CHAPITRE III -

LA POLITIQUE DE LA CONCURRENCE

I. LE RÔLE CROISSANT DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE DE LA CONCURRENCE

En vertu des articles 85 et suivants du traité de Rome, la Commission européenne dispose de pouvoirs importants en matière de contrôle des pratiques concurrentielles, des concentrations et des aides d'Etat. L'intégration progressive des économies européennes conduit, en outre, la Commission à utiliser de façon croissante ces pouvoirs afin d'assurer une régulation du marché communautaire. Aussi, le droit communautaire de la concurrence joue-t-il dans ce domaine un rôle sans cesse croissant.

A. UNE MODERNISATION NÉCESSAIRE DU DROIT COMMUNAUTAIRE DE LA CONCURRENCE

Afin de préparer l'intensification des échanges qui devrait résulter du passage à la monnaie unique et, à terme, de l'élargissement vers l'Europe centrale et orientale, les autorités communautaires ont souhaité, cette année, accélérer la modernisation du droit communautaire de la concurrence.

1. La mise en place de la réforme du règlement européen sur le contrôle des concentrations

Le règlement n° 1310/97 du Conseil du 30 juin 1997 portant réforme du règlement sur le contrôle des opérations de concentration entre entreprises est entré en application le 1er mars 1998.

Cette réforme simplifie la procédure de contrôle des opérations qui, n'atteignant pas les seuils de chiffres d'affaires d'une concentration de dimension communautaire, devaient être notifiées dans plusieurs Etats membres.

Tout en maintenant le niveau des seuils des opérations de dimension communautaire, le champ d'application du règlement -et ainsi la possibilité de n'effectuer qu'une notification- est étendu à d'autres opérations transfrontalières, grâce à la mise en place de nouveaux critères.

La commission est désormais compétente non seulement quand le niveau des seuils est atteint, mais également quand les conditions suivantes sont cumulativement réunies :

- le chiffre d'affaires réalisé sur le plan mondial par l'ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 2,5 milliards d'écus ;

- le chiffre d'affaires réalisé par l'ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 100 millions d'écus dans au moins trois Etats membres ;

- le chiffre d'affaires réalisé individuellement par au moins deux des entreprises concernées dépasse un montant de 25 millions d'écus dans chacun de ces trois mêmes Etats membres  ;

- le chiffre d'affaires réalisé individuellement dans la Communauté par au moins deux des entreprises concernées dépasse un montant de 100 millions d'écus.

La commission a, dans le même souci d'alléger les contraintes administratives pesant sur les entreprises, adopté une communication relative à la définition des accords dits " d'importance mineure " 8( * ) , c'est-à-dire les accords qui n'ont pas d'effet sensible sur la concurrence, ou sur les échanges intra-communautaires et qui, par conséquent, ne tombent pas sous le coup des dispositions de l'article 85 paragraphe 1 du traité.

Le seuil en chiffres d'affaires des parties à un accord de 300 millions d'écus est supprimé et n'est retenu qu'un seuil en parts de marché cumulées détenues par ces parties. Ce seuil est maintenu à 5 % par les accords horizontaux, c'est à dire entre entreprises ayant la même fonction sur un marché donné et est porté à 10 % pour les accords verticaux, autrement dit entre des entreprises ayant des activités complémentaires sur un marché donné.

La Commission a, en outre, adopté une communication destinée à fixer les modalités pratiques de la coopération entre les autorités de concurrence des Etats membres et l'autorité communautaire 9( * ) . Ce texte prévoit que, pour les affaires qui relèvent du droit communautaire, le contrôle du respect des règles européennes est exercé par une seule autorité de concurrence. Dans cette perspective, la communication trace les lignes d'orientation d'une répartition adéquate des tâches entre la Commission et les autorités nationales.

La Commission a enfin adopté une communication sur la définition du marché pertinent aux fins de l'application du droit communautaire de la concurrence 10( * ) . Cette communication, qui repose sur la jurisprudence et les pratiques antérieures définit les grandes orientations de la Commission sur ce sujet et devrait renforcer la prévisibilité de ses analyses pour les entreprises concernées.

2. Les perspectives de réformes

Depuis 1997, la Commission a amorcé une réforme des règles communautaires en matière de restrictions verticales et horizontales, dont l'objectif est de disposer du meilleur outil pour lutter contre ces restrictions de concurrence et d'alléger les contraintes administratives du dispositif actuel.

Dans cette perspective, la Commission a adopté un livre vert sur la politique européenne en matière de restrictions verticales qui envisage les différentes évolutions possibles.

Après avoir recueilli l'avis des institutions communautaires et des Etats membres, la Commission envisage de formuler une proposition en 1999. La Commission a, en outre, décidé de procéder à une démarche comparable sur les accords horizontaux, qui devrait déboucher en 1999 sur la publication d'un livre vert.

B. LA POLITIQUE DE LIBÉRALISATION DES MONOPOLES PUBLICS

La politique de libéralisation des monopoles publics constitue, avec le contrôle des pratiques concurrentielles des concentrations et des aides de l'Etat, un des principaux axes de la politique européenne de la concurrence.

Depuis l'adoption du Traité d'Amsterdam, son application doit s'inscrire dans l'esprit du nouvel article 7 D introduit dans le Traité de Rome sur les services d'intérêt économique général.

Le nouvel article 7 D stipule que : " Sans préjudice des articles 77, 90 et 92, et eu égard à la place qu'occupent les services d'intérêt économique général parmi les valeurs communes de l'Union ainsi qu'au rôle qu'ils jouent dans la promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union, la Communauté et ses Etats membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites du champ d'application du présent traité, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions ".

Votre rapporteur pour avis s'interroge sur la définition que le traité d'Amsterdam donne des services d'intérêt économique général et de leur rôle pour la promotion de la cohésion sociale et territoriale. A titre personnel, elle souhaiterait que l'application de ces dispositions s'inspirent au niveau communautaire d'une conception exigeante du service public et non d'une conception minimale, comme cela a jusqu'à présent été le cas.

Votre commission s'est, quant à elle, toujours montrée soucieuse d'adopter une démarche équilibrée, qui permette de préparer les opérateurs nationaux à la concurrence.


Cette politique de libéralisation des monopoles publics, qui s'est traduite ces dernières années par une libéralisation des secteurs du transport aérien et des télécommunications, devrait se poursuivre cette année par celle des secteurs de l'énergie et des services postaux.

1. La libéralisation des marchés de l'électricité et du gaz

Deux directives prévoient une libéralisation des marchés intérieurs de l'électricité et du gaz :

- la directive sur le marché intérieur de l'électricité du 19 décembre 1996 ;

- la directive sur le marché intérieur du gaz du 11 mai 1998.

Ces deux directives établissent des règles communes aux Etats membres pour la production, le transport et la distribution d'électricité, ainsi que pour le transport, la distribution, la fourniture et le stockage de gaz, la production de gaz étant d'ores et déjà soumise à la concurrence.

Dans les deux cas, ces directives prévoient, qu'en dépit de la libéralisation du marché de l'énergie, les Etats conserveront la possibilité d'imposer aux entreprises concernées des obligations de service public, qui peuvent porter sur la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix des fournitures ou la protection de l'environnement.

En matière d'exploitation du réseau de transport et de distribution d'énergie, il est prévu :

- pour l'électricité, que les Etats membres doivent désigner un gestionnaire du réseau, à qui sera confié la responsabilité de l'exploitation, de l'entretien et, le cas échéant, du développement du réseau de transport et de distribution ;

- pour le gaz, que toute entreprise de transport, de stockage ou de distribution ait l'obligation d'exploiter, d'entretenir et de développer ses installations de manière " sûre, efficace, économique et en prenant en compte l'environnement ".

L'organisation de l'accès au réseau appartient aux Etats membres qui doivent la mettre en oeuvre selon des critères objectifs, transparents et non discriminatoires.

Il est prévu que les gros consommateurs, dits " consommateurs éligibles ", auront le droit, sous certaines conditions, de quitter leurs fournisseurs monopolistiques traditionnels, en France EDF-GDF, et d'utiliser les réseaux de transport de ces derniers, s'ils trouvent des fournisseurs à meilleur prix. La définition des clients " éligibles " relève du respect du principe de subsidiarité, mais la liberté des Etats membres n'en est pas moins encadrée :

- d'une part, les consommateurs finaux d'électricité, consommant plus de 10 gigawatts/heure par an, sont automatiquement éligibles, de même que les producteurs d'électricité à partir de gaz ;

-  les distributeurs d'électricité auront ont également la possibilité de passer des contrats pour le volume d'électricité consommé par leurs clients désignés comme éligibles dans leur réseau de distribution;

- enfin et surtout, les Etats membres doivent assurer une ouverture significative et progressive du marché.

Pour le marché de l'électricité, cette ouverture est organisée sur six ans. Elle devrait assurer à EDF une part de marché de 70 % pendant cette période. L'entreprise publique est toutefois confrontée à défi important, puisqu'elle pourra être concurrencée sur un quart de son marché dès l'an prochain et près d'un tiers en 2003.

Pour le marché du gaz, l'ouverture à la concurrence est organisée sur dix ans. L'ouverture du marché devra être égale au minimum à 20 % de la consommation nationale annuelle de gaz à la date d'entrée en vigueur de la directive, 28 % après cinq ans et 33 % après dix ans. L'ouverture à la concurrence du secteur gazier sera donc un peu plus étalée dans le temps et un peu moins importante au début, mais tout autant à terme, c'est-à-dire en 2008.

Votre commission a suivi avec attention l'ouverture du marché du gaz, comme l'illustre les trois résolutions adoptées sur la proposition de directive concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel. Elle constate que dans l'ensemble, les règles définies par la directive rencontrent les préoccupations exprimées par dernière résolutions adoptée par le sénat sur cette directive, le 4 novembre 1997 11( * ) .

Votre commission considère, comme l'a souligné le rapport de la Commission d'enquête du Sénat sur la politique énergétique de la France 12( * ) que ces directives représentent un point d'équilibre entre deux exigences divergentes :

- d'une part, la volonté d'introduire la concurrence, en amont (au stade de la production) et partiellement en aval (libre-choix de leurs fournisseurs par les clients éligibles) pour adapter l'appareil de production et de distribution européen à la nouvelle donne énergétique mondiale ;

- d'autre part, la nécessité de prendre en compte des " missions d'intérêt économique général ", c'est-à-dire des missions de service public, afin d'assurer la satisfaction d'objectifs de politiques publiques pouvant difficilement être atteints par la voie du marché.


Dans un secteur en mutation rapide qui n'échappe plus à la concurrence internationale, la transposition de ces directives est l'occasion de redéfinir les règles de l'organisation du secteur énergétique.

Votre commission estime, à l'instar de la commission d'enquête du Sénat sur la politique énergétique de la France, qu'il appartient, en effet, aux pouvoirs publics de définir :

- les missions de service public, celles qui relèvent du service public de l'électricité stricto sensu devant être financées par le monopole, les obligations résultant d'autres politiques publiques relevant d'un fonds alimenté par l'ensemble des consommateurs ;

- les critères d'éligibilité, les régies municipales de distribution d'électricité devant pouvoir choisir leur fournisseur, sans pour autant que cela n'entraîne d'augmentation du seuil d'ouverture du marché à la concurrence ;

- la politique énergétique, par le biais d'une loi d'orientation énergétique quinquennale, en fixant les objectifs et les moyens en termes d'organisation et de fonctionnement du secteur, ceci dans le cadre d'une planification à long terme.

A titre strictement personnel, votre rapporteur pour avis estime, quant-à-elle, que l'ouverture à la concurrence des secteurs de l'électricité et du gaz, telle qu'elle est définie par les directives européennes, ne constitue en rien une réponse aux exigences des usagers, des salariés et des élus en faveur d'un service public rénové, démocratisé et renforcé .

2. L'ouverture du marché des services postaux

Le 15 décembre 1997, le Parlement européen et le Conseil ont adopté, sur la base d'une proposition présentée par la commission, une directive d'harmonisation du secteur postal.

Cette directive vise à introduire des règles communes, pour le développement du secteur postal et l'amélioration de la qualité du service, ainsi que pour une ouverture progressive et contrôlée des marchés.

Elle garantit à la Poste d'avoir la charge d'un service universel, fondé sur deux types d'assurances pour l'usager : d'une part, en terme d'accessibilité au service (points de contacts, nombre de jours distribution, tarifs abordables) et de qualité de service, d'autre part, en terme d'offre de produit minimale (lettres jusqu'à 2 kilogrammes, colis jusqu'à 10 kilogrammes, envois recommandés).

La directive retient également l'existence de services réservables à l'opérateur en charge du service universel, pour compenser les charges résultant de ce service et garantir son équilibre financier et sa pérennité.

Le périmètre réservable comprend les lettres de moins de 350 grammes et d'un tarif inférieur à 5 fois le tarif de base, le publipostage et le courrier transfrontalier.

La libéralisation immédiate porte en conséquence sur moins de 5 % du trafic courrier actuel.

Comme l'a souligné le rapport d'information de notre collègue M. Gérard Larcher sur l'avenir de la Poste 13( * ) , le service universel défini par la directive constitue le seuil de services minimal devant être assuré. Les Etats membres conservent, en effet, la faculté de l'élargir.

Bien que les services composant le service universel soient énumérés de façon exhaustive, leur mise en oeuvre laisse une marge d'appréciation non négligeable aux Etats membres. Il en est ainsi du nombre de " points d'accès " du public au service postal, du sort des colis de 10 à 20 kilogrammes ou du tarif domestique unique, et, par là même, de l'étendue de la péréquation tarifaire.

De même, chaque Etat membre peut compléter les missions assignées à l'opérateur postal en termes d'aménagement du territoire, de transport de la presse, de services financiers, quitte à en assurer le financement par d'autres moyens que ceux réservés au service universel.

Dans ces conditions, 50  % du trafic courrier actuel de La Poste restera sous monopole, contre 75 % aujourd'hui.

Il convient cependant d'observer, qu'avant même la transposition en droit national de cette directive, des négociations en vue de sa révision ont débuté dès janvier 1998, tendant à poursuivre la libéralisation notamment du publipostage et du courrier.

Ces négociations, devraient déboucher sur une proposition de la commission qui pourrait alors faire l'objet d'une nouvelle décision du Conseil et du Parlement avant le 1er janvier 2000. Si c'était le cas, l'adoption d'une nouvelle directive permettrait d'éviter que le régime prévu par l'actuelle directive soit caduque dés le 31 décembre 2004, comme cela est pour l'instant prévu.

Dans ce contexte, votre rapporteur pour avis souligne la nécessité de rester vigilant et de conforter un service public postal important, en faisant valoir les spécificités des contraintes de distribution propres à la France.

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