N° 134

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution,
pour
2024,

TOME V

FONCTION PUBLIQUE

Par Mme Catherine DI FOLCO,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Philippe Bonnecarrère, Thani Mohamed Soilihi, Mme Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Mme Nathalie Delattre, vice-présidents ; Mmes Agnès Canayer, Muriel Jourda, M. André Reichardt, Mme Isabelle Florennes, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. Olivier Bitz, François Bonhomme, Hussein Bourgi, Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, Françoise Gatel, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Michel Masset, Mmes Marie Mercier, Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mme Olivia Richard, M. Pierre-Alain Roiron, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) : 16801715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178

Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Les crédits du programme « Fonction publique » de la mission « Transformation et fonction publiques », qui financent le volet interministériel de la politique de ressources humaines de l'État, sont, à périmètre constant, en légère augmentation par rapport à 2023. Cette hausse dissimule toutefois de profondes évolutions dans le financement des actions relatives aux prestations sociales et à la formation.

Attirant l'attention sur les risques que fait peser sur le développement de l'apprentissage public local le nouveau système de financement de l'apprentissage dans la fonction publique territoriale tel que modifié par la loi de finances initiale pour 2023, le rapporteur invite à sécuriser juridiquement la poursuite de l'engagement financier de l'État, au-delà de 2024.

S'agissant de la méthode, le rapporteur s'interroge sur le respect par le programme « Fonction publique » de la démarche de performance et d'évaluation introduite par la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

D'une part, la pertinence de certains indicateurs choisis paraît contestable, en ce qu'ils sont peu significatifs, insuffisamment rigoureux, ou en partie subjectifs. À la suite de l'invitation de la commission des finances à ne pas confondre la « culture de la performance » avec le « culte des indicateurs »1(*), le rapporteur a proposé, par deux amendements adoptés par la commission, de donner une plus grande place aux indicateurs d'efficience.

D'autre part, le rapporteur déplore les conséquences de la suppression, par la loi de finances initiale pour 2023, du « rapport sur l'état de la fonction publique et les rémunérations » qui était jusqu'alors annexé au projet de loi de finances. Si le rapport annuel sur l'état de la fonction publique, publié chaque automne par la direction générale de l'administration et de la fonction publique, comporte ces éléments2(*), sa date de publication est aléatoire ; au jour de la réunion de la commission, l'édition 2023 n'est pas encore parue.

La commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Fonction publique », sous réserve des amendements du rapporteur.

I. UNE MASSE SALARIALE DE L'ÉTAT EN HAUSSE SOUS L'EFFET DE CRÉATIONS DE POSTES ET DE MESURES DE REVALORISATION

A. POUR LA DEUXIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE, UN OBJECTIF DE CRÉATION DE POSTES

1. Des effectifs en légère augmentation

Au 31 décembre 2021, la fonction publique compte près de 5,72 millions d'agents, dont 44,1 % travaillent dans la fonction publique de l'État (FPE), 34,6 % dans la fonction publique territoriale (FPT) et 21,3 % dans la fonction publique hospitalière (FPH). Par rapport à fin 2020, les effectifs ont ainsi augmenté de 0,03 %.

Cette très légère augmentation est portée par l'augmentation du nombre de contractuels, dont la part au sein de l'ensemble des agents publics passe de 21,0 % en 2020 à 21,5 % en 2021.

Nombre d'agents publics (en millions)

 

2019

2020

2021

Évolution
entre 2020 et 2021

Fonction publique de l'État

2,504

2,525

2,523

- 0,079 %

Fonction publique territoriale

1,969

1,960

1,977

+ 0,86 %

Fonction publique hospitalière

1,189

1,211

1,217

+ 0,50 %

Ensemble de la fonction publique

5,662

5,696

5,717

+ 0,037 %

Source : commission des lois à partir des réponses au questionnaire budgétaire

La dynamique s'agissant des effectifs de l'État pour 2024 est comparable à celle poursuivie en 2023, confirmant ainsi l'abandon par le pouvoir exécutif de l'objectif de suppression de postes3(*) précédemment affiché. Pour 2024, est prévue la création de 8 301 emplois en équivalents temps plein travaillé (ETP)4(*). Cette hausse sera portée, à hauteur de plus de 80 %, par l'État (+ 6 731 ETP). Comme dans le projet de loi de finances pour 2023, les créations de postes les plus importantes s'observeront dans les ministères régaliens (+ 2 661 ETP pour l'intérieur et l'outre-mer ; + 1 918 ETP pour la justice).

2. Des dérogations persistantes à la durée légale de travail, dans la fonction publique territoriale comme dans la fonction publique de l'État

Afin d'harmoniser le temps de travail dans la fonction publique territoriale, l'article 47 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique5(*) a abrogé les régimes légaux dérogatoires de travail antérieurs à la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001, et a imposé aux collectivités territoriales concernées de définir, dans le délai d'un an à compter du renouvellement de leurs assemblées délibérantes, de nouvelles règles de travail. Les communes ainsi que leurs groupements et leurs établissements publics avaient ainsi jusqu'au 1er janvier 2022 pour définir les nouvelles règles ; les départements, les régions et leurs établissements publics avaient quant à eux jusqu'au 1er janvier 2023.

Cinq instructions6(*) ont été adressées aux préfets depuis la promulgation de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 afin de veiller à la mise en oeuvre de ces dispositions. Comme le souligne la Cour des comptes dans son bilan d'étape de novembre 2023, les régularisations sont en cours.

L'harmonisation du temps de travail dans la fonction publique territoriale :
« une mise en oeuvre amorcée mais loin d'être générale »7(*)

Au 1er octobre 2022, seuls les deux tiers des collectivités relevant du bloc communal avaient défini les règles applicables en matière de temps de travail ; au 3 avril 2023, d'après les éléments communiqués par les préfectures à la direction générale des collectivités locales (DGCL) portant sur 14 500 collectivités relevant du bloc communal, près de 83 % d'entre elles avaient défini par délibération ces règles ; près de 91 % des délibérations transmises n'ont appelé aucune observation de la part des services chargés du contrôle de légalité.

S'agissant du bloc départemental, sur les 155 départements et établissements publics dont les préfectures ont collecté les données au printemps 2023, 139 ont transmis à celles-ci une délibération ; 77 % des délibérations transmises n'ont appelé aucune observation. Enfin, l'ensemble des régions ont adopté des délibérations en la matière, avec un taux de conformité de 92 %.

En outre, la Cour des comptes attire l'attention sur les ambiguïtés persistantes dans l'usage de certains types de congés, qui sont susceptibles de masquer des pratiques dérogatoires s'agissant du temps de travail8(*). Elle identifie également des « îlots persistants de résistance », indiquant que certaines collectivités locales « refusent ostensiblement de modifier le temps de travail de leurs agents ou adoptent des dispositifs qui contournent ouvertement la durée légale »9(*).

Du reste, l'obligation faite à toutes les collectivités territoriales de se mettre en conformité avec l'article 47 de la loi du 6 août 2019 contraste avec le maintien dans la fonction publique de l'État de « dispositifs dérogatoires qui n'apparaissent plus systématiquement et objectivement fondés ». Comme rappelé par la Cour des comptes, aucun bilan relatif aux régimes de travail des services de l'État n'a été dressé depuis 2019 ; pis encore, le rapport prévu par l'article 48 de la loi du 6 août 2019 sur les actions mises en oeuvre au sein de la fonction publique de l'État pour assurer le respect des dispositions sur la durée de travail effectif n'a toujours pas été remis au Parlement, près de 3 ans et demi après l'échéance fixée par la loi.


* 1 Rapport d'information n° 220 (2004-2005) de Jean Arthuis fait au nom de la commission des finances sur les objectifs et les indicateurs de performance de la LOLF, 2 mars 2005.

* 2 Dans sa partie 2, consacrée aux « faits et chiffres », précédée par une partie 1 intitulée « politiques et pratiques de ressources humaines ».

* 3 4 600 ETP ont été supprimés en 2022 (source : rapport annuel de performances 2022).

* 4 La loi de finances initiale pour 2023 prévoyait la création de 10 790 ETP pour l'État et ses opérateurs.

* 5 Codifié à l'article L. 611-2 du code général de la fonction publique depuis le 1er mars 2022.

* 6 En date des 28 septembre 2021, 21 décembre 2021, 25 mars 2022, 19 octobre 2022 et 23 février 2023.

* 7 Cour des comptes, rapport public thématique « La loi de transformation de la fonction publique, bilan d'étape », novembre 2023.

* 8 La Cour des comptes cite ainsi les modalités de définition de la journée de solidarité, le mécanisme des jours « de fractionnement », ainsi que le régime des autorisations spéciales d'absence (p. 79-82 du rapport précité).

* 9 Rapport précité, p. 82.

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