PREMIÈRE PARTIE : L'AFRIQUE EN MOUVEMENT. QUELS ENJEUX POUR NOTRE COOPÉRATION ?

Les évolutions dont l'Afrique subsaharienne est le théâtre invite à fixer des objectifs clairs à notre politique de coopération. Deux lignes force paraissent aujourd'hui se dessiner, un renouveau économique d'une part, une diversification croissante du continent africain d'autre part. Ces deux tendances et surtout la seconde s'inscrivent nécessairement dans la longue durée . Il convient d'en prendre la mesure pour mieux réfléchir sur les objectifs et les outils de notre aide.

I. LES CONDITIONS D'UN NOUVEAU DÉPART EN VOIE DE SE CONCRÉTISER

Les chances d'un réel développement économique reposent sur trois ressorts essentiels : l' assainissement économique , la réforme de l'Etat , l' intégration régionale . L'année écoulée a permis de poser plusieurs jalons sur chacune de ces voies même si les obstacles à franchir restent encore considérables.

A. UN ASSAINISSEMENT ÉCONOMIQUE ENCORE FRAGILE

1. Les fondements d'un redressement économique

L'assainissement économique constaté en 1995 revêt trois dimensions : le retour de la croissance, une meilleure maîtrise de l'inflation, un rééquilibrage des comptes extérieurs.

a) L'Afrique de la zone franc renoue avec la croissance.

Après deux années de récession où leur produit intérieur brut s'était contracté (- 0,7 % en 1992, - 1,8 % en 1993), les pays de la zone franc ont connu un taux de croissance positif de l'ordre de 1,5 % en 1994 et de 4 à 5 %, sans doute, pour 1995. Ainsi le revenu par habitant progressera pour la première fois depuis les années quatre-vingts (pendant lesquelles le PIB augmentait de 2 % en moyenne annuelle tandis que la croissance démographique dépassait 3 % par an).

Cette évolution apparaît liée à trois facteurs de nature différente :

- les bonnes conditions climatiques observées dans les pays sahéliens et côtiers ;

- la hausse des cours mondiaux des produits de base supérieure à 35 % pour les cultures de rente (café, cacao, coton) les oléagineux et les bois tropicaux ;

- les conséquences de la dévaluation de 50 % du franc CFA en janvier 1994 (33 % du franc comorien).

De ces trois facteurs, c'est la dévaluation qui a joué un rôle décisif pour la reprise économique de certains pays africains. Elle a permis, en premier lieu, de rétablir la compétitivité , fortement entamée avant 1994, des produits exportés dans le contexte, il est vrai doublement favorable, d'une hausse des produits de base et de croissance des économies développées. Les surplus ainsi dégagés ont bénéficié aux producteurs et favorisé un meilleur équilibre des revenus entre urbains et ruraux.

Ensuite la dévaluation a favorisé la substitution de productions locales aux importations . Cet effet a plus particulièrement joué au profit des cultures vivrières. Ainsi la croissance de l'économie au Niger (4 % en 1994) doit beaucoup aux progrès accomplis par la production de l'agriculture vivrière évalués à 7 %.

Enfin, les institutions financières internationales, après avoir conditionné la reprise de leur aide à la dévaluation, ont apporté un appui financier sous la forme de nouveaux concours extérieurs 1 ( * ) , et du rééchelonnement d'une partie de la dette des pays de la zone , dans le cadre du Club de Paris.

La France pour sa part a consenti un effort significatif en annulant en janvier 1994 la dette au titre de l'aide publique en développement en totalité pour les pays les moins avancés et à hauteur de 50 % pour les pays à revenu intermédiaire, soit 25 milliards de francs.

La dévaluation n'a pas, par ailleurs, provoqué la dérive inflationniste attendue.

b) Une inflation relativement maîtrisée.

En effet la hausse des prix s'est établie à 33 % en moyenne annuelle en 1994. Le Mali, le Burkina-Faso, la Côte d'Ivoire se sont situés en deçà de ce niveau. Le Congo, le Tchad, le Niger et le Cameroun, surtout, ont connu une inflation supérieure à 40 %.

Ces résultats contrastés mais dans l'ensemble encourageants se sont confirmés sur le premier semestre de cette année au cours duquel la hausse des prix en niveau n'a pas dépassé trois points. Trois facteurs principaux expliquent cette évolution :

- une hausse des prix des produits importés inférieure à celle liée à la répercussion automatique du changement de parité du fait notamment d'une réduction des marges des importateurs et de la baisse des tarifs douaniers ;

- une évolution maîtrisée des prix des produits vivriers en raison des bonnes récoltes liées aux conditions climatiques favorables et du contrôle des prix sur certains produits tels que le riz ;

- la maîtrise de la progression des rémunérations dans le secteur public (autour de 10 %) et partant, dans la sphère privée.

c) L'évolution plus favorable des comptes extérieurs.

Le déficit de la balance courante hors don s'est réduit entre 1993 et 1994 passant de 493 milliards de francs CFA à 38 milliards de francs CFA en Afrique de l'ouest et de 408 milliards de francs CFA à 377 milliards de francs CFA en Afrique centrale.

Cette amélioration résulte de la baisse du volume des importations consécutive à la dévaluation et de la reprise des cours mondiaux des produits de base.

On peut donc tracer un bilan plutôt positif de la conjoncture économique africaine sur les années 1994 et 1995.

2. Une reprise encore fragile

Deux incertitudes majeures appellent cependant à s'interroger sur le caractère durable de la croissance qui se dessine : la capacité des économies à mener les restructurations imposées par la dévaluation d'une part, le poids de l'endettement public d'autre part.

a) Les effets déstabilisateurs de la dévaluation

La dévaluation a particulièrement frappé les branches peu compétitives et surprotégées des économies africaines, notamment le commerce et la distribution, également menacés par la concurrence du secteur informel. Certaines sociétés tournées vers l'importation, incapables de réduire leurs marges, ont dû disparaître.

A cet égard, le bilan des mesures d'accompagnement décidées par le Gouvernement français en faveur des entreprises installées sur place reste mitigé.

Sans doute, la Caisse française de développement (CFD) a-t-elle accordé en 1994, en complément d'un engagement identique des banques commerciales, une facilité exceptionnelle de financement à court terme (au taux de 8,50 % et d'une durée de deux ans) en faveur d'entreprises confrontées à un besoin conjoncturel de trésorerie. Cependant, le nombre de crédits accordés (45 seulement, pour un montant de 63 millions de francs) n'a pas répondu à tous les besoins. D'une part, la procédure à satisfaire était infiniment trop complexe et incompatible avec les moyens en personnel des PME et PMI 2 ( * ) . D'autre part la solvabilité des demandeurs, dans quelques cas, s'est avérée incertaine.

La dévaluation a remis en cause de façon parfois définitive, hélas, les intérêts de certains de nos compatriotes, propriétaires d'entreprises installées dans les pays de la zone franc. De nombreux drames en ont résulté car les dispositions annoncées par le gouvernement français à l'égard de nos compatriotes expatriés affectés par la dévaluation du franc CFA n'ont malheureusement pas toujours été à la mesure des difficultés rencontrées.

D'autre part le blocage des transferts financiers décidé avant la dévaluation par les banques centrales de la zone franc a lésé un nombre important d'entreprises françaises. Les litiges provoqués par cette situation n'ont pas encore trouvé la solution équitable qui s'imposait. Votre rapporteur espère cependant que l'initiative prise par la Côte d'Ivoire de réunir une commission nationale pour résoudre cette question se généralisera rapidement et permettra d'apporter enfin une réponse satisfaisante à ce problème.

La dévaluation a par ailleurs fortement dégradé les revenus des Français expatriés rémunérés en francs CFA , en particulier celui des familles endettées en francs français pour l'achat d'une propriété en France. L'un des cas les plus douloureux concerne toutefois les retraités rentrés en France dont la pension libellée en francs CFA et versée par la caisse africaine de prévoyance s'est trouvée divisée par deux. Le gouvernement français qui ne peut se substituer aux Etats africains pour revoir les conditions de versement de ces pensions a cependant accordé une indemnité exceptionnelle d'un montant de 100 millions de francs. Les décaissements n'ont porté que sur 2 millions de francs. Et là encore un allégement des procédures d'attribution s'avère indispensable pour que l'ensemble des personnes concernées puissent bénéficier d'une juste compensation.

Les restructurations indispensables du secteur productif nourrissent un autre sujet d'inquiétude : le risque de troubles sociaux . En effet, le pouvoir d'achat des populations urbaines s'est comprimé au profit du revenu des producteurs agricoles ; les retards de paiement des fonctionnaires dans certains pays comme le Congo ou le Niger aiguisent encore davantage les mécontentements.

Afin de tenter de conjurer la menace d'une explosion de violence dans les villes, la coopération française (ministère de la coopération et CFD) a mis en place un Fonds spécial de développement (FSD) doté de 400 millions de francs dont l'expérience montre qu'il a joué un rôle utile. En particulier, les subventions gérées par la Caisse française de développement pour les pays les moins avancés ont permis d'appuyer quelque deux cents projets à haute intensité de main d'oeuvre dans les domaines de l'aménagement urbain, de la fourniture d'eau, de la formation et de la santé. La détérioration des conditions de vie des populations urbaines a pu ainsi, dans une certaine mesure, être contenue.

Si les désordres sociaux peuvent remettre en cause la reprise de l'économie comme en témoignent les difficultés rencontrées notamment par le Congo ou le Cameroun, le poids de l'endettement apparaît aussi à terme comme une entrave à un véritable décollage.

b) Un endettement encore excessif

Singulièrement, malgré les annulations de dette décidées par la France en particulier, le service de la dette des pays de la zone franc (25 % des recettes d'exportations de biens et services) reste supérieur au niveau effectivement honoré avant 1994 (entre 15 et 20 %).

Deux effets inverses corrigent les mesures d'annulation :

- la reprise des concours du FMI et de la Banque mondiale accroît la part de la dette non rééchelonnable ;

- le rééquilibrage budgétaire attendu de la dévaluation (du fait de la progression des recettes d'exportations contrôlées par l'Etat et de l'élargissement de l'assiette fiscale lié à la croissance) ne s'est pas encore produit.

Parallèlement les dépenses publiques ont continué de croître en raison du renchérissement des biens et services importés mais aussi de la mise en place de plans d'accompagnement social.

Le déficit public atteignait ainsi, en 1994, 8,7 % du PIB en Côte d'Ivoire et 6,7 % au Gabon.

L'insuffisante maîtrise des dépenses publiques, et plus généralement l'emprise démesurée du secteur public condamnent-elles les perspectives de redressement économique ? La réponse ne paraît pas assurée car dans ce domaine, aussi, l'Afrique change.

* 1 en 1994 : 3 milliards de dollars pour le FMI, 8 milliards de dollars pour la Banque mondiale.

* 2 Pour remplir les dossiers communs à la CFD et aux banques et réunir toutes les pièces demandées -portant sur plusieurs années-, il fallait en moyenne un mois de travail à un directeur administratif d'une société multinationale  ; or, dans la plupart des cas, les PME-PMI n'ont pas de directeur administratif et toute la partie comptabilité et gestion se trouve souvent réunie dans une seule main.

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