B. SUR LA SÉCURITÉ CIVILE

1. 2000, année rude

L'année qui vient de s'écouler a été rude pour les unités de la sécurité civile, avec le naufrage de l'Erika, les tempêtes de décembre 1999 (92 morts), la préparation du passage à l'an 2000, les inondations dramatiques, le naufrage de l'Ievoli Sun, des feux de forêt particulièrement meurtriers (14 sapeurs-pompiers professionnels décédés), des interventions outre-mer et des missions à l'étranger.

Tous ces événements ont un coût humain et financier. Ils invitent aussi à réfléchir sur l'organisation de notre dispositif de sécurité civile, ses forces et faiblesses. Ils ne doivent pas non plus laisser de côté des sujets méritant aussi intérêt comme la prévention des risques sismiques et la question du déminage. La sécurité civile intervenant sur tous les fronts, il y a un véritable besoin d'une réflexion globale sur l'ensemble des risques, naturels ou bien liés à l'activité humaine. Au total, notre pays aurait dû profiter de l'année écoulée pour avancer sur la question de la sécurité civile et faire en sorte que le projet de budget pour 2001 reflète les priorités et les premiers éléments d'une stratégie. Il n'en a rien été.

Une mise en oeuvre très imparfaite

La mise en oeuvre des plans Polmar-terre s'est révélée très imparfaite, révélant une réelle impréparation et un manque certain de coordination.

L'impréparation des plans POLMAR-terre

Il convient, tout d'abord, de rappeler la liste impressionnante des précisions données par la circulaire du Premier ministre du 17 décembre 1997 régissant les plans Polmar. Ceux-ci doivent, en effet, contenir :

" a) L'inventaire précis des zones à protéger en priorité en tenant compte des impératifs biologiques, touristiques et économiques et de la possibilité technique de cette protection. Cet inventaire devra en outre comporter la liste des zones où l'emploi de certains types de produits est délibérément proscrit ;

b) L'inventaire exhaustif et tenu à jour des matériels de lutte ou de nettoyage disponibles, des produits de lutte, en prenant en compte leur localisation, leur conditionnement, facilité d'emploi, coût de fonctionnement, disponibilité en dehors des heures ouvrables, etc., sans oublier les matériels privés (agriculteurs, travaux publics, raffineries, etc.) ;

c) Les plans précis de pose et de maintenance des barrages pour protéger les zones répertoriées en a) comprenant type et nombre de barrages nécessaires, voies d'accès, orientation, pose des corps morts éventuels, effectifs nécessaires en personnel par site, etc. ;

d) L'inventaire des sites de stockage temporaire des déchets récupérés dont certains devraient être acquis et aménagés à titre préventif : cet inventaire devra préciser leurs possibilités d'accès, leur nature foncière, les travaux éventuels d'étanchéité ;

e) L'inventaire des centres de traitement des produits éventuellement récupérés avec leurs caractéristiques techniques (type de produit susceptible d'être traité par le centre), leur capacité de traitement, leur coût de fonctionnement etc. ;

f) Dans les régions conchylicoles, un plan de transport des cultures recensant les engins nécessaires aux transports ;

g) Les possibilités d'hébergement des personnels de lutte ;

h) La liste des organismes et institutions possédant une compétence en matière de lutte contre les pollutions ".

Or, malgré ces dispositions, force est de constater qu'au moins trois plans n'étaient pas à jour. Selon les informations recueillies par votre mission, les plans polmar-terre des départements touchés dataient de : 1980 en Charente-Maritime ; 1984 en Loire-Atlantique (en cours de révision lors du naufrage) ; 1989 dans le Morbihan ; 1998 en Finistère ; 1999 en Vendée.

Il en résulte que la majorité des plans était donc totalement obsolète lors du naufrage. Ni les noms des personnes responsables, ni leurs numéros de téléphones, ni les dispositions relatives aux zones à protéger n'étaient à jour ! Il a donc fallu tout refaire dans l'urgence de la crise. Il convient, en outre, de souligner qu'au début de la crise, le préfet de Charente-maritime avait été nommé préfet coordinateur, alors que le plan POLMAR de son département était particulièrement obsolète, n'ayant pas été révisé depuis 1980 !

Pour l'avenir, il apparaît donc indispensable que les plans soient mis à jour tous les ans et revus en profondeur tous les cinq ans en collaboration avec le CEDRE. Pour ce faire, il faut que la prévention et la lutte contre les pollutions deviennent un souci permanent des autorités responsables, qui se sentent encore trop souvent peu concernées compte tenu de l'incertitude du risque de pollution.

De même, il est nécessaire de réaliser régulièrement des exercices préventifs en grandeur réelle pour vérifier le fonctionnement du dispositif. Ainsi, l'exercice, pratiqué dans la baie de Bourgneuf à la limite des départements de Vendée et de Loire-Atlantique quelques semaines avant le naufrage de l'Erika, s'est révélé très utile le moment venu.

Ces exercices permettraient, en outre, de s'assurer du bon état de marche du matériel de lutte contre la pollution. Lors de la crise, on a constaté que certains barrages flottants n'avaient jamais été déployés auparavant et n'avaient pas davantage été entretenus. Ils n'ont donc pas été opérationnels !

La trop faible coordination entre plans polmar-terre et plan Polmar-mer

En théorie, les plans Polmar-mer et Polmar-terre sont conçus en association entre les préfectures maritimes et les préfectures terrestres, les préfectures de zone de défense devant également y être associées. La réunion d'une conférence maritime régionale (art. 4 du décret n° 78-272 du 9 mars 1978 relatif à l'action de l'Etat en mer) constitue, en principe, l'occasion de vérifier la concordance des différents plans. La coordination joue, en théorie, tant au niveau interministériel qu'au niveau d'organismes spécialisés, tels que le CEDRE, qui est responsable des études et de la documentation concernant les produits polluants et leurs effets ainsi que de la formation aux méthodes et aux moyens spécialisés dans la lutte contre la pollution.

L'application du plan Polmar-mer est confiée aux préfets maritimes compétents sous l'autorité du Premier ministre et celle du plan Polmar-terre à chaque préfet de département -quel qu'en soit le nombre !- sous l'autorité du ministre de l'Intérieur.

L'organisation du plan Polmar-mer est donc beaucoup plus concentrée que celle du plan Polmar-terre. La même autorité est responsable des mesures de prévention, de l'entraînement et de la lutte. Elle en a la responsabilité en permanence bien avant la crise. Lorsque celle-ci se déclenche, le préfet maritime dispose sur une zone très vaste de tous les moyens et il les intègre dans un commandement militaire unique. Telle n'est pas la situation à terre où l'autorité est dispersée, selon l'ampleur de la pollution, entre les niveaux communal, intercommunal, départemental, de la zone de défense. Il en va de même au niveau national entre les ministères.

On dénombre autant de responsables que de départements littoraux, voire de communes littorales. Dès lors, il n'est guère surprenant que la préfecture maritime n'ait pu trouver, à terre, un véritable interlocuteur face à elle, mais une multitude d'interlocuteurs peu préparés à faire face à une pollution et peu entraînés à coordonner leur action.

L'action contre la pollution à terre à pâti de l'absence d'une autorité unique. Il serait donc particulièrement souhaitable qu'à terre un préfet ait des responsabilités correspondant sur tout le littoral à celles du préfet maritime dès la préparation et l'entraînement à la lutte antipollution, celle-ci ayant une importance primordiale. Trois préfets pourraient donc être désignés sur les trois façades maritimes, tout en donnant la possibilité au préfet du littoral Atlantique de prendre la direction des opérations en cas de pollution survenant simultanément en Manche-Mer du Nord et en Atlantique.

Si cette proposition n'était retenue, la mission soutiendrait le renforcement des pouvoirs du préfet de zone de défense pour qu'il puisse plus largement disposer des moyens de prévention ou de lutte afin de les répartir au mieux sur le littoral. Il aurait aussi la lourde tâche d'harmoniser l'action des préfets de département afin que les intervenants étrangers n'aient plus l'impression, comme ils l'ont confié lors des auditions, " d'avoir à gérer cinq pollutions dans cinq pays différents ". Il ressort également de l'audition des élus locaux que l'efficacité des actions entreprises, dans le cadre des plans polmar-terre, a été très différente selon les départements et leur niveau de préparation.

Source : Rapport de M. Henri de Richemont au nom de la mission commune d'information du sénat, Erika : indemniser et prévenir , Sénat, n° 441 (1999-2000).

2. La sécurité civile, une priorité ?

Il semble bien que ce budget de la sécurité civile pour 2001 soit à maints égards fortement critiquable. Il s'agit d'un budget à structure inchangée, permettant tout juste de maintenir la capacité opérationnelle française, même si des doutes existent sur l'adéquation des crédits aux besoins pour les BK 117. Or l'année 2000 a révélé que la France était en retard et ne consentait pas pour la sécurité civile un effort suffisant.

Ainsi, notre collègue Jean-Antoine Léonetti écrit dans l'avis qu'il consacre, au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, à la sécurité civile : "  ce projet de budget conserve ainsi une structure inchangée, son évolution annuelle correspondant aux moyens indispensables au maintien de la capacité opérationnelle de la sécurité civile. " 17 ( * )

Quelle différence ainsi entre l'évolution quasi-nulle des moyens de fonctionnement et les besoins apparus dans l'année ! Même si certains stocks sont reconstitués et certaines destructions remplacées par la voie du collectif budgétaire de fin d'année, l'écart demeurera entre ce que les événements ont pu faire apparaître comme difficultés résolues par le seul dévouement des personnels et la réalité budgétaire de 2001 de moyens de fonctionnement diminués en valeur, ou de dépenses d'informatique et de transmissions en baisse.

De plus, le budget met l'accent sur la composante aérienne de la sécurité civile qui bénéficie à elle seule de près de 150 millions de francs supplémentaires pour des hausses de crédits hors cotisations sociales et professionnalisation des unités de 175 millions de francs. Et malgré cette priorité forte, il n'est même pas certain que les crédits affectés aux nouveaux hélicoptères suffiront.

3. L'épée de Damoclès des SDIS

Enfin, comment taire la vive préoccupation, pour ne pas dire l'inquiétude, des élus locaux devant la montée en charge des dépenses en faveur des SDIS. Alors que les collectivités locales consentent des efforts très importants pour leurs services d'incendie et de secours, au prix d'inégalités souvent difficilement justifiables entre collectivités eu égard à des risques identiques, alors que le personnel fait part de récriminations et de revendications, alors que les tensions entre volontaires et professionnels n'ont pas disparu, que fait l'Etat ? Le gouvernement a commandé en décembre 1999 à notre collègue Jacques Fleury, parlementaire en mission, un rapport sur les SDIS. La loi qui en tirerait les conclusions ne serait présentée que dans le second semestre 2001, soit deux ans après la commande du rapport ! Cela n'est pas satisfaisant.

Au total, votre rapporteur spécial regrette vigoureusement que le projet de budget pour 2001 soit un budget de continuité au lieu d'être le budget de rupture et de modernisation attendu par les Français et motivé par les événements dramatiques de l'année écoulée. Il estime même que l'autosatisfaction des documents ministériels sur l'évolution de ce budget frise l'inconvenance alors que rien n'a été engagé comme réforme cette année et que en dehors d'effets de structure, que l'on peut qualifier d'effets de manche, aucune volonté politique en faveur de la sécurité civile n'apparaît clairement. Le gouvernement annonce un projet de loi pour le second semestre 2001. Ce sera déjà bien tard.

* 17 Avis n° 2628 tome III, XIème législature, page 9.

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