IV. SIX SUJETS DE PRÉOCCUPATION

A. LE SERNAM : LA « FILIALISATION » NE SEMBLE PLUS D'ACTUALITÉ

Les résultats du SERNAM ont pu être qualifiés de « désastreux » par certains commentateurs. Une mission d'audit a été conduite sur ce sujet au premier trimestre de 1996.

Avec 4 milliards de francs, le chiffre d'affaires de 1995, était en recul de 6,2 % par rapport à 1994. Les pertes courantes du Sernam atteignaient 400 millions de francs en 1995 contre 197 millions de francs en 1994.

Le déficit prévu cette année était de 499 millions de francs après - 393 millions de francs en 1995. Le premier trimestre de 1996 fait apparaître une nouvelle érosion du chiffre d'affaires de l'ordre de 10 %. La baisse du tonnage est équivalente. Le fléchissement est, en grande partie, la conséquence des mouvements de décembre 1995. Il convient ; toutefois, de ne pas mésestimer les effets de l'arrivée sur le marché, l'an dernier, d'opérateurs « petit colis » sur les envois d'un poids inférieur à 20 kg.

Face à cette situation, le Sernam se doit de faire des efforts sur ses coûts. Ceux-ci porteront tout d'abord sur le plan de transport. Ils seront progressifs. Ainsi par exemple, la réduction du nombre de « moyeux express » est prévue par concentration du trafic. Ils concerneront également les dessertes terminales (enlèvements, livraison) qui seront ajustées à proportion.

Un réexamen des sites est en cours. En moyenne, les prix pratiqués par le Sernam sont ceux du marché, celui-ci ayant tiré les niveaux vers les bas. Il est exact qu'il y ait eu glissement en 1993 et 1994, mais ce dernier a été stoppé dès 1995.

Le terme de « filialisation » n'est plus d'actualité. Le Sernam a mis en place des comptes de « quasi-entreprise » répondant ainsi à la recommandation du Conseil de la concurrence et aux souhaits de la profession. L'objectif était avancé, dès la fin de 1995, de rétablir l'équilibre économique du service dès 1998.

On notera, pour finir, avec intérêt la conclusion, au début de 1996, d'un accord quinquennal de coopération entre le Sernam et la société Kühn-Nagel qui devrait permettre aux deux partenaires de renforcer leur position sur le montant de l'Europe de l'Ouest.

B. LE RÉSEAU À GRANDE VITESSE : CONTESTATION ET DOUTES

1. Les développements récents et en cours

La mise en service, le 2 juin 1996, d'une section supplémentaire de l'interconnexion en Île-de-France (entre Coubert et Valenton) marque l'amélioration des liaisons entre les réseaux Nord, Atlantique et Sud-Est, et rompt la logique centralisatrice en permettant l'émergence de liaisons province-province fiables et rapides.

Ainsi, en juin 1996, tous les TGV en service sont interconnectés ; 1.280 km de lignes nouvelles sont en exploitation (sur les 4.700 prévues au schéma directeur de 1991).

La construction de deux nouvelles lignes à grande vitesse s'est traduite progressivement dans les faits :

- TGV-Méditerranée : après la déclaration d'utilité publique (DUP) de la ligne nouvelle prolongeant le TGV-Sud-Est de Valence à Marseille et Montpellier, intervenue le 31 mai 1994, et l'approbation ministérielle du projet le 25 septembre 1995, les travaux ont pu débuter et les premiers grands viaducs de traversée du Rhône et de la Durance sont en chantier. L'achèvement de cette ligne jusqu'à Marseille et Nîmes devrait intervenir au début de l'an 2000 ;

- TGV-Est : après un avis favorable à la déclaration d'utilité publique de la liaison à grande vitesse entre Paris et Strasbourg et des ses prolongements vers l'Allemagne par Kehl et Sarrebruck, vers Luxembourg et des raccordements vers Metz et Nancy, émis le 28 juin 1995 par la commission d'enquête, la DUP a été prononcée le 15 mai 1996. Le coût estimatif de cette ligne serait de 22 milliards de francs avec 241 communes traversées. La réalisation, sous forme d'une ligne nouvelle, se fera par phases successives.

L'avancée des cinq autres projets en phase d'études :

- TGV-Languedoc-Roussillon, reliant Montpellier à la frontière espagnole puis a Barcelone : l'Avant-Projet sommaire (APS) a été approuvé par le ministre en 1995. Le GEIE Sud Europe Méditerranée, crée au cours de l'année 1995, et l'accord de Gouvernements intervenu le 10 octobre 1995 à Madrid ont permis des avancées significatives dans les études et les décisions en partenariat au cours de l'année 1996 ;

- TGV-Lyon-Montmélian-Turin : actuellement en phase d'avant-projet sommaire (APS), il allie deux composantes, nationale, pour la partie Lyon-Montmélian, et internationale, pour le tronçon Montmélian-Turin, qui comporte un tunnel sous les Alpes de 54 km.

Sur le plan national, le GIP Transalpes a été créé en janvier 1996. Il associe la région Rhône-Alpes, la SNCF, ainsi que la région italienne du Piémont, les Sociétés d'autoroute et des tunnels alpins, et la CCI de Lyon, en vue de réaliser des études complémentaires portant sur les actions d'accompagnement d'aménagement des territoires concernés et sur les aspects financiers.

Le projet a été marqué par la signature d'un accord relatif à la création d'une commission intergouvernementale (CIG) le 15 janvier 1996, pour préparer la réalisation de la ligne nouvelle et piloter les études menées notamment par le GEIE, ALPETUNNEL, constitué en 1995 entre les chemins de fer italiens et français. La procédure de constitution de la CIG s'achève actuellement ;

- TGV-Rhin-Rhône : actuellement en phase d'avant-projet sommaire, depuis la décision gouvernementale du 22 décembre 1995, ce projet qui s'inscrit comme un maillon clé des liaisons Nord/Sud et Est/Ouest, vise à relier dans un premier temps l'Alsace à la Bourgogne. Une convention d'APS a été signée entre les régions concernées, l'État et la SNCF ;

- TGV-Bretagne-Pays-de-la-Loire : en phase d'études préliminaires, ce projet qui vise à prolonger le TGV-Atlantique vers Rennes et Angers, a fait l'objet d'une convention d'études préliminaires signée le 15 mars 1996 ;

- TGV-Aquitaine : le débat préalable sur ce projet, qui prolongera la ligne à grande vitesse déjà existante de Tours jusqu'à Bordeaux s'est clos le 31 mars 1996 et les études préliminaires devraient débuter prochainement.

2. Des remises en cause

Le bien-fondé de la réalisation du schéma des transports ferroviaires à grande vitesse -dont le coût d'achèvement est évalué à 150 milliards de francs- a été remis en cause par le rapport « Martinand » évoqué plus haut, selon lequel « la rentabilité des nouveaux TGV se dégrade sous le double effet de la hausse des coûts de construction et de la concurrence accrue de l'aérien ». Par ailleurs, selon ce même rapport, l'avenir des liaisons classiques, notamment celles qui, à l'instar de Nantes-Lyon, sont « court-circuitées par des TGV » doit être examiné.

M. Philippe Rouvillois a rendu, en août 1996, un rapport aux ministres en charge des Transports sur la mise en valeur du schéma directeur national des lignes à grande vitesse.

Selon ce rapport, « on est conduit à s'interroger sur un réexamen fondamental de la politique suivie jusqu'à présent. À l'évidence, un redimensionnement des ambitions exprimées au schéma directeur de 1992 s'impose (...). Non moins important (...) est l'effort à consentir pour améliorer leur équation financière (...). La SNCF (...) gagnerait sans doute à se soucier davantage des dessertes intermédiaires et à ré-examiner sa politique d'implantation de gares nouvelles. »

Le rapport public de la Cour des Comptes en 1996 a critiqué les conditions dans lesquelles la ligne du TGV « Nord » avait été édifiée.

Tout d'abord, il constate que le bilan économique est moins positif que prévu. Il note que « les prévisions de trafic ont été fortement surestimées » et que « la rentabilité du projet a été considérablement surévaluée. »

Ensuite, il dénonce « l'entente généralisée » entre les entreprises de travaux publics, ce qui a entraîné « un surcoût important » pour la SNCF. Même si des sanctions ont été prises en 1995, il reste que la société nationale n'a pas détecté, dès 1989, « les indices multiples, graves et concordants d'une très forte présomption d'entente ».

Face à ces deux déconvenues, la Cour estime que la « surévaluation générale » de la rentabilité des lignes à grande vitesse rend « nécessaires » une révision du schéma directeur de ces lignes, et un réexamen des projets soumis à enquête d'utilité publique.

De fait, alors qu'en 1996, 1.280 kilomètres de lignes à grande vitesse sont en service et transportent 22 millions de voyageurs par an, beaucoup reste pourtant à faire pour exécuter le schéma directeur qui a prévu 4.700 kilomètres de lignes.

Il est vrai que le coût de réalisation d'un kilomètre nouveau de voie à grande vitesse atteint 70 millions de francs en moyenne. Cette considération, jointe au souci de ne compromettre ni l'activité du transport routier, ni la rentabilité des lignes aériennes intérieures conduit certains à proposer un ralentissement des réalisations à grande vitesse.

De fait, si l'on s'en tient au critère consacré par la SNCF des 8 % de rentabilité, seuls deux projets de ligne (Tours-Bordeaux et Lyon-Turin en transport mixte brut voyageurs-fret) semblent éligibles. En outre, Montpellier-Perpignan-Espagne et Le Mans-Rennes semblent commercialement envisageables.

En revanche, la rentabilité de lignes comme Bordeaux-Toulouse, Le Mans-Angers, Paris-Clermond-Ferrand, Paris-Rouen, Mulhouse-Dijon, apparaît hypothétique.

Quant au TGV « Est » qui, pour des raisons liées à la dynamique européenne a bénéficié du soutien gouvernemental, il fait l'objet de restrictions et de réserves y compris de la part de la commission « Réseau et territoire » , chargée, sous l'égide de la DATAR, d'élaborer le futur schéma national d'aménagement et de développement du territoire.

MM. André Blanc, Christian Brossier, Christian Bernardini et Michel Gérard ont remis, en juillet 1996, un rapport sur ce sujet.

Outre une intéressante analyse des concepts de « prix-temps » et « d'effet-frontière », on relèvera que le taux de rentabilité interne de cette ligne pour la SNCF demeure à 1,08 % et qu'aucune des variantes de phasage des travaux ne permettrait d'améliorer cette rentabilité.

Les auteurs du rapport concluent que « la réalisation sur ces bases du TGV-Est européen ne peut, dans les conditions actuellement prévisibles de trafic être soutenue sous l'angle économique (...). Sa réalisation devrait donc être différée d'au moins une dizaine d'années (...). La construction du tronçon central (...) associée à l'utilisation des matériels pendulaires (...) paraîtrait la moins mauvaise solution (...). Elle générerait cependant (...) un supplément d'endettement culminant à 8 ou 9 milliards de francs » .

Enfin, certains projets de lignes à grande vitesse font l'objet de vives controverses.

C'est le cas du TGV « Méditerranée » de Valence à Marseille par la branche Ouest qui permettrait de gagner... 15 minutes sur le trajet Paris-Marseille.

Le Gouvernement a décidé, en 1995, le lancement des travaux de la ligne nouvelle TGV Méditerranée entre Valence, Marseille et Nîmes, ainsi que ses acquisitions foncières vers Montpellier. Ce projet est estimé à 24,2 milliards de francs aux conditions économiques de 1994 et présente un taux de rentabilité interne de 7,3 %. Il permettra dès l'horizon 2000 de gagner plus d'une heure sur les liaisons ferroviaires vers le Midi Méditerranéen.

La situation est, en conséquence paradoxale.

D'un côté, nous disposons d'une technologie exemplaire, en service depuis 1981, détenant le record de vitesse mondial (513,3 kilomètres/heure) depuis 1990, qui, dans sa version « NG » roule à 370 kilomètres à l'heure, et que nous avons exporté jusqu'en Corée mais qui est soumise à la concurrence et pourrait être fragilisée par une « auto-flagellation » française.

De l'autre, la conjugaison des intérêts des groupes de pression représentant les autres modes de transport, les difficultés budgétaires, la montée des revendications environnementalistes, l'absence d'une volonté claire en matière d'aménagement du territoire conduisent à mettre en cause la réalisation du schéma du TGV.

Certaines avancent que la technologie pendulaire permettrait de surmonter les inconvénients du TGV.

La pendulation, étudiée en France depuis vingt ans, permet d'augmenter la vitesse commerciale d'un train sur les voies existantes sans gêner les voyageurs. En effet, pour des trains plus rapides, le dévers (la surélévation du rail extérieur) est insuffisant pour compenser une augmentation de la force centrifuge. Afin d'en effacer les effets, il suffit de donner une inclinaison supplémentaire à la caisse du wagon. Fiat en Italie et ABB en Suède commercialisent des trains à pendulation pouvant rouler entre 205 et 250 km/h. Aux États-Unis, le TGV pendulaire de GEC-Alsthom-Bombardier circulera à 240 km/h. En France, des trains express régionaux seront équipés de bogies Fiat, et GEC-Alsthom devrait disposer de sa propre technologie d'ici à la fin du siècle. Enfin, le nouveau programme quinquennal de recherche sur les transports terrestres devrait consacrer plusieurs centaines de millions de francs à la pendulation.

Mais, la technologie pendulaire n'est pas encore totalement maîtrisée industriellement dans notre pays et ne serait pas utilisable sur tous les sites (notamment les tunnels). Le choix du pendulaire implique donc soit un délai d'adaptation de notre appareil industriel soit une fragilisation de notre commerce extérieur.