Avis n° 79 (1995-1996) de M. Josselin de ROHAN , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 24 novembre 1995

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N° 79

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1995.

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) ) sur le projet de loi de finances pour 1996, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME II

PÊCHE

Par M. Josselin de ROHAN,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président ; Gérard Larcher, Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy, vice-présidents ; Gérard César, William Chervy, Jean-Paul Émin, Louis Minetti, Louis Moinard, secrétaires ; Louis Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux, Michel Bécot, Georges Berchet, Jean Besson, Claude Billard, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Jacques Dominati, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Philippe François, Aubert Garcia, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Claude Haut, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Roger Husson, Bernard Joly, Edmond Lauret, Jean-François Le Grand, Félix Leyzour, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Alain Pluchet, Jean Pourchet, Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra, Josselin de Rohan, René Rouquet, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Jacques Sourdille, André Vallet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (l0ème législ.) . 2222, 2270 à 2275 et TA. 413.

Sénat : 76 et 77 (annexe n°3) (1995-1996).

Lois de finances

Mesdames, Messieurs,

Après deux années de crise, aux conséquences économiques et sociales douloureuses, le secteur des pêches maritimes est aujourd'hui engagé dans une mutation sans précédent.

La gravité et la brutalité de la crise auront servi de « catalyseur » à la prise de conscience de la nécessité de réorganiser en profondeur la filière. Les pistes de cette réorganisation ont été tracées dans plusieurs rapports demandés par le Gouvernement : sur la commercialisation des produits de la pêche, sur la situation financière de la pêche artisanale, sur la modernisation de son statut. Elles paraissent recueillir l'adhésion de la plupart des professionnels.

Ainsi, par delà l'assainissement, douloureux mais nécessaire, en cours, la crise pourrait finalement avoir permis une réorganisation durable de la filière, gage de sa compétitivité vis-à-vis de ses concurrents.

L'importance des restructurations entreprises doit être soulignée, qu'il s'agisse du mareyage, encore trop « émietté » face à la grande distribution et de surcroît soumis à l'obligation de se mettre aux normes communautaires, ou de la flotte de pêche artisanale dont la situation financière est aujourd'hui obérée par le surinvestissement des années passées.

Menée à son terme, cette restructuration permettra de valoriser les atouts incontestables de la pêche française : la diversité des espèces pêchées et surtout, l'existence d'une flotte artisanale moderne, compétitive, pouvant se comparer très avantageusement à celle de nos concurrents, espagnols ou écossais, par exemple.

La situation de la pêche industrielle, soumise à la concurrence très forte de la flotte internationale restera sans doute plus difficile, même si elle parvient à se maintenir sur certains créneaux rémunérateurs.

Il est clair, en effet, que l'avenir de la pêche française passe par le renforcement de sa compétitivité et non par l'amélioration d'une protection communautaire, déjà lacunaire.

En dépit de progrès ponctuels, obtenus dans le fil du mémorandum français, la politique communautaire en la matière restera caractérisée, quoiqu'on en ait, par une organisation des marchés très libérale et faiblement protectrice.

S'il serait illusoire de prétendre remettre en cause l'économie même des mécanismes communautaires, en revanche, il est indispensable de veiller à ce que la loyauté de la concurrence soit respectée au sein de l'Union. Sur ce point, si le respect des règles sanitaires paraît convenablement assuré, celui des règles d'origine paraît beaucoup plus aléatoire. Il est clair que certains États jouent le rôle de « cheval de Troie » pour l'importation de poissons de pays tiers à l'intérieur de la Communauté : du poisson débarqué par des flottes extra-communautaires y est frauduleusement considéré comme du poisson de l'État de débarquement, commercialisé dans la Communauté sans avoir acquitté de droits d'entrée...

De même, la plus grande attention doit être apportée aux concessions que, dans des cadres divers (la Convention de Lomé, l'accord avec le Maroc ou avec les pays de l'Est), la Communauté a accordé, ou peut être tentée d'accorder. La pêche comme l'agriculture, sont des secteurs trop fréquemment sollicités dans le cadre de ces négociations...

Il faut se féliciter que le projet de budget des pêches maritimes pour 1996 permette de poursuivre l'indispensable restructuration entreprise. Depuis 1994, dans un contexte budgétaire difficile, le Gouvernement a su consentir en faveur de ce secteur un effort financier très important, qui se traduit dans les différentes mesures mises en places, non seulement pour répondre conjoncturellement à une situation de crise grave, mais surtout pour améliorer, de façon structurelle, la compétitivité de la filière.

Cet effort budgétaire trouvera dans la loi d'orientation pour la pêche, annoncée pour le premier semestre 1996, son pendant législatif, afin de fournir à ce secteur les instruments juridiques nécessaires pour accompagner sa mutation.

CHAPITRE PREMIER - UN SECTEUR ÉPROUVÉ PAR LA CRISE

Au cours des trois dernières années, le secteur de la pêche a été en proie à une crise profonde, aux facteurs multiples. Cette crise est survenue alors même que, confrontée à une raréfaction de la ressource, la flotte communautaire était engagée dans un effort de réduction des capacités, destiné à adapter le potentiel de capture aux ressources halieutiques accessibles. La gravité de la situation a conduit à mettre en place, au plan communautaire comme national, un ensemble de mesures significatives. Mais la situation de ce secteur demeure préoccupante.

I. UNE CRISE AUX FACTEURS MULTIPLES

L'une des raisons structurelles de la crise de la pêche réside dans une tendance générale à la réduction des obstacles aux échanges, qu'il s'agisse des obstacles tarifaires -avec l'abaissement des barrières douanières- ou des obstacles liés aux difficultés de transport -avec, par exemple le développement du transport aérien des produits de la mer. Les produits domestiques sont donc beaucoup plus aisément concurrencés par les productions des pays à moindre coût de production.

Autre facteur structurel : une évolution préoccupante de la consommation. En effet, les produits de la mer sont de plus en plus concurrencés par des produits substituables -les viandes blanches- dont la tendance à la diminution du prix est encore accentuée par la diminution du prix des céréales organisée dans le cadre de la réforme de la politique agricole commune (PAC).

Au plan communautaire, plusieurs facteurs contribuent également à cette crise. Le caractère structurellement déficitaire de l'approvisionnement communautaire a conduit la Communauté à favoriser les importations : en 10 ans, l'autoapprovisionnement est passé de plus de 70 % à moins de la moitié de la consommation. En outre, la politique de coopération et de développement a fréquemment conduit à accorder, dans le cadre des systèmes de préférences généralisées ou des conventions de Lomé, un accès privilégié sur le marché communautaire aux produits de la mer.

Enfin, l'insuffisance des contrôles de certains États favorise les importations sauvages : on sait ainsi que certains États de l'Union « communautarisent » abusivement la pêche d'États-tiers.

Au plan national enfin, plusieurs facteurs défavorables peuvent être relevés : le fort endettement de certains producteurs lié aux charges d'amortissement de navires récemment modernisés ou construits pour améliorer la productivité ; l'organisation insatisfaisante de la filière.

D'une façon générale, la diversité des espèces produites sur le littoral français et leur écoulement prioritaire sur le marché -en déclin- du frais ne facilitent pas la rationalisation d'une commercialisation qui se caractérise par une extrême diversité de l'offre face à une demande de plus en plus concentrée.

À ces facteurs structurels, se sont ajoutés des facteurs conjoncturels. Comme on a d'ailleurs pu l'observer pour d'autres produits, l'effondrement des économies de l'Est a, tout d'abord, contribué à brusquement déséquilibrer l'offre. La désorganisation économique conduit ces pays ainsi à écouler leur production sur le marché communautaire à des prix de braderie.

La récession a eu, d'autre part, un effet défavorable sur la consommation, le consommateur privilégiant le bas de gamme.

Enfin, les dévaluations monétaires récentes ont gravement affecté la pêche française.

La France exporte en effet une part importante (environ le tiers de sa production), notamment vers l'Espagne et l'Italie, marchés très rémunérateurs jusqu'à une période récente. Les dévaluations de ces États ont entraîné un effondrement des exportations en valeur (- 17% sur l'Espagne, - 52 % sur l'Italie, de 1991 à 1995) dans le même temps qu'à l'importation, la faiblesse de la livre -la Grande-Bretagne est notre premier fournisseur- favorisait la pénétration du marché français...

II. LES MESURES PRISES AU PLAN COMMUNAUTAIRE


• Un règlement du Conseil du 22 décembre 1994 (n° 3318/94) a révisé un certain nombre de dispositions du règlement n° 3759/92 du Conseil du 17 décembre 1992 portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits de la pêche et de l'aquaculture.

Les principales modifications apportées reprennent, pour une large part, les propositions françaises : l'Union, notamment, apportera son concours financier aux organisations de producteurs qui mettent en oeuvre des plans d'amélioration de la qualité, ce qui permettra d'inciter à la valorisation de la production communautaire. Par ailleurs, l'examen par la Commission de la validité des mesures d'extension de disciplines des organisations de producteurs décidées par les États membres s'effectuera a posteriori et non plus a priori.

Le régime de l'intervention est également modifié : lorsque les retraits de certaines espèces communautaires excéderont, pour un mois donné, 10 % de la production mensuelle d'une organisation de producteurs considérée, l'Union les financera désormais à hauteur de 93 % du prix de retrait au lieu de 85 %. Cette mesure de crise limite la co-responsabilité financière des organisations de producteurs en cas de retraits importants, afin de permettre à ces structures de poursuivre leur mission de régulation du marché.

Par ailleurs, la Commission a accepté qu'une part significative des crédits IFOP (instrument financier d'orientation de la pêche) puisse être utilisée pour le cofinancement d'un fonds de garantie des organisations de producteurs destiné à faciliter l'organisation du marché de certaines espèces sensibles.


• Au printemps 1995, la Commission européenne a approuvé le document proposé par la France dans le cadre de l'initiative européenne PESCA qui permettra d'accompagner financièrement durant la période 1994-1999 les projets présentés par les professionnels visant, soit à la diversification de leur activité, soit à la mise en oeuvre d'initiatives susceptibles de renforcer la compétitivité du secteur. La France dispose à ce titre d'une dotation de 28 millions d'écus.

De son côté, le Conseil des ministres de la pêche du 15 juin 1995 a décidé que l'IFOP pourrait cofinancer des mesures de préretraite pour des marins pêcheurs désireux de quitter la profession.


• En revanche, alors qu'en 1993 et 1994, au plus fort de la crise, la France avait obtenu de la Commission européenne que soit soumise au respect de prix minima l'introduction sur le territoire communautaire des produits des courants d'importation les plus importants, ce dispositif n'a pas été reconduit en 1995.

III. LES MESURES NATIONALES

La profondeur de la crise, ponctuée d'événements graves, a conduit le Gouvernement à prendre un ensemble de mesures destinées, à la fois, à apporter des réponses immédiates et à améliorer la compétitivité de la filière.

Cette politique a trouvé sa traduction dans :

- les mesures conjoncturelles arrêtées le 20 avril 1993,

- le contrat de progrès pour la pêche signé le 28 mai 1993 et complété le 16 septembre de la même année,

- les décisions arrêtées début février 1994 après l'importante dégradation des cours.

Depuis les premières mesures conjoncturelles d'avril 1993, ce sont au total 1,5 milliard de francs que le Gouvernement y a consacré tant en aides d'urgence qu'en allégement des charges sociales et financières ou encore en mesures de soutien du marché.

C'est ainsi que les marins pêcheurs ont bénéficié pendant six mois, du 1er janvier 1994 au 1er juin 1994, d'une réduction de 50% de leurs cotisations sociales. Le 1er juin 1994 le compte épargne navire qui leur garantit un revenu minimum, a pris le relais. Des mesures d'urgence d'aide aux familles ont été débloquées à deux reprises.

Le taux des cotisations sociales, appliqué à la part armatoriale de tous les navires artisans (plus et moins de douze mètres) a été allégé et harmonisé.

Les charges financières ont été réduites aussi bien pour la pêche artisanale que la pêche industrielle avec la baisse du taux des prêts bonifiés, le réaménagement des emprunts en cours (allongement de la durée des prêts bonifiés pour les plus de 12 mètres, prise en charge par l'État de la bonification pour les prêts non bonifiés des plus petits bateaux, maintien de la bonification des armements industriels renégociant leurs prêts).

Enfin, les entreprises ont vu leurs fonds propres renforcés : 90 millions de francs y ont été consacrés par l'État entraînant une participation équivalente des régions.

Au-delà de ces mesures conjoncturelles, dans le fil des propositions du rapport Guérin, des mesures destinées à l'amélioration de la compétitivité de la filière ont été arrêtées : en septembre 1994, 15 millions de francs ont été débloqués pour mettre en place un ensemble de mesures permettant d'assurer un véritable pilotage par l'aval de la filière, en améliorant la connaissance de l'offre, la mise en marché et la commercialisation, ainsi que la valorisation de la production grâce à une politique accrue de qualité.

Le 9 novembre 1994 enfin, un fonds de restructuration du mareyage a été crée, dont le montant initial a été fixé à 25 millions de francs et qui devrait assurer une efficacité accrue à la commercialisation des produits.

IV. UNE SITUATION QUI RESTE PRÉOCCUPANTE

A. LES CONCLUSIONS DU RAPPORT D'AUDIT SUR LA PÊCHE ARTISANALE

Le rapport de l'audit réalisé sur la situation financière des marins de pêche artisanale et des organisations d'intervention montre, en effet, que la situation des armements reste préoccupante.

Il apparaît ainsi que la situation des 173 bateaux de pêche industrielle et semi-industrielle est difficile pour les marins pratiquant la pêche des espèces « blanc de fond » (cabillaud, merlan, lieu noir, hareng).

S'agissant de l'armement artisanal, la situation serait très contrastée selon les catégories de navires.

Globalement, les navires de moins de 12 mètres (5.033 bateaux, 75 % du total) qui pratiquent une pêche de proximité connaissent la situation la moins défavorable, même si certains armements, notamment en Méditerranée, connaissent de réelles difficultés. D'une façon générale, la bonne valorisation des produits, des charges d'exploitation limitées, l'évolution positive des captures pour certaines espèces, l'ancienneté des équipements déjà largement amortis expliquent que cette catégorie connaisse des difficultés moindres.

En revanche, la situation des 12-25 mètres (1.638 bateaux) est beaucoup plus préoccupante : les résultats financiers d'une proportion importante des armements compromettent la pérennité des outils. Le rapport évalue les armements en difficulté à environ 370. Une centaine d'entre eux, avant imputation de toute charge d'endettement, connaîtraient des difficultés d'exploitation et une quarantaine aurait même un résultat d'exploitation négatif.

Les difficultés seraient d'ailleurs concentrées sur quatre départements : le Finistère, le Morbihan, la Loire-Atlantique, la Charente-Maritime, qui représentent 42 % de la flotte des 12-25 mètres, mais 61 % des navires de cette catégorie en difficulté. C'est dans ces départements que se trouvent majoritairement les armements dont la viabilité n'est pas assurée : 40 % dans le Finistère, un quart dans le Morbihan et la Loire-Atlantique, 10 % en Charente-Maritime.

En revanche, les flottilles de Méditerranée et du Nord, sembleraient bien placées pour gérer la période de mutation en cours. Alors qu'elles représentent près de 20 % de la flotte des 12 à 25 mètres, on ne relève que moins de 10 % de navires en difficulté (contre une moyenne nationale de 23 %), et un nombre très réduit (moins d'une dizaine) de navires en grande difficulté.

Le rapport estime aussi qu'il existe trois catégories de situation :

- les départements en crise : Finistère, Morbihan, Loire-Atlantique, Charente-Maritime ;

- les secteurs connaissant un nombre significatif de difficultés : la Bretagne nord, la Vendée, la Normandie ;

- les secteurs confrontés à des problèmes d'ampleur limitée : l'Aquitaine, la Méditerranée et le Nord.

Mais, cette approche régionale ou départementale recouvre d'importantes disparités entre ports d'une même zone géographique.

Ces disparités s'expliquent, en premier lieu, par la représentation des différentes catégories d'armements : les petits ports, centrés sur l'accueil des moins de 12 mètres, sont moins éprouvés. De même, les différents types de pêche sont variablement affectés : les ports de fileyeurs souffrent moins que ceux de chalutage, et, parmi les chalutiers, les chalutiers pélagiques moins que les chalutiers de fond. De leur côté, les types d'espèces pêchées -les espèces communes sont de plus en plus difficiles à valoriser, tandis que les espèces nobles ou pélagiques semblent mieux résister- expliquent la diversité des situations entre ports.

Il apparaît enfin qu'au sein d'une même région, les ports qui pratiquent une pêche axée sur des espèces à forte valeur ajoutée, et qui privilégient la qualité ont un prix moyen du poisson, y compris pour les mêmes espèces, largement supérieur à celui observé dans les ports qui connaissent des marées de plus longue durée. Ainsi, selon le rapport, les situations les plus délicates ont été relevées dans les ports pratiquant les marées les plus longues.

B. LA PÊCHE FRANÇAISE EN 1994

1. La production

En 1994, la production des pêches françaises s'est élevée à 624.000 tonnes pour une valeur globale de 5,96 milliards de francs.

Depuis 1990, on constate une baisse des apports, liée à la réduction de la flotte et la diminution de l'effort de pêche et à la raréfaction de certaines espèces.

Alors que l'année 1993 avait été marquée par une baisse sensible du chiffre d'affaires de la pêche, traduisant la crise des marchés, les résultats provisoires de 1994 laissent entrevoir une stabilisation du chiffre d'affaires à un niveau supérieur à 1993, grâce notamment à des apports revenus à un niveau élevé.

PRODUCTION FRANÇAISE DES PÊCHES MARITIMES ET DES CULTURES MARINES

Selon les prévisions disponibles, l'année 1995 se traduirait par une hausse modeste des apports (2 %) et du chiffre d'affaires (2,75 %), alors que le prix moyen reste stagnant (+0,85 %). Dans un contexte de stabilité des prix, l'augmentation du chiffre d'affaires s'explique donc par la progression des captures, ce qui peut d'ailleurs conduire à des difficultés compte tenu de la raréfaction de la ressource. Il semblerait ainsi que la crise, qui s'était prolongée en 1994, ne s'est pas aggravée en 1995.

On peut ainsi estimer que le revenu des pêcheurs, qui s'était encore réduit en 1994, devrait se stabiliser en 1995, mais à un niveau très sensiblement inférieur à celui dégagé en 1989.

2. Les échanges

Le déficit commercial de la France, dans ce secteur, est structurel : la production nationale ne couvre qu'environ 50 % de la demande intérieure. Cette situation est d'ailleurs celle de l'ensemble de la Communauté : le déficit de la balance commerciale de l'Union représente, globalement, 45 % du bilan des approvisionnements.

Ce déséquilibre s'explique par la conjonction d'une forte demande communautaire, tant en matière première (poisson frais, réfrigéré et congelé) pour les besoins des industries de transformation, qu'en produits transformés (poissons fumés, conserves...) très prisés par les consommateurs alors que dans le même temps on assiste à la diminution des captures débarquées par les flottilles de l'Union confrontées à une diminution des ressources.

Comme l'illustre le tableau ci-après, le déficit commercial (10 milliards de francs) se sera détérioré de 6 % par rapport à 1993, mais reste, cependant, inférieur à ceux enregistrés avant 1993

La détérioration de ce solde, sous l'effet de la baisse moyenne des produits de la mer, résulte de la reprise des importations (+5,6 %, après deux années de baisse) sur un rythme supérieur à celui des exportations (+4,9 %). Enfin, les fluctuations monétaires ont largement contribué à cette évaluation défavorable : la compétitivité de la pêche française a été affectée à la fois par les dévaluations de notre principal fournisseur, la Grande-Bretagne, et de nos principaux clients : l'Espagne et l'Italie.

ÉVOLUTION DE LA BALANCE COMMERCIALE DES PRODUITS

DE LA MER DE LA FRANCE

Année

IMPORTATIONS

EXPORTATIONS

SOLDE

QUANTITÉ

VALEUR

QUANTITÉ

VALEUR

QUANTITÉ

VALEUR

mT

Variation (%)

MF

Variation (%)

mT

Variation (%)

MF

Variation (%)

mT

Variation (%)

MF

Variation (%)

1990

867

11,15

15,4

10

350

11,46

5,2

3,38

517

11,18

10,2

13,21

1991

865

-0,23

16,51

7,21

352

0,57

5,33

2,50

513

-0,77

11,18

9,61

1992

876

1,27

15,5

- 6,12

363

3,13

5,05

- 5,25

513

0

10,45

- 6,53

1993

839

-4,22

14,2

- 8,39

397

9,37

4,7

-6,93

442

- 13,84

9,5

- 9,09

1994

880

4,89

15

5,63

412

3,78

4,93

4,89

468

5,88

10,07

6,00

Sources : Observatoire économique de FIOM d'après statistiques DGDDI provisoires

3- Les effectifs

En 1994, les effectifs de la pêche française étaient d'environ 27 500 marins, soit une diminution de 700 emplois par rapport à 1993.

Au cours des cinq dernières années, les effectifs ont diminué de plus de 15 %, soit une perte d'environ 5.000 emplois.

Les plans de restructuration de la flotte, mis en oeuvre expliquent en partie cette évolution.

En effet, comme l'illustre le tableau ci-après, on assiste à une diminution régulière depuis 1988/1989, conformément aux objectifs des plans d'orientation pluriannuels (POP) successifs. Par rapport à 1988, le nombre d'unités a été réduit de 40 % (-15 % pour la puissance et le jaugeage).

FLOTTE DE PÊCHE/PAR TRANCHES DE LONGUEUR

Les objectifs de décroissance de la flotte fixés par le Programme d'Orientation Pluriannuelle ont été respectés en 1992 et 1993. Conformément à ce Programme, une décroissance sensible est intervenue en 1994.

* au 31-08-1995

CHAPITRE II - L'ACTION CONDUITE PAR LES POUVOIRS PUBLICS ET LE PROJET DE BUDGET POUR 1996

I. LA POLITIQUE CONDUITE EN 1995

A. LE NOUVEAU PLAN POUR LA PÊCHE

Annoncé le 16 février dernier, à la suite d'un rapport d'audit des armements à la pêche artisanale, ce plan devrait mobiliser 330 millions de francs, dont 180 à la charge de l'État.

Ce plan de restructuration financière de la pêche artisanale vient donc compléter les mesures prises en 1994 : la réduction des charges sociales et financières des armements, le renforcement des fonds propres, la constitution du fonds du mareyage pour un coût budgétaire de 240 millions de francs. Il comprend quatre grandes séries de mesures.

1. L'amélioration de la situation des marins

Ces mesures, qui concernent l'ensemble du secteur de la pêche artisanale, sont au nombre de quatre.


L'amélioration du régime des caisses de chômage « intempéries ».

Actuellement, les caisses d'indemnisation du chômage dû aux intempéries assurent aux marins un salaire forfaitaire pour une durée totale annuelle de 20 jours, ce qui s'avère souvent insuffisant et ne couvre pas les risques liés aux avaries techniques. Le quadruplement de l'enveloppe (60 millions de francs au lieu de 15) permettra d'accroître la durée de prise en charge du chômage et de prendre en compte le risque avarie.


La clarification des contrats d'engagement et de la définition des charges communes

Sur ce point, l'audit a mis en évidence la nécessité de clarifier, dans un processus encadré de négociations professionnelles, port par port, les contrats d'engagement et la définition des charges communes, afin de mettre un terme à certaines irrégularités.


L'extension aux patrons pêcheurs des mesures de cessation d'activité anticipée (CAA) et des allocations complémentaires de ressources (ACR)

Ces dispositifs, applicables aux matelots et patrons dans le cadre des mesures d'apurement du passif, sont étendus aux patrons pêcheurs, dans le cadre du plan de sortie de flotte 1995 (150 navires concernés) après examen individuel des dossiers. Le coût de cette extension représente 10 millions de francs qui s'ajoutent aux 8,8 millions actuels.


L'aide aux familles en difficulté

Cette aide est dotée d'une nouvelle enveloppe de 10 millions de francs sur crédits ENIM (Établissement national des invalides de la marine). Elle prolonge ainsi les aides attribuées en 1993 et 1994 (10 millions de francs, chacune).

2. Le soutien aux armements en difficulté

Le rapport d'audit évalue à environ 370 le nombre de navires de 12 à 25 mètres qui rencontrent de graves difficultés, soit 25 % des navires de cette catégorie.

Parmi ceux-ci, 270 connaissent un résultat d'exploitation convenable, mais supportent des charges financières excessives.

Par ailleurs, 100 bateaux sont difficilement viables en raison de résultats d'exploitation négatifs ou très faibles, avant même toute imputation des charges financières.

Dans ces conditions, le plan retient deux types de mesures : améliorer la situation financière des navires jugés viables et permettre une sortie de flotte dans des conditions sociales et financières acceptables pour les autres.


• Pour les unités de 12-25 mètres qui ont un avenir, le plan prévoit d'alléger la durée des prêts bonifiés à 15 voire 18 ans au lieu de 12actuellement. Cette mesure toucherait plus de 200 navires.

En outre, une aide au désendettement des navires acquis entre 1988 et 1991 est mise en place. Cette aide prend la forme d'une prise en charge d'une partie du capital restant dû sur les prêts à l'acquisition. L'aide est plafonnée à un millions de francs et devrait être en moyenne de 600.000 francs par navire. 170 navires en bénéficieraient. En contrepartie, le bénéficiaire s'engage à ne pas contracter de nouvel emprunt pour l'acquisition d'un navire avant le remboursement complet des prêts concernés.


• Pour la centaine d'armements qui paraissent non viables (pour cause de gestion déficitaire, pour des raisons techniques, d'obsolescence ou d'inadaptation de l'outil), le plan vise à permettre une sortie de flotte honorable pour le patron pêcheur en préservant son patrimoine personnel, ainsi que celui des personnes qui se sont portées caution.

Pour ces armements, deux types de mesures d'apurement du passif sont envisagés.

Si le navire, viable techniquement, est cédé à un autre patron, l'objectif d'apurement du passif consiste à réduire l'endettement hors fournisseurs avant cession. Le prix de vente du navire doit correspondre alors à sa valeur économique. Dans ce cas, il y aura prise en charge du passif hors fournisseurs, évalué après cession. Les collectivités territoriales et les établissements bancaires sont sollicités dans le cadre de cette action exceptionnelle. De son côté, au-delà de sa participation à l'apurement du passif, l'État renonce à la taxation des plus-values.

En cas d'arrêt définitif du navire, le passif hors fournisseurs fera l'objet d'un apurement quel que soit l'âge du navire (plus ou moins de dix ans).

3. Le soutien aux navires de moins de 12 mètres

L'audit a montré que la plupart des bateaux de moins de 12 mètres (75 % du nombre total des navires) ne connaissent pas de difficultés financières majeures qui seraient susceptibles de compromettre la poursuite de leur activité. Certains d'entre eux supportent cependant des charges d'investissement excessives.

Le plan prévoit ainsi, pour les navires ayant un encours élevé (supérieur à 100.000 francs) l'allongement de la bonification des prêts bonifiés. L'État prendra en charge l'équivalent de cinq points d'intérêt pendant une durée de six ans (au lieu de trois ans) ou pendant la période de remboursement de l'emprunt restant à courir si celle-ci est inférieure à six ans. Cette mesure ne peut avoir pour effet de ramener le taux d'intérêt résiduel de l'emprunt à une valeur inférieure à 6,5 % par an pendant la période de prise en charge.

Il prévoit également l'exonération des plus-values en cas de cession : les navires présentant des situations financières difficiles pourront être cédés sans plus-values après un examen, au cas par cas, par les commissions régionales.

4. La réduction des prélèvements au débarquement

La dernière mesure du plan vise à réduire les prélèvements sur les produits de la mer opérés actuellement au moment de leur débarquement et de leur première mise en vente. Elle vise à prolonger, à terre, les efforts de productivité réalisés en mer.

Parmi les différents postes de charges pesant sur le compte d'exploitation, celui des prélèvements au débarquement est le plus important ; son allégement permettrait d'améliorer la compétitivité de l'ensemble des armements français. Une circulaire adressée aux préfets vise à mobiliser l'ensemble des partenaires concernés, autour d'un plan pluriannuel de réduction des charges de toute nature tirées au débarquement du poisson. Cet allègement nécessitera à la fois des efforts de productivité et de maîtrise de l'investissement.

Le 16 février dernier, le ministre de l'agriculture et de la pêche avait souligné, devant les professionnels, , l'ampleur inégalée de ce plan, destiné à « permettre à la pêche française de retrouver le chemin de la croissance, et assurer aux marins pêcheurs, les garanties nécessaires à l'exercice de leur métier ». L'opération de restructuration et de désendettement en cours permettra ainsi à la pêche française de tirer parti de l'atout que représentent les efforts de modernisation engagés au cours des années 80 : la moyenne d'âge de ses navires est en effet très sensiblement inférieure à celle de certains de ses concurrents, espagnols ou écossais par exemple.

Le coût total des mesures de désendettement et d'apurement du passif (hors exonération des plus-values) est estimé à 225 millions de francs pris en charge solidairement par l'État (75 millions de francs), les banques, les collectivités territoriales étant invitées à participer à la même hauteur.

Il faut, par ailleurs, indiqué que l'enveloppe (340 millions de francs) des prêts, bonifiés pour 1995, a été mise à disposition cette année, avec une anticipation de plusieurs mois, par rapport aux pratiques antérieures.

B. L'AMÉLIORATION DE LA COMPÉTITIVITÉ DE LA FILIÈRE

1. Les mesures conjoncturelles

Pour donner aux organisations de producteurs les moyens de faire face à la crise, des fonds ont été mis à leur disposition afin, notamment, de financer des actions de valorisation des produits, des démarches communes de commercialisation et la mise en place de fonds de garantie.

Pour 1995, les sommes débloquées à ce titre atteignent 65 millions de francs (dont 20 millions de francs au titre des fonds de garantie), 15 millions de francs supplémentaires étant mis en réserve à cet effet.

En outre, des campagnes de promotion très ciblées ont été lancées, soit pour faciliter l'écoulement de produits débarqués en grandes quantités, soit pour mettre en avant des productions de qualité.

2. Les mesures structurelles

Celles-ci s'articulent en trois volets.


Améliorer la transparence et la fluidité du marché

Un effort particulier est fait en faveur de l'amélioration de la connaissance anticipée des apports. Dans un marché caractérisé par une très forte concentration de la demande face à une offre très dispersée, cette anticipation sur les quantités disponibles à la vente est nécessaire. À ce titre, le FIOM a été doté de moyens financiers lui permettant de contribuer à l'équipement des navires que dans le cadre d'une démarche collective, veulent se doter des matériels nécessaires.

Dans la même perspective, les pouvoirs publics soutiennent la mise en réseau des opérateurs pour améliorer la circulation de l'information entre les différents opérateurs du marché (criées, organisations de producteurs, mareyeurs), nécessaire pour la mise en adéquation de l'offre à la demande et éviter le retrait de produits qui auraient pu trouver preneur.

Le développement de la normalisation des présentations des produits mis à la vente est encouragé, la France ayant en la matière un certain retard dû à l'extrême diversité des usages sur le littoral.


Valoriser la production

L'accent est, par ailleurs, mis sur la qualité du produit et les actions de valorisation, afin de renforcer l'attractivité commerciale de la production française.

Le FIOM soutient financièrement les initiatives en ce domaine, y compris celles visant à la sensibilisation et à la formation des marins aux techniques et usages permettant d'améliorer la qualité du produit d'amont en aval de la filière.

Dans certains cas et pour certaines espèces, ce type de démarches peut déboucher sur l'attribution de signes de qualité (certifications, indications géographiques protégées).


• Renforcer le mareyage

Comme le rapport Guérin l'a mis en évidence, ce maillon essentiel de la filière, premier acheteur de produits de la mer et a été directement affecté par la crise, alors même qu'il était est confronté à la nécessité de consentir des investissements importants pour mettre ses équipements en conformité aux normes sanitaires communautaires. Ce secteur, encore trop émietté, face notamment à la grande distribution, traverse aujourd'hui une période de profonde restructuration, caractérisée par la disparition de nombreuses entreprises.

Outre les subventions d'aides à l'équipement ou à la création de fonds de caution inter-portuaires délivrées par le FIOM, un fonds de structuration du mareyage -co-financé par le FIOM, les banques du secteur et l'Union du mareyage français- a été mis en place, en vue d'accompagner de manière sélective les initiatives de développement menées par certaines entreprises de mareyage viables (diversifications, regroupements, modernisations...).

Ces mesures s'insèrent dans une action à plus long terme d'amélioration des échanges et de renforcement des contrôles.

Le caractère structurellement déficitaire du commerce extérieur de la pêche a conduit les pouvoirs publics à prendre un certain nombre de mesures pour améliorer nos échanges.

Il s'agit tout d'abord de stabiliser la production nationale en recherchant, grâce aux campagnes de prospection halieutique, de nouvelles opportunités, et en développant les techniques aquacoles. Il s'agit, d'autre part de promouvoir une valorisation accrue de la production, en développant les démarches « qualité » et en modernisant les équipements : la valorisation de la matière première nationale -ou étrangère- devrait permettre un recours moindre aux importations de produits transformés.

L'accent, enfin, est mis sur le contrôle de la qualité des importations, indispensable dans le cadre du grand marché.

C'est ainsi qu'au niveau communautaire, la France a demandé que les contrôles soient développés, afin de garantir le respect homogène des règles sanitaires et douanières dans tous les pays membres.

Au niveau national, les importations de produits de la pêche font l'objet sur notre territoire d'un régime de contrôle renforcé : en matière sanitaire, en matière de normes de commercialisation (fraîcheur, calibrage, ...), en matière d'origine. Dans ce dernier cas, l'objectif est d'éviter que l'application des régimes tarifaires préférentiels accordés à certains pays tiers (les deux-tiers des importations communautaires s'effectuent sous couvert d'un régime dérogatoire...) ne bénéficie indûment à d'autres pays.

C'est à ce titre que le ministère a organisé, les 11, 12 et 13 septembre dernier, une opération de contrôle des produits de la mer dans les ports de Boulogne, Lorient et Sète, ainsi que sur les marchés d'intérêt national de Rungis, Marseille, Lyon, Bordeaux et Nantes. Selon le communiqué de presse publié par le ministère, « l'objectif de cette opération de contrôle coordonné portait sur la qualité sanitaire, l'origine des produits et le respect des règles de concurrence entre produits importés et produits communautaires.

Au total, 622 tonnes de marchandises ont été contrôlées. Si, sur le plan sanitaire, seulement 800 kilogrammes de poissons impropres à la consommation ont été saisis, il a été relevé, en revanche, plusieurs anomalies concernant les documents d'accompagnement des marchandises qui ne permettaient pas une identification satisfaisante des produits, notamment quant à leur origine. Ces anomalies font l'objet d'investigations plus approfondies de la part des services de l'État, en vue d'une saisine éventuelle des autorités communautaires et, le cas échéant, des pays membres de l'Union européenne. »

Le ministre de l'agriculture et de la pêche a d'ailleurs indiqué qu'il renouvellerait périodiquement ce type d'opération, dont le bilan serait communiqué.

II. LA PRÉPARATION DE LA LOI D'ORIENTATION

Dans le cadre de la « Commission de suivi », réunie le 28 septembre, M. Philippe Vasseur a indiqué que son objectif était de déposer, avant la fin du premier semestre 1996, un projet de loi d'orientation sur la pêche.

Votre rapporteur ne manquera pas d'interroger le ministre, lors de la discussion budgétaire, sur ses orientations.

Sans que les principaux volets en aient encore été définis, il semblerait que le projet de loi doive s'attacher aux statuts juridiques et fiscaux de la pêche artisanale, à l'organisation des marchés avec notamment la modernisation du statut du FIOM, pour le rapprocher de celui des offices, à la gestion de la ressource et aux aspects sociaux.

S'agissant de la gestion de la ressource, l'objectif recherché serait de développer les moyens d'une gestion rationnelle de cette dernière permettant sa conservation à moyen terme -indispensable à la pérennité du secteur lui-même- et un équilibre harmonieux entre les activités des différentes flottilles. Elle passerait par la préservation du caractère de patrimoine collectif de la ressource halieutique disponible, ainsi que par la préservation de la qualité des eaux littorales, nécessaire au développement des productions aquacoles.

Pour ce qui est des entreprises, elles-mêmes, on peut, d'ores et déjà, indiquer que les conclusions du rapport de mission de MM. Daniel Basset et Jean-Louis Porry sur la modernisation du statut de la pêche artisanale fournissent des pistes de réflexion sur les conditions de mise en société des armements artisanaux, ainsi que l'adaptation à ce secteur des procédures d'alerte en cas de dégradation de leur situation.

Il semble, en effet, que la gestion et le statut juridique de ces entreprises, de même que la formation, initiale et continue, des hommes qui les dirigent ne soient pas toujours adaptés à ce type d'activité très capitalistique : on estime ainsi que la pêche aurait une « intensité capitalistique » trois fois plus élevée que celle de l'agriculture, déjà caractérisée par l'importance de l'investissement par rapport au chiffre d'affaires dégagé.

Dans la mesure où les pouvoirs publics sont conduits à accompagner budgétairement le mouvement de désendettement et de restructuration, il ne serait sans doute pas illogique qu'ils veillent à ce que les conditions qui ont pu, pour partie, expliquer le crise actuelle ne se trouvent plus réunies...

Partant du constat que le bon niveau des cours sur le marché avait permis, jusqu'à un passé récent, à la pêche artisanale de se contenter d'une gestion approximative, les auteurs relèvent que le manque de fiabilité des comptes ne permettrait pas d'alerter à temps de la dégradation de la situation financière des entreprises.

Pour améliorer la gestion des entreprises de pêche artisanale, le rapport propose un dispositif reposant d'abord sur un renforcement des critères d'agrément et du contrôle des organismes de gestion et sur un accroissement de l'implication des pêcheurs. Enfin, une procédure d'alerte, comparable à celle prévue dans la loi du 10 juin relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises, devrait être mise en place, en liaison éventuelle avec la direction des affaires maritimes, lorsque la continuité de l'entreprise risque d'être compromise.

Le rapport envisage, d'autre part, d'étendre à la pêche le dispositif applicable aux agriculteurs en difficulté, en transposant le dispositif AGRIDIF, qui repose sur la détection la plus précoce possible des difficultés, afin de déclencher, en temps utile, un plan de redressement adopté.

Enfin, les auteurs s'attachent au statut juridique de la pêche artisanale et à son évolution souhaitable, notamment le développement de la forme sociétaire (la société à responsabilité limitée et l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée).

La formule sociétaire présente l'avantage de limiter les risques par rapport à l'entreprise individuelle, où l'artisan reste indéfiniment responsable sur ses biens propres. Elle incite, en outre, à une véritable gestion d'entreprise. En revanche, elle paraît devoir entraîner la perte d'un certain nombre d'avantages liés au statut de la pêche artisanale, ainsi que des surcoûts sociaux ou fiscaux, en l'état actuel, prohibitifs.

Pour lever cet obstacle, les rapporteurs préconisent d'assimiler au pêcheur artisan la société dont plus de 50 % des droits sociaux et des droits de vote sont détenus par des pêcheurs qui en assureront en droit la direction et seront embarqués sur le navire, propriété de la société. L'objectif devrait être de faire en sorte que les pêcheurs optant pour ce statut ne puissent se trouver dans une situation plus défavorable que celle des pêcheurs artisans exploitant sous forme individuelle.

Le troisième volet devrait être consacré à l'organisation du marché, dans le sens d'un véritable pilotage de la production par l'aval de la filière. La réalisation d'un tel objectif passerait notamment par le développement de la politique de valorisation des produits, par la rationalisation de la mise en marché (limitation des points de débarquement, renforcement du rôle fédérateur des criées dans l'enregistrement et la diffusion des informations concernant les captures, ainsi que par le renforcement du rôle économique des organisations de producteurs, pivot de l'organisation du marché.

Enfin, une meilleure cohérence des décisions des organismes professionnels respectivement en charge de la gestion de la ressource (comités des pêches) et de l'organisation du marché (organisations de producteurs) devrait être recherchée.

III. LE PROJET DE BUDGET DES PÊCHES MARITIMES ET DES CULTURES MARINES

A. L'ÉVOLUTION DES DOTATIONS

Dans un contexte difficile, les crédits destinés aux pêches maritimes et aux cultures marines font l'objet d'une sollicitude budgétaire particulière.

De loi de finances initiale à loi de finances initiale, les moyens de paiement progressent de 30 %.

Cette augmentation sensible des crédits doit cependant être relativisée. En loi de finances rectificative, 120 millions de francs de crédits supplémentaires avaient été dégagés pour faire face à la crise du secteur : 75 millions de francs au titre du désendettement et de l'apurement du passif des entreprises, dans le cadre du plan de restructuration : 45 millions de francs au bénéfice du FIOM ; 20 millions de francs pour l'organisation des marchés ; 25 millions de francs pour les caisses « chômage intempéries ». Les crédits d'intervention ont ainsi représenté 226,5 millions de francs en 1995.

Ainsi, par rapport à la loi de finances rectificative (qui majorait de 80 % les crédits initiaux), les crédits demandés sont en baisse de 27 %, ce qui, en réalité, permet de pérenniser l'essentiel des mesures introduites en cours d'année par la voie du collectif.

En millions de francs

( ) : autorisations de programme

B. L'AIDE A UX ENTREPRISES DE PÊCHE


En 1995, les crédits d'intervention en faveur des entreprises de pêche (article 20 de chapitre 44.36) représenteront plus de 90 millions de francs. Outre le paiement des primes d'arrêt définitif et les versements prévus par les contrats de plan, la majeure partie (les 75 millions de francs votée en cours d'année) est destinée au versement des aides au désendettement et à l'apurement du passif décidé dans le cadre du plan de restructuration de la pêche artisanale.

Les mesures envisagées pour 1996 sont identiques à celles de 1995. Le montant prévu pour l'arrêt définitif sera augmenté, pour permettre d'intensifier les sorties de flotte afin de parvenir à l'objectif de réduction de la flotte de pêche française fixe par l'Union européenne. Par rapport aux crédits initiaux de 1995, les crédits demandés pour 1996 (22 millions de francs) augmentent de 33 %.


• En revanche, les subventions d'investissement à la flotte de pêche sont en baisse : dans un contexte de crise, le nombre de constructions et de modernisations des navires est, logiquement, très modéré.

En 1994, pour la pêche industrielle, 18 navires ont été modernisés et un chalutier construit, pour un montant d'autorisations de programme de 6,3 millions de francs. Les délégations de crédits pour la pêche artisanale se sont élevés à 17,8 millions de francs pour l'ensemble des régions métropolitaines et ont concerné presque intégralement des modernisations.

En 1995, la situation reste quasiment identique à celle de 1994. La pêche industrielle assure la construction de deux navires et la modernisation de 8 unités pour un montant de 7,7 millions de francs. Les délégations de crédits pour la pêche artisanale ne concernent que des modernisations de navires pour un montant de 9,1 millions de francs.

Cette conjoncture explique l'annulation de crédits de 5 millions de francs en autorisation de programme et de 5 millions de francs en crédits de paiement sur le chapitre 64-36. Les dotations seront, pour 1996, de 22,3 millions de francs (- 11 % par rapport aux dotations initiales de 1995, mais + 11,5 % par rapport aux dotations régulées).

C. L'ORGANISATION DES MARCHÉS


• La dotation au FIOM (Fonds d'intervention et d'organisation des marchés des produits de la pêche maritime) (article 30 du chapitre 44-36) a été abondé de 45 millions de francs en 1995, pour permettre la poursuite du financement de la politique de modernisation de la filière (annonce anticipée des apports, mise en réseau des criées, renforcement du mareyage) de promotion et de qualité, ainsi que la mise en place des caisses chômage intempéries. Au total, l'état prévisionnel des recettes et des dépenses du FIOM devrait s'élever à 186,5 millions de francs pour 1995.

Pour 1996, la dotation prévue a été portée à 125 millions de francs, soit une majoration de 35 % par rapport à la dotation initiale de 1995, afin de permettre au FIOM, établissement public qui regroupe l'ensemble des professionnels concernés, de poursuivre son rôle dans la réorganisation de la filière.

Rappelons que le FIOM, créé en 1975, a pour mission de contribuer à la modernisation, à l'orientation et à la réglementation de la production, de la commercialisation et de la transformation des produits de la pêche maritime et des cultures marines. Ses ressources sont constituées de la dotation de l'État, de reversements de l'Union européenne et d'une taxe parafiscale.

En tant que relais financier et intermédiaire du Fonds européen d'orientation et de garanties agricole (FEOGA), le FIOM finance les mesures de soutien du marché prévues par le règlement portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits de la pêche et de l'aquaculture. À ce titre, il préfinance les retraits et un certain nombre de primes ou d'indemnités compensatoires. L'ensemble de ces actions, dont le financement incombe in fine à la Communauté, représentait, en 1994, environ 75 millions de francs.

Le FIOM finance, par ailleurs, les actions de promotion destinées au développement de la consommation des produits de la mer, soit environ 32 millions de francs en 1994.

Au titre de l'orientation de la production, le FIOM intervient principalement pour aider les investissements à terme (modernisation des navires) et dans le cadre du plan de modernisation du mareyage (soutien à la mise aux normes sanitaires). Il soutient également les actions en faveur de la qualité, les campagnes de prospection halieutique, ainsi que l'équipement des navires en moyen d'annonce anticipée des apports.

Enfin, il intervient dans l'indemnisation du chômage lié aux intempéries (14,4 millions de francs). L'extension du régime aux cas d'avaries techniques a, d'ailleurs, conduit à majorer les dotation à ce titre (environ 38 millions de francs en 1995).


• Les dotations de l'article 30 du chapitre 64-36 seront, en 1996 comme en 1995, principalement consacrées à la mise aux normes sanitaires en application de la réglementation communautaire. Ces investissements à terme bénéficieront de crédits majorés : + 5 % pour les autorisations de programme (21,2 millions de francs au lieu de 20,2 millions de francs), + 40 % pour les crédits de paiement (21,3 millions de francs au lieu de 15,2 millions de francs).

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du jeudi 16 novembre 1995, la commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Josselin de Rohan sur le budget de la pêche pour 1996.

Après avoir rappelé l'importance du secteur de la pêche pour l'économie française, M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a analysé les facteurs multiples qui avaient entraîné la crise brutale de 1993 et 1994 : l'évolution de la consommation, l'exacerbation de la concurrence des produits des pays tiers, l'insuffisance des contrôles aux frontières de la Communauté, l'inorganisation de la filière face à une grande distribution très concentrée. Il a souligné qu'à ces facteurs, s'étaient ajoutées les récentes dévaluations monétaires de nos deux principaux clients (l'Espagne et l'Italie) et de notre premier fournisseur (la Grande-Bretagne). Il a indiqué que la crise avait été d'autant plus profonde que la pèche française était très endettée, à la suite du surinvestissement des années 1980 et de l'augmentation du coût des navires, de plus en plus sophistiqués.

Puis M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a détaillé le contenu des dispositions prises, pour faire face à cette crise : les modifications apportées, fin 1994, au règlement communautaire portant organisation commune des marchés (OCM) dans le secteur des produits de la pêche et de l'aquaculture ; les différentes mesures conjoncturelles et structurelles mises en place au niveau national depuis 1993, pour un coût total d'1,5 milliard de francs.

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a ensuite exposé que le rapport d'audit sur la pêche artisanale demandé par le Gouvernement faisait apparaître que si, dans leur ensemble, les navires de moins de 12 mètres ne rencontraient pas de graves difficultés, en revanche, la situation des 12-25 mètres était préoccupante : 25% des 1.600 navires de cette catégorie seraient en difficulté et 100 d'entre eux, difficilement viables, devraient être retirés du marché.

Il a précisé que quatre départements étaient particulièrement touchés : le Finistère, le Morbihan, la Loire-Atlantique et la Charente-Maritime.

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a ensuite rappelé que la production des pêches françaises avait représenté, en 1994, environ 6 milliards de francs, et 624.000 tonnes. En 1995, le chiffre d'affaires devrait légèrement progresser, sous l'effet de l'augmentation des captures, alors que le prix moyen reste stagnant. Il a estimé que le revenu des pêcheurs, qui s'était encore réduit en 1994, devrait ainsi se stabiliser en 1995, mais à un niveau très inférieur à celui de 1989.

Il a indiqué que des emplois à la pêche continuaient à diminuer : en cinq ans, ils ont baissé de 15 %, soit environ 5.000 emplois perdus.

S'agissant de la balance commerciale, M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a indiqué que le déficit s'élevait à 10 milliards de francs en 1994. Il a précisé que le caractère structurel de ce déficit s'expliquait du fait que la production nationale ne représentait que 50 % de la demande intérieure.

Abordant ensuite la politique conduite par les pouvoirs publics en 1995, il a détaillé le contenu du nouveau plan pour la pêche, annoncé en février dernier. Il a indiqué que les 330 millions de francs prévus serviraient à l'amélioration des « caisses intempéries », à l'extension aux patrons pêcheurs des mesures de cessation d'activité et à l'aide aux familles, mais surtout à la restructuration financière de la pêche artisanale. Il a précisé que deux types de mesures étaient prévus : pour les navires de 12 à 25 mètres : d'une part, l'amélioration de la situation financière des navires jugés viables (grâce à des aides au désendettement et à l'allongement de la durée des prêts bonifiés), d'autre part, la sortie de flotte, dans des conditions financières et sociales acceptables, pour les navires qui paraissent non viables. Des mesures d'allégement de la charge financière sont également prévues pour les navires de moins de 12 mètres.

M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a relevé que des mesures, conjoncturelles et structurelles, avaient également été mises en place pour améliorer la compétitivité de la filière pêche, à travers notamment la recherche d'une meilleure valorisation des produits, l'amélioration de la transparence et de la fluidité du marché et la restructuration du mareyage. Il a, en outre, rappelé le renforcement des actions de contrôle, dans le cadre notamment d'opérations « coup de poing », qui ont porté principalement sur la qualité des produits importés et le respect des règles d'origine.

Il a ensuite évoqué le contenu de la loi d'orientation annoncée pour le premier semestre 1996 : la réforme des statuts juridiques et sociaux de la pêche artisanale, la recherche d'une meilleure organisation des marchés, avec notamment la modification des statuts du fonds d'intervention et d'orientation des marchés (FIOM), la gestion de la ressource.

Il a estimé que, compte tenu de l'effort budgétaire déjà réalisé par l'État, ce projet de loi était « particulièrement bien venu pour accompagner l'assainissement indispensable en cours ».

En venant à l'examen des dotations, M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a souligné que de loi de finances initiale pour 1995 à loi de finances initiale pour 1996, les dotations progressaient de 30% (191 millions de francs contre 147 millions de francs en 1995). Il a rappelé la très forte majoration des crédits en loi de finances rectificative pour 1995 (+ 120 millions de francs), pour faire face à la crise du secteur.

Après avoir présenté l'évolution des différentes dotations, il a conclu que le budget de la pêche pour 1996 était un « bon budget », puisque, par-delà l'augmentation des crédits, il reflétait la volonté très forte de l'État d'assainir la situation. Il a proposé à la commission, « compte tenu de l'effort remarquable mené par les pouvoirs publics », de donner un avis très favorable à son adoption.

M. Alain Pluchet est intervenu pour se féliciter que la commission ait décidé, cette année, de consacrer un avis spécifique au secteur de la pêche.

M. Jean François-Poncet, président, a estimé que l'évolution de la situation de ce secteur était encourageante, puisqu'après la crise très grave des dernières années, « on paraissait aujourd'hui voir le bout du tunnel ». Interrogé par le président sur le contenu de la politique de qualité conduite dans ce secteur, M. Josselin de Rohan, rapporteur pour avis, a précisé que cette politique passait par des actions très diverses : contrôle du respect des règles sanitaires et d'origine, garanties de la fraîcheur des produits, notamment en matière d'importations et de normalisation ainsi que d'identification.

Suivant les conclusions de son rapporteur, la Commission des Affaires économiques a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la pêche inscrits au budget du ministère de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation pour 1996.

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