II. EXAMEN DE L'AVIS

Réunie le mercredi 10 novembre 1999, sous la présidence de M. Jacques Bimbenet, vice-président, la commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Jean-Louis Lorrain sur le projet de loi de finances pour 2000 ( crédits consacrés à l'outre-mer).

M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis
, a rappelé que la situation sociale de l'outre-mer était très préoccupante, celle-ci s'étant encore dégradée en 1998 en dépit pourtant d'une relative amélioration de la situation économique : recrudescence sensible des conflits sociaux, augmentation de 2 % du nombre de demandeurs d'emploi dans les départements d'outre-mer, alors que celui-ci diminuait parallèlement de 5 % en métropole, augmentation de 6,8 % du nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI), le RMI touchant, fin 1998, 119.000 personnes, pour une population active de 671.000 personnes.

Il s'est alors interrogé sur la capacité du budget social de l'outre-mer pour 2000 à apporter des réponses à cette situation d'urgence sociale que la commission avait d'ailleurs pu vérifier sur le terrain cet été lors d'une mission d'information effectuée en Guyane.

Observant que les dotations du secrétariat d'Etat ne représentaient en 1999 que 11 % de l'ensemble des crédits budgétaires affectés à l'outre-mer, il a notamment rappelé que les dépenses relatives à la solidarité, à l'action sanitaire, à la politique de la ville et à la formation professionnelle restaient inscrites au budget du ministère de l'emploi et de la solidarité, et a constaté que ces crédits étaient plus élevés que ceux du secrétariat d'Etat. Pour ces raisons, il a estimé que l'examen du " bleu " budgétaire relatif à l'outre-mer ne pouvait constituer qu'un angle d'attaque très restrictif pour évaluer les aspects sociaux du budget pour l'outre-mer.

Insistant sur les spécificités de l'outre-mer, il s'est déclaré en accord avec les analyses présentées lors d'une récente communication relative à la mission d'information en Guyane par le président Delaneau et a estimé qu'une application uniforme de la législation nationale pouvait conduire à des aberrations et qu'il était nécessaire d'adapter la réglementation et les politiques publiques aux particularités locales pour pouvoir résoudre avec pertinence les difficultés auxquelles est confrontée l'outre-mer.

Il a alors jugé que ce souci d'adaptation devrait d'abord se traduire par le transfert des crédits relatifs à la formation professionnelle et à l'action sanitaire et sociale de l'Etat depuis le budget du ministère de l'emploi et de la solidarité vers le budget du secrétariat d'Etat. Il a estimé qu'un tel transfert aurait pour avantage d'accroître la lisibilité des documents budgétaires, de mieux cibler l'effort en faveur de l'outre-mer et de permettre une meilleure adaptation aux besoins locaux, comme en a par exemple témoigné l'expérience du fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer (FEDOM) dans le domaine de l'emploi et de la ligne budgétaire unique (LBU) dans le domaine du logement.

Revenant au budget, il a précisé que les crédits pour 2000 augmentaient en apparence de 13,6 % pour atteindre 6,4 milliards de francs dans le " bleu " relatif à l'outre-mer. Mais il a souligné que cette évolution s'expliquait principalement par le transfert dans le budget de l'outre-mer de crédits jusqu'à présent pris en charge par d'autres ministères. Il a indiqué qu'à structure constante, l'augmentation des crédits atteignait en fin de compte 1,8 %, cette progression étant bien inférieure à celle constatée en 1998 (+ 7,3 %) et en 1999 (+ 7 %).

Il a alors souligné que cette évolution des masses budgétaires montrait que l'outre-mer ne constituait plus une priorité pour le Gouvernement.

Observant que le budget du secrétariat d'Etat était principalement concentré sur le développement économique et social, il a indiqué que les deux lignes budgétaires correspondant à l'emploi et au logement, abondées par la créance de proratisation du RMI, représentaient 61 % des crédits du département ministériel.

S'agissant de l'emploi, M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis, a jugé son évolution très préoccupante. Constatant que de juillet 1998 à juillet 1999 le nombre de demandeurs d'emplois avait augmenté de 1 % dans les département d'outre-mer (DOM) alors qu'il diminuait de 6,5 % en métropole, il a rappelé que cette hausse concernait tous les départements, précisant que la diminution constatée à la Réunion s'expliquait très largement par le recrutement de nombreux emplois-jeunes. Il s'est également inquiété du taux très élevé du chômage des jeunes, considérant qu'il s'expliquait en partie par une formation professionnelle insuffisante, et de la progression continue du nombre de chômeurs de longue durée.

Il a alors douté que l'effort budgétaire proposé par le Gouvernement pour 2000 puisse être considéré comme une réponse adaptée.

Rappelant que l'augmentation apparente de 16 % des crédits du FEDOM tenait avant tout au transfert de 292 millions de francs de crédits relatifs aux contrats emplois consolidés, il a indiqué qu'à structure constante l'évolution des crédits était quasiment nulle et ne permettrait de financer que 61.000 " solutions d'insertion " contre 60.000 en 1999.

Il a en outre observé que ces programmes masquaient une réorientation massive de la politique de l'emploi vers le secteur non marchand, constatant que les crédits consacrés aux contrats d'aide à l'emploi (CAE), seul contrat du FEDOM orienté vers le secteur concurrentiel, diminuaient de 28 % tandis que ceux consacrés aux emplois-jeunes augmentaient de 38 %.

Regrettant cette orientation de la politique de l'emploi, il a précisé que 42 % des salariés des DOM travaillaient déjà dans le secteur public et que l'emploi se développait dans le secteur privé ; ainsi, en 1998, les effectifs salariés du secteur privé avaient augmenté de 5,5 %. Il s'est d'autant plus étonné de cette orientation que M. Jean-Jack Queyranne, lors de son audition devant la commission, avait reconnu l'efficacité des aides à l'emploi dans le secteur privé en indiquant que la croissance de l'emploi avait été 4 fois plus élevée dans les secteurs bénéficiant de l'exonération de charges sociales issue de la loi du 25 juillet 1994 que dans les autres secteurs.

Il a également jugé que la priorité donnée aux emplois-jeunes était tout particulièrement inadaptée aux spécificités de l'outre-mer. Reprenant les conclusions des rapports Mossé et Fragonard, il a indiqué que les emplois-jeunes se heurtaient à deux principaux obstacles : un coût budgétaire élevé, nettement supérieur à celui des CAE dont le Gouvernement avait paradoxalement justifié la diminution en raison d'un coût trop élevé, et les incertitudes sur la sortie du dispositif, les emplois-jeunes ne permettant pas aux jeunes d'acquérir une formation utilisable dans le secteur marchand.

M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis, a alors jugé qu'il était plus pertinent de favoriser les CAE, rappelant que le rapport Fragonard proposait un objectif de 10.000 CAE contre 7.000 actuellement et que le Gouvernement, dans son rapport sur l'application de la loi du 25 juillet 1994, reconnaissait l'efficacité de ce dispositif.

Il s'est également prononcé en faveur d'un renforcement significatif des actions de formation professionnelle des jeunes, notamment en alternance. A cet égard, il a observé que seuls 3.700 jeunes avaient bénéficié en 1998 d'un contrat d'apprentissage, soit 1.000 de moins qu'en 1996. Il a estimé qu'il était nécessaire d'atteindre l'objectif de 10.000 apprentis d'ici 3 ans mais que la réalisation d'un tel objectif imposait de rendre les formations en alternance plus attractives pour les employeurs locaux. Il a alors suggéré d'augmenter l'aide de l'Etat à la formation des apprentis de 12.000 à 20.000 francs par contrat.

Il a enfin déploré les atermoiements relatifs au statut des agences départementales d'insertion (ADI), atermoiements d'autant plus dommageables que le nombre d'allocataires du RMI continuait d'augmenter fortement.

En revanche, il s'est félicité de la teneur de l'article 72 du projet de loi de finances rattaché au budget de l'outre-mer. Il a indiqué que cet article modifiait l'article 4 de la loi du 25 juillet 1994 qui mettait en place un dispositif sectoriel d'exonération de charges patronales et le prorogeait jusqu'au 31 décembre 2000, ces dispositions n'étant en vigueur que jusqu'au 1 er mars 2000. Il a estimé que ce dispositif avait fait la preuve de son efficacité, les effectifs des secteurs exonérés ayant augmenté de 14 % entre 1995 et 1997 soit plus de 4 fois plus que les effectifs des secteurs non exonérés. Il a estimé que cette prorogation du dispositif semblait devoir préfigurer sa pérennisation, M. Jean-Jack Queyranne ayant laissé entendre à la commission que le prochain projet de loi d'orientation sur les DOM maintiendrait ce dispositif tout en l'assouplissant et en l'élargissant à d'autres secteurs. Il s'est alors réjoui de cette perspective mais a cependant remarqué que la date du 31 décembre 2000 était peut-être un peu trop proche, l'état actuel du calendrier parlementaire ne garantissant pas le vote de la loi d'orientation d'ici cette date.

M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis , a estimé qu'en matière d'emploi le budget pour 2000 ne faisait que reconduire les mesures de l'année passée dans l'attente du vote de la loi d'orientation. Il a alors observé que le Gouvernement devrait à l'occasion de ce vote gérer une forme de schizophrénie, le projet de loi devant s'inspirer des propositions du rapport Fragonard mais ce rapport insistant tout particulièrement sur la nécessité de favoriser la création d'emplois privés, en totale contradiction avec le budget pour 2000.

Abordant le volet " logement " du budget, il a indiqué que la politique du logement dans les DOM poursuivrait en 2000 les orientations antérieures.

Après avoir rappelé la situation très dégradée du logement outre-mer (insuffisance de l'offre de logements, persistance d'un habitat insalubre), il a précisé que le Gouvernement avait défini trois objectifs prioritaires : loger dans des conditions décentes et à un coût abordable le plus grand nombre de ménages, reloger les ménages occupant les zones d'habitat insalubre et enfin, contribuer à un aménagement équilibré du territoire. Il a souligné que ces objectifs généraux, qu'il ne pouvait que partager, trouvaient actuellement un prolongement dans des mesures plus concrètes. Il a notamment insisté sur l'adaptation des produits aux spécificités de l'outre-mer, sur le début de la réforme des aides à la personne grâce à une première unification du barème des aides et sur l'amélioration progressive de la politique foncière avec le développement des fonds régionaux d'aménagement foncier et urbain (FRAFU).

Il a jugé que cette adaptation de la politique du logement social dans le contexte local devait se poursuivre, notamment par un accroissement des responsabilités des acteurs locaux comme le suggère le rapport Lise-Tamaya.

En revanche, il a observé qu'en dépit de ces orientations plutôt favorables l'effort budgétaire pour 2000 se ralentissait et apparaissait nettement insuffisant par rapport aux besoins. Il a indiqué que les crédits de la ligne budgétaire unique (LBU) n'augmentaient que de 2,3 % en 2000 pour atteindre 918 millions de francs après une croissance de 58 % en 1999. Il a souligné que ces crédits ne permettraient alors que de reconduire les programmes de 1999 (11.000 constructions et 2.400 améliorations), objectif restant à l'évidence bien inférieur aux besoins.

S'agissant enfin de la politique de solidarité, M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis, a indiqué que la créance de proratisation du RMI augmentait de 5,7 % pour atteindre 870 millions de francs, cette hausse témoignant moins d'une politique budgétaire volontariste que de la hausse du nombre d'allocataires du RMI.

Rappelant que la commission des lois de l'Assemblée nationale s'était récemment prononcée en faveur d'un alignement progressif du niveau du RMI dans les DOM sur le niveau métropolitain, il a estimé qu'un tel objectif répondait au nécessaire souci d'approfondissement de la politique d'égalité sociale, mais qu'il fallait néanmoins avancer avec prudence. Il a ainsi rappelé qu'on présentait généralement deux inconvénients à un tel alignement : d'une part, les conséquences budgétaires de la disparition de la créance de proratisation du RMI, qui impliquerait alors la nécessité de dégager 862 millions de francs, soit plus de 13 % du budget du secrétariat d'Etat, pour pouvoir maintenir le même financement des actions d'insertion et de la politique du logement et, d'autre part, le risque de développer le travail illégal.

Estimant que ces arguments étaient en partie fondés, il a jugé qu'il ne pouvait cependant justifier à eux seuls le refus d'un alignement. Il a alors estimé que celui-ci devait intervenir pour des raisons d'équité mais devait être progressif pour éviter les possibles effets pervers.

Rejoignant en cela les conclusions du rapport Fragonard et les analyses d'Edmond Lauret, il a précisé qu'il était nécessaire de renforcer au préalable l'efficacité du dispositif d'insertion.

En conclusion, M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis, a jugé que le budget de l'outre-mer pour 2000 lui semblait avant tout être un budget d'attente. Il a néanmoins estimé que la situation sociale de l'outre-mer était actuellement si préoccupante qu'elle ne pouvait supporter une année d'inaction avant l'adoption de la loi d'orientation. Il a enfin souligné que, si le volet " logement " du budget pouvait être qualifié de passable, voire de correct, le volet " emploi " était totalement inadapté aux enjeux.

Il a donc proposé d'émettre un avis défavorable sur le budget de l'outre-mer pour 2000, mais d'émettre un avis favorable à l'adoption de l'article 72 du projet de loi de finances rattaché au budget de l'outre-mer.

M. Louis Boyer a déclaré partager l'analyse du rapporteur pour avis sur la nécessaire adaptation de la réglementation aux spécificités de l'outre-mer. Rappelant que la commission venait d'effectuer une mission d'information en Guyane, il a indiqué que les médicaments anti-paludéens n'y étaient pas remboursables alors même que l'endémie palustre se développait. Il a estimé qu'il s'agissait là d'un exemple évocateur des effets pervers liés au manque d'adaptation de la réglementation aux spécificités de l'outre-mer. Il a jugé intéressante et importante la proposition du rapporteur pour avis de transférer certains crédits budgétaires vers le secrétariat d'Etat à l'outre-mer en matière sociale.

M. Paul Vergès a estimé que le rapporteur pour avis avait mis l'accent à juste titre sur une situation sociale préoccupante et sur un climat social qui ne s'améliorait pas.

Il a souligné la difficulté à apprécier le budget pour l'outre-mer dans un contexte incertain, des décisions importantes touchant l'outre-mer n'étaient pas encore effectives (arbitrage sur les contrats de plan, répartition de la dotation européenne, présentation de la future loi d'orientation).

Il a regretté que les difficultés de l'outre-mer ne soient abordées chaque année qu'à l'occasion de l'examen du budget. Il a rappelé que les enjeux actuels rendaient nécessaire une politique à long terme. Insistant notamment sur des évolutions démographiques, il a considéré que celles-ci expliquaient en grande partie les difficultés rencontrées en termes d'emploi, de formation et de logement. Il a ainsi rappelé que la Réunion avait connu une croissance économique annuelle moyenne de 5 % sur 20 ans, mais il a constaté que cette croissance ne permettait de créer que 3.500 emplois nets par an, alors que, chaque année, 10.000 jeunes entrent sur le marché du travail.

Il a également insisté sur la nécessité d'adapter la réglementation et les politiques publiques au contexte particulier de l'outre-mer, observant que les situations étaient différenciées dans chaque département.

Il a considéré que l'implication des départements d'outre-mer dans la coopération régionale pouvait permettre d'accompagner leur développement, tout en renforçant la présence de la France et de l'Europe dans le monde.

Indiquant que la commission des lois avait projeté une mission à la Réunion au début de l'année prochaine, M. Paul Vergès a fait part de son souhait que la commission des affaires sociales puisse également inscrire à son programme une telle mission.

M. Lylian Payet a, à son tour, estimé que la situation sociale de l'outre-mer était très préoccupante. Il a considéré que l'effort budgétaire consenti restait très insuffisant par rapport à la gravité de la situation, notamment en termes d'emploi et de logement.

Il a déclaré ne pas partager l'analyse du rapporteur pour avis sur le RMI. Il s'est en effet montré favorable à un alignement immédiat du RMI, estimant que la créance de proratisation était une ponction honteuse sur les plus démunis. A cet égard, il a indiqué que la créance servait à financer des logements dont ne pouvaient pas bénéficier les allocataires du RMI.

M. Philippe Nogrix a constaté que ce budget dénotait une absence de politique cohérente en faveur de l'outre-mer. Il a tout particulièrement insisté sur la nécessité de mener une politique ambitieuse de formation professionnelle et de prise en charge des jeunes. Il a jugé anormal l'écart existant entre le RMI ultramarin et le RMI métropolitain. Il a enfin estimé que l'outre-mer pouvait utilement participer à la présence de la France dans le monde et devrait alors faire l'objet d'une attention particulière.

En réponse aux intervenants, M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur pour avis , a indiqué qu'il importait de faire de la démographie une force et non un handicap pour l'outre-mer. Il a précisé qu'il était lui aussi favorable à un alignement progressif du RMI sur le niveau métropolitain, mais que cela nécessitait parallèlement d'améliorer le volet insertion du RMI.

Il a enfin remercié MM. Paul Vergès et Lylian Payet de leurs utiles éclaircissements sur la situation de leur département.

La commission a ensuite émis un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés à l'outre-mer , puis, à l'unanimité, un avis favorable à l'adoption de l'article 72 du projet de loi de finances rattaché au budget de l'outre-mer.

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