Rapport n° 229 (2000-2001) de M. Robert del PICCHIA , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 14 février 2001

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N° 229

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 8 février 2001

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 février 2001

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine ,

Par M. Robert Del PICCHIA,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, René-Georges Laurin, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.

Voir le numéro :

Sénat : 174 (2000-2001)

Traités et conventions.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale, signée à Paris le 14 octobre 1998 entre la France et la République argentine.

La convention judiciaire en matière pénale, signée le 20 avril 1959 sous les auspices du Conseil de l'Europe, constitue le texte fondateur en la matière. A ce jour, la quasi-totalité des Etats-membres du Conseil de l'Europe l'ont ratifiée.

L'entraide judiciaire, au-delà de son intérêt pratique - la transmission directe des actes entre ministères de justice - manifeste également la communauté des valeurs dont se réclament les Etats démocratiques à travers leur système juridique.

Aussi, votre rapporteur se propose-t-il, avant d'aborder le dispositif classique de cette convention, de présenter la situation économique et politique de l'Argentine, avec laquelle notre pays entretient d'étroites relations.

I. L'ARGENTINE ENTRE CONSOLIDATION POLITIQUE ET TRANSITION ECONOMIQUE

A. L'ARGENTINE : UNE DÉMOCRATIE RESTAURÉE

1. la consolidation de la démocratie

Depuis 1983, la démocratie en Argentine est restaurée, après avoir connu, depuis l'indépendance de 1816, de nombreuses vicissitudes, marquées par la succession de dictatures militaires à d'éphémères gouvernements civils. La victoire de M. Raoul Alfonsin, candidat de l'Union Civique Radicale (UCR), de centre gauche, lors des élections du 30 octobre 1983, a permis de mettre un terme au régime militaire mis en place en 1976 et incapable d'endiguer les troubles intérieurs liés notamment à la défaite des Malouines.

Cependant, la présidence Alfonsin a connu, dans un pays en proie aux soulèvements militaires et à des problèmes sociaux générés notamment par une inflation galopante, de sérieuses difficultés pour assurer la consolidation de l'Etat de droit.

A la suite de l'interruption prématurée du mandat de M. Alfonsin, la détérioration de la situation économique et sociale a favorisé l'élection de M. Carlos Menem, candidat péroniste investi président en juillet 1989. Le plan de convertibilité élaboré avec le Fonds Monétaire International et mis en oeuvre en 1991, a permis de mettre un terme à l'hyperinflation et a assuré le retournement de la situation économique. La réélection en mai 1995 du Président Menem, pour un mandat porté à quatre ans, conformément aux dispositions du Pacte d'Olivos passé entre les différentes forces politiques du pays, fut considérée comme le gage de la stabilisation politique de l'Argentine.

2. L'alternance comme gage de maturité institutionnelle

Le 24 octobre 1999 était élu à la présidence de la République M. Fernando de la Rua, dès le premier tour, à la suite de M. Carlos Menem, dont la fin du second mandat avait été assombrie par les difficultés économiques et la succession de scandales politiques. Cette élection fut saluée par l'ensemble de la communauté internationale comme le gage de la maturité des institutions démocratiques argentines.

Parlementaire se réclamant de l'aile droite de l'UCR, M. de la Rua fut l'un des principaux artisans de l'adoption des lois contre la discrimination des indigènes. Conservateur, sa candidature à la présidence de la République reçut le soutien d'une coalition de centre gauche, l'Alliance, regroupant l'UCR et le Front pour un pays solidaire (FREPASO).

Ce succès électoral est toutefois relativisé par le faible soutien parlementaire au nouveau président. Ainsi, l'Alliance ne dispose que d'une majorité relative à la Chambre des députés, avec 124 représentants sur 257, et demeure minoritaire au Sénat, avec seulement près d'un tiers des sièges. En outre, la majorité des provinces, notamment celle de Buenos Aires où le vice-président sortant, M. Ruckauf, s'est imposé face à la candidate de l'Alliance, reste gouvernée par les Péronistes.

L'absence de réelle marge de manoeuvre du nouveau président argentin, aggravée par les scandales de corruption au Sénat et les démissions, en octobre dernier, du vice-président, du premier ministre ainsi que de trois autres ministres, ont entamé la crédibilité, auprès de l'opinion, de M. de la Rua, qui se trouve de ce fait dans une situation de cohabitation inédite en Argentine.

Les élections législatives d'octobre 2001, où la moitié des sièges de députés et la totalité de ceux du Sénat seront pourvus, constitueront une échéance majeure pour l'Alliance, en proie à de sérieuses dissensions.

B. L'ARGENTINE : UNE ÉCONOMIE EN TRANSITION

1. La croissance soutenue de la décennie 1990

Le Plan Cavallo (mars 1991) a permis le redressement de l'économie argentine, grâce à une politique monétaire de stricte parité entre le peso et le dollar, accompagnée par de profondes réformes structurelles, visant notamment l'assainissement du système bancaire (près d'un quart des établissements bancaires ont disparu entre 1991 et 1998) ainsi que la mise en place, en 1993, d'un système de retraites par capitalisation.

La décennie 90, hormis une récession de 4,6 % enregistrée en 1998, a été globalement positive, avec une augmentation continue de plus de 4 % du PIB jusqu'à 1998, année durant laquelle le produit intérieur brut argentin a atteint 341 milliards de dollars.

Si le secteur secondaire représentait, en 1998, 31 % du PIB, le secteur primaire (6 % du PIB) générait 51 % des exportations, essentiellement composées de bovins, de céréales et d'oléagineux. L'Argentine exporte également du pétrole, du gaz, du charbon et de l'uranium.

L'économie argentine a également bénéficié de son appartenance au MERCOSUR, marché commun du cône sud entre l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay, créé par le Traité d'Assomption du 26 mars 1991. Afin d'assurer la libre circulation des biens, services, capitaux et main d'oeuvre prévue par ce traité, une union douanière, entrée en vigueur le 1er janvier 1995, a permis de constituer effectivement le quatrième ensemble économique mondial en terme de produit national brut cumulé et un marché de 208 millions d'habitants. Le MERCOSUR, en substituant à la traditionnelle logique de confrontation entre l'Argentine et le Brésil une logique de coopération, permet également à leurs deux autres partenaires, le Paraguay et l'Uruguay, de s'ouvrir au commerce international.

Si le commerce bilatéral entre l'Argentine et le Brésil a été sextuplé entre 1991 et 1998, pour atteindre vingt milliards de dollars, l'accumulation des difficultés économiques éprouvées notamment par le Brésil ont ravivé les tensions protectionnistes, provoquant la chute des échanges commerciaux avec l'Argentine, dont les exportations vers son principal partenaire régional demeurent tributaires de la dévaluation du réal de 40 % intervenue en janvier 1999. En outre, la volonté du Chili de préserver l'autonomie de sa politique commerciale et de s'associer, à terme, à l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), plutôt que de rejoindre le MERCOSUR, souligne les difficultés actuellement éprouvées par cet ensemble régional.

A cette intégration commerciale correspond la définition d'un cadre législatif favorisant l'accueil des capitaux étrangers. A partir de 1991 jusqu'à 1999, la suppression du contrôle des changes, le libre rapatriement des capitaux et des dividendes ainsi que l'absence totale de discrimination ont permis d'accueillir près de 127 milliards de dollars d'investissements étrangers.

Enfin, l'Argentine, soutenue dans cette démarche par la France, est également candidate à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

2. Le retournement de la conjoncture économique

Si l'expansion des sept premières années de la Présidence Menem est apparue comme un véritable " miracle économique ", le retournement du cycle, avec une récession de 3,4 % en 1999 et une stagnation à 0,5 % en 2000, a remis en cause le modèle de croissance jusqu'alors suivi par l'Argentine.

Un tel retournement de croissance s'explique notamment par la baisse des prix des matières premières et la dévaluation du réal brésilien qui pénalise les exportations argentines, renchéries par la stricte parité entre le dollar américain et le peso. Par ailleurs, le rôle essentiel de la demande interne pour la croissance d'un pays au très faible taux d'ouverture - les exportations ne représentant que 8 % du PIB - éloigne durablement le retour de la croissance. Ainsi, avec un chômage touchant près de 15 % de la population active et la baisse de 17 % enregistrée, entre mai 1994 et octobre 1999, par la rémunération courante moyenne des salariés du secteur privé, et dans une moindre mesure par les traitements de la fonction publique, la consommation demeure atone. En outre, alors que moins de 6 % des demandeurs d'emploi sont indemnisés, la situation sociale des Argentins s'est dégradée ces dernières années, avec près d'un quart de la population au-dessous du seuil de pauvreté et une augmentation substantielle de l'indigence, qui touche désormais près de trois millions de personnes.

En dépit d'une dette nationale estimée soutenable à 49,6 % du PIB, les besoins de l'Argentine imposent de recourir massivement aux capitaux étrangers, en raison notamment d'un faible taux d'épargne (de l'ordre de 15 % du PIB) et de l'utilisation des réserves de change, estimées à 26 milliards de dollars, limitée au soutien du régime de caisse d'émission.

Un " paquet financier ", de l'ordre de 39,7 milliards de dollars, négocié par les autorités argentines auprès du Fonds Monétaire International en décembre dernier, devrait couvrir une large partie des besoins de financement pour 2001 et 2002. En contrepartie, le gouvernement de M. de la Rua s'est engagé à relancer l'activité par une baisse ciblée de la fiscalité sur les entreprises et une série de mesures destinées à rendre attractif le marché argentin. En outre, la signature en novembre dernier d'un pacte budgétaire et fiscal, passé avec les provinces pour une durée de cinq ans et prévoyant la maîtrise des transferts du gouvernement, devait contribuer à la réduction du déficit public.

Cependant, l'aggravation de la crise économique a conduit le président de la Rua à nommer, en mars dernier, M. Ricardo Lopez Murphy, très vite remplacé par M. Domingo Cavallo, ancien ministre de l'économie du président péroniste Carlos Menem. Alors que les mesures d'austérité proposées par son prédécesseur ont été rejetées par l'ensemble de la classe politique argentine, M. Cavallo a fait adopter sa loi dite de " compétitivité ", destinée à abaisser de 20 % les coûts de production sans dévaluation du peso, par les députés qui se sont prononcés en faveur de l'attribution des pouvoirs spéciaux au contenu fermement déterminé par le législateur. Le ministre de l'économie ne pourra ainsi ni privatiser les entreprises d'Etat, ni baisser les salaires ou encore licencier les fonctionnaires.

Au moment où sont écrites ces lignes 1 ( * ) , et alors que la tension ne semble guère retomber dans l'ensemble des provinces où se déroule actuellement la rentrée sociale, les premières mesures prises en vertu de cette loi de compétitivité sont également attendues par l'ensemble des institutions financières internationales.

II. LA FRANCE ET L'ARGENTINE : UNE COOPÉRATION DURABLE ET DYNAMIQUE

A. LA CONSOLIDATION DE LA PRÉSENCE FRANÇAISE EN ARGENTINE

1. Des relations commerciales privilégiées avec la France

Si la moitié de nos échanges avec l'Amérique latine concerne le MERCOSUR, 14 % se font avec l'Argentine, où la France détient près de 6 % des parts de marché. La France est ainsi bien implantée en Argentine, où, avec 8 % de l'ensemble des investissements étrangers, elle s'adjuge la troisième place derrière les Etats Unis et l'Espagne. Plus de deux cents de nos filiales, sans compter les minorités de contrôle et autres sociétés mixtes, y sont recensées.

Il importe enfin de souligner la participation de grands groupes au processus de privatisation du secteur public local débuté en 1991 : Gaz de France vient ainsi d'obtenir la concession de la distribution du gaz dans les cinq provinces du nord-ouest du pays pour un investissement de 150 millions de dollars et Thalès est candidat à la mise en oeuvre de la couverture radar de l'espace aérien argentin.

Durant la dernière décennie, les investissements français en Argentine ont ainsi représenté plus de dix milliards de dollars, profitant notamment de l'accord bilatéral de promotion et de protection réciproque des investissements signé en 1991.

2. Une plus grande concertation dans le domaine militaire

L'accord intergouvernemental de coopération dans le domaine de la défense, signé par la France et l'Argentine en octobre 1998 et ratifié par le parlement argentin le 18 mai 2000, a permis d'établir un nouveau partenariat entre nos deux pays. A cet égard, une première réunion des structures de dialogue, créées par cet accord, s'est tenue à Buenos Aires entre les représentants des armées françaises et argentines, en avril dernier.

Si les relations bilatérales demeurent relativement modestes, la coopération entre les armées de terre et les marines argentines et françaises a enregistré, ces dernières années, de réels progrès.

S'agissant de la marine, des exercices et des embarquements réciproques appuyés par des échanges de formation ont eu lieu lors d'escales de bâtiments français et argentins. Par ailleurs, la France a cédé le pétrolier ravitailleur Durance ainsi que trois avisos de la classe A69, destinés à la surveillance maritime. En outre, l'Argentine possède toujours les appareils de type " Super Etendard ", utilisés notamment lors du conflit des Malouines.

L'Armée de l'Air a, en 1993, signé un arrangement technique organisant des échanges de pilotes et d'instructeurs.

Les Argentins ont, pour leur part, exprimé des besoins quant à une plus grande coopération centrée sur la formation des militaires de haut niveau - deux places sont en ce sens réservées aux militaires argentins au Collège interarmé de défense (CID) - et une éventuelle coopération dans le domaine du maintien de la paix.

Par ailleurs, l'envoi, en novembre 2000, d'un officier supérieur français au stage de formation des observateurs militaires des Nations Unies au Centre argentin d'entraînement aux opérations de maintien de la paix (CAECOPAZ) devrait être réitéré cette année. En outre, des cadres militaires argentins devraient prochainement être accueillis dans nos formations participant à ce type d'opération.

Enfin, notre expérience ne manquera pas d'être sollicitée par le ministère de la défense argentin qui entend, dans le cadre de la loi de programmation militaire 1999-2003, revaloriser la condition militaire et moderniser les forces argentines, par la mise en oeuvre notamment de la professionnalisation et de l'intégration interarmée.

B. L'ESSOR DE LA COOPÉRATION ENTRE LA FRANCE ET L'ARGENTINE

1. La redéfinition des priorités de notre coopération scientifique et technique

L'Argentine demeure le cinquième partenaire de la France en Amérique latine pour la coopération scientifique et technique, financée à hauteur de 6,2 MF et contribuant à la formation des futures élites argentines et des fonctionnaires. Le programme " décideurs d'avenir ", représentant près de la moitié du budget d'intervention annuel, constitue l'une des priorités de notre intervention et offre à vingt cinq jeunes cadres de l'administration argentine une formation de six semaines à l'Ecole supérieure de commerce de Paris. La France contribue également à la formation des fonctionnaires argentins, tant de niveau fédéral, provincial que municipal, grâce à des séminaires de formation organisés depuis deux ans. Notre action concerne également le domaine de la justice et devrait prochainement assurer, outre la mise en oeuvre d'un programme défini par le Conseil d'Etat pour les magistrats de la province de Buenos Aires, une formation continue destinée aux juges fédéraux.

Outre ces grands projets, le lancement d'une coopération dans le domaine de la lutte contre le SIDA témoigne ainsi de la variété des domaines couverts par notre partenariat.

Enfin, les perspectives de partenariat dans les filières techniques dans un pays comme l'Argentine qui souffre d'une réelle pénurie de techniciens, demeurent prometteuses. Si nos crédits d'intervention représentent, pour l'heure, une enveloppe globale de 44,4 MF, notre contribution aux programmes issus des fonds multilatéraux (BID) devrait s'accroître dans les prochaines années.

Il convient enfin de rappeler l'existence d'une coopération décentralisée dans les domaines de l'environnement, de la décentralisation, de l'aménagement urbain et des transports, comme l'illustrent les partenariats entre la région Midi-Pyrénées et la province de Buenos Aires, entre les villes de Saint Etienne et Mendoza, Boulogne sur mer et La Plata, ainsi qu'entre Paris et Buenos Aires.

2. Le rayonnement culturel de la France confronté à de nouveaux défis

Dans le domaine de la coopération culturelle, les crédits d'intervention s'élèvent, en 2000, à 12,45 MF et font l'objet d'un contrôle bilatéral assuré, depuis 1984, par la Commission générale franco-argentine. L'action en faveur du français absorbe près de 70 % des crédits destinés en partie à assurer le fonctionnement du lycée Jean Mermoz de Buenos Aires, du collège franco-argentin de Martinez, ainsi que des cent deux implantations de l'Alliance Française.

La France, longtemps considérée par les élites comme une référence en matière littéraire et artistique, a longuement contribué au patrimoine artistique argentin : l'architecture de Buenos Aires, les statues de Bourdelle, les parcs de Charles Thays dans les différentes provinces ainsi que la création, en 1938, d'une antenne de l'Université de Paris en Argentine témoignent de cette reconnaissance. Le choix de notre pays comme destination d'écrivains, comme Julio Cortazar ou Hector Bianciotti, ou d'auteurs de théâtre comme Jorge Lavelli ou Alfredo Arias, confirme également la place occupée par notre pays auprès des élites intellectuelles argentines.

De l'indépendance jusqu'aux années 1970, le français est ainsi resté la première langue étrangère enseignée en Argentine, bénéficiant d'une place privilégiée dans les programmes nationaux établis par les autorités centrales.

La politique suivie par l'Argentine, comme la décentralisation du système éducatif mise en oeuvre à partir de 1993, a contribué à la fragilisation de notre langue en Argentine, avivée également par l'influence grandissante de l'anglais. Ainsi, dans la province de Buenos Aires qui regroupe près de 30% de la population totale, le français n'est plus enseigné dans les filières du secondaire.

Néanmoins, l'actuelle réforme du lycée, qui prévoit notamment l'enseignement de deux langues étrangères obligatoires, laisse augurer une amélioration de la situation du français, en faveur de laquelle nos représentants en Argentine agissent auprès des autorités provinciales.

Toutefois, malgré la crise économique qui sévit depuis près de trois ans et les progrès enregistrés par l'apprentissage du portugais, notamment dus au développement des échanges avec le Brésil, voisin et partenaire du MERCOSUR, la langue française bénéficie du réseau des cent deux Alliances Françaises, réparties sur l'ensemble du territoire, ainsi que d'un corps enseignant de bon niveau, fort de 1800 professeurs.

Notre action concerne également des établissements d'excellence avec lesquels les Alliances Françaises entretiennent des relations privilégiées. Ainsi, la promotion de nos filières d'enseignement supérieur, assurée notamment par l'Agence Edufrance, vise l'accueil chaque année en France de près de quatre cent étudiants argentins et développe, dans ce sens, un programme de bourses de troisième cycle, concernant, pour cette année, quarante-cinq personnes.

La musique et le théâtre sont également des disciplines traditionnellement représentées par notre pays en Argentine. Ainsi, les représentations de nos grands orchestres et nos meilleurs interprètes se sont multipliées ces dernières années, comme entre 1998 et 1999, l'orchestre philarmonique de Radio-France, les Arts Florissants et l'Ensemble des Percussions de Strasbourg. La programmation de l'Opera de Buenos Aires prévoit par ailleurs d'accueillir cette année, l'Armide de Gluck et la Veuve Joyeuse, après avoir présenté, l'an passé, une adaptation par Jorge Lavelli de Pelleas et Melisande.

Trois compagnies françaises - Catherine Diverres, Michel Dydim et Montaldo-Hervieu - ont été invitées en 1999, dans le cadre du festival international de théâtre de Buenos Aires. Le mécénat d'entreprises apporte également un soutien significatif à des manifestations de prestige comme la tournée, programmée en septembre dernier, de la Comédie Française et la prochaine venue des ballets de l'Opéra de Paris, prévue pour 2002.

La position de la France dans les arts visuels est également renforcée. Outre les monographies d'artistes français, comme Gérard Garouste en 1999 et François Marie Banier en 2000, le programme Génération 2001, créé par l'Agence Française d'Action Artistique (AFAA) devrait accroître la présence de notre pays dans les différentes manifestations artistiques, comme la prochaine biennale d'architecture de Buenos Aires. Par ailleurs, la remise du Prix Braque, interrompue depuis 1997, contribuera cette année au développement des échanges culturels entre la France et l'Argentine.

La place de la France dans le monde universitaire argentin demeure de premier ordre. La traduction de près de deux cents ouvrages d'auteurs français, soutenue depuis 1984 par le programme d'aide à la publication Victoria Ocampo, ainsi que les nombreuses visites de nos universitaires à Buenos Aires, organisées notamment par le centre franco-argentin des hautes études de l'Université de Buenos Aires, créé en 1996, demeurent le gage de la notoriété de nos universités auprès des étudiants argentins.

III. LA CONVENTION D'ENTRAIDE JUDICIAIRE EN MATIÈRE PÉNALE ENTRE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ET LA RÉPUBLIQUE ARGENTINE

A. UN DOMAINE DE COOPÉRATION CLASSIQUE

Avant la ratification de l'accord portant sur la reconnaissance et l'exécution des jugements en matière civile du 2 juillet 1991, il n'existait aucune convention bilatérale dans le domaine judiciaire entre la France et l'Argentine, par ailleurs Parties à quatre conventions de La Haye relatives au domaine civil. Une lacune demeurait ainsi en matière d'entraide pénale, en raison de l'absence d'un dispositif adapté.

La présente convention, signée à Paris le 14 octobre 1998, permet de combler ce vide. Par ailleurs, ce texte reprend, dans ses vingt six articles, les principales dispositions de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale du Conseil de l'Europe du 20 avril 1959.

1. Définition de l'entraide et de son champ d'application

L'article 1er consacre la volonté des Parties de s'accorder l'entraide judiciaire la plus large possible dans le cadre de procédures visant la répression des infractions pénales de la compétence des autorités judiciaires de la Partie requérante. Cependant, l'exécution des décisions d'arrestation et de condamnation, qui ressortissent du domaine de l'extradition, ainsi que les infractions militaires stricto sensu, ne sont pas couvertes par la convention.

Le champ d'application, précisé à l'article 2, comprend la recherche de personnes, la notification des décisions judiciaires, la production de documents et de décisions judiciaires, les perquisitions, les dépositions et interrogatoires, les citations à comparaître, le transfèrement des personnes détenues aux fins de témoignage, la saisie, la mise sous séquestre et la confiscation de biens.

Les autorités centrales - le bureau de l'entraide répressive internationale et des conventions pénales dépendant de la direction des affaires criminelles du ministère de la justice pour la France et la direction des traités du ministère des relations extérieures, du commerce international et du culte pour l'Argentine - sont chargées, conformément aux articles 3 et 4, de présenter et recevoir directement les demandes et de les transmettre à leurs autorités compétentes.

2. Conditions de recevabilité des demandes

L'article 5 précise que les demandes doivent être présentées par écrit et comporter certains renseignements devant se rapporter à l'autorité qui présente la demande, à l'objet et au motif de celle-ci, à la personne en cause ou concernée et, en cas de nécessité, à l'exposé des faits et à leur qualification pénale.

Les motifs de rejet par l'une des Parties des demandes émanant de l'autre Partie sont définis à l'article 6. L'entraide peut ainsi être refusée pour des infractions tenues par la Partie requise comme des infractions politiques ou connexes, ou dans le cas de perquisition, saisie ou mise sous séquestre des faits ne constituant pas une infraction au sens de la législation de la Partie requise. En outre, si l'exécution de la demande est de nature à porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de la Partie requise et si elle concerne une mesure de confiscation pour des faits ne constituant pas une infraction selon la législation de cette dernière, elle peut également être refusée. Le rejet doit cependant être notifié et motivé, en totalité ou partiellement.

L'entraide est exécutée en conformité avec la législation de la Partie requise, comprenant des formes particulières d'exécution demandées par la Partie requérante (article 7).

L'article 8 dispose qu'en l'absence d'une demande expresse des originaux par la Partie requérante, les copies certifiées conformes des documents ou dossiers demandés peuvent lui être adressées. La Partie requise peut cependant refuser l'envoi de tels documents et dossiers, si sa législation ne lui permet pas de surseoir à leur envoi s'ils s'avéraient nécessaires à une procédure pénale en cours.

L'article 9 mentionne la possibilité de restitution à la victime, sur demande de la Partie requérante, des biens et valeurs provenant d'une infraction, sous réserve des droits des tiers.

Il peut être demandé à la Partie requise de rechercher et de saisir les produits d'une infraction à la législation de la Partie requérante et susceptibles de se trouver sur son territoire. Toute demande de confiscation ne peut cependant être exécutée que conformément à la législation de la Partie requise qui demeure, sauf accord contraire, propriétaire des produits confisqués (article 10).

Aux termes de l'article 11, il incombe à la Partie requise de fournir la preuve de la remise des actes de procédure, en précisant à la Partie requérante le fait, la forme et la date, et, le cas échéant, les motifs qui l'en ont empêchée.

B. LES CONDITIONS D'UNE RÉELLE ENTRAIDE EN MATIÈRE JUDICIAIRE

1. Conditions de comparution et de transfèrement des personnes

En cas d'urgence, la Partie requérante peut renoncer au délai de quarante-cinq jours d'ordinaire requis pour le remboursement des indemnités et des frais requis par toute demande de comparution de témoin, d'expert ou de personne poursuivie. Aucune contrainte ni sanction ne peut cependant être appliquée à ces personnes en cas de non comparution (article 12).

L'interrogatoire d'une personne poursuivie, ainsi que l'audition d'un témoin ou d'un expert, doivent être effectués sur le territoire de la Partie requise et conformément à sa législation (article 14).

Les immunités, précisées à l'article 15 et bénéficiant aux personnes qui comparaissent à titre de personne poursuivie, de témoin ou d'expert devant les autorités de la Partie requérante, relèvent du principe de spécialité des poursuites.

Par ailleurs, le transfèrement temporaire d'une personne détenue dans la Partie requise, aux fins d'audition ou de confrontation dans la Partie requérante, peut, dans le cas du refus de l'intéressé, ne pas être consenti par la Partie requise. La nécessité de la présence de la personne concernée par le transfèrement, dans le cadre d'une procédure pénale en cours, constitue cependant un motif recevable de refus pour la Partie requise (articles 16 et 17).

Les conditions de transit d'une personne, temporairement transférée vers l'une des Parties et détenue dans un Etat tiers, sont fixées par l'article 18. Une demande écrite et accompagnée de tous les documents nécessaires doit être adressée à la Partie requise, qui a cependant la faculté de refuser le transit de l'un de ses ressortissants.

Conformément à l'article 19, les dénonciations officielles aux fins de poursuites pénales seront prononcées par les autorités centrales de la Partie requise.

Par ailleurs, seuls les frais occasionnés par l'intervention des témoins et experts ou par le transfèrement des personnes détenues seront supportés par la Partie requérante. Si l'exécution fait toutefois apparaître des dépenses extraordinaires, les autorités centrales se consultent pour déterminer les conditions dans lesquelles elle pourra être exécutée (article 20).

2. Conditions finales relatives à la concertation entre les Parties et à la mise en oeuvre de la présente convention

L'article 21 dispose que les demandes et les documents annexés sont accompagnés d'une traduction dans la langue de la Partie requise.

Par ailleurs, les autorités centrales se tiennent informées, chaque année, des condamnations concernant leurs ressortissants respectifs ainsi que les décisions de condamnation les concernant (article 22).

Si chaque autorité centrale communique, en réponse à une demande de son homologue, le casier judiciaire d'une personne dans la mesure où sa législation le lui permet, les documents dont la transmission est prévue par la convention, sont dispensés de toute forme de légalisation (articles 22 et 23).

Conformément à l'article 25, toute difficulté d'interprétation ou d'application de la convention fera l'objet de consultations par la voie diplomatique (article 25).

Les conditions d'entrée en vigueur - le premier jour du deuxième mois suivant la réception de la dernière notification à l'autre Partie de l'accomplissement des procédures constitutionnelles - et de dénonciation - le premier jour du troisième mois suivant le jour de la réception de la notification effectuée par voie diplomatique - sont enfin exposées dans l'article 26.

CONCLUSION

Pour votre rapporteur, l'intérêt de cette convention ne saurait se résumer au renforcement, certes nécessaire, d'une coopération judiciaire aujourd'hui réduite.

Une convention d'entraide judiciaire, malgré les garanties qui en entourent les procédures, ne peut se concevoir qu'entre des Etats respectueux des principes du droit. La signature de cet accord témoigne d'un acte de confiance de la France dans les progrès accomplis par l'Argentine, au cours de ces dernières années dans la construction d'un système juridique adapté à une démocratie moderne.

La présente convention constitue une pierre supplémentaire dans le rapprochement indispensable, entre nos deux pays, et votre rapporteur ne peut qu'en recommander l'adoption.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport au cours de sa réunion du 14 février 2001.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé entre les commissaires.

En réponse à M. Michel Caldaguès, M. Robert Del Picchia, rapporteur, a précisé que le montant de 140 milliards de dollars visait la seule dette extérieure de l'Argentine. Il a fait observer que le prêt consenti par le FMI démontrait la précarité actuelle de l'économie argentine dont les besoins de financement ont connu, ces dernières années, un accroissement considérable.

M. Hubert Durand-Chastel a rappelé que de plus en plus de pays, en Amérique latine, revendiquaient la parité de leur monnaie avec le dollar. Ainsi en était-il de l'Argentine mais aussi de l'Equateur, politique qui entraînait de fortes contraintes, notamment sociales.

M. Xavier de Villepin, président, a rappelé que les derniers prêts consentis par le Fonds monétaire international à l'Argentine, mais aussi à la Turquie, intervenaient à titre préventif et témoignaient du changement de stratégie opéré par cette organisation. Il a souligné les incertitudes actuelles qui pesaient sur la situation de l'économie argentine, qui pâtit de la parité absolue -qui a valeur constitutionnelle- avec un dollar fort. Cette politique pèse sur les exportations de l'Argentine alors même que son principal partenaire commercial et concurrent, le Brésil, bénéficie de la dévaluation chronique de sa monnaie. Il a estimé que ce vaste pays occupait une position centrale dans le projet américain de zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), auquel s'opposait la perspective d'une consolidation du MERCOSUR.

Suivant l'avis de son rapporteur, la commission a adopté le projet de loi.

PROJET DE LOI

(Texte proposé par le Gouvernement)

Article unique

Est autorisée l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine, signée à Paris le 14 octobre 1998, et dont le texte est annexé à la présente loi 2 ( * ) .

ANNEXE -
ETUDE D'IMPACT3 ( * )

Projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République argentine

- Etat de droit et situation de faits existants et leurs insuffisances.

Jusqu'en 1998, la France et l'Argentine ne sont liées, en matière d'entraide judiciaire, que par une convention bilatérale portant sur la reconnaissance et l'exécution des jugements en matière civile du 2 juillet 1991 et par quatre conventions multilatérales de La Haye, toujours en matière civile. Un vide existait donc en matière d'entraide pénale. Ce vide a été souligné par l'Argentine en 1994, notamment à propos de l'exécution, de part et d'autre, des commissions rogatoires. La France s'étant déclarée favorable à l'ouverture de négociations, une proposition de texte a été soumise à l'examen de nos autorités par l'Argentine. Après plusieurs concertations écrites , il a été décidé d'ouvrir des négociations qui se sont tenues à Paris, du 26 au 28 juin 1996, à l'issue desquelles un texte a été paraphé. Il a fallu cependant attendre le 14 octobre 1998 pour qu'il soit signé dans la capitale française.

Ce texte reprend, dans ses 26 articles, mais sous un agencement différent, les principales dispositions de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale du Conseil de l'Europe du 20 avril 1959, dont elle est très proche, et des conventions bilatérales ratifiées par la France.

- Bénéfices escomptés en matière :

* d'emploi : sans objet ;

* d'intérêt général : la convention ne peut que faciliter et rendre plus efficaces les procédures d'instruction. De ce fait, elle tend vers une meilleure administration de la justice ;

*financière : sans objet ;

* de simplification des formalités administratives : la procédure d'entraide judiciaire en matière pénale reçoit un cadre juridique qui lui permet de s'affranchir des aléas liés aux demandes jusqu'ici fondées sur le principe de la réciprocité ;

* de complexité de l'ordonnancement juridique : la convention simplifie les procédures d'entraide judiciaire.

* 1 27 mars 2001.

* 2 Voir le texte annexé au document Sénat n° 174 (2000-2001)

* 3 Texte transmis par le Gouvernement pour l'information des parlementaires.

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