Avis n° 82 (1995-1996) de M. Georges OTHILY , fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 novembre 1995

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N° 82

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1995.

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 1996 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME V

JUSTICE - ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Par M. Georges OTHILY,

Sénateur.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (10ème législ.) : 2222, 2270 à 2275 et T.A. 413.

Sénat: 76 et 77 (annexe n°27) (1995-1996).

Lois de finances.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi. vice-présidents ; Robert Pagès, Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest. secrétaires ; Guy Allouche. Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Claude Cornac, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck. Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier. Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Tùrk, Maurice Ulrich.

Mesdames, Messieurs,

Quoique dominé par un souci de réduction du déficit budgétaire, le projet de loi de finances pour 1996 envisage une augmentation substantielle des crédits consacrés à la justice, traduisant la volonté du Gouvernement de doter celles-ci des moyens nécessaires à l'exercice de ses missions.

Avec une enveloppe de plus de 6,9 milliards de francs, soit une hausse de 7 % par rapport à 1995, l'administration pénitentiaire est le principal bénéficiaire de cet effort financier.

Votre commission des Lois vous propose toutefois de dépasser l'analyse purement budgétaire de l'action ainsi engagée -qui, au demeurant, relève de la compétence de votre commission des Finances- pour se livrer à un examen de l'ensemble des solutions envisagées ou susceptibles d'être envisagées pour remédier au malaise pénitentiaire.

Car l'administration pénitentiaire est aujourd'hui confrontée à de véritables défis dont la réponse ne saurait être exclusivement financière. C'est ce qu'a d'ailleurs excellemment démontré notre collègue le Président Guy Cabanel, auquel votre rapporteur pour avis est honoré de succéder, dans un rapport de mission remis au Premier ministre sur la prévention de la récidive qui aura marqué l'année 1995. Ces défis concernent notamment la lutte contre la surpopulation carcérale (I), la réinsertion des délinquants (II) et la revalorisation du statut des personnels (III).

I. LA LUTTE CONTRE LA SURPOPULATION CARCÉRALE

A UN PROBLÈME RÉCURRENT

1. L'évolution de la population carcérale

a) L évolution quantitative

La surpopulation carcérale constitue depuis plusieurs années un problème récurrent de l'administration pénitentiaire ainsi que le révèle l'évolution du nombre de personnes incarcérées en métropole au 1er janvier de chaque année :

1980 : 35 655

1985 : 42 937

1990 : 43 913

1995 : 51 623

Les grâces collectives décidées chaque année à l'occasion du 14 juillet par le Président de la République ainsi que les lois d'amnistie votées au début de chaque septennat n'ont donc pas suffi à enrayer ce phénomène, en dépit de leur effet indéniable sur la population carcérale.

Ainsi, alors que le nombre de détenus sur l'ensemble du territoire national avait atteint 58 170 au 1er juillet 1995, la dernière grâce collective a permis la libération de près de 5 000 d'entre eux auxquels se sont ajoutés plus de 1 300 personnes élargies à la suite de la loi d'amnistie du 3 août. Le nombre de détenus est néanmoins aujourd'hui de l'ordre de 53 000, soit supérieur à ce qu'il était en début d'année.

b) L évolution des caractéristiques de la population pénale

Trois points ont plus particulièrement retenu l'attention de votre commission des Lois.

1) La répartition prévenus-condamnés

La tendance est sur ce point à la diminution de la proportion de prévenus au sein des personnes incarcérées, ainsi que le montre le tableau ci-après :

Évolution de la population incarcérée (métropole et DOM) selon la catégorie pénale

Ce tableau met tout d'abord en avant le fait que la diminution de la part relative de prévenus résulte d'une double tendance :

- l'augmentation en valeur absolue du nombre de condamnés ;

- la stagnation en valeur absolue, depuis 1988, du nombre de prévenus (environ 20 000 au 1er janvier de chaque année).

S'agissant du nombre de prévenus, l'évolution des années 1985-1994 contraste avec celle de la décennie précédente. En effet, de 1975 à 1985, le nombre de prévenus incarcérés au 1er janvier avait augmenté de 71,2 %. Cette inversion de tendance coïncide avec l'entrée en vigueur de la loi du 9 juillet 1984 sur la détention provisoire qui a institué un débat contradictoire. Depuis le milieu des années 1980, la population des prisons comprend moins de prévenus que de condamnés.

Le tableau ci-dessus met cependant en évidence une nette augmentation du nombre de prévenus et de leur proportion au sein de la population incarcérée entre le 1er janvier 1994 et le 1er janvier 1995.

Votre commission des Lois sera attentive à l'évolution prochaine du nombre de personnes en détention provisoire afin d'apprécier si cette augmentation n'était que conjoncturelle ou marquait une inversion de la tendance observée depuis 1995.

2.- La répartition selon le quantum de la peine prononcée

Sur ce point, la tendance de long ternie est à l'augmentation du nombre de condamnés à de longues peines. En effet, depuis 1975 :

- le nombre de condamnés à des peines inférieures à un an a diminué de sept points pour représenter actuellement 31 % de l'effectif global ;

- la part des condamnés à des peines comprises entre un et trois ans est restée relativement stable, de l'ordre de 25 % ;

- la proportion de condamnés a des peines de trois à cinq ans est passée de 8,9 à 11,9% ;

- la part des condamnés à des peines de cinq ans et plus est passée de

25 % à 33 %.

3 La structure de la population incarcérée par nationalité

Le nombre d'étrangers détenus en métropole avait sensiblement augmenté au cours des années 1980 : de 7 070 en 1980 à 13 026 en 1990, leur part au sein de la population carcérale étant passée de 19,8 % à 29,7 %.

Depuis le début de la présente décennie, ce nombre s'est stabilisé : 14 343 en 1991, 14 979 en 1995. Les étrangers représentent aujourd'hui 29 % de la population carcérale. Cette proportion recouvre cependant des situations fort diverses. Ainsi, en Guyane, les étrangers sont largement majoritaires au sein de la population incarcérée dont ils représentent près des deux tiers.

2. Les facteurs de l'augmentation de la population carcérale

L'accroissement de la population carcérale résulte avant tout de l'augmentation de la durée moyenne de détention. En effet, sur le long terme, la tendance est à la stagnation, voire à la baisse, du nombre de personnes incarcérées du 1er janvier au 31 décembre de chaque année comme le révèle le tableau ci-après :

En revanche, ainsi qu'il a été indiqué précédemment, la part des condamnés à de lourdes peines au sein de la population carcérale est en constante augmentation.

De même, la durée moyenne de placement en détention provisoire est passée de 2,9 mois en 1980 à 3.8 mois en 1994.

Compte tenu de cette double évolution, la durée moyenne de détention pour l'ensemble de la population incarcérée en métropole s'élève à 7,1 mois. Elle a donc augmenté de plus de 50 % en 15 ans, puisqu'elle était de 4,6 mois en 1980.

Plusieurs hypothèses ont été envisagées pour expliquer ce phénomène : importance croissante de la récidive, plus grande sévérité des juges, développement d'une délinquance plus grave... Outre ces éléments, dont la portée est difficile à apprécier avec précision, deux facteurs méritent notamment d'être pris en considération :

- le développement, depuis 1995, des mesures alternatives à l'incarcération. Particulièrement destiné aux « petits délinquants », il a manifestement joué un rôle dans la diminution du nombre de détenus à de courtes peines d'emprisonnement ;

- la multiplication des garanties offertes au prévenu a, semble-t-il, conduit le juge à recourir à la détention provisoire pour les affaires les plus graves.

3. Les conséquences de révolution carcérale : des taux d'occupation inquiétants

Sur l'ensemble du territoire national, le nombre de places de prison est de 49 400.

Avec 58 170 personnes incarcérées au 1er juillet dernier, le taux moyen d'occupation des prisons françaises était donc de 117 %.

Toutefois, au-delà de ce constat d'ensemble, c'est la situation de certaines maisons d'arrêt particulièrement sur-occupées qui ne laisse pas d'inquiéter. Au 1er juillet, ce taux était par exemple de 298 % à Cayenne, 280 % à Meaux, 247 % à Pointe-à-Pitre, 245 % à Fontenay-le-Comte et 245 % à Beziers.

B. LES RÉPONSES APPORTÉES

I. La construction de nouvelles places de prison

a) L'achèvement du « programme 13 000 »

Le « programme 13 000 » fut décidé en 1987, à une époque où le parc pénitentiaire représentait 32 500 places pour environ 50 000 détenus. Il a conduit à la mise en place de 12 850 nouvelles places de prison au sein de 25 établissements pénitentiaires répartis dans 21 départements.

Avec la réception de la maison d'arrêt de Grasse, intervenue le 18 juin 1992, le programme de construction est à présent achevé.

Au 1er août dernier, 12 007 détenus étaient hébergés dans les établissements pénitentiaires du « programme 13 000 ».

b) Le « programme classique »

Parallèlement à la poursuite du «programme 13 000», l'administration pénitentiaire a mis en service plus de 2 000 places de détention dans le cadre d'un programme de construction dit « classique ». Celui-ci a permis la construction ou la restructuration de quatre maisons d'arrêt, d'une maison centrale, d'un centre de détention et d'un centre pénitentiaire.

Conjuguée à l'effort entrepris dans le cadre du « programme 13 000», cette action a permis une réduction substantielle du taux d'occupation des établissements pénitentiaires : 113 % en 1993 contre 138 % en 1988.

Néanmoins, face à l'augmentation continue de la population carcérale, une nouvelle impulsion a dû être donnée par la loi de programme du 6 janvier 1995 que le projet de loi de finances pour 1996 prévoit de poursuivre.

c) La loi de programme du 6 janvier 1995

Cette loi alloue 3 milliards de francs en autorisations de programme sur 5 ans (1995-1999) aux équipements pénitentiaires pour :

- la construction de nouvelles maisons centrales (220 MF),

- la construction de 4 000 places de détention (1 630 MF).

- la création de 1 200 places de semi-liberté (200 MF),

- et la rénovation du parc existant (950 MF).

1.- Bilan de la gestion 1995

L'administration pénitentiaire a été confrontée dès le début de la gestion à une forte insuffisance de crédits de paiement.

Le volume total des crédits de paiement ouverts dans la loi de finances initiale (350 MF), complété par les reports de 1994 et par les ouvertures en répartition du solde des crédits attendus au titre du Plan de relance-Ville, s'élevait à 500 MF alors que les besoins étaient estimés à 610 MF à raison de :

- 527 MF pour assurer les paiements des opérations engagées antérieurement à 1995 (dont 320 MF pour la construction des trois établissements des Antilles et de la Guyane),

- 83 MF pour l'engagement d'opérations nouvelles inscrites dans la loi de programme et concernant principalement les travaux de rénovation des infirmeries des établissements pénitentiaires et du parc pénitentiaire existant.

Au total, les perspectives au début de la gestion étaient donc d'une insuffisance de 110 MF dont 27 MF pour assurer les paiements des opérations en cours.

Dans ces conditions, la mise en place d'autorisations de programme pénitentiaires nouvelles a dû être suspendue dans l'attente d'une solution en gestion.

Une demande de comblement de ce déficit à partir des disponibilités excédentaires du chapitre 57-11 (services judiciaires) a été partiellement satisfaite à hauteur de 35 MF. S'y sont ajoutés 12 millions de francs obtenus par voie de fond de concours en cours de gestion et résultant de la vente de bâtiments pénitentiaires désaffectés.

Ces difficultés ont eu des incidences importantes sur le programme de rénovation du parc existant puisque la tranche 95 ne pourra être engagée qu'à hauteur de 20 %. Notamment, la plupart des opérations de rénovation des infirmeries pénitentiaires (116 opérations sur un total de 141) ont dû être reportées en 1996.

2.- Les perspectives 1996 et ultérieures

En 1996, le volume des crédits de paiement (516 MF) permettra :

- la réalisation, dans des conditions normales, des opérations de rénovation programmées initialement en 1995 et celles prévues en 1996 au titre de la loi de programme pour la justice ;

- l'achèvement des opérations de construction des trois établissements des Antilles - Guyane.

Par contre, le financement des acquisitions de terrains nécessaires à la construction des établissements pénitentiaires, prévus dans le cadre du « programme 4000 », devra être reporté à début 1997.

Il résulte néanmoins des informations fournies à votre rapporteur pour avis que ce report ne devrait pas modifier le calendrier prévisionnel suivant de réalisation des constructions nouvelles inscrites dans la loi de programme :

Ce calendrier prévisionnel reste évidemment subordonné à celui d'ouverture des crédits de paiement pendant la période de 1997 à l'an 2000.

Votre rapporteur pour avis porte également une attention toute particulière à la nécessité de maintenir en Guyane le programme initial qui permettait d'avoir sur le site l'ensemble des régimes de détention. La suppression du quartier « maison centrale » conduirait en effet au transfert vers la Martinique des détenus relevant de ce régime, entraînant ainsi une augmentation des dépenses publiques et une rupture des liens familiaux, préjudiciable à leur réinsertion.

2. Le développement des mesures alternatives à l'incarcération

Le recours à l'incarcération représente un coût considérable pour la collectivité :

- en termes d'investissement tout d'abord. Ainsi, pour le « programme 13000 », le prix moyen de la construction d'une place de prison fut de 313 664 F, sans compter les travaux complémentaires de sécurité ;

- en termes de dépenses de fonctionnement, ensuite, puisque le coût net moyen de détention par détenu dans le parc classique était de 291,92 F en 1994.

Par ailleurs, et compte tenu de l'intervention chaque année d'une grâce collective bénéficiant chacune à plus de 3 000 détenus, l'administration pénitentiaire évalue à 70 000 le nombre de personnes incarcérées en l'an 2000. Dans ces conditions, les constructions de places de prison envisagées aujourd'hui devraient se révéler rapidement insuffisantes. D'ores et déjà, la situation est particulièrement préoccupante dans certaines régions, notamment d'outre-mer. Ainsi, les établissements pénitentiaires actuellement en cours de construction dans les Antilles et en Guyane se révèlent sous-dimensionnés compte tenu des besoins réels.

Indépendamment de ces considérations financières, il est certain que l'incarcération n'est pas toujours la meilleure réponse à la délinquance.

Les pouvoirs publics se sont en conséquence efforcés, tout particulièrement depuis le milieu des années 1970, d'encourager au prononcé de mesures alternatives à l'incarcération.

Ces mesures peuvent aujourd'hui prendre de multiples formes :

- il peut tout d'abord s'agir de peines exécutées en milieu ouvert, sous le contrôle du juge de l'application des peines : sursis avec mise à l'épreuve, travail d'intérêt général (TIG) et ajournement du prononcé de la peine avec mise à l'épreuve ;

- ces mesures peuvent également prendre la forme de modalités particulières d'exécution d'une peine d'emprisonnement. Les bénéficiaires, quoique condamnés à l'emprisonnement, échappent en tout (placement à l'extérieur) ou en partie (semi-liberté) à l'incarcération ;

- il peut enfin s'agir des peines dites de substitution, prononcées en lieu et place d'une peine privative de liberté : suspension judiciaire ou annulation du permis de conduire, confiscation, jour-amende...

Il n'appartient bien entendu pas à votre rapporteur, dans le cadre du présent avis, de se livrer à une étude détaillée de ces différentes mesures. Un tel examen a d'ailleurs été effectué par notre collègue, le Président Guy Cabanel, dans son excellent rapport de mission sur la prévention de la récidive.

Votre rapporteur pour avis croit en revanche utile à l'information du Sénat de présenter les efforts entrepris au cours des derniers mois pour relancer le prononcé de ces mesures.

ï Le nouveau code pénal a élargi la panoplie des peines non carcérales et plus particulièrement du TIG, devenu une peine à part entière touchant désormais les trois catégories d'infractions (crimes, délits, contraventions) et susceptible d'être prononcée quel que soit le passé judiciaire du délinquant. Conjugué à la campagne conduite par les pouvoirs publics pour sensibiliser les magistrats à l'utilité de cette mesure, cet élargissement a conduit, en 1994, à une augmentation de 44,8 % du nombre de TIG en 1994 ; ainsi, au 1er janvier dernier, 18 328 mesures de TIG ont été prises en charge par les comités de probation et d'assistance aux libérés.

ï La loi de programme du 6 janvier 1995 a de nouveau traduit la volonté du législateur de voir se développer les alternatives à l'incarcération. Elle a notamment prévu de renforcer les effectifs du milieu ouvert par un doublement du nombre de travailleurs sociaux, soit la création de 768 emplois.

ï La loi du 8 février 1995 contient deux mesures qui ont un impact direct sur l'activité des services de l'administration pénitentiaire l'élargissement des possibilités de conversion des courtes peines fermes en sursis assorti d'un travail d'intérêt général et la libération conditionnelle des condamnés étrangers.

Compte tenu des délais requis pour le recueil statistique du nombre des mesures suivies par les comités de probation, il n'a pas été possible en l'état de faire un premier bilan de la mise en oeuvre des dispositions nouvelles relatives à l'élargissement des conditions de conversion des courtes peines d'emprisonnement en sursis-TIG.

Pour ce qui concerne les admissions à la libération conditionnelle des étrangers sous réserve d'expulsion, les statistiques des six premiers mois de l'année 1995 ne relèvent pas d'évolution particulière : celles-ci ont représenté 11,8% de l'ensemble des admissions à la libération conditionnelle de la compétence des juges de l'application des peines en 1994 ; ce pourcentage est quasi stationnaire au 30 juin 1995 (11,2 %).

II. DES EFFORTS EN FAVEUR DE LA RÉINSERTION

Selon l'article premier de la loi du 22 juin 1987. le « service public pénitentiaire (...) favorise la réinsertion sociale des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire ».

Des efforts ont été entrepris en ce sens qui ont consisté en une meilleure prise en charge des détenus et en un développement de la politique d'aide aux libérés.

A. UNE MEILLEURE PRISE EN CHARGE DES DÉTENUS

1. L'enseignement général

C'est en 1963 que furent affectés pour la première fois des instituteurs spécialisés en milieu ouvert. Depuis lors, l'enseignement général dans les prisons s'est développé et progressivement adapté aux spécificités du milieu carcéral, grâce en particulier à une politique de partenariat étroit entre l'administration pénitentiaire et les directions compétentes de l'éducation nationale.

Ainsi, en 1994, plus de 300 000 heures d'enseignement ont été assurées. D'après le dernier rapport d'activité de l'administration pénitentiaire, 16 883 personnes (soit un tiers des détenus) ont suivi une formation relevant de l'alphabétisation, de la lutte contre l'illettrisme et de la remise à niveau sur les apprentissages fondamentaux. S'y sont ajoutés près de 6 000 détenus ayant préparé un diplôme national, ce qui a notamment conduit à la délivrance de 137 brevets des collèges, 265 CAP, 38 baccalauréats et 83 diplômes de l'enseignement supérieur. Enfin, un millier a suivi des cours par correspondance.

Au total, près de 24 000 personnes, soit environ un détenu sur deux, ont bénéficié d'un enseignement général en 1994.

Cette politique a été relancée par la signature, le 19 janvier 1995, d'une convention entre la Direction des écoles, la Direction des lycées et collèges, la Direction des personnels d'inspection et de direction et la Direction de l'administration pénitentiaire. Cette convention opère une régionalisation de l'enseignement par la création d'une nouvelle structure : l'unité pédagogique régionale.

Selon le dernier rapport d'activité de l'administration pénitentiaire, « l'unité pédagogique doit permettre que tous les détenus puissent avoir accès à une éducation de qualité équivalente à celle dispensée dans le monde extérieur, particulièrement ceux qui n'ont ni qualification, ni diplôme et parmi eux, en priorité, les détenus illettrés ou analphabètes. Outre ces missions prioritaires, l'unité pédagogique régionale a pour vocation de dispenser l'ensemble des formations initiales et de préparer aux diplômes de l'éducation nationale ».

L'unité pédagogique est rattachée administrativement à la direction régionale des services pénitentiaires. Ses personnels dépendent cependant du ministère de l'éducation nationale.

2. Les activités de loisirs

a) L action culture lie

En relation avec le ministère de la culture, la Chancellerie s'efforce d'inciter au développement de programmes culturels en direction des détenus.

C'est ainsi qu'une circulaire du 14 décembre 1992 signée par le directeur du livre et de la lecture et par le directeur de l'administration pénitentiaire a visé à sensibiliser les bibliothécaires territoriaux sur leurs missions auprès de la population carcérale.

Des manifestations culturelles sont également organisées par les établissements pénitentiaires, le plus souvent en collaboration avec des associations.

b) Les activités sportives

L'administration pénitentiaire attache une attention particulière au développement des activités physiques et sportives qu'elle considère à juste titre comme éminemment favorable à l'intégration sociale et donc à la prévention de la récidive.

A la pratique régulière de sports collectifs (football, volley-ball, ...) ou individuels (tennis de table...), se superposent des manifestations ponctuelles : tournois, rencontres amicales intergroupes ...

Plus récemment, se sont développées les activités de pleine nature (escalade, cyclisme, ...) dans le cadre de permissions de sortie ou de placements à l'extérieur.

3. Les efforts en matière sanitaire

La loi n° 94-43 du 18 janvier 1994, le décret n° 94-929 du 27 octobre 1994 et la circulaire interministérielle du 8 décembre 1994 constituent les trois textes essentiels de la réforme de la santé en milieu pénitentiaire.

Cette réforme a pour ambition d'intégrer la population pénale dans le système général de santé, d'une part en lui accordant, ainsi qu'à ses ayants droit, une couverture sociale, d'autre part en lui permettant d'accéder à des soins comparables à ceux dispensés en milieu libre, au travers du service public hospitalier.

Depuis le 1er janvier 1994, toute personne détenue est obligatoirement affiliée aux assurances maladie et maternité du régime général de la sécurité sociale, à compter de la date de son incarcération.

L'État doit acquitter les cotisations sociales correspondantes et financer également la part qui n'est pas prise en charge par l'assurance maladie : le ticket modérateur pour les soins et le forfait journalier lors des hospitalisations.

Les ayants droit des détenus français et des détenus étrangers en situation régulière bénéficient également des prestations en nature des assurances maladie et maternité.

Le service public hospitalier doit assurer désormais les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire, à l'exception des établissements du «programme 13000» dans lesquels la fonction santé continuera d'être exercée par les groupements privés lorsqu'elle n'impliquera pas d'hospitalisation.

Une unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), qui est une unité d'un service hospitalier, doit être implantée dans chaque établissement pénitentiaire.

Les soins, tant somatiques que psychiatriques, sont prodigués par des équipes pluridisciplinaires de l'hôpital.

Au plan local, cette organisation nouvelle est formalisée au travers d'un protocole signé par le directeur de l'établissement pénitentiaire et le directeur de l'hôpital, sous l'égide des autorités régionales.

La charge de l'organisation des soins aux détenus est financée par le budget du ministère de la santé, à partir des cotisations sociales versées chaque année par le ministère de la justice pour l'ensemble de la population pénale (393 millions de francs en 1994). Parallèlement, la direction de l'administration pénitentiaire assure le financement de la rénovation des infirmeries des établissements pénitentiaires (51 MF sur trois ans).

La réforme s'est par ailleurs attachée à assurer le reclassement des infirmiers pénitentiaires, en instituant notamment des dispositions particulières d'intégration de plein droit dans la fonction publique hospitalière.

La réforme de la Santé constitue l'aboutissement d'une politique de décloisonnement menée dans le domaine de la réinsertion par l'administration pénitentiaire et entamée depuis plus de dix ans dans le domaine de la Santé. En effet, depuis 1984, le ministère de la Santé a été constamment associé par le ministère de la justice à l'élaboration de sa politique sanitaire, notamment au travers du comité interministériel de coordination de la santé en milieu carcéral.

Les enjeux de cette réforme sont considérables car l'état de santé physique et mental de la population pénale est particulièrement préoccupant. Le rapport publié en 1993 par le Haut comité de la santé publique l'a souligné, notamment dans le domaine des pathologies transmissibles ou contagieuses, (tuberculose, hépatites, sida, avec un taux de prévalence du virus de l'immodéficience humaine dix fois supérieur à celui de la population générale).

Ainsi, au delà des soins, l'engagement d'une véritable politique de prévention et d'éducation pour la santé de la population pénale paraît-il déterminant pour l'avenir et appelle à cet égard la mobilisation des conseils généraux aux côtés de l'État.

Le décret du 27 octobre 1994 mentionnait dans son article 17 que tous les protocoles devaient être signés le 1er juillet 1995. Il précisait par ailleurs que la date d'effet des protocoles devait être fixée au premier jour d'un mois, en principe le premier jour du mois suivant la signature, sauf si les cocontractants en décident autrement.

Cet échéancier n'a pu être respecté.

Au 1er juillet 1995, 39 sur les 139 protocoles prévus avaient été signés (en effet les établissements pénitentiaires du « Programme 13 000 » et ceux situés dans les territoires d'outre-mer ne sont pas concernés par la signature des protocoles). L'état d'avancement actuel des signatures des protocoles concernait alors 20 % de la population pénale.

Il résulte en outre des évaluations recueillies au niveau des régions que 64 protocoles supplémentaires ont depuis été mis en oeuvre portant à 72 % le taux de couverture des détenus par le nouveau dispositif de soins en milieu pénitentiaire.

Le non-respect des échéances fixées par le décret d'octobre 1994 est imputable essentiellement à des questions budgétaires. En effet, la question du financement des travaux des locaux de soins (les UCSA et les services médico-psychologiques régionaux -SMPR-) persiste. Faute de crédits de paiement suffisants en 1995, l'administration pénitentiaire a été contrainte de reporter à 1996 l'engagement de la plupart des travaux de rénovation des UCSA et des SMPR.

Pour 1996, une mesure d'ajustement d'un montant de 72,450 MF est inscrite au projet de loi de finances pour assurer le financement de la réforme dans l'ensemble des établissements pénitentiaires. En outre, une mesure nouvelle de 4 MF doit permettre le financement d'actions de prévention ainsi que la vaccination contre l'hépatite B.

B. LE DÉVELOPPEMENT DE LA PRÉPARATION A LA SORTIE DE PRISON

Une enquête réalisée en mars 1994 dans le ressort de la direction régionale des services pénitentiaires de Paris a mis en avant l'extrême précarité de la situation d'une majorité de personnes libérées :

- la moitié disposait de moins de 500 F de disponibilité ;

- la majorité n'était inscrite ni à l'ANPE, ni aux ASSEDIC et, pour les plus de 25 ans, n'avait pas rempli de demandes de RMI. Or, les deux tiers des libérés déclaraient n'avoir pas d'employeur susceptible de les réembaucher.

Enfin, près d'un tiers des libérés n'avaient pas de logement assuré.

L'administration pénitentiaire n'avait cependant pas attendu cette enquête pour s'efforcer de remédier à l'évidente marginalisation de nombreux libérés, facteur essentiel de récidive.

Ainsi, depuis 1993, un dispositif national de « préparation à la sortie sans récidive » a été institué sur chacun des 30 départements pilotes de la politique de la ville, afin que la maison d'arrêt et le comité de probation et d'assistance aux libérés analysent les besoins prioritaires des sortants de prison et mobilisent les services de l'État et le secteur associatif pour y répondre au plus près. A cette fin, les services sociaux (ANPE, caisses d'allocations familiales, sécurité sociale, missions locales, ...), sont sollicités pour préparer, en liaison avec le secteur associatif, la libération des détenus.

Cette dynamique qui a d'abord concerné 30 départements a fait l'objet d'une étude évaluative en lien avec un consultant.

Celle-ci a permis de mettre l'accent sur les potentialités et les difficultés existantes et constitue une base de référence pour généraliser le dispositif sous l'impulsion d'orientations prioritaires. Elle a notamment déterminé plusieurs orientations pour l'administration pénitentiaire dont l'une des principales consiste à rechercher une meilleure articulation entre le milieu ouvert et le milieu fermé.

Le décloisonnement de ces deux milieux permettrait d'assurer une continuité dans la prise en charge des condamnés, notamment dans le cadre d'une préparation à la libération. Celle-ci pourrait en effet intervenir de manière progressive.

Jusqu'à présent, ce décloisonnement a surtout été recherché par une meilleure articulation de l'intervention des travailleurs sociaux des services du milieu ouvert et du milieu fermé, notamment par un échange d'information renforcé.

III. L'ACTION EN FAVEUR DES PERSONNELS PÉNITENTIAIRES

A. LES PROBLÈMES LIES AUX PERSONNELS

1. Un taux d'encadrement insuffisant

Le tableau précédent décrit la répartition des effectifs du personnel pénitentiaire au 1er août dernier.

Compte tenu des 102 254 condamnés pris en charge par le milieu ouvert au 1er janvier 1995, chaque agent de probation suivait en moyenne 114 personnes.

En milieu fermé, compte tenu des 58 170 détenus au 1er juillet 1995, chaque agent surveillait en moyenne 2,5 personnes, soit un taux d'encadrement de 32,4 surveillants pour 100 détenus. Or, selon une étude menée en juin 1994, ce taux place la France parmi les pays à faible encadrement, juste devant des pays comme l'Estonie (25,2) ou la République Tchèque (21,7).

Les pays à taux moyen d'encadrement sont l'Autriche (41,5), l'Allemagne (43,5) et le Royaume-Uni (55,6).

Enfin, parmi les pays à fort taux d'encadrement, on citera notamment les Pays-Bas (64), la Suède (69,8), l'Italie (74,1) et l'Irlande (110,7).

2. Les conflits sociaux

L'administration pénitentiaire a connu 6 conflits sociaux depuis 1988.

Ces conflits expriment pour l'essentiel le malaise du personnel pénitentiaire face à un métier difficile à exercer sans pour autant bénéficier d'une reconnaissance sociale suffisante.

Les revendications des organisations syndicales portent sur la demande d'alignement des mesures statutaires, indiciaires, indemnitaires et de régime de retraite sur celles dont bénéficient les fonctionnaires de la police nationale ainsi que sur la création d'emplois en nombre suffisant.

Le dernier conflit, l'un des plus longs qu'ait connu l'administration pénitentiaire, s'est déroulé entre le 7 novembre 1994 et le 9 janvier 1995.

Dès l'automne 1994, les organisations syndicales ont fait savoir qu'elles attendaient avec intérêt l'annonce du projet de loi de finances pour 1995. Son contenu, pourtant significatif en période de récession budgétaire (création de 550 emplois, mesures indemnitaires et statutaires non négligeables), n'a pas paru satisfaisant.

Groupés en une entente syndicale, 12 syndicats pénitentiaires ont diffusé le 19 octobre 1994 une plate-forme de revendications qui portent notamment sur la création d'emplois supplémentaires, l'amélioration des régimes de retraite, des revalorisations indiciaires et indemnitaires, le cadre actif pour tous et un régime indemnitaire identique à celui des autres personnels pénitentiaires pour les personnels administratifs.

B. LA RECHERCHE DE SOLUTIONS PAR L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

1. La politique active de recrutement

Dans le cadre de la mise en oeuvre du programme pluriannuel pour la justice, le projet de loi de finances prévoit la création de 500 emplois répartis comme suit :

- 370 pour le renforcement de l'encadrement des détenus ;

- 130 pour l'accroissement des capacités de prise en charge en milieu ouvert.

Doivent s'y ajouter 230 emplois pour l'ouverture des établissements de Baie Mahault (Guadeloupe) et de Ducos (Martinique).

En outre, compte tenu de la prise en charge de la santé des détenus par le secteur hospitalier, des infirmiers sont détachés, auprès des services de soins au fur et à mesure de la passation des protocoles d'accord entre chaque établissement pénitentiaire et son hôpital de rattachement.

2. Des efforts financiers en faveur du personnel pénitentiaire

Le conflit de la fin de l'année 1994 a conduit à l'adoption d'un protocole d'accord que sept organisations syndicales ont accepté de signer le 18 janvier 1995.

Outre des recrutements nouveaux, ce protocole prévoit notamment :

- la revalorisation de l'indemnité horaire pour travail des dimanches et jours fériés. Celle-ci passe donc de 14,62 F à 17,30 F ;

- l'augmentation de la prime de surveillance de nuit ;

- la création d'une nouvelle indemnité pour charges pénitentiaires qui sera servie selon deux taux : soit un taux de base (800 F) à l'ensemble des membres des personnels de surveillance, administratif et technique de l'administration pénitentiaire, soit un taux majoré (2 400 F) lorsque ces mêmes personnels occupent un des emplois figurant sur arrêté conjoint du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, du Ministre de la Fonction Publique et du Ministre de l'Économie et des Finances.

Au-delà de ce protocole, le Gouvernement a souhaité répondre à une très ancienne revendication des personnels de surveillance. Ceux-ci demandaient en effet à bénéficier de la « bonification du cinquième » dont jouissent depuis 1957 d'autres corps, à l'instar des policiers ou des gendarmes. Cette mesure vise à tenir compte des conditions particulièrement difficiles de l'exercice de certaines missions en accordant une bonification d'une annuité pour cinq années de service effectif, dans la limite de cinq annuités. Ce mécanisme permet d'abaisser la limite d'âge de 60 à 55 ans et le droit d'ouverture à pension avec bénéfice immédiat de 55 à 50 ans.

Le bénéfice de la « bonification du cinquième » entrera en vigueur progressivement et fonctionnera pleinement au 1er janvier 2000.

Les conséquences financières de cette mesure sont assez difficiles à évaluer avec précision car au coût brut (que le Garde des Sceaux a estimé devant votre commission des Lois à environ 100 millions de francs sur la période 1996-2000) doivent être retranchées certaines sommes, et notamment les économies liées à l'évolution du GVT (glissement-vieillesse-technicité). Le remplacement de personnels de plus de 50 ans par des effectifs plus jeunes devrait en effet entraîner une réduction de la masse salariale. Nos excellents collègues Robert Badinter et Michel Dreyfus-Schmidt ont légitimement souhaité connaître avec précision le coût réel de cette bonification. Selon les informations fournies à votre rapporteur pour avis, le coût net supplémentaire pour le budget de l'État de cette mesure serait de l'ordre de 2 millions de francs pour 1996, de 2,3 millions pour 1997, de 4,9 millions pour 1998, de 7,3 millions pour 1999 et de 9,9 millions pour l'an 2000. Votre rapporteur pour avis demandera au Gouvernement de lui confirmer ces évaluations en séance publique.

Lors de l'audition du Garde des Sceaux par votre commission des Lois, M. le Président Jacques Larché s'est interrogé sur l'opportunité d'abaisser de cinq années l'âge du départ à la retraite de certains personnels dans un contexte de recherche d'une réduction des déficits sociaux. M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice, a estimé que l'extension de la « bonification du cinquième » aurait dû être décidée depuis longtemps, dans la mesure où elle traduit un souci déjà ancien du législateur de tenir compte des difficultés d'exercice de certaines missions.

Votre commission des Lois se félicite des efforts entrepris en faveur de l'administration pénitentiaire, non seulement sur le plan financier -dans un contexte de réduction du déficit budgétaire- mais également par l'adoption de mesures législatives ou réglementaires destinées à assurer une meilleure prise en charge des délinquants.

Elle constate néanmoins que ces efforts, quoique substantiels, ne suffisent pas à répondre aux défis auxquels est confronté le service public pénitentiaire et doivent en conséquence être poursuivis, voire renforcés.

A cette fin, certaines réflexions lui paraissent devoir être approfondies. Elles concernent notamment les mesures alternatives à l'emprisonnement. Dans la loi de programme du 6 janvier 1995, le législateur a expressément souligné que « pour prévenir la récidive, la politique pénale ne peut pas être uniquement fondée sur la mise en détention ». Dans son rapport de mission précité, notre excellent collègue Guy Cabanel a bien noté que, « à l'exception du sursis, dont le caractère de sanction n'est que fort rarement perçu comme tel par le condamné, le prononcé des alternatives à l'incarcération demeure encore trop rare en comparaison avec d'autres pays européens. Ainsi, (...) pour 100 peines d'emprisonnement ferme, les juridictions françaises n'ont prononcé en 1990 que 14 TIG (69 en Angleterre, 37 en Ecosse), 4 peines de jour-amende (751 en Autriche, 451 en Finlande, 143 en Suède, 110 au Portugal) et 12 dispenses de peine (223 en Irlande du Nord, 205 en Angleterre). L'indice relatif à l'ajournement du prononcé de la peine est quasiment nul alors qu'il s'élève à 78 en République tchèque, à 33 au Danemark et à 15 en Autriche. ».

Sans se prononcer sur le fond, votre commission des Lois appelle de ses voeux la poursuite de la réflexion de notre collègue Cabanel, notamment sur les points suivants.

1. L'extension de la panoplie des mesures alternatives à l'emprisonnement.

Sur ce point, votre commission des Lois apporte une attention toute particulière aux suites susceptibles d'être données aux développements sur l'assignation à domicile sous surveillance électronique.

2. L'extension du champ d'application de mesures existantes.

Votre commission des Lois regrette notamment une sous-utilisation de l'article D 49-1 du code de procédure pénale prévoyant la communication par le ministère public au juge de l'application des peines (JAP) d'un extrait de la décision de condamnation lorsque la peine inférieure ou égale à six mois d'emprisonnement, concerne une personne non incarcérée. Cette disposition, qui permet à ce magistrat de déterminer les modalités d'exécution de la peine en considération de la situation du condamné, n'est en effet utilisée que dans 13 % des cas.

3. La restauration de la crédibilité des mesures de substitution à emprisonnement afin d'inciter les magistrats à prononcer davantage de telles mesures.

Ainsi, les réflexions engagées par M. Cabanel sur l'organisation des CPAL méritent d'être poursuivies afin d'assurer une meilleure prise en charge des condamnés en milieu ouvert.

4. L'extension des compétences du juge de l'application des peines.

Sur ce point, deux questions évoquées par notre collègue Cabanel ont particulièrement retenu l'attention de votre commission des Lois :

- consacrer la faculté pour le JAP de mettre fin à un sursis avec mise à l'épreuve à l'issue d'une certaine durée d'exécution (fixée à un an par l'Inspection Générale des Services Judiciaires) lorsque le reclassement du probationnaire paraît acquis. Elle permettrait d'une part, d'alléger sensiblement la tâche des CPAL (pour lesquels le suivi des 95 000 délinquants condamnés à un sursis avec mise à l'épreuve représente 75 % des interventions) et, d'autre part, d'inciter le condamné à des efforts dans l'exécution de sa peine ;

- confier au JAP le soin de dispenser de peine une personne ayant bénéficié d'une décision d'ajournement du prononcé de la peine. L'ajournement du prononcé de la peine ne représente que 0,5 % des dossiers suivis par les CPAL (574 personnes au 1er janvier 1993) et ce, alors même qu'il apparaît comme bien adapté à la petite délinquance dans la mesure où, tout en permettant d'éviter l'incarcération, il génère chez le condamné la prise de conscience d'avoir violé la loi et peut contribuer à assurer la réparation du dommage subi par la victime. Une raison essentielle du recours exceptionnel à cette solution tient à la nécessité, pour la juridiction de jugement, de tenir deux audiences : l'une pour les décisions sur la culpabilité et l'autre, après mise à l'épreuve du délinquant, pour la décision sur la peine ou sur sa dispense. La voie explorée par M. Cabanel, consistant à permettre au JAP de prononcer la dispense de peine si le probationnaire a satisfait à ses obligations, et donc à éviter cette double audience pour une même affaire, serait de nature à inciter les juridictions de jugement à prononcer davantage cette mesure.

Votre commission des Lois observe néanmoins que tout débat sur l'extension des compétences du JAP poserait inéluctablement le problème de la nature de ses décisions, lesquelles sont en principe des mesures d'administration judiciaire (article 733-1 du code de procédure pénale). La « judiciarisation » de leurs décisions figure d'ailleurs en première place parmi les revendications de l'association nationale des JAP.

5. Les limitations du recours à la détention provisoire.

Votre commission des Lois approuve le souci du Garde des Sceaux de limiter, autant que faire se peut, le recours à la détention provisoire. Sur ce point, certaines pistes évoquées par celui-ci lors de son audition par votre commission ont retenu toute son attention. Il en est par exemple ainsi des améliorations du mécanisme du « référé-liberté », notamment en permettant au président de la chambre d'accusation de prononcer dans ce cadre une mesure de contrôle judiciaire, lui permettant dès lors de sortir de l'alternative maintien en détention-mise en liberté.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois a émis un avis favorable aux crédits consacrés à l'administration pénitentiaire par le projet de loi de finances pour 1996.

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