celle du 20 septembre avec un taux offert de 2,834 % et celle du 9 novembre à un taux de 2,995 %. On assiste donc à un véritable renchérissement de la gestion de la dette sociale, qui pourrait altérer le calendrier d'amortissement.

c) Alors que le déficit des ROBSS et du FSV risque de s'accroître, une nouvelle reprise de dette de l'Acoss par la Cades n'est pas à exclure

La Cour des comptes prévient en effet que le déficit des ROBSS et du FSV devrait s'aggraver à nouveau à partir de 2024. La conjoncture économique, et en particulier l'inflation qui portera sur le long-terme les dépenses - mais non les recettes des régimes de base -, en serait la première responsable.

Surtout, l'incapacité de la réforme des retraites à atteindre ses objectifs de réduction du déficit de la branche vieillesse (le déficit en serait de 5,7 milliards d'euros en 2030) constitue un deuxième facteur de risque, particulièrement au vu de la situation préoccupante de la CNRACL - un déficit de 2,8 milliards d'euros est prévu pour 2023. Or la Cour des comptes relève que les besoins de financement sont provisoirement couverts par des emprunts à court-terme souscrits par l'Acoss, solution de plus en plus coûteuse avec la remontée rapide des taux d'intérêt.

Dans ces conditions, il est à craindre qu'une nouvelle reprise de dette par la Cades ne soit pas à exclure, ce qui aura nécessairement pour conséquence de prolonger - encore - la longévité déjà impressionnante de cet établissement pourtant créé pour rapidement disparaître.


* 10 Rapport d'activité de la Cades pour 2022.

* 11 D'après l'International capital market association (ICMA), le social bond est une obligation qui finance exclusivement des projets à impact social positif sur la population cible. L'émetteur s'engage à communiquer aux investisseurs des éléments d'évaluation sur les bénéfices attendus.

* 12 Insee - Taux d'intérêt par pays 2017-2023

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