B. UNE POLITIQUE DE DÉMOCRATISATION CULTURELLE DOMINÉE PAR LE PASS CULTURE

1. Le pass Culture : un outil au service de la démocratisation culturelle et non une politique

Même si les évolutions qu'a connues le pass Culture (extension du volet individuel aux 15-17 ans en 2022, mise en place du volet collectif, étendu aux classes de 6e et 5e depuis la rentrée 2023) lui ont permis de gagner en efficacité, il reste des progrès à accomplir pour que ce dispositif, qui reste un simple outil de politique culturelle, puisse atteindre ses objectifs en matière de démocratisation culturelle. La rapporteure identifie plusieurs sujets de préoccupation sur lesquels le ministère de la culture, le ministère de l'éducation nationale et la SAS pass Culture ont encore à travailler

Ø La médiation culturelle

Malgré les efforts en matière d'éditorialisation, la médiation qui accompagne le déploiement du pass Culture apparait encore insuffisante pour permettre, d'une part, de garantir une réelle diversification des pratiques des jeunes, comme en témoigne la concentration des réservations autour du livre, du cinéma et de la musique, et, d'autre part, de toucher les jeunes sortis du système scolaire. Afin de ne pas réduire le volet individuel du pass Culture à une simple plateforme d'achat, la rapporteure demande qu'une priorité soit accordée à cet enjeu en 2024.

Ø L'articulation entre le pass Culture et l'éducation artistique et culturelle

La mise en place du volet collectif, dont le financement est intégralement assumé par le ministère de l'éducation nationale, confère à ce ministère un rôle désormais prépondérant dans la mise en oeuvre de la politique d'éducation artistique et culturelle (EAC). Les directions régionales des affaires culturelles participent seulement aux comités territoriaux de pilotage mis en place pour son déploiement, présidés par les recteurs d'académie.

Alors que de nombreux artistes et structures culturelles, qui intervenaient dans les établissements scolaires au titre de l'EAC, ont fait part de difficultés pour se faire référencer sur l'application du pass Culture, un travail conjoint du ministère de l'éducation nationale et de la culture doit être engagé afin de s'assurer que le volet collectif ne se substitue pas progressivement aux autres actions d'EAC et qu'il ne se traduise pas par une réorientation du contenu de l'EAC vers une vision plus consumériste de la culture, au détriment des pratiques. Afin de veiller à ce que ce volet s'intègre correctement dans le parcours global d'EAC mis en place au sein des établissements scolaires, la rapporteure estime nécessaire de s'assurer que l'ensemble des établissements dispose effectivement d'un référent culture et qu'un accent soit mis sur la formation des différentes parties prenantes à la mise en oeuvre de la politique d'EAC (monde enseignant, secteur culturel, collectivités territoriale) aux enjeux qu'elle revêt.

Ø La coordination avec les collectivités territoriales

Une meilleure association des collectivités territoriales au bon déploiement du pass Culture et à la définition de ses éventuelles évolutions apparait aussi primordiale au regard du rôle qu'elle joue dans le financement de la culture en France et dans l'organisation de l'offre culturelle dans les territoires. Les collectivités regrettent toujours le manque d'articulation du pass Culture avec leurs propres dispositifs de soutien à l'accès à la culture des jeunes et souhaiteraient que leurs offres, y compris gratuites, soient davantage valorisées sur l'application. La rapporteure est convaincue que la coordination avec les collectivités est une condition de la réussite du volet individuel comme du volet collectif du pass Culture dans les zones plus éloignées de la culture, où elles ont un rôle clé pour identifier et renforcer l'offre culturelle de proximité. Leur pleine association aux réflexions autour du développement d'une offre de transport pour faciliter le déploiement du pass Culture apparait également évidente au regard des compétences qu'elles exercent dans ce domaine.

Ø Le problème posé par les jeunes qui ne se présentent pas au spectacle réservé (« no-show »)

Plusieurs offreurs ont signalé qu'une part des réservations effectuées par les jeunes sur l'application n'étaient pas honorées. La rapporteure s'inquiète du gaspillage d'argent public qui pourrait en résulter et demande qu'une étude soit conduite afin de mesurer l'ampleur de cette pratique et ses conséquences financières pour l'État et pour les offreurs, et d'identifier les mesures qui pourraient être prises dans le but de la juguler.

Ø Le statut de la SAS

Le statut de la structure porteuse du pass Culture interroge au regard des missions de service public qu'elle remplit et de son financement assumé finalement en intégralité par l'État. Son coût de fonctionnement, de 12 % de son budget total, dont 5 % du budget consacré aux charges de personnel, représente une somme non négligeable (plus de 30 M€). À tout le moins, l'intégration de la SAS sur la liste des opérateurs de l'État rendrait plus aisé le contrôle par la représentation nationale de l'évolution de son budget et de ses emplois.

2. Une vision peu stratégique de la politique d'accès à la culture dans les territoires

La rapporteure constate avec regret que la politique de démocratisation culturelle dans les territoires manque aujourd'hui de vision stratégique. Les mesures financées par des crédits en faveur de l'accès à la culture dans les territoires et de la cohésion sociale se caractérisent par une grande dispersion : outre des outils de contractualisation (conventions-cadre, conventions territoriales, conventions pluriannuelles d'objectifs, contrats de filière) et un soutien à un certain nombre d'acteurs (centres culturels de rencontre, tiers-lieux, acteurs de l'éducation prioritaire et de la solidarité), elles comprennent un certain nombre de dispositifs créés au fil des années pour répondre à des besoins ou des demandes spécifiques (été culturel, micro-folies, fonds d'innovation territoriale - FIT -, plan fanfare).

Alors que la dotation de ces dispositifs (3 M€ pour les micro-folies, 5 M€ pour le fonds d'innovation territoriale) ne parait pourtant pas de nature à résorber le déficit d'offre culturelle constaté dans les territoires, les crédits destinés à la participation de tous à la vie culturelle ont fait l'objet d'une sous-exécution sur les deux derniers exercices dont on dispose des chiffres d'exécution (- 5,5 M€ sur 62 M€ inscrits en 2021 ; -11,8 M€ sur 69 M€ en 2022), à la différence des crédits de l'EAC qui ont bénéficié de redéploiements (+ 20,9 M€ en 2021 et + 30,2 M€ en 2022).

Ces dispositifs doivent être rapidement évalués afin d'identifier ceux qui ont fait l'objet d'une sous-exécution et les raisons de celle-ci. Plusieurs difficultés pourraient en être à l'origine :

- la pertinence des critères d'octroi par rapport aux objectifs ;

- l'absence de co-construction de ces dispositifs avec les collectivités territoriales, alors que leur participation financière est exigée ;

- le fait qu'il s'agisse de dispositifs transversaux, qui relèvent des conseillers chargés de l'action culturelle et territoriale en DRAC, alors que les bénéficiaires potentiels sont en relation avec leurs conseillers sectoriels en DRAC, qui n'ont pas toujours le réflexe de les orienter vers ces dispositifs transversaux.

Le fonds d'initiative territoriale

Lancé en 2022, le FIT est le principal instrument du ministère de la culture pour soutenir des projets culturels menés dans les territoires ruraux et les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Même si l'on manque encore de recul à son sujet, sa dotation et ses modalités de fonctionnement (multiplicité des objectifs assignés, manque de co-construction, caractère peu innovant des projets soutenus) ne semblent pas, de prime abord, à la hauteur du défi que constitue l'accès à la culture dans les territoires. La répartition territoriale de ses crédits est variable.

La rapporteure :

· demande que des efforts soient entrepris pour mieux valoriser les fonds étatiques transversaux ;

· souhaite que soit dressé un bilan du FIT, en concertation avec les collectivités, afin de s'assurer qu'il réponde véritablement à leurs besoins ;

· juge indispensable que les conseils locaux des territoires pour la culture deviennent de vrais outils de co-construction des politiques culturelles à l'échelle des territoires, et non de simples instances d'information.

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Sous réserve de l'adoption de ses amendements, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis, lors de sa réunion plénière du 22 novembre 2023, un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 131 « Création » et 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » du projet de loi de finances pour 2024.

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