III. LES ENJEUX DE LA POLITIQUE FRANÇAISE DE SOUTIEN À L'INDUSTRIE CINÉMATOGRAPHIQUE

Face aux mutations importantes que connaît le secteur cinématographique, le rôle des pouvoirs publics consiste avant tout à accompagner ces évolutions et à en corriger les effets pervers. Favoriser le développement et la diversité du cinéma français exige ainsi d'adapter constamment les dispositifs de soutien à l'évolution et aux priorités du secteur cinématographique. Dans cette perspective, certains mécanismes mis en place méritent aujourd'hui un examen attentif.

Il appartient également aux pouvoirs publics de s'assurer que l'insertion de la France dans les échanges et les réglementations internationales et communautaires s'effectue dans l'intérêt de l'industrie cinématographique française et permette de préserver la spécificité d'une politique culturelle qui a contribué à faire du cinéma français le deuxième cinéma du monde.

A. ADAPTER LA RÉGLEMENTATION DU SECTEUR CINÉMATOGRAPHIQUE AUX ÉVOLUTIONS EN COURS

En 1996, plusieurs sujets -tels que le développement des multiplexes, l'évolution des sources de financement du cinéma, l'évolution des rapports entre le cinéma et la télévision ou la réforme de l'avance sur recettes- ont fait l'objet d'un débat soutenu parmi les professionnels du cinéma. Le Gouvernement a largement participé à ces débats en organisant à l'initiative du ministre de la culture plusieurs commissions de réflexion concernant aussi bien la réforme de l'avance sur recettes, les Sofica, la procédure d'agrément que la mise en place d'une aide au scénario.

Si de nombreuses questions restent en suspens, cette démarche a pour l'instant abouti à l'annonce d'un projet de réforme de l'avance sur recettes qui devrait être mis en oeuvre en 1997.

1. La réforme de l'avance sur recettes

L'avance sur recettes est le mécanisme le plus connu de la politique française de soutien au cinéma.

Elle a pour but de :

- favoriser le renouvellement de la création en encourageant la réalisation des premiers films ;

- soutenir un cinéma qui ne peut sans aide publique trouver son équilibre financier ;

- aider la production d'oeuvres qui, pour traduire une ambition culturelle affirmée, doivent prendre le risque de budgets élevés.

Cette aide sélective, d'un montant de 115 millions de francs en 1996, apparaît complémentaire et en partie correctrice de l'aide automatique à la production, assise directement sur les résultats du marché.

La dotation de l'avance sur recettes, entièrement financée par le compte de soutien à l'industrie cinématographique, permet d'aider chaque année la production d'une cinquantaine de longs métrages sélectionnés sur scénario ainsi que d'une dizaine de films choisis après leur réalisation, ce qui représente au total la moitié de la production des films d'initiative française.

En général, depuis quelques années, le montant par film des avances accordées avant réalisation s'échelonne de 1,5 à 3 millions de francs (la moyenne s'établissant à 2,5 millions de francs) ; il est fixé en fonction non seulement du coût des films mais aussi de leur besoin de financement final.

La place de l'avance sur recettes est apparue pleinement lors du dernier festival de Cannes au cours duquel ont été présentés 16 films bénéficiaires de cette aide dans les diverses sélections.

A la demande du ministre de la culture, M. Philippe Douste-Blazy, ce dispositif a fait l'objet d'une évaluation par la commission de réforme de l'avance sur recettes créée à cet effet et présidée par M. Jérôme Deschamps qui a remis son rapport en juillet dernier.

Tout en soulignant les qualités incontestables de l'avance sur recettes, le rapport de Jérôme Deschamps souligne les trois principales lacunes du système actuel :

- l'insuffisance de l'investissement initial dans l'écriture et le développement de projets ;

- la baisse de la contribution moyenne de l'avance sur recettes au
financement de chaque film ;

- les difficultés de distribution des films ayant bénéficié de l'avance sur recettes.

Le rapport préconisait quatre types de mesures reprises par le ministre de la culture :

- la création d'un collège spécifique d'aide à la réécriture

Il a tout d'abord proposé la création d'un nouveau collège qui aurait pour objet de favoriser la réécriture de scénarios prometteurs, mais encore susceptibles d'améliorations. La candidature directe à un nouveau guichet spécifique à la réécriture devrait en outre permettre de désengorger les comités de lecture des 1er et 2e collèges. L'aide à la réécriture serait renforcée par une procédure d'accompagnement, de la part du CNC et des membres de l'avance sur recettes, afin d'apporter une aide réelle aux auteurs, notamment à ceux qui ne disposent pas de producteur ou sont à la recherche de co-scénaristes ou de consultants.

- la modification du système de remboursement afin d'augmenter la dotation

Puisqu'il est désormais acquis que les sommes remboursées complèteront la dotation de l'avance sur recettes, augmenter les remboursements est la condition sine qua non pour une revalorisation conséquente du montant des avances.

L'inefficacité du système actuel qui entraîne un déséquilibre des remboursements obtenus (une petite minorité supporte le poids des remboursements effectifs) et un faible taux de remboursement global d'environ 7 à 10 % est en partie liée à la rigidité du dispositif régissant le remboursement.

La réforme instaurerait un dispositif qui laisserait le choix aux bénéficiaires entre deux possibilités de remboursement :

- soit un pourcentage de 10 % minimum sur toutes les recettes au premier franc (pourcentage à déterminer en fonction de l'importance de l'avance dans le total du financement du film), porté à 30 % après amortissement ;

- soit un taux de remboursement à déterminer, prélevé sur le soutien généré par le film, en laissant à chacun une franchise de départ uniforme sur le soutien obtenu, cette solution permettant de laisser aux producteurs l'entière possession de toutes les recettes du film (RNPP, ventes étranger...).

- création d'une aide à la distribution spécifique afin de faciliter l'accès aux salles des films soutenus par l'avance sur recettes

La commission de réforme a proposé une mesure spécifique d'aide à la distribution des films bénéficiaires de l'avance sur recettes.

Ce nouveau mécanisme pourrait consister à aider les distributeurs de certains films bénéficiaires de l'avance sur recettes, sous la forme d'une garantie : en cas de non-remboursement des frais d'édition, l'avance sur recettes rembourserait au distributeur 50 % des frais engagés dans la limite, d'un plafond de 500.000 francs.

Cette aide, accordée après visionnage par les membres de la commission, permettrait d'encourager les distributeurs à sortir ces films souvent plus difficiles que les autres dans des conditions plus favorables, en limitant leur risque.

- une modification des modalités de fonctionnement de la commission

Le rapport s'est prononcé en faveur d'une clarification des missions de la commission plénière et du comité de chiffrage qui seraient respectivement chargés de l'octroi d'une promesse d'avance en ne prenant en compte que les qualités artistiques du scénario et de l'évaluation du montant de l'avance nécessaire au financement des films.

Par ailleurs, afin d'éviter toute interruption des activités de l'avance sur recettes en fin d'année lors du renouvellement des membres de la commission, un système de « membres tournants » a été préconisé. Enfin, il est apparu utile que la procédure générale de l'avance sur recettes fasse l'objet d'un règlement intérieur écrit, afin de mettre un terme à la diversité des traditions et des jurisprudences fluctuantes d'une commission à l'autre, de pérenniser les nouvelles mesures adoptées et de confirmer les principes de déontologie stricte que doivent respecter les membres de la commission.

Votre rapporteur se félicite de cette réforme qui est de nature à renforcer l'efficacité des interventions de l'avance sur recettes et la qualité de la production française. La création d'une aide à la distribution de films bénéficiaires de l'avance sur recettes constitue notamment une réponse attendue aux problèmes de l'accès aux salles des films français aidés.

2. Des questions en suspens

De nombreuses questions concernant l'avenir du cinéma français restent en suspens et mériteront un examen attentif en 1997. Mise à part une éventuelle réforme de la procédure d'agrément qui définit notamment l'accès aux dispositifs de soutien automatique pour laquelle le ministre de la culture a mis en place un groupe de réflexion présidé par M. René Bonnel et Mme Margaret Menegoz, deux questions relatives à la réglementation régissant les rapports entre les exploitants et les diffuseurs en matière de prix des places d'une part et les relations entre l'industrie du cinéma et la télévision, d'autre part, ont retenu cette année l'attention de votre rapporteur.

a) La fixation du prix des places de cinéma

Le problème soulevé par l'incohérence des textes applicables à la fixation du prix des places de cinéma révélé à l'occasion de la sortie nationale du film Léon de Luc Besson en septembre 1994, n'a toujours pas connu de règlement au cours de l'année écoulée.

A l'époque, le tribunal de commerce de Paris, saisi du conflit qui opposait un exploitant et un distributeur sur les modalités de fixation du prix des places avait dans son ordonnance de référé soulevé un problème de compatibilité entre l'ordonnance du 1er décembre 1986 fixant les règles générales applicables en matière de concurrence, qui prohibe l'intervention des fabricants ou des fournisseurs dans la fixation du prix de vente par le détaillant, et le code de l'industrie cinématographique qui semble au contraire admettre l'éventualité d'une concertation entre l'exploitant et le distributeur dans la détermination du prix des places de cinéma.

Face à cette situation conflictuelle, le ministre de la culture et de la francophonie de l'époque avait confié à M. J.-M. Galabert, président de la section du rapport et des études au Conseil d'Etat, une mission d'analyse juridique et économique sur cette question.

M. Galabert a conclu par l'impossibilité de maintenir le statu quo, c'est-à-dire la rémunération des ayants-droit distributeurs, producteurs et auteurs, en pourcentage de la recette de la salle sans dispositions limitant la liberté de fixation du prix des places par l'exploitant. Après avoir passé en revue les différentes réformes envisageables, il avait préconisé de confirmer le principe de la rémunération des distributeurs et, en amont, des producteurs et auteurs en pourcentage de la recette d'exploitation des films en salle, en l'assortissant toutefois, ne serait-ce que pour les sorties nationales, de garanties offertes aux distributeurs et aux producteurs contre le risque de « bradage » du prix des places par l'exploitant. A cette fin, il suggérait de rendre obligatoire, parmi les éléments devant impérativement figurer au contrat de location écrit signé entre le distributeur et l'exploitant, la fixation d'une fourchette (prix plancher, prix plafond) à l'intérieur de laquelle l'exploitant conserverait une marge de liberté pour déterminer le prix des places.

Un texte prévoyant d'une part que le contrat conclu entre distributeurs et exploitants pour la représentation publique des oeuvres cinématographiques doit être constaté par écrit et, d'autre part, que les prix payés par le public, convenus entre les parties sont stipulés au contrat, pourrait sans doute recueillir l'accord des organisations professionnelles directement concernées.

On ne peut dès lors que souhaiter qu'il soit soumis au Parlement le plus rapidement possible. Cela d'autant plus que les difficultés engendrées par l'incohérence des textes risquent de se reproduire dans le cadre de la concurrence entre les multiplexes liés aux grands groupes de distribution qui disposent d'une surface financière suffisante pour mener des politiques de prix agressives et les salles de quartier indépendantes qui ne disposent évidemment pas des mêmes moyens.

b) Les relations entre la télévision et le cinéma

Les relations entre la télévision et le cinéma sont progressivement devenues depuis 10 ans un des éléments clefs de l'équilibre économique de l'industrie cinématographique française.

Les liens étroits qui se sont ainsi instaurés entre le cinéma et la télévision constituent une des spécificités du système français qui a largement participé au maintien d'une industrie cinématographique française.

Cette situation est en grande partie le résultat de la volonté des pouvoirs publics d'imposer aux télévisions une réglementation tant en matière de diffusion des oeuvres cinématographiques qu'en matière d'investissement dans la production. Cette réglementation a permis à l'économie du cinéma de surmonter la crise de fréquentation des salles dans les années 80 et de s'adapter à l'apparition des nouveaux services -télévision commerciale, télévision à péage, chaînes thématiques- qui sont venus modifier le paysage audiovisuel.

Dans les années à venir, la concentration des industries de la communication, le développement et la mondialisation des nouveaux services constitueront autant de nouveaux défis à prendre en compte. C'est pourquoi, il convient dès à présent d'évaluer les évolutions en cours pour préparer les éventuelles adaptations de la réglementation qu'elles rendraient nécessaires.

Or, l'évolution de la diffusion et de la production d'oeuvres cinématographiques par les chaînes de télévision n'est pas sans susciter quelques inquiétudes.


• En effet, les grandes tendances de la programmation des films sur les chaînes hertziennes font apparaître que si les chaînes programment le maximum de films autorisés par les réglementations (1.501 films ont été diffusés sur les chaînes hertziennes en 1995), on observe une diminution du nombre de films français. Ainsi, depuis 5 ans, la part consacrée par les chaînes à la diffusion d'oeuvres cinématographiques européennes tend à se rapprocher de plus en plus du minimum réglementaire de 60 %. La diffusion de films français accuse ainsi une diminution de 9 % en 5 ans alors que celle de films américains augmente de 22 %. A cette tendance s'ajoute une plus grande concentration de l'offre de films.

L'étude du CSA montre en effet que le nombre de films français en première diffusion diminue fortement sur la plupart des chaînes. (77 films en première diffusion en 1995 contre 95 films en 1991). Ce phénomène est accentué en seconde partie de soirée. Par ailleurs, 75 % des films français programmés en première diffusion par les chaînes sont, en 1995, des coproductions des chaînes, alors que cette proportion n'était que de 50 % en 1991. Un tel processus pourrait donc aboutir à fermer l'accès à l'antenne à une partie non-négligeable de la production.

Ces évolutions ne se sont, pour l'instant, pas traduites par un changement important de la politique de coproduction des chaînes. Leur participation au financement de la production n'a cessé en effet de se renforcer pour atteindre 36,9 % des investissements totaux réalisés en 1995. La même année, près de 60 % des films d'initiative française ont ainsi été coproduits ou préachetés par des chaînes. Toutefois, certaines évolutions font craindre une moindre participation des chaînes au renouvellement de la création. Ainsi en comparaison avec l'année 1992, le nombre de films coproduits par des chaînes en clair en 1995 diminue de 61 à 53 dont seulement 12 premiers films en 1995 contre 16 en 1992.

Est-ce l'amorce d'un recentrage des choix de production des chaînes sur un nombre plus restreint de films grand public destinés à être diffusés en première partie de soirée ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais il est certain que la stratégie des sociétés de production, filiales des chaînes de télévision, a inévitablement tendance à refléter les préoccupations de programmation des chaînes.


• Aussi, la principale interrogation porte aujourd'hui sur le rôle des filiales « cinéma » des chaînes. La création de ces filiales correspond pour les chaînes de télévision à la volonté d'accroître les investissements dans la production, dans un contexte marqué notamment par la création de nouvelles chaînes thématiques et l'expansion du marché vidéo. Ces filiales permettent en outre aux chaînes de télévision de s'acquitter de leurs obligations annuelles d'investissement dans la production (3 % de leur chiffre d'affaires net à la production d'oeuvres cinématographiques européennes dont 2,5 à la production d'oeuvres cinématographiques d'expression originale française) à travers des sociétés dont la politique de production est de fait liée à leurs besoins de diffuseur.

Ces filiales présentent également, pour les chaînes de télévision, l'avantage de pouvoir bénéficier de recettes en provenance du compte de soutien. Ces recettes permettent donc aux chaînes de diminuer leur apport d'argent frais à leurs filiales et par là même de respecter leurs obligations de production sans que l'effet dynamique sur la production voulu par les pouvoirs publics lors de la création de la règle des 3 % du chiffre d'affaires soit réellement garanti. Ce détournement du dispositif s'est d'autant plus développé que ces filiales ont pu jusqu'à présent négocier avec leur partenaire avec rétrocession de recettes du soutien automatique plus que proportionnel à leur apport.

Enfin, malgré les mesures prises pour assurer l'indépendance des producteurs à l'égard des filiales des télévisions, la tendance des chaînes à concentrer leurs investissements sur un nombre restreint de films et à acquérir par contrat des droits d'exploitation toujours plus étendus constituent des facteurs menaçants pour le maintien d'une production cinématographique forte et indépendante.

Pour votre rapporteur, cette situation mérite qu'on s'interroge sur l'opportunité d'adapter la réglementation prévue par le décret n° 90-67 du 17 janvier 1990 qui fixe les obligations des chaînes en matière de contribution à la production cinématographique et audiovisuelle, afin de parvenir à un meilleur équilibre des relations entre producteurs et diffuseurs en donnant aux premiers les moyens de se renforcer sans remettre en cause le rôle économique des seconds.

Ce rééquilibrage aurait pu s'effectuer lors de la renégociation par le CSA des conventions de TF1 et de M6. On peut en effet penser que la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication donne au CSA la faculté d'adapter les obligations des chaînes en matière de financement des producteurs indépendants. L'issue de la négociation a montré que le rapport de force, comme les questions de principe que soulèverait l'application de nouvelles règles à deux chaînes hertziennes nationales sur cinq, ont poussé le CSA à maintenir le statu quo. Aussi est-ce par la voie du règlement, si possible après un accord préalable des acteurs concernés que la question pourrait être tranchée.


• De même, l'évolution récente de la programmation des chaînes en matière de cinéma et les profonds bouleversements que ne manquera pas de provoquer le développement de nouveaux services audiovisuels doivent conduire à s'interroger sur les évolutions souhaitables de la réglementation applicable à la diffusion des oeuvres cinématographiques à la télévision. La réglementation en vigueur, qui fixe les obligations des chaînes concernant le nombre maximal de films de long métrage diffusables annuellement, la proportion d'oeuvres européennes et d'expression originale française, la grille de diffusion et les délais de diffusion, a jusqu'à présent permis un équilibre satisfaisant destiné à limiter la concurrence télévision-salles.

Dans quelle mesure la mondialisation des médias et le développement de nouveaux services rendent-ils nécessaires une évolution de la réglementation ? La diminution du répertoire de films dans lesquels puisent les programmateurs de chaînes hertziennes peut-elle justifier un assouplissement de la réglementation applicable à la diffusion ? Autant de questions auxquelles les pouvoirs publics en étroite concertation avec les professionnels concernés devront répondre rapidement.

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